dimanche 24 avril 2011

Étienne Benjamin Martineau


Beau-frère du futur châtelain de Linières à partir de 1800, Joseph Guyet, nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer Benjamin Martineau, notamment grâce aux informations puisées dans le livre de M. Maupilier : « Des étoiles au Lion d’Or, Saint-Fulgent sur la route royale », Herault Éditions (1989). Depuis nous avons trouvé de nouvelles précisions sur cet habitant bien particulier de Linières la dernière année du XVIIIe siècle. En particulier, l’accès internet aux successions dans les archives de Vendée, constitue un atout précieux. Nous reprenons son histoire pour la rectifier et la compléter.

Installation à Saint-Fulgent en 1790-1791


Benjamin Martineau fut reçu médecin à Montpellier le 2 juillet 1787 (1). Il s’établit à Saint-Fulgent et s’enthousiasma très tôt pour l’œuvre de la Révolution. Beaucoup d’historiens de la guerre de Vendée racontent qu’en 1791, il interpella dans l’église de manière vexatoire le curé de Saint-Fulgent pour qu’il prête serment à la constitution civile du clergé. Les travaux de l’abbé Boisson font justice de cette fausse affirmation (Voir notre article publié en octobre 2016 : Le refus de prestation de serment du clergé de Saint-Fulgent en 1791).

Né à La Chapelle-Thémer le 16 juin 1765. Son père s’appelait Jean Baptiste Alexandre Martineau, né à Longèves vers 1734, et était fermier de la seigneurie de Pouillé. Il avait épousé à Chassenon le 3 juin 1761, sa cousine germaine, Rose Thérèse Martineau. Ils eurent huit enfants. Il est intéressant de s’attarder sur cette fratrie (2). 
  • Le plus connu de ses frères est Ambroise Jean Baptiste Martineau (1762-1846), ardent républicain, qui fut élu administrateur du département de la Vendée et député suppléant à la Convention. Il a été l’un des hommes de confiance, sévissant à Fontenay, des plus enragés parmi les envoyés de la Convention en Vendée (Hentz, Francastel) (3). Il avait épousé Marguerite Sabouraud. 
  • On a aussi écrit qu’un autre de ses frères, Philippe Constant Martineau, aurait été sauvagement massacré par les insurgés lors de la déroute de Pont-Charrault le 19 mars 1793 (4). Il serait décédé le 15 juin 1793 (5). 
  • Venant Joseph Grégoire Martineau était officier d’état-major de l’armée d’Italie lorsqu’il fut tué à la bataille du Pont d’Arcole le 14 novembre 1796 (6).
  • Rose Louise Martineau qui épousa Joseph Merland, sieur du Chastegnier. 
  • Agathe Jeanne Françoise Martineau qui épousa Guillaume Chevallereau, demeurant à Saint-Hermine. 
  • Thérèse Honorée Martineau qui épousa le 12 novembre 1794 Pierre Ageron, négociant à Fontenay et qui s’établira aux Herbiers, en devenant le maire de 1807 à 1814. Son père avait été fermier général de la Grainetière. Il acheta le Landreau et a été considéré comme « un des grands profiteurs de la Révolution. », achetant de nombreux biens nationaux (7). 
  • Rose, présente au contrat de mariage de son frère Étienne à Saint-Fulgent le 16-5-1791 (8).

Horace Vernet : Bataille du Pont d’Arcole

Franc maçon, Étienne Benjamin Martineau était membre de la Loge des Cœurs Réunis à Fontenay-le-Comte (9). 

Il a épousé à Saint-Fulgent le 17 mai 1791, Catherine Marie Sophie Guyet, fille aînée de Simon Charles Guyet et de Catherine Couzin (orthographe ancien réhabilité en 1804 par son fils Joseph), et sœur aînée du futur châtelain de Linières, Joseph. Le contrat prévoit la communauté de biens des futurs époux suivant le régime de la coutume du Poitou. La nouvelle législation sur le mariage sera décidée par l’Assemblée législative en 1792. Du côté du marié sa mère le dote d’une somme d’argent de 2 000 livres et d’une pension annuelle et perpétuelle de 1 000 livres, franche et exempte de tous droits et impôts « créés et à créer ». Le notaire est sage d’avoir fait cette dernière précision, car on était en plein bouleversement en ce domaine. Les parents de la mariée apportent une somme d’argent de 6 000 livres et une rente annuelle de 1500 F, sujette à impôt. Toutes ces sommes sont des avances d’héritage, suivant l’usage fréquent. Sont témoins au contrat, et le signent, près d’une quarantaine de membres des deux familles : père et mères, frères et sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, oncles et tantes, et même cousins.

