mercredi 2 novembre 2011

Isaure Chassériau

Charlotte Berthe Isaure Chassériau est la fille, née en 1820, d’Adolphe Chassériau et d’Emma Pineu Duval. Les métayers de Linières ne l’ont pas vraiment connue. Elle est morte, à l’âge de 34 ans, avant sa mère et c’est son fils, Marcel de Brayer qui a hérité directement de sa grand-mère du domaine de Linières. À priori, sa postérité se résume essentiellement à son portrait peint par son oncle Amaury-Duval, qui valut à l’artiste une médaille de première classe au salon de 1839. Il est exposé maintenant au musée des Beaux-arts de Rennes. À sa mort, elle laissa un fils unique, Marcel de Brayer, qui fut maire de Saint-André-Goule-d’Oie, reconstruisit un nouveau château à Linières et publia un livre de poésies, tout à fait intéressant, quelques jours avant sa mort, à l’âge de 33 ans.

Une petite enfance au milieu des difficultés


Jean Auguste Barre : Guyet-Desfontaines 
(musée de la monnaie)
Isaure Chassériau a fait partie d’une famille très riche de talents, de sentiments et d’argent, constituée par sa mère, le deuxième mari de celle-ci, Marcellin Guyet-Desfontaines, son oncle Amaury-Duval, et son fils Marcel. Avec eux, l’histoire des propriétaires de Linières de 1830 à 1885 est totalement parisienne au début, pour devenir de plus en plus vendéenne à la fin de la période, avec les parisiens de Vendée que furent Marcel de Brayer et Amaury-Duval. Dans cette brillante famille, quelle fut la place d’Isaure Chassériau ?

Sa mère était la fille d’Amaury Pineu Duval, breton d’origine, qui débuta comme avocat à Rennes, commença une carrière de diplomate avant la Révolution, puis bifurqua vers le ministère de l’Instruction publique pour devenir ensuite directeur des Beaux-arts au ministère de l’Intérieur. Sympathisant de la Révolution, fidèle de Napoléon, il fut mis en retraite par la Restauration monarchique. Hommes de lettres, il fut secrétaire de l’académie des Inscriptions et belles lettres et rédigea de nombreux articles, notamment à la Décade Philosophique. Son frère, Alexandre Duval, fut un dramaturge à la mode, ce qui lui valut d’être élu à l’Académie Française. Un autre frère travailla comme lui dans l’administration des Beaux-arts et publia un livre d’Histoire. Amaury Duval se maria avec Jacqueline Rose Tardy, originaire de l’Allier. Elle fréquenta le salon littéraire de son amie Sophie Gay (1). Élève du peintre Girodet, elle s’adonna à la peinture, puis l’abandonna pour élever ses deux enfants. Emma naquit en 1799 et Amaury en 1808. Jacqueline Duval est morte le 29 octobre 1823, à l’âge de 49 ans.

Emma Duval épousa à l’âge de 18 ans Adolphe Chassériau. Il venait de démissionner de l’armée et se lançait dans l’édition. Il n’a pas connu sa mère, tuée dans les combats de la Révolution à Lyon, ni son père, exilé en Angleterre à cause de ses opinions royalistes. Trois ans après leur mariage, Emma mit au monde leur fille Isaure. Les affaires d’édition du mari tournèrent à la faillite et il se trouva avec des dettes impossibles à rembourser. Pour se refaire, il quitta sa femme et sa fille et partit en Amérique du sud. C’est alors qu’en 1824, quelques mois après le décès de sa mère, Emma, dépourvue de ressources, retourna avec sa fille habiter chez son père, au 15 quai Conti, un logement de fonction de l’Académie.

Isaure fut donc abandonnée par son père à l’âge de quatre ans. Certes, on a dû lui présenter sa fuite en Amérique de manière intelligente, quand on connaît sa mère. Mais en ce domaine, qui peut savoir ce qu’elle a ressenti et les explications qu’elle s’est données ? De toute façon, cette absence n’a pu que la marquer, sans doute profondément.

Chez son grand-père elle fit la connaissance de son oncle Amaury, âgé alors de seize ans. L’affection qui l’a lia avec lui a dû compter dans la formation de sa personnalité. Sa mère débordait d’amour, mais son caractère entier n’a pas dû être toujours facile pour elle. Le jeune homme, la grande sœur et la petite fille ont noué des liens que la mort seule brisera, nous le verrons plus loin.

