dimanche 4 juillet 2010

Du nouveau sur le mystère des peintures du café Trotin


À la page 231 de mon livre, Les châtelains de Linières à Saint-André-Goule-d’Oiej’évoque les peintures murales de l’ancien café Trotin (son nom en 1870) dans le bourg de Saint-André-Goule-d’Oie (1). Situé à proximité de l’ancien café Fonteny, il est devenu une habitation particulière. Les peintures, conservées derrière une cloison maintenant, représentent une gerbe de blé, un vase de fleurs, un bateau sur la mer et une bouteille de vin. Comme tout le monde, je me suis posé la question importante de savoir qui en était l’auteur, peut être Amaury-Duval ?

Nous avons maintenant un début de réponse grâce à Mme Véronique Noël-Bouton-Rollet, une universitaire, auteur d’une thèse de doctorat d’Histoire de l’art sur Amaury-Duval (Sorbonne 2006). Connaissant bien l’œuvre de ce dernier, elle pense qu’il n’est pas l’auteur de ces peintures. Elle donne une piste aussi, ayant repéré les élèves et amis qui ont aidé Amaury-Duval dans ses décoration du château de Linières. Elle cite dans sa thèse : Froment, Cesson, Anatole Jal, Geffroy et Mottez. Elle ne va pas plus loin pour désigner lequel d’entre eux pourrait être l’auteur de ces œuvres, malgré la qualité des photographies en couleur de Jean Caillé, reproduites ici.  

                     

                                    

Qui est Véronique Noël-Bouton-Rollet ? Étudiante, elle a obtenu à Dijon une licence en Histoire de l’art. Puis elle a été assistante du conservateur du musée du Louvre et un temps, titulaire d’un poste du CNRS au Louvre. Elle a, en particulier, préparé les notices du catalogue de la première exposition des œuvres d’Amaury-Duval à Montrouge, en juin 1974. À ce moment là, elle était employée au département des peintures du musée du Louvre. Cette exposition lui a donné des contacts auprès de possesseurs d’œuvres du peintre, lui ouvrant des portes intéressantes pour continuer à s’intéresser à cet artiste.

Notamment elle a eu la chance de bénéficier à cette époque de l’empressement de l’abbé Paul Boisson, le nouvel aumônier de l’hospice de Saint-Fulgent, ancien professeur d’histoire au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers. Cela faisait des années qu’il faisait des recherches sur le canton. Il avait déjà rencontré à Linières mon père en 1964, et il accumulait les informations sur le passé du château de Linières. Il a, avec l’aide de Jean Caillé, photographe-bijoutier dans le bourg de Saint-Fulgent, collecté les rares photos et cartes postales possédées par des particuliers des environs. Les prêteurs de photos pour l’exposition de Montrouge ont été des personnes de Saint-André et de Saint-Fulgent.

Pour élever ses enfants et suivre son mari en Allemagne et en Suisse, elle a arrêté son activité professionnelle. Puis plus tard, revenue à Paris et disposant de temps pour elle, elle a repris ses études en Histoire de l’art, obtenant un D.E.A. Surtout elle a effectué des recherches sur Amaury-Duval et soutenu une thèse de doctorat à l’Université de Sorbonne-Paris IV, en 2005-2006, portant sur l’homme et l’œuvre.

Elle est la première en France à avoir poussé aussi loin l’étude d’Amaury-Duval. Sa thèse constitue la référence désormais sur le sujet. Déjà, le livret de l’exposition de 1974, constituait « la présentation la plus complète que nous connaissons du peintre et de son œuvre » (page 231 de mon livre).

C’est sans connaître les travaux de sa thèse de doctorat, dont j’ai trouvé trace sur le réseau internet quelques mois après la parution de mon livre, fin 2009, que j’avais commencé mes propres recherches sur les châtelains de Linières en 2006, et donc sur Amaury-Duval. Sa thèse (555 pages avec le catalogue de nombreuses photos des œuvres) va beaucoup plus loin que mon livre sur tous les plans : l’homme, sa famille, ses amis, ses voyages, son activité de peintre et de dessinateur, son œuvre et les décorations du château de Linières. Dommage que sa thèse ne soit pas disponible facilement !

L’abbé Boisson avait décrit depuis longtemps les quatre motifs non signés sur les quatre murs de la salle du café Trotin :
-        Mur de droite en entrant : une gerbe debout d’où sortent quelques coquelicots. Une faucille est passée dans le lien. Deux oiseaux, l’un au pied de la gerbe, l’autre la survole.
-        Mur opposé à la porte d’entrée : une corvette (2 mats) qui fait songer aux voyages sur mer d’Amaury-Duval (ou un brigantin, ou un brick).
-        Mur de gauche : le motif est marqué entièrement dans sa partie inférieure, un vase de fleur.
-        Mur de l’entrée : une bouteille de vin rosé et un verre, entourés d’une couronne de pampres avec feuilles et raisins.

Selon M. Trotin, qui le tient de ses beaux-parents, ces peintures étaient l’œuvre d’Amaury-Duval, qui prenait pension au café et qui les avait faites en paiement de sa pension. Cette note de l’abbé Boisson dans ses papiers conservés est suivie de son appréciation : il n’y croit pas, connaissant lui aussi la fortune du peintre (2).

Véronique Noël-Bouton-Rollet a vu les photos des peintures du café Trotin dans mon livre et a pu ainsi me donner son opinion.

Parmi les élèves qui ont aidé Amaury-Duval à Linières, la réflexion conduit à privilégier ceux qui l’ont fait au tout début. On sait en effet que le nouveau château fut construit rapidement et que les élèves et amis purent y être logés, sans qu’il soit nécessaire d’aller prendre pension dans le bourg de Saint-André-Goule-d’Oie, chez M. Trotin. En revanche, pendant la construction, on sait aussi que Marcel de Brayer et Amaury-Duval durent habiter provisoirement dans une ancienne dépendance du château, l’ancien château ayant été démoli pour construire le nouveau. Il parait alors probable qu’un de ces élèves, venu aider à préparer les décorations du château, a été logé au café Trotin. On explique facilement le geste du peintre par une reconnaissance amicale envers le propriétaire des lieux. En effet, ce peintre était l’invité de Marcel de Brayer. Avec son importante fortune et son éducation d’homme du monde, on voit mal ce dernier ne pas assurer lui-même les frais d’hébergement de son invité. L’habituel cliché de l’artiste « sans le sou » qui paie son loyer en donnant des œuvres à ses créanciers, n’est pas de mise sur le domaine de Linières.

Qui sont ces premiers invités, dont l’un d’entre eux aurait pu témoigner ainsi de son amitié envers M. Trotin ? L’universitaire cite deux noms : Froment et Cesson. Nous ne pouvons pas aller plus loin dans l'investigation, mais qui sont-ils ?

Jacques Victor Eugène Froment-Delormel (1820-1900)


Peintre de compositions mythologiques, sujets religieux et allégoriques, scènes de genre, dessinateur, illustrateur, il eut pour maître Pierre Jules Jolivet, Paul Lecomte et Amaury-Duval. Il se fixa à Autun en 1846. Puis, revenu en région parisienne, il installa son atelier boulevard Montparnasse, le partageant avec Alfred Gobert et Philippe Mariller. Il collabora à la manufacture de Sèvres de 1855 à 1886. Il figura au salon de Paris de 1842 à 1880.

Toute sa vie il resta fidèle à l’enseignement de son maître Amaury-Duval, « son véritable père en art ». Il hérita dans le testament de son maître de la charge, avec Geffroy, de classer ses dessins, de choisir ses œuvres et d’en organiser la ventilation tant auprès d’amis que de musées. Sa fille fit don des papiers des familles Guyet et de Brayer conservés par Amaury-Duval, ainsi que ceux du peintre lui-même, à la société éduenne d’Autun.

Victor Étienne Cesson (1835-1902)


Élève et ami de Amaury-Duval, il a commencé à exposer en 1864 au salon de Paris. Il travailla avec son maître aux décorations de l’église de Saint-Germain-en-Laye et aux peintures du château de Linières. Sa personnalité s’est un peu effacée derrière celle du maître qui le considérait comme le meilleur de ses élèves. Il aida de la même façon Puvis de Chavannes au cours de quelques un de ses grands travaux. Cesson a peint des paysages et des portraits.

S’étant lié d’amitié avec son maître, il participa à sa vie familiale et se lia aussi avec Marcel de Brayer. Avec ce dernier il voyagea en Italie et en Orient. Dans ses lettres à L. de La Boutetière à la fin de sa vie, il a des paroles émouvantes concernant ses souvenirs de Linières.
Son œuvre reste assez méconnue.


(1) En 1777, un Trotin, déjà, tenait un café dans le bourg de Saint-André [Archives de Vendée, minutier ancien des notaires des Essarts, étude (A), Louis-Marie Landais, 3 E 13 1-7, accessible par internet vue 7 et 8/66].
(2) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 32-4, préparatifs de l’exposition Amaury-Duval de Montrouge en 1974.


Emmanuel François, tous droits réservés
Juillet 2010, complété en mars 2024

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