C’est le cas par exemple de Jean Claude Pillenière, notaire, et de sa femme Marie Modeste Chauveau, alliés maternels du côté des Guyet. J. C. Pillenière rédigera quatre ans plus tard l’acte de notoriété de décès du père de la mariée à Luçon (8). Marie Modeste Chauveau était la fille de Guy Jean François Chauveau, directeur de la poste aux lettres de Luçon, et frère de Philippe Chauveau maire de Luçon à la date du mariage de sa fille en 1780.

Les débuts de son engagement politique en 1792-1793


Benjamin Martineau est commandant de la garde nationale de la commune de Saint-Fulgent à la fin de 1791 et en janvier 1792 (10). Il fit aussi partie des électeurs du canton de Saint-Fulgent pour les élections départementales en septembre 1792. L’arrêté du directoire de la Vendée du 5 février 1793 le nomma commissaire pour le canton de Saint-Fulgent en vue d’y organiser la garde nationale. Il dirigeait la petite troupe qui est venu dans les premiers jours de la guerre de Vendée dans le bourg de Saint-André pour arrêter Jean Aimé de Vaugiraud. Voir notre article publié sur ce site en avril 2012 : M. de Vaugiraud à Saint-André-Goule-d’Oie.

Plaque commémorative de la bataille de Gravereau
Il dû s’enfuir avec son beau-père, Simon Charles Guyet, le 14 mars 1793, accompagnant vers Fontenay-le-Comte, la troupe en déroute des gardes nationaux commandée par Rouillé. A-t-il été témoin dans l’auberge du Chapeau Rouge à Saint-Vincent-Sterlanges, du massacre de son beau-père le 14 mars par les insurgés du canton de Saint-Fulgent ? A-t-il pu l’assister avant de mourir le lendemain ?

Il faut dire qu’il était haï dans les environs. En témoigne un couplet de « la chanson de Marcé », du nom du général qui fut battu le 19 mars 1793 à la bataille de la Guérinière (aussi appelée bataille du Pont de Gravereau) et qui égayait les paysans, sur l’air de la chanson de Malborough. Le refrain était le suivant :

Marcé s’en va-t-en guerre
Mironton, mironton, mirontaine
Marcé s’en va-t-en guerre
En guerre à Saint-Fulgent

Faisant allusion à la fuite des bleus, un des couplets concerne Martineau avec la prononciation du patois local (11) :

Martineau sans tchulotte
Les presse vivement
Préparez au pus vite
Cercueil et monument !

Ses deux premiers enfants sont nés à Saint-Fulgent.
-        Benjamin Charles, né le 14 février 1792, qui sera juge de paix à Palluau.
-        Louis Marie Amboise dont le baptême est inscrit sur le registre clandestin de Saint-Fulgent le 4 août 1793 (12).

Tableau représentant 
la déportation des prêtres par bateau
À cette date, le père était réfugié du côté de Fontenay-le-Comte et sa femme, restée à Saint-Fulgent, prit les initiatives nécessaires pour faire baptiser son bébé. La mort guettait les nouveau-nés à l’époque, et laisser non baptisé le sien a paru impensable à Mme Martineau. Que faire ? Le curé assermenté de Saint-Fulgent, Baudry, était prisonnier des Vendéens, le curé insermenté avait été déporté en Espagne par les révolutionnaires. Restait le vicaire, insermenté lui aussi, qui se cachait aux alentours en compagnie du curé de Saint-André. 

Alors on fit comme tout le monde, on le contacta, et il baptisa l’enfant. Le parrain, Louis Chateigner, noté comme notaire royal par le vicaire, était aussi maire de la commune cette année-là, favorable aux insurgés (13). La loi du 6 octobre 1791 avait pourtant transformé les « notaires royaux » en « notaires publics ». Il a signé sur le registre clandestin du prêtre réfractaire, qui ignorait les nouvelles lois ! Le refus de laisser l’enfant sans baptême valait donc bien cet accommodement à la lutte contre les prêtres réfractaires. À moins que la politique, avec les simplifications qui la font vivre, ne réussisse pas toujours à bien rendre compte des complexités de l’âme humaine ! La châtelaine de Linières, ex-vicomtesse de Lespinay, échappée par miracle des noyades du sinistre Carrier à Nantes, était bien tombée amoureuse du républicain Joseph Guyet …Alors, comme les irrésistibles effets de l’amour, l’impérieuse nécessité des baptêmes transcendait-elle aussi les luttes politiques ?

Un engagement dans la guerre civile 1793-1796


Fuyant Saint-Fulgent, on pense qu’Étienne Benjamin Martineau s’est dirigé à Fontenay, où se trouvait son frère, administrateur du département. Une fois sur place il y a fait partie du comité de sûreté générale où, en août 1793, les autorités départementales avaient placé des élus du 2e rang dont il faisait partie. Ce comité était au courant des dossiers de police, faisait rechercher les suspects importants, pouvait procéder aux interrogations et déférer à la cour militaire, antichambre de la mort.

Sur ce point on ne peut pas répéter qu’il interrogea des prisonniers originaires de Saint-Fulgent, faute de preuve. Certains historiens ont pu le confondre dans ce rôle avec son frère, qui signe ses interrogatoires de personnes de Saint-Fulgent de son titre « d’administrateur et commissaire du département de la Vendée ». De plus, il fait précéder, dans sa signature, son patronyme de la lettre « a » et de l’abrégé « Jbte », ce qui veut bien dire Ambroise Jean Baptiste (14). Néanmoins on trouve trace de l’activité d’interrogateur de prisonniers d’Étienne Benjamin Martineau aussi à Fontenay. Ce fut le cas notamment pour le notaire Charles René Marot, originaire de Bazoges-en-Paillers, qui fut condamné à mort et exécuté (1).

Il faut aussi évoquer « l’affaire des charmilles ». C’était le nom d’une allée qui bordait « le Verger de la Menaudière » appartenant à Simon Charles Guyet, beau-père de Martineau, vers l’ouest de sa maison, qui était située au milieu du bourg de Saint-Fulgent (derrière l'actuelle mairie). Longtemps après la fin de la guerre de Vendée, des témoignages rappelaient les tortures d’insurgés vendéens qui s’y déroulèrent avant leur mise à mort. Les cris s’entendaient à travers le bourg (15). Contrairement à ce qui a pu être dit, le propriétaire des lieux n’y fut pour rien, ayant été lui-même massacré au début de la guerre. Mais son gendre ? L'historien Maurice Maupilier pense qu’il revint à Saint-Fulgent après la pacification de Hoche et qu’il n’y fut probablement pas impliqué. On peut mettre en doute cette opinion, car sous la protection de l’armée à partir de l’automne 1793, il a pu venir faire des séjours à Saint-Fulgent. On soupçonne en revanche plus vraisemblablement des tortures par la troupe stationnée à Saint-Fulgent. Mais que cette propriété ait servi à cela est difficilement contestable. C’est d’ailleurs dans cette maison de son beau-père qu’il logeait probablement, quand il venait de Luçon à Saint-Fulgent après 1796. Et cette "affaire des charmilles" a dû compter beaucoup pour la postérité.

Poiré-sur-Vie
Benjamin Martineau semble s’être illustré en janvier 1794 au Poiré-sur-Vie, en tuant le curé de Sainte-Cécile, Jean Dolbecq, dans un engagement contre une troupe de combattants vendéens commandée par le général Joly. C’est ce qu’affirme le général républicain Bard, dans une lettre datée de Chantonnay le 11 janvier 1794, et adressée à la société populaire de Fontenay-le-Comte. Il y écrit : « Je ne dois pas vous laisser ignorer que le brave Martineau, le jeune médecin, a porté le premier coup au fameux curé de Sainte-Cécile, dans l’affaire qui a eu lieu au Poiré. » (16). Dans ses mémoire, l’abbé Remaud, le secrétaire de Charette et ancien vicaire de Chavagnes, confirme l’évènement, mais sans citer celui qu’il appelle « l’assassin » et en donnant une date décalée d’un an (17). Le Dictionnaire des Vendéens sur le site des Archives de Vendée indique les deux témoignages.

Martineau fut l’un des premiers signataires de la dénonciation véhémente de la société populaire de Luçon contre le général Huché, « homme atroce », le 30 mars 1794 (1). On trouve aisément sur internet les faits et gestes de ce général alcoolique, chargé par Turreau d’une des colonnes militaires à Luçon et ailleurs. À la section luçonnaise de la société populaire, émanation du club parisien des Jacobins, on trouve aussi le notaire Jean Claude Pillenière dans un état dressé le 21 brumaire an III (11-11-1794) après l’affaire Huché (18). Il avait été témoin au mariage de Benjamin Martineau et rédigera l’acte de notoriété du décès de Simon Charles Guyet l’année d’après.

Benjamin Martineau a dû trouver refuge dans cette période à Champagné-les-Marais, au moins de temps en temps, où le curé constitutionnel de Saint-Fulgent, retiré alors à Ancenis, lui écrit le 21-6-1794 : « on parle beaucoup ici d’un pardon par les représentants aux brigands qui mettent bas les armes, que 600 habitants des marais ont joui tout nouvellement de cette faveur. Je ne crois point à cette amnistie. »

Probablement au début de l’été 1794, il fut nommé par les autorités départementales, « commissaire pour recevoir le serment des citoyens égarés qui demandent à se ranger sous la loi, faire le désarmement, prendre des informations sur les chefs des révoltés, les faire arrêter et les conduire à Fontenay ». Le dossier d’archives indiquant cette nomination est trop détérioré et nous ne connaissons pas sa date exacte, seulement la période : 13 novembre 1793 au 24 août 1794 (19). Cette nomination est localisée : Saint-Fulgent, ce qui montre la possibilité de s’y déplacer à cette date au moins sous la protection de l’armée pour quelqu’un comme Martineau. Cette nomination est peut-être liée à l’arrêté de mai 1794 du Comité de Salut Public concernant la Vendée. L’arrêté a été transmis d’abord à l’état-major de l’armée de l’Ouest (commandée par Vimeux) pour remettre de la discipline et de l’ordre dans les régiments, puis le 21 juin à une commission d’Agriculture et des Arts pour diffusion d’une proclamation auprès des habitants. Ceux-ci, qui sont désignés comme des « individus » et non plus des « brigands », doivent déposer les armes en échange d’une amnistie (20). Le flop fut tel que la Convention nationale votera un décret d’amnistie le 2 décembre 1794, maladroit et de peu d’effet. L’étape suivante sera enfin la négociation et le traité de la Jaunaye.

Plus tard Benjamin Martineau dû habiter Luçon, où naquit son troisième enfant, Rose Adélaïde Félicité, le 13 novembre 1797. Elle fut baptisée en 1808 à Saint-Fulgent sous condition, car elle avait été ondoyée à la naissance, mais « ayant lieu de douter de sa validité ». Le même jour, et pour la même raison, on baptisa aussi ses autres sœurs, Élise Agathe Émilie et Adèle Félicité. Décidément le baptême était pris très au sérieux dans cette famille (21). Rose Adélaïde épousa à Saint-Fulgent le 17 octobre 1825, Joseph Alexandre Gourraud (Proustière de Chavagnes-en-Paillers), juge de paix et conseiller général. À Luçon Martineau y exerça la médecine. C’est ce qu’il déclare au moment de l’inscription du décès de son beau-père au bureau de l’Enregistrement de Montaigu, le 21 messidor an V (9-7-1797).

Commissaire du directoire cantonal de Saint-Fulgent 1798-1799


Mais il devait se rendre régulièrement à Saint-Fulgent, car il fut élu président de l’administration municipale du canton de Saint-Fulgent en 1797 probablement, Louis Merlet étant nommé commissaire de son directoire exécutif.

Puis il remplaça ce dernier en avril 1798. Il l’avait dénoncé auprès des autorités départementales comme « coquin », servant ses intérêts au détriment de ceux de la République. Cette fonction de commissaire du canton nous vaut une correspondance administrative de Martineau dont nous avons donné un aperçu dans l’article publié sur ce site en juillet 2010 : Les agents communaux Fluzeau (1796-1797) et Bordron (1797-1799).

Il s’installa à Linières à une date que nous ne connaissons pas, au cours de l’année 1798, chez son beau-frère, Joseph Guyet, dit « le parisien ». Celui-ci partageait son temps dès la fin de 1796 entre Paris, où vivait sa maîtresse, la dame de Linières, et la Vendée, où il fallait s’occuper du domaine de Linières.

Le 4 octobre il se fait une entorse qui l’immobilise plusieurs semaines. Il la signale au commissaire exécutif de Fontenay dans une lettre du 14 vendémiaire an 7 : « un accident qui m’est arrivé hier me met hors d’état d’assister de quelque temps aux séances de l’administration. Une entorse très douloureuse ne me permettra de quelques décades de sortir de ma chambre. La privation de ma liberté a plus de prise sur l’âme que la douleur elle-même. » L’époque parlait et écrivait avec emphase, et il faut en tenir compte pour comprendre cette phrase : affliction sincère ou héroïsme en chambre ?

Dans son courrier administratif, Étienne Benjamin Martineau a la plume facile. Il est imprégné des influences de son temps : grandiloquence et sensibilité à la mode de Rousseau.  « Sentir » est un de ses mots préférés, et c’est ce qu’il appelle sa conscience. Il règle sur elle ses attitudes, prétend-t-il. On aimerait connaître son rapport aux philosophies à la mode de son temps. En tout cas son adhésion au projet politique issu des États Généraux fut enthousiaste. Il a l’accusation facile contre ses collaborateurs, le juge de paix Gérard et le marchand Merlet. Il ne parait pas s’imposer au lecteur de son courrier par son énergie, mais à cause de l’antagonisme entre eux, on hésite à suivre Gérard qui l’accuse de lâcheté. De même qu’on hésite à répéter qu’il bégayait, comme l’écrit l’historien Félix Deniau, qui montre par ailleurs une facilité à reprendre les rumeurs courant sur son compte à Saint-Fulgent des dizaines d’années après sa mort (1). Mais il nous faut bien remarquer un certain manque de courage quand il se plaint auprès de l’administration départementale, en février 1799, que l’agent de Saint-André laissait l’église paroissiale ouverte aux paroissiens pour y faire des prières en l’absence du curé. Il habitait Linières alors, c’est-à-dire à un km de là. Que n’a-t-il convoqué lui-même les gendarmes pour faire cesser cette pratique illégale ? Il faut dire que les paroissiens l’avaient déjà mis en fuite en mars 1793, quand il était venu dans le bourg arrêter Jean de Vaugiraud avec des gendarmes.

Parmi ce courrier, un fait mérite d’être relaté. Le 22 mars 1799, devait avoir lieu l’assemblée primaire du canton. Elle avait lieu en mars de chaque année, pour désigner notamment le président de l’administration cantonale et le juge de paix (celui-ci sous réserve de l’accord de l’administration). Le commissaire, disposant de la réalité du pouvoir, véritable « sentinelle du gouvernement » (formule employée par L. Merlet), était, rappelons-le, nommé par l’administration départementale. C’est lui, Martineau, qui la présidait pour la convoquer. Ensuite l’assemblée votante devait désigner le président et les membres du bureau de vote.

Ce fut un pugilat, digne des coups de force et des manœuvres qui se déroulaient dans les chambres à Paris. D’un côté une majorité de 58 % des 78 électeurs présents (pour tout le canton) s’opposaient fermement à Martineau. De l’autre un petit groupe de 33 électeurs le soutenaient. Qui composaient les deux groupes ? On n’a que la version de Martineau, et selon lui, ses adversaires, qu’il ne nomme pas, sont manipulés par trois à quatre meneurs du camp royaliste. Lui-même et son camp représentent « les patriotes les plus purs et les plus sincères ». On devine que la réalité a été un peu plus compliquée. Il accuse ses adversaires d’avoir, la veille du jour prévu pour l’assemblée votante, fomenté des cabales, manœuvré, même désigné les personnes à élire. La campagne électorale ne serait-elle autorisée que pour un seul camp ?

Le matin même, l’assemblée votante était toujours divisée. Elle réussit à composer son bureau de vote. Les premiers électeurs furent désignés : Joseph Guyet, l’amant de Mme de Lespinay vivant à Linières, dit « le parisien », Merlet (Saint-Fulgent), Rechin (Chavagnes), Jean Cailleteau (Chauché). Mais cela s’arrêta sans que le procès-verbal soit précis sur les circonstances. On se disputa. En début d’après-midi, le camp Martineau mis à exécution une scission de l’assemblée, prétextant que les participants étaient manipulés et n’étaient pas tous libres de leurs votes. Ces scissionnaires se réfugièrent dans une autre salle pour passer au vote en toute indépendance. C’est ce qui fut réalisé non sans difficultés. La majorité suivit la minorité dans son déplacement, bâtons en mains pour quelques-uns, empêchant la tenue de la réunion. Une diversion dans le jardin pour faire fuir les perturbateurs fut un échec, sous les « propos tumultueux et menaçants » des opposants. Finalement l’agent de Saint-Fulgent requis le commandant de la force armée en poste, pour protéger l’assemblée des 33 scissionnaires. Les membres de l’administration cantonale furent élus : Bossard (Chauché), Bordron fils (Saint-André), Denechaud (Bazoges) et Martineau. Le nouveau président de l’administration du canton fut Bossard de Chauché (22).

Et puis, sans donner de justification, Martineau annonce à l’administration départementale le 13 juin 1799 son départ pour habiter Luçon (23). Il demande qu’on le remplace au 1e messidor prochain (19 juin). La raison n’est pas dite, est-ce un problème de santé ? Est-ce lié à l’accouchement de sa femme, qui avait mis au monde une fille, Élise Agathe Martineau, à Linières le 8 janvier 1799, et qui tomba enceinte peu après (24) ? Peut-être ne se sentait-il pas en sécurité dans le canton de Saint-Fulgent. L’actualité fut remplie dans cette dernière année du Directoire, d’accrochages et d’attaques opérés par des partisans royalistes et par de vrais bandits, sans que les rapports des autorités nous aident à les distinguer. D’ailleurs en septembre 1799 une bande de partisans vint à Linières y piller le logis de Martineau, heureusement absent. Ils venaient d’agresser deux républicains de Chauché : Bossard, agent de la commune, et Bossu, ex assesseur du juge de paix. Dans la traque qui s’en suivit on eut à déplorer un mort dans chaque camp (25). Peut-être aussi connut-il le découragement, comme d’autres à cette époque dans l’Ouest de la France (26).

Sur l’acte de mariage de son quatrième enfant, on note que ce dernier est né à Linières, Agathe Élise Émilie, le 8 janvier 1799 ; elle épousa le 14 octobre 1833 à Saint-Fulgent, Narcisse Hyacinthe Legras de Grandcourt.

Reconversion sous Napoléon


Puis Napoléon s’empara du pouvoir et imposa à tous la paix civile. Beaucoup des combattants des deux camps, qui luttaient depuis dix ans, ne demandaient qu’à vivre en paix. Benjamin Martineau revint à nouveau s’installer à Saint-Fulgent, il était alors membre du conseil général.

Préfet J. F. Merlet
Dans une enquête demandée par le ministre de l’intérieur en 1801, concernant des citoyens vendéens exerçant des fonctions publiques et anciens révolutionnaires, le préfet de Vendée, Merlet, indique à son sujet : « Martineau, médecin, membre du conseil général. Pendant la Révolution, et surtout pendant la guerre de Vendée, il s’est signalé par une extrême exagération. On lui reproche beaucoup d’actes répréhensibles. Il a acquis une grande fortune qui ne lui a pas coûté cher. » (27).

Son dernier enfant naquit à Saine-Florence, Adèle Félicitée, le 7 janvier 1802 ; veuve, celle-ci épousa à Saint-Fulgent le 9 février 1835, Olivier Gabriel Désiré Legras de Grandcourt.

Mais Martineau n'habita pas longtemps dansle bourg de Sainte-Florence. Il alla exercer la médecine aux Herbiers, au moins depuis 1803, année où il y apparaît domicilié au bourg dans un acte notarié. Il y acquit en septembre 1803 une vigne et une ouche, ayant vendu sa maison de Luçon le 30 mai 1802 (28).

En 1798 il avait acquis à Saint-Vincent-Sterlanges une maison, ayant appartenu aux Chabot, puis il l’a revendue quatre mois plus tard (29).

La même année il acheta avec un nommé Beaulieu les Grandes Valinières et Petites Valinières (Saint-Fulgent), ayant appartenu à Le Maignan de l’Ecorce, pour un montant de 110 000 F (30). Sur ce point, l’abbé Félix Deniau s’est laissé emporter par la réputation de Martineau, décriée chez les « blancs », à propos de cette acquisition, écrivant faussement en 1878 dans son livre d’Histoire de la Vendée : « Saint-Fulgent (Vendée), Mandin avait été nommé expert-juré pour la vendition des biens des émigrés. Pour une bouteille de vin, il ne portait dans ses estimations que la moitié des terres d’une métairie et la faisait acheter pour rien à qui il voulait. Ainsi la ferme de Petite-Boucherie, de 75 hectares, fut vendue 600 écus, les Deux-Valinières qui valent aujourd’hui 6,000 francs de ferme, furent achetées 600 francs par M... » (31). Charité ou prudence, il ne donne que la première lettre du nom de l’acquéreur. Il semble qu’il ait recopié un texte d’Alexis des Nouhes, maire de Saint-Fulgent (32). Mais le fait est révélateur : soixante ans après sa mort, les nouvelles générations de ses ennemis gardaient en mémoire sa mauvaise réputation.

Néanmoins le prix de 110 000 F est bien faible comparé à celui payé pour la seule métairie de la Roche Mauvin à la même époque (150 000 F), ou à celui de la métairie du Coin (132 100 F avec des bâtiments incendiés). Au minimum, la valeur des deux Valinières divise par deux le prix payé ailleurs, ce qui valide l’appréciation du préfet sur ce point, et même si certains témoignages ont exagéré.

Nous avons aussi une ferme de la métairie du Coin à Mouchamps qu’il fit en faveur de Pierre Pinau et consorts le 19 brumaire an 11 (33).

En mai et juin 1800, il acheta à ses deux propriétaires, par deux actes séparés, les deux moulins à eau et à vent dits Vendrenneau, à Vendrennes, moyennant la somme de 1200 F. Et dans l’acte du 6 juin il les afferme aux deux vendeurs dans un bail de 3 ans, moyennant un prix annuel de 250 F. en argent (34).  

Toujours passionné de politique, il fit allégeance au nouveau pouvoir de Napoléon et il fut nommé maire de la commune des Herbiers du 15 avril 1804 à décembre 1807. Il fut alors remplacé par son beau-frère Pierre Ageron. Mais le 2 juillet 1808 il prêta serment comme juge de paix aux Herbiers.
Aux Cent-jours de retour de Napoléon, il fut élu le 12 mai 1815 par l’arrondissement de la Roche-sur-Yon représentant à la chambre (35). On sait que le nouveau retour de Louis XVIII après la seconde abdication de Napoléon rendit cette élection inutile.

Étienne Benjamin Martineau est décédé à Saint-Fulgent le 8 novembre 1828.

Sa mémoire nous pose question. On l’a vu moqué dans « la chanson de Marcé » au début de la révolte des insurgés en mars 1793. On l’a vu ensuite chargé d’accusations non fondées dans les décennies qui ont suivi la fin de la guerre de Vendée. Pourquoi tant de haine ? Son beau-père Charles Guyet a été massacré dans une escarmouche à laquelle il avait participé, ou bien il a été assassiné pour avoir été reconnu, bourgeois républicain qu’il était. Cette haine des républicains n’a pas été une conséquence de la guerre, même s'il faut l'y agréger bien sûr, mais surtout elle se classe parmi les causes apparemment. N’est-ce pas l’enseignement principal qui se dégage de l’histoire personnelle d’Étienne Benjamin Martineau ?  


(1) Archives diocésaine de l’évêché de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Martineau. 
(2) Archives départementales de la Vendée, Notes généalogiques J. Maillaud.
(3) Annuaire de la SEV, Les Bleus de Vendée, article J. Artarit, (2010), page 235.
(4) Annuaire de la SEV, Les Bleus de Vendée, article J. Artarit, (2010), page 278.
(5) Registre de déclarations de mutations, Fontenay, n° 120, et succession 1791-an IV : 68/207, cité par J. Artarit.
(6) Archives de Vendée, registre des déclarations de mutation, bureau Montaigu (10 germinal an 5).
(7) Jean Lagniau, Le Landreau en les Herbiers, (1971). 
(8) Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, étude Frappier 3E30/13, contrat de mariage Étienne Martineau et Catherine Guyet du 16-5-1791.
(9) Jean Artarit, Fontenay-le-Comte sous la Révolution, Éditions du CVRH, 2014.  
(10) Dugast-Matifeux, Origines et débuts de l’Insurrection Vendéenne, page 179. Et Archives de la Vendée, registre paroissial du Poiré-sur-Vie, signature de l’acte de baptême du 1-1-1792, vue 30.
(11) Billaud et d’Herbauges, La guerre au bocage vendéen, (1992), page 106.
(12) Archives départementales de la Vendée, état-civil Saint-Fulgent : registre clandestin vue 10/78.
(13) Extrait d’une liste des insurgés vendéens dressée par Goupilleau de Montaigu dans la collection Dugast-Matifeux volume 1, liasse 31, conservée à la médiathèque de Nantes et copiée par l’abbé Boisson dans le fonds 7 Z 99, aux Archives du diocèse de Luçon.
(14) Interrogatoire le 12 frimaire an 2 de Zacharie Allier, serrurier de la commune de Saint-Fulgent dans la collection Dugast-Matifeux volume 67 conservé à la médiathèque de Nantes et copié par l’abbé Boisson dans le fonds 7 Z 99, aux Archives du diocèse de Luçon.
(15) Maurice Maupilier, Des Étoiles au Lion d’Or, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions, 1989, page 147.
(16) L. Brochet, Le canton de Chantonnay à travers l’histoire, Le livre d’histoire (fac-similé 2007), page 38.
(17) E. Bourloton, Le clergé de la Vendée pendant la Révolution, Revue du Bas-Poitou (1902-4), page 348, vue 17.
(18) R. Williaume, Luçon dans la guerre de Vendée, éditions du CVRH, 2009, page 401.
(19) Nomination de Martineau jeune commissaire à Saint-Fulgent, Archives de Vendée, Répertoire de la série L, table du registre des délibérations du conseil général et du directoire du département de la Vendée, commencé le 23 brumaire an II … et fini le 8 fructidor même année : dossier L 70.
(20) A. Rolland-Boulestreau, Guerre et Paix en Vendée 1794-1796, Fayard, 2019, page 30 et s.
(21) Archives diocésaine de l’évêché de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Martineau, baptême de Rose Adélaïde Félicité Martineau le 6-9-1808.
(22) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, procès-verbal du 22 ventôse an 7 de Martineau et lettre du même à Coyaud du 4 et 13 germinal an 7.
(23) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre de Martineau à Coyaud du 25 prairial an 7.
(24) Archives de Vendée, état-civil de Saint-Fulgent, mariage Élise Martineau et Narcisse Legras de Grandcourt du 14-10-1833 (vue 240/335 du registre numérisé). Et état civil de Chauché an 7, vue 9.
(25) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-IV, compte-rendu du 3 vendémiaire an 8 de Gérard sur les attaques de partisans à Chauché le 30 fructidor an 7.
(26) J. C. Martin, La Vendée et la Révolution, Perrin, 2007, page 187.
(27) T. Heckmann, « Napoléon et la paix », Éditions d’Orbestier (2004), page 85.
(28) Archives de Vendée, notaires des Herbiers, J. M. Graffard (fils) : 3E 020, vente de leur maison de Luçon par B. Martineau, le 10 prairial an 10, vue 254/304.
(29) Archives de Vendée, notaire de Sainte-Cécile, minutes isolées Joseph David, vente de Pierre Brossard à Louis Motais 15 fructidor an 6 (vue 45).
(30) Archives de Vendée, vente de biens nationaux : 1 Q 267 no 1414, vente des Grandes Valinières et Petites Valinières achetées par Beaulieu et Martineau (Étienne) le 9 messidor an 6.
(31) Archives de Vendée, bibliothèque numérisée Aubret et les héritiers des Vendéens : 4 Num 280/27, Félix Deniau, « Histoire de la Vendée », tome premier, page 45 (vue 45).
(32) Archives de Vendée, bibliothèque numérisée comte de Chabot, biographies : BR 117, vue 10.
(33) Archives de Vendée, notaire des Herbiers, Allard 3E 019, ferme de Martineau à Pierre Pineau le 19 brumaire an 11 (10-11-1802) vue 47/492.
(34) Archives de Vendée, notaires de Chavagnes, Bouron : 3 E 31/18, achat du 6-6-1800 de la moitié
des 2 moulins de Vendrenneau par Martineau, et ferme des moulins.
(35) R. Robinet et Le Chaplin, Dictionnaire de la Révolution et de l’Empire.

Emmanuel François, tous droits réservés
24 avril 2011, complété en février 2020