Jean Auguste Barre : A. Dumas 
(musée de la monnaie)
Pour vivre, Emma Chassériau donna des leçons de chant et des cours de piano, et vendit des sacs de fantaisie qu’elle confectionnait elle-même. Malgré cette peine, toujours pleine d’énergie, elle était prête à courir au théâtre le soir, pour peu qu’un ami lui envoie des billets. Sinon elle passait la soirée à la maison où des amis venaient la voir. Emma Chassériau organisa des réunions chez son père, aidée par les Nodier (2), et où elle fit ses « mardis ». L’on y chantait et dansait et l’on recevait des artistes amis : Delphine Gay, la fille de Sophie, future Mme de Girardin (3), Alexandre Dumas (4), Delacroix (5), Ziégler (6), Brizeux (7), les Jal (8), etc.

Comme pour sa mère, les Guyet de Vendée firent partie de La nouvelle famille d'Isaure, celle de son beau-père Guyet-Desfontaines. Ainsi on la voit assister à Saint-Fulgent au mariage, en compagnie de sa mère Emma Guyet, le 14 octobre 1833 (vue no 240), de Narcisse Hyacinthe Legras de Grandcourt avec Agathe Élise Émilie Martineau. Et elle a signé au-dessous de la signature de sa mère. 

Mais le destin de sa mère prit un tour inattendu après la mort de son mari en Amérique en 1828. Veuve, les prétendants ne manquèrent pas. L’heureux élu fut le jeune Marcellin Guyet-Desfontaines, fils unique de Joseph Guyet et de Félicité du Vigier, héritier de Linières et autres biens, un amour et une fortune.

Une enfance choyée


Isaure avait onze ans quand elle vint vivre chez son beau-père. La veille du remariage de sa mère, un conseil de famille nomma le nouveau mari comme son cotuteur. Il était alors notaire d'une étude parisienne importante. Bientôt la petite famille déménagea dans le magnifique hôtel particulier du 36 rue d’Anjou St Honoré, avec ses salons dorés. Sa mère réussit à faire revenir son frère habiter chez elle, lui donnant une chambre et lui offrant un espace pour servir d’atelier. Fait nouveau : le jeune homme, la grande sœur et la petite fille ont agrandi leur cercle à Marcellin. Ce dernier ira se faire élire député aux Herbiers en Vendée, vivant de ses rentes, après avoir vendu son étude de notaire. C’est lui le « Vendéen », qui se rend de temps en temps au pays de ses parents. Pour lui Linières c’est sa mère, et Saint-Fulgent c’est son père. Pour s’y rendre dans les années 1830/1840, il faut de quatre à cinq jours avec le service des diligences. Les autres membres de la famille restent des parisiens à part entière.

Isaure fut choyée par son beau-père, mais, au-delà des apparences matérielles, nous ne savons pas comment. On devine néanmoins dans les correspondances, un vrai attachement du beau-père envers sa fille adoptive. D’autant qu’il ne put pas avoir d’enfant lui-même.

Si avant l’ouverture de la cotutelle de M. Guyet-Desfontaines, Melle Chassériau n’avait aucune fortune personnelle, il en fut de même après, n’ayant reçu ni donation, ni d’autres successions. La même année 1831 du remariage de sa mère, son beau-père notaire se préoccupa de l’héritage du grand-père d’Isaure, Jean Mathurin Chassériau (1755-1731). Mais Mme Emma Duval, par délibération du conseil de famille de sa fille, renonça pour cette dernière, purement et simplement à cette succession. L’inventaire des biens avait constaté un actif très faible et un passif considérable.

Nous savons qu’Isaure a appris le dessin avec Oscar Gué (9), un peintre qui fréquentait le salon de sa mère, et alors que son oncle est en Italie. Elle indique dans une lettre à Amaury-Duval qu’elle est une « latiniste fort distinguée » et « joue même des contredanses à quatre et deux mains ». Plus loin elle lui décrit une réception chez le roi : « Tu ne peux pas te faire à l’idée de ce qu’est un bal d’enfants chez le roi, je me suis amusée tant qu’au moment de souper je n’avais plus faim du tout…Maman était éblouissante de beauté, elle était couverte de diamants…la reine était en train de saluer de vieilles dames lorsqu’elle s’est retournée et m’a parlé en me demandant si j’avais dansé. » (10)
Dix-huit ans, c’est l’âge où elle perdit son grand-père, Amaury Duval, en 1838. Sa fille l’avait accueilli chez elle dans les dernières années de sa vie, et son nouveau gendre l’avait financièrement aidé.

Son portait à 18 ans


Dix-huit ans, c’est aussi l’âge de son portait par son oncle, accessible très facilement sur internet. L’artiste aime et admire son modèle, c’est la relation de la petite fille et du jeune frère d’Emma Guyet, l’oncle et la nièce. Dans un décor simple, et avec un bijou discret autour du cou, il choisit d’attirer le regard du spectateur sur la tête d’Isaure, car il la voit belle, avec son visage légèrement ovale, ses yeux expressifs, ses lèvres charmantes (le mot revient souvent sous la plume du peintre).

Amaury-Duval : Isaure Chassériau
(musée des Beaux-arts de Rennes)
Il la veut coquette dans cette robe magnifique, avec les bouquets accrochés aux cheveux et devant la poitrine. Elle a les cheveux noirs qui suggèrent les origines créoles de la famille de son père. Ses traits font penser à ceux de sa mère Emma et de son grand-père Amaury Duval, manquant de finesse. Passons sur la mode dépassée de la coiffure, sur les épaules tombantes et la pose embarrassée avec les mains sur le devant. Nous la voyons triste et compassée. Et n’en déplaise à son oncle, elle fait plutôt penser à la femme de chambre qui aurait mis la robe de bal de sa maîtresse pour se déguiser.

« Aimable et bonne » a dit d’elle une parente (11), mais peu douée pour le bonheur. La même parente qui écrivait à Emma Guyet en parlant d’Isaure : « Elle m’était toujours apparue affectueuse, mais triste et réservée. Elle semblait traverser ce monde sans y prendre racine. Elle avait sa patrie autre part. » Ce portrait et les rares écrits recueillis nous confirment que le caractère d’Isaure la portait à la solitude. Il l’exposait aux affections, mais aussi aux aspérités de son entourage avec une vive sensibilité, la rendant fragile. Elle semble porter en elle comme une attache invisible, qui l’empêcherait de prendre son envol et la garderait prisonnière dans quelque repli secret de son âme.

Mariage raté


Vingt et un ans, c’est aussi l’âge de se marier. Ses parents la dotèrent richement et elle convola avec un vicomte, comme on le faisait sous l’Ancien Régime ! L’union du titre et de l’argent, un terrain de rencontre entre les nobles et les bourgeois depuis longtemps. Sauf qu’ici on était entre parvenus.

Nous connaissons en effet l’origine de la fortune des Guyet pendant la Révolution. Le mari d’Isaure était le vicomte Alfred Oscar Hermann Brayer, le deuxième fils du second mariage du général Brayer, anobli par Napoléon. Pour faire plus « noble », on disait d’ailleurs : « de » Brayer et nous respecterons la volonté de la famille, malgré que, normalement, la particule ne soit pas ici justifiée. Disons tout de suite que l’information trouvée sur internet, que son mari était le général Amilcar de Brayer est fausse ; c’est son frère Alfred qu’elle épousa.

Général Michel de Brayer
Le père, Michel de Brayer, avait soutenu Napoléon y compris pendant les Cent jours du retour de l’Empereur en 1815. Après cela il s’était exilé en Amérique du Sud pour échapper à une condamnation à mort par le gouvernement du roi Louis XVIII. Il fut gracié ensuite et réhabilité par le nouveau régime de la Monarchie de Juillet à partir de 1830. Il fut nommé, en effet, pair de France et gouverneur de la région militaire de Strasbourg. Les orléanistes voulaient rallier à leur cause les anciens partisans de Napoléon, souvent pourchassés par les Bourbons et comme eux, se voulant les héritiers de la Révolution.

La mère d’Alfred, Marie Philippine de Sale, était baronne de Freyberg-Hopfereau. Née en Bavière, elle s’y était mariée avec le général Michel de Brayer en 1801. Le couple eut quatre enfants : Lucien, qui s’établira en Amérique du sud, Mathilde, qui deviendra la comtesse Marchand, Alfred né à Cologne en 1807 et Amilcar, le général, qui sera fait comte par Napoléon III.

Jeune, Alfred fut fort dissipé, contractant des dettes, dit-on, qui le contraignirent bientôt à s’éloigner de la capitale. Il se fit remarquer néanmoins dans les rangs de la garde nationale, où il fit carrière. Grâce à son père, il obtint un poste dans l’administration des Finances. Nous le trouvons percepteur à Parthenay (Deux-Sèvres) en 1841, au moment de son mariage avec Isaure Chassériau à Louveciennes (10).

La fortune d’Isaure consistait uniquement en des droits dans la succession d’une demoiselle Bertin (une tante de son père), et dans la valeur de la société commerciale qui avait existé entre son père et M. Devisme en Colombie. De sorte que M. et Mme Guyet-Desfontaines ne détenaient aucune somme envers la demoiselle Chassériau au moment de l’arrêté du compte de tutelle le 27 juillet 1841, à la veille de son mariage (12). Celle-ci adopta ce compte le 11 août 1841 par acte notarié, l’approuvant purement et simplement sans aucune réserve. En conséquence elle se désