samedi 12 juin 2010

Le maire, Guesdon (1793), assassiné par les conscrits


Le nouveau maire de Saint-André-Goule-d'Oie en 1793 n’est pas républicain, contrairement à André Bordron le premier maire. Guesdon, c’est son nom, ne restera pas longtemps maire : deux mois et demi.

Un maire dans l’oubli à cause des archives détruites 


Au plan national un renouvellement des municipalités a eu lieu en novembre 1792 au suffrage universel des « citoyens actifs ». Le serment que doit prêter le nouveau maire élu est le suivant : « Je jure d’être fidèle à la nation et de maintenir de tout mon pouvoir la liberté, l’égalité ou de mourir à mon poste ». Mourir à son poste ! Ce fut le sort de Guesdon.

En matière d’élections, nous n’avons encore moins d’information concernant Guesdon, que pour son prédécesseur, c’est à dire que nous n’avons rien.

Le nouveau maire est ignoré par les registres d’état-civil et les autres documents conservés par les Archives en tant que tel, mais il est désigné dans des documents d’Histoire parce qu’il a été tué par les jeunes gens en révolte de sa commune. C’est un épisode peu glorieux du début du soulèvement en masse des Vendéens.

Au 1e janvier 1793, on ne trouve pas d’état-civil de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie, comme cela était devenu obligatoire. À Chauché, par exemple, où se trouvaient quelques républicains, le registre d’état-civil commence bien, comme prévu, en janvier 1793, tenu par François Renolleau, qui signe en tant qu’« officier public de la commune de Chauché ». Le registre de Saint-André, paraphé et coté par un nommé Brunet du district de Montaigu, le 30 décembre 1792, n’a pas été utilisé par Jacques Guesdon. Probablement que personne n’est allé lui faire de déclarations, alors que le curé note ses propres actes datés dès janvier 1793. C'est le renversement de régime dû à l'insurrection de mars 1793 qui a permis au curé de récupérer le registre. Non seulement le maire n’a pas dénoncé le curé qui se cachait, mais il était sans doute complice de la situation. Son engagement en février 1792 pour acheter l’église de la Chapelle de Chauché, contre les autorités révolutionnaires, pour la sauver de la démolition, le range dans le camp opposé à la révolution. La suite des évènements montrera que le premier maire de Saint-André, Jean Bordron, doit plutôt être classé dans le camp des républicains modérés. L’élection de son successeur pourrait sans doute signifier une montée de l’opinion royaliste dans la commune à la fin de 1792, qu’on constate aussi à Saint-Fulgent de manière documentée. Faute de document nous sommes obligés de rester prudent dans l’affirmation, mais c'est probable.

Après quelques reconstitutions d’actes sous l’égide du juge de paix de Saint-Fulgent, les Archives conservent deux petites collections de registres clandestins, tenus par le prieur Allain, prêtre insermenté, en guise de début de l’état-civil de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie.

Archives de la Vendée
Registre destiné à inscrire les actes de baptême, mariages et décès de la paroisse de St André de Gouled’oye dépt. de la Vendée pour les années mil sept cent quatre-vingt-treize et mil sept cent quatre-vingt-quatorze, années de la guerre civile, ce qui a fait qu’on n’a pu inscrire les actes de suite et dans l’ordre qu’ils devraient être ; on ne sera point étonné en conséquence d’y trouver beaucoup de transpositions, parce qu’on enregistrait qu’au fur et à mesure qu’on le pouvait, étant obligé de fuir à tout moment.

Les deux registres clandestins du prieur Allain couvrent la période de 1793 à 1794 et sont bien incomplets. On retrouve le premier d’entre eux aussi classé aux Archives de la Vendée dans l’état-civil de Saint-Fulgent et dans celui de Chauché. Pourtant les actes concernés sont presque exclusivement ceux d’habitants de Saint-André, mais la commune de Chauché comprenait désormais certains villages, dont les paroissiens se considéraient de Saint-André pour une question de commodité géographique ! Le vicaire Brillaud de Saint-Fulgent a tenu lui aussi deux registres clandestins, conservés aux Archives sous la rubrique « actes mélangés » de l’état-civil de Saint-Fulgent. On y trouve des actes d’inhumation concernant des habitants de Saint-André et d’autres communes environnantes.

Il faut attendre, dans les Archives départementales, le mois d’avril 1797 (floréal an V) pour trouver le début du vrai état-civil de la commune de Saint-André, et encore de manière assez décousue.

C’est la conséquence de la guerre civile dans la région. On a essayé d’y pallier après coup. Ainsi l’administration municipale du canton de Pouzauges nomme des citoyens de confiance dans chaque commune le 15 janvier 1799 pour « former les listes qui doivent suppléer aux registres de l’état-civil détruis pendant la guerre dite de la Vendée. » Rien de tel apparemment dans le canton de Saint-Fulgent. Il y eut aussi parfois absence d’état-civil au plus fort des combats, et probablement que ce fut le cas à Saint-André. Nous avons relevé en effet que le notaire de Sainte-Cécile, rédigeant un acte de notoriété, écrit qu’en octobre/novembre 1794 « il ne fut point dans ce temps dressé d’acte d’état-civil » (1).

Les Archives n’ont donc pas de trace de l’activité d’officier d’état-civil qu’a été Guesdon (Guedon ou Gaidon, selon l’écriture). Nous n’avons pas non plus trouvé mention de son enterrement dans les registres de Saint-André, Chauché et Saint-Fulgent. Aucune instruction ni jugement à son sujet n’a été trouvé, concernant les assassinats jugés en Vendée de l’an II à l’an IV.

Nos recherches sur ce nom n’ont pas permis non plus de cibler la bonne personne parmi les nombreux « Guesdon » vivant à Saint-André-Goule-d’Oie à cette époque. Nous avons dénombré 10 adultes masculins portant ce patronyme dans 6 villages différents dans les années précédant la Révolution. Après élimination pour cause de décès avéré avant l’année 1793 ou compte tenu du métier et de la capacité à signer indiquée sur les registres, il reste 3 personnes possibles ayant pu être le maire de Saint-André. Pour ces trois personnes, nous n’avons aucune indication ou indice permettant d’aller plus loin dans nos investigations. Ce sont François Guesdon demeurant au bourg, André Guesdon demeurant à la Bergeonnière et André Guesdon demeurant au village des Gâts.

Et encore cette investigation est incomplète car il faudrait interroger les registres de la Rabatelière et de Chavagnes, où l’on trouve des actes concernant des habitants de Saint-André-Goule-d’Oie demeurant proche de ces deux bourgs. C’est le cas de Jacques Guesdon demeurant au Plessis-le-Tiers.

Eglise de Saint-André-Goule-d'Oie
Aux archives départementales non plus on ne trouve pas de trace de ce maire, ni pour son élection, ni par son éventuel courrier, ni concernant sa fin dramatique presque aussitôt élu.

Un maire tué par les siens dans la guerre civile


Le fait dominant alors, quand Guesdon devient maire, au début 1793, est la rupture radicale opérée par les républicains avec les anciennes institutions. La monarchie a disparu et surtout la persécution religieuse dure depuis deux ans et demi. Dans son registre clandestin, le prieur Allain y fait clairement allusion, à la date du 5 mai 1793, dans l’acte de mariage de Pierre Bretin et Marie Fonteneau : « dans la persécution que l’Église a eu à souffrir en 1791, 1792 et 1793 », écrit-il. L’indication de ces trois années est significative, et en ce mois de mai, le pire est encore à venir pour la paix civile en Vendée.

Nous ne reprendrons pas ici l’histoire complexe de cette rupture dans le domaine de la religion, telle qu’elle a été vécue dans cette région. Les livres ne manquent pas, même si l’objectivité y souffre parfois.

Allain, le curé de Saint-André, avait refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé, exigé par les nouvelles autorités, et il se cachait pour ne pas être déporté et pour continuer à servir les fidèles de sa paroisse. Il n’y eut pas de prêtre assermenté à Saint-André pour le remplacer, comme ce fut le cas à Chauché et à Saint-Fulgent. On a bien un personnage qui s’est fait connaître comme tel, mais il nous parait plutôt devoir être rangé dans la catégorie des hurluberlus (Voir notre article Le curé intrus de St André Goule d'Oie, publié en août 2012 sur ce site). Les curés « constitutionnels » ou « assermentés » de Saint-Fulgent et de Chauché étaient rejetés par les « catholiques romains ». Ils étaient élus par les électeurs du district de Montaigu, suivant les dispositions de la loi portant Constitution civile du clergé. Et en 1792, les électeurs qui participaient à ces élections étaient en majorité des républicains. Les rares fidèles de ces prêtres étant alors des « catholiques républicains ».

Conscription
En ce début d’année 1793, le tirage au sort de 300 000 jeunes hommes pour partir au service militaire va mettre le feu aux poudres. À la mi-mars de cette année, partout des révoltes de conscrits ont lieu de manière spontanée et en même temps dans divers endroits de ce qui deviendra l’espace de la Vendée militaire, au sud de la Loire.

Jérôme Bitaud, professeur d’Histoire, a décrit cette révolte à Saint-André dans un article intitulé « Deux capitaines de paroisse : les frères Cougnon de St André Goule d’Oie. » de la Revue du Souvenir Vendéen de juin 2007 (No 239). Il confirme un fait, déjà indiqué, notamment dans le livre de F. Charpentier « Chez nous en 1793, Saint-André-Goule-d’Oie », paru en 1906. Les jeunes de Saint-André ont assommé à mort le maire Guesdon, puis l’adjoint Marchand au village du Plessis-le-Tiers. Voici en résumé ce qu’il en dit :

« Dans la nuit du 9 au 10 mars 1793, au moulin Briand, dit Dria, entre le bourg de Saint-André et le village de la Brossière, se réunissent spontanément tous les conscrits » des alentours. Ils décident de refuser le tirage au sort. Le lendemain, la bande des frères Cougnon fait prisonnier Baudry, curé assermenté de Saint-Fulgent. Le 11 mars, « quelques-uns des jeunes qui ont assisté à la réunion du moulin Dria rencontrent à la planche de Saint-André le nommé Guesdon, maire de ladite paroisse, et se prennent de querelle avec lui. » Guesdon n’est pas un républicain, mais il a donné la liste des jeunes hommes susceptibles d’être appelés à tirer au sort, comme c’était son rôle de maire. Les jeunes « assomment le maire à coups de bâtons et le laissent pour mort sur le terrain. Puis ils vont au Plessis. L’adjoint Marchand est au lit. Lui aussi a dressé les listes… Ils l’assomment sur place. »

Attardons-nous sur deux détails, à commencer par la date. On la fixe généralement le 11 mars pour la mort du maire et de son adjoint, et parfois on ajoute que c’était au soir de la foire de l’Oie. Les patientes recherches de l’abbé Boisson concluent que le tirage au sort fut le dimanche 10 mars dans la contrée, et la foire de l’Oie était cette année-là le mardi 12 mars (2). La date de la mort du maire et de son adjoint ne parait pas être étayée par un document, mais par une reconstitution vraisemblable de l'enchaînement des faits.

Le deuxième détail concerne le lieu où fut assommé le maire Guesdon : la planche de la Mauvionnière (abbé Deniau) ou Nouvillonnière (abbé Billaud). Jérôme Bitaud indique que « la planche » était un petit pont de bois situé en contrebas du bourg de Saint-André. Il a raison, et les textes anciens désignaient la Nouvillonière, comme l’ancien nom de la Mauvelonnière actuelle. Le petit pont devait permettre de franchir en bas du bourg le ruisseau de la Fontaine de la Gandouinière, pour aller à la Mauvelonnière proche. 

Dans un mémoire en défense du 20 décembre 1793, les administrateurs du département de la Vendée indiquent qu’un « rassemblement se porta à la municipalité et arracha au maire la liste qu’il devait fournir au commissaire ». Il s’agissait du maire de la Châtaigneraie qui devait remettre au commissaire envoyé par le département, la liste des jeunes à tirer au sort. On le voit, l’existence même de ces listes a posé problème. Or le maire, à l’époque comme maintenant, et encore plus en 1793, était aussi délégué pour remplir des fonctions d’ « administration générale de l’État », et pas seulement pour gérer des intérêts communaux. L’ignorance du rôle du maire explique donc au moins la dispute. D’autant que le peu d’autonomie des exécutifs locaux sous l’ancien Régime a alors connu un recul avec la tutelle des districts instaurée par la réforme de 1789 sur le maire. Mais comment expliquer la mort ? L’historien a pour rôle d’établir les faits et de tenter de les expliquer. Pour cela, il doit se replacer dans le contexte de l’époque. Expliquer avec les idées d’aujourd’hui sans prévenir, c’est prendre le risque de l’erreur. Faute de documents sur notre sujet, il est donc difficile d’expliquer ce geste. Un élément apparaît néanmoins : si l’hypothèse d’une dispute qui tourne mal pourrait expliquer le premier mort, il n’en va pas de même du second.

On pourrait aussi penser que les conscrits de 1793 ne devaient pas pratiquer l’abstinence dans les caves. Mais l’ardeur au combat dont ils vont faire preuve dans les jours et les mois suivants, contre des troupes régulières de militaires, relativise beaucoup cette autre hypothèse.

Certes il y a la « colère », comme on dit de nos jours, face à la situation politique nouvelle ; il y a aussi les mœurs bien frustres des révoltés de tous bord de l’époque, comme le montraient les révolutionnaires, ne serait-ce que de Versailles à Paris depuis 1789. D’ailleurs la tradition des jacqueries et des guerres civiles ne fait-elle pas partie de l’identité française ? Mais des généralités comme celles-ci ne sauraient suffire à expliquer les actes d’un groupe de jeunes gens dans leur village.

En revanche on notera l’habitude des émeutes de la faim, même si nous n’en connaissons qu’une aux Essarts au printemps 1789. Prendre les armes contre les autorités n’était plus un tabou dans l’atmosphère de la Révolution. On a l’exemple du maire de Varaise, près de Saint-Jean-d’Angely, tué par ses administrés à l’automne 1790, parce qu’on l’accusait de soutenir les intérêts du seigneur local (3).

Un autre élément nous parait devoir être pris en compte, les révoltés étaient des contre-révolutionnaires. Ils ne l’étaient pas devenus soudainement. Des situations, décisions, et vexations avaient heurté les habitants depuis la disette de 1789, accumulant une hostilité grandissante. Le mauvais rôle était alors tenu par les bourgeois locaux, et non pas par des nobles, à cause de leur poids dans la vie économique des populations. On attaqua leurs convois de blés, et on leur reprocha leur arrogance dans la mise en place du nouveau régime politique. 
  
Ces autorités contestées perdirent ensuite toute légitimité. L’accumulation des mécontentements provoqua désillusions, rancœurs et refus. Collaborer avec elles relevait de la traîtrise. Et il ne faut pas non plus s’imaginer les habitants de la paroisse couper du monde, et ignorant ce qui se passait à la Convention. M. de  Vaugiraud habitait dans le bourg de Saint-André et avait passé plusieurs mois à Paris au cours de l’année 1792. L’invasion des Tuileries le 10 août 1792, et les massacres de septembre, avaient été probablement rapportés par lui comme il les avait vécus.

À la recherche de la victime


Le Plessis-le-Tiers
On a pu repérer l’adjoint demeurant au Plessis-le-Tiers. C’est Jean Marchand, qui laisse après sa mort une veuve, Marie Guesdon. Elle a au moins 2 filles survivantes (de 11 ans et 3 ans), et elle est enceinte de 6 mois.

Son bébé naîtra au Plessis-le-Tiers le 27 juin 1793 en effet, comme en témoigne un acte de reconstitution d’état-civil de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie, établi à Montaigu le 31 août 1818. On lit : « Jean Marchand, fils de feu Jean Marchand et de Marie Guesdon, demeurant à Saint-Paul commune des Herbiers, est né le vingt-sept juin 1793 au Plessis-le-Tiers ; témoins : Jean Herbreteau, beau-frère, Jacques Bonin cultivateur à Saint-André-Goule-d’Oie 56 ans, François Douillard architecte à Saint-Fulgent 60 ans, Jean Chaigneau cultivateur 55 ans et Pierre Millasseau cultivateur 56 ans, ces deux derniers de Saint-André-Goule-d’Oie ».

Jean Marchand était le beau-frère de Jacques Guesdon, demeurant comme lui au Plessis-le-Tiers. On les trouve tous les deux désignés par 37 habitants de Chauché pour les représenter le 3 février 1792 au district de Montaigu (4). Ils avaient le mandat de participer à l’enchère publique de la mise en vente de l’église de la Chapelle de Chauché, jusqu’à une somme de 3000 livres environ. On ne connaît pas la suite de leur mission, mais on sait que la petite église fut démolie au mois de septembre suivant, à la demande du parti des républicains de Chauché.

À cette occasion on constate que Jacques Guesdon sait signer et qu’il était décédé en 1796. Cela ne le désigne pas bien sûr comme maire de la commune. Mais Jean Marchand a été tué dans la foulée de l’assassinat du maire selon les récits. Or il habitait le même village que Jacques Guesdon et était son beau-frère. Autre signe : tous deux ont représenté 37 habitants de Chauché dans une démarche officielle auprès du district de Montaigu, ce qui montre une capacité à être distingué et élu. Tout cela fait du Jacques Guesdon du Plessis-le-Tiers une hypothèse à retenir comme étant celui qui fut le 2e maire de Saint-André-Goule-d’Oie, peut-être la seule. Reste à trouver une preuve pour transformer l’hypothèse en certitude.

Nous avons quatre signatures identiques de Jacques Guesdon en tant que personne privée chez les notaires de Saint-Fulgent. Il nous manque celle du maire dénommé Guesdon pour comparer. Dans ces actes notariaux on relève que sans être riche, Jacques Guesdon était à la fois propriétaire et fermier. Il fut capable de payer comptant sa part pour 618 livres en 1787, dans l’achat en commun avec un voisin, son frère du Plessis-le-Tiers et son beau-frère Marchand, alors demeurant la Bordinière, de deux rentes (5). Il avait donc le patrimoine minimum nécessaire pour contribuer à la réputation de sérieux d’un futur élu, suivant les valeurs de l’époque.

De plus, on sait qu’un Jacques Guesdon fut membre de la première municipalité élue en 1790, et qu’il en fut même le procureur (6). Mais sans plus de précision, notamment on ne dit pas où il habitait. Néanmoins, le prénom conforte l’hypothèse.

Ces découvertes nous ont incités à les publier en juillet 2016 dans le présent article. Et voici que quelques mois après, la découverte des notes de l’abbé Paul Boisson va dans le même sens. Natif de la Rabatelière, ce dernier a effectué ses recherches dans les années 1960 et 1970, et nous ne pouvons que rejoindre sa conclusion écrite dans ses notes concernant le maire et l’adjoint de Saint-André assassinés : « Jusqu’à plus ample informé, je pense qu’il s’agit de Jacques Guesdon, laboureur marchand au Plessis, marié en 2e noces à Jeanne Perrine Piveteau. Né le 15 juillet 1752 à Saint-André. Et de Jean Marchand son beau-frère, marié à Marie Guesdon, qui avait été syndic de la Rabatelière, député aux États-Généraux, et habitait le Plessis ou la Bordinière » (7).

Rabatelière : sanctuaire de la Salette

Dans le même temps il donne des informations intéressantes. Elles contribuent à rendre crédible leur rôle d’élus et donc leurs morts dramatiques. Jean Marchand a d’abord été domestique au château de la Rabatelière de 1772 à 1781, ce qui désignait à l’époque un emploi de confiance exigeant des capacités. Il a habité à la Bordinière (Rabatelière) et au Plessis-le-Tiers (Saint-André). Il est noté syndic de la Rabatelière en 1785, 1786 et 1788. Dans certains actes sa profession est marchand, en plus de laboureur, comme son beau-frère Jacques Guesdon, ce qui désignait souvent le marchand de bestiaux allant aux foires. Enfin il a fait partie de la députation aux États Généraux préparatoires du Poitou (8).

Jean Marchand est baptisé le 17 août 1753 à Chavagnes-en-Paillers (vue 83 du registre paroissial numérisé), fils de René Marchand et de Marguerite Piveteau. Il s’est marié le 3 juillet 1781 (vue 10 du registre de la Rabatelière) avec Marie Guesdon, veuve de Charles Jagueneau. Ils eurent 5 enfants. Dans l’acte de décès de sa fille aînée, Madeleine, le 9 décembre 1851 à Saint-André (vue 141), on lit qu’elle était « fille de Jean Marchand décédé dans le temps de la guerre de Vendée et de Marie Guesdon décédée à la Flocellière ». Cette pudeur inhabituelle pour éviter de mentionner les circonstances de la mort de son père, nous interroge. Il a été une victime de la bêtise des « blancs », pas de quoi en être fier il est vrai. Quant à sa mère, elle a quitté le Plessis-le-Tiers et est morte à 85 ans et 4 mois dans le bourg de la Flocellière (vue 190 du registre d’état-civil à la date du 6-10-1840).

Le dernier de ses enfants, Jean Baptiste Marchand, est le Jean Marchand dont nous avons cité l’acte de naissance reconstitué plus haut en 1818. Il fut élève au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers (8) et ordonné prêtre en 1823 (voir sa biographie dans le Dictionnaire des Vendéens sur le site internet des Archives départementales de la Vendée).

Jacques Guesdon, le très probable maire de Saint-André, était le fils d’André Guesdon et de Jeanne Egron, né le 25 juillet 1752 et baptisé à la Rabatelière (vue 100). Il s’est marié le même jour que sa sœur, Marie Guesdon avec son premier mari Charles Jagueneau, le 17 février 1773 à la Rabatelière (vue 106). Il épousa la sœur, Marie Jagueneau.

Jacques et Marie Guesdon avaient un frère, Pierre Guesdon (1760-1838), lequel épousa Marie Baranger et vécut à la Bordinière (Rabatelière). C’est peut-être lui l’agent (maire) de la Rabatelière de 1796 à 1797, sinon un homonyme. Sa femme fut massacrée par les républicains en 1794. Ils eurent 5 enfants, dont le dernier, Jacques né en 1801, fut maire de la Rabatelière.

Jacques Guesdon et Marie Jagueneau eurent 4 enfants dont 2 moururent en bas âge. Marie Jagueneau mourut elle-même le 16 janvier 1780 au Plessis le Tiers à l’âge de 29 ans. Sur le registre paroissial le curé a noté que « son mari s’est retiré sans signer à cause de sa désolation ».

Le Plessis-le-Tiers
Jacques Guesdon se remaria avec Jeanne Perrine Piveteau le 3 juin 1788 à la Rabatelière (vue 49). Originaire de Chauché, âgée de 22 ans, elle était la fille d’André Piveteau et de Marie Cauneau. De leur union est né Jacques en 1789 et Jeanne en mai 1792.

Désirant mettre fin à la communauté existante entre elle, son défunt mari et ses enfants, Jeanne Piveteau fit procéder à l’inventaire des meubles et effets mobiliers de Jacques et Jeanne Guesdon, ses enfants, le 25 novembre 1797 (9). Il eut lieu au Plessis-le-Tiers en présence des parents de la famille, notamment Pierre Guesdon du côté paternel (demeurant à la Bordinière de la Rabatelière) et Pierre Jutard (demeurant à la Brossette de Chauché) du côté maternel. Ceux-ci élurent à cette fin Pierre Jaud (demeurant à la Guierche de Vendrennes), curateur ad hoc des enfants. L’inventaire se montait à 400 F. Diminuée du 1/5 de sa valeur, représentant une partie la charge des deux enfants de 9 et 6 ans, la mère s’engageait à payer cette somme à leur majorité ou à la date de leur émancipation. Cette somme comprenait la valeur de deux vaches pour 160 F, et le reste celle de meubles, ustensiles et literie. À cette occasion on se rencontre de l’aisance du ménage dans les critères de l’époque pour un bordier. L’inventaire de 1797 ne concerne que les biens meubles. Les biens immeubles de Jacques Guesdon étaient ceux d’un riche bordier, amassés par son père André Guesdon, qui s’était associé en communauté avec son beau-frère François Roturier. C’est ce qu’on constate en épluchant les actes des notaires de Saint-Fulgent aux Archives de la Vendée. Lui-même, exerçant aussi à l'occasion le métier de marchand de bestiaux, avait fait des affaires avec son beau-frère Marchand.

Un renseignement précieux est donné dans l’acte notarial : le notaire s’est transporté au lieu de l’inventaire « dans la maison où est décédé ledit Guesdon ». Les récits des témoignages donnés longtemps après l’évènement disaient qu’il avait été assommé et « laissé pour mort sur le terrain ». Détail macabre certes, mais mieux vaut coller à la réalité désormais dans le récit du drame. D’autant que la présence de l’épouse au décès de Jacques Guedon paraît alors très vraisemblable. Elle a dû connaître les criminels. Ceux-ci ont donc cru à sa mort au moment de la dispute, puisqu’on a pu le transporter à son domicile avant qu'il y meurt. Mais en tuant chez lui l’adjoint, les assassins ont fait preuve de préméditation. Qui étaient-ils et combien étaient-ils ? Nous n’avons même pas d’indices pour répondre.

Le fils de Jacques Guesdon et de Jeanne Piveteau, Jacques, né en 1789, avait alors 4 ans quand son père est mort. Il étudia au séminaire de Chavagnes dans les années 1808/1811 (10). Changeant d'orientation, il s’est marié le 17 août 1813 à Saint-Georges-de-Montaigu (vue 131) avec Augustine Henriette Guesdon. On voit à l’état-civil de Chavagnes  la naissance de sa première fille, Virginie, le 14 juillet 1815 (vue 74). La signature du père sur cet acte est la même que celle du notaire de Saint-Fulgent de 1817 à 1831. Et ce constat se répète lors des naissances de ses 5 autres enfants dans le bourg de Saint-Fulgent, où il est en plus noté comme notaire sur les actes. C’est le même homme. On voit sur le répertoire de ses actes notariés qu’il a pris la suite après le décès de Billaud en 1816, comme gérant de son étude, exerçant aux Herbiers du 12 septembre 1816 au 9 janvier 1817, et ensuite à Saint-Fulgent. Il a donc sûrement rencontré les assassins de son père dans son étude, car sans doute sa mère lui avait donné leurs noms. Jacques Guesdon fils est cité dans une note non signée du fonds Dugast-Matifeux à propos de la publication par Guerry de la Fortinière, ancien chef vendéen dans le marais breton, de ses mémoires en 1814. L’auteur anonyme qualifie l’ouvrage de « plaquette impayable rédigée par un certain Guesdon de Saint-Fulgent », ce qui constitue une pure calomnie (11). Jacques Guesdon notaire devait bien connaître en effet Joseph Guerry de la Fortinière demeurant à l’Ulière de Chavagnes à la fin de sa vie. Vu par un adversaire politique, cette relation devient une complicité politique dans le camp des « blancs », intéressante à relever, même si on se méfie des calomniateurs pour faire référence dans l’établissent des faits historiques. Les opinions politiques du fils Guesdon n’ont donc pas souffert de l’assassinat de son père par les « blancs ».

Maire depuis le 1e janvier 1793, Guesdon a été tué en mars 1793 probablement le 11, au moment du soulèvement général des Vendéens. Le cas est particulier, mais les actes de violences sporadiques allant jusqu’à la mort, n’ont pas manqué avant le déclenchement du soulèvement populaire de la mi-mars 1793. On connaît les dizaines de mort de Machecoul aussi avant mars 1793. La cause religieuse, tant avancée pour expliquer les causes de la guerre, est relativisée par un tel fait, même si elle n’en est pas démentie. Surtout ils illustrent le fait que les gens du bocage étaient devenus des contre-révolutionnaires.

On doute, avec les combats qui ont mobilisé les habitants de Saint-André-Goule-d’Oie, mais aussi les autorités locales, pendant les années 1793 et 1794, que Guesdon ait été remplacé dans son rôle de maire. Il y eut bien un « conseil de la commune de Saint-André » installé par les révoltés courant 1793, et cité en 1794 dans un litige sur la métairie de Fondion. En 1795 un « comité de la commune » est cité, alors d’obédience officielle, c’est à dire républicaine, par madame Duvigier de Linières. Mais nous n’avons pas d’informations les concernant. Il faudra attendre 1797 pour trouver dans les archives un agent communal à Saint-André-Goule-d’Oieélu à l’été 1796. On sait que certains habitants de la commune se sont engagés dans l’armée du Centre avec le général Royrand, originaire de la Petite Roussière de Saint-Fulgent, et habitant alors à la Burnière de Chavagnes-en-Paillers. Ils le suivirent pour certains d’entre eux dans la Virée de Galerne. Il parait probable qu’en assassinant Jacques Guesdon, les jeunes de Saint-André se sont privés d’un camarade de combat.

Cette affaire Guesdon a été répétée ensuite dans certains livres d’histoire sur la guerre de Vendée, au point d’inspirer Jean Yole. Dans sa pièce dramatique, « Le capitaine de paroisse », (1950), cet écrivain vendéen fait dire à deux de ses personnages (Acte I, scène 1), les propos suivants :
      « Tout près d’ici, les Saint-Fulgent et les Saint-André ont juré de ne pas tirer au sort. Cougnon du Coudray et Lusson l’aubergiste parlent de bataille » (12)
      « Depuis qu’ils ont tué Guésdon leur maire, leur conscience n’est pas tranquille »
      « Il avait dressé la liste du tirage »
      « Ils ont eu tort, Denis. S’il était en état de grâce sa mort est un grand péché, et, s’il n’y était pas, un plus grand encore, car dans quel mauvais chemin ne l’a-t-on pas mis ? »

Après le moraliste, dont le récit fait partie de l’Histoire, l’historien doit tenter de comprendre l’évènement. Ce n’est pas facile car l'expression des émotions n'est pas strictement intemporelle. Comme les idées elle porte la marque de son temps. Les mots d’aujourd’hui pour l'exprimer comportent leur risque d’anachronisme. La connaissance et l’analyse des mœurs et des « communautés émotionnelles » de cette époque dans cette contrée constituent un préalable pour approcher la vérité historique de l’évènement.

Néanmoins on peut rappeler qu’un climat de crise profonde s’accentuait en Vendée depuis le milieu de 1790, fait de mécontentements et d’exaspérations. Toutes les initiatives des nouvelles autorités suscitaient méfiance et rejet. Bien des révoltes paysannes depuis le 16e siècle, étaient nées suivant le même processus. La révolte vendéenne de 1793 est née de la même manière, mais son évolution fut particulière, ne serait-ce qu’à cause des caprices du dieu de la guerre, et de son utilisation par les factions qui s’affrontèrent au sein de la Convention.

L’émotion était devenue forte en Vendée en ce début de 1793, poussant à une irrépressible montée de la violence, mais celle-ci restait contenue. Avec l’initiative de la conscription, elle explosa en affolement. L’assassinat du maire de Saint-André-Goule-d’Oie n’est-il pas d’abord une illustration de cet affolement ? Et n’oublions pas que l’effet de groupe libère et entretient les pulsions individuelles, dans les chemins de campagne aussi bien que dans les rues de Paris.


(1) Archives de Vendée, notaires de Sainte-Cécile, minutes isolées étude de Joseph David, acte de notoriété d’un décès du 4 floréal an 7 (23-4-1799), vue 70.
(2) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé boisson : 7 Z 46-2, les débuts de l’insurrection en mars 1793.
(3) Jacques Peret, Histoire de la Révolution Française en Poitou-Charente 1789-1799, Projets Éditions, Poitiers, 1988, page 152.
(4) Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent, étude Chateigner : 3 E 30/125, mandat du 2-2-1792 pour participer à l’enchère de la mise en vente de la Chapelle de Chauché.
(5) Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent, étude Frappier : 3 E 30/12, vente du 7-12-1787 de deux rentes de 47 boisseaux de seigle (sur le Plessis-le-Tiers) et 11,5 boisseaux de seigle (sur la Morinière), de Vrignaud/Gouin à Seiller, Guesdon et Marchand.
(6) Archives historiques du diocèse de Luçon, bibliothèque, P. Molé, « François Cougnon un capitaine de paroisse dans la guerre de Vendée » (mémoire de maîtrise, Paris IV Sorbonne), 1990, page 66 et s.
(7) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé boisson : 7 Z 69, famille Guesdon
(8) 7 Z 69, famille Marchand.
(9) Notaire de Chavagnes, Bouron : 3 E 31/18, inventaire du 5 frimaire an 6 (25-11-1797) des effets des enfants de Jacques Guesdon et Jeanne Piveteau.
(10) 7 Z 69, famille Guesdon.
(11) Amblard de Guerry, La guerre de Vendée à Noirmoutier et dans le marais de Monts, d’après le chevalier Guerry de la Fortinière, Éditions du CVRH, 2019, p.35.
(12) Lusson était aubergiste à Saint-Fulgent et François Cougnon du Coudray est ici confondu avec son frère Christophe, qui habitait la Guérinière dans le rôle de capitaine de paroisse au début du soulèvement.

Emmanuel François, tous droits réservés
Juin 2010, complété en novembre 2023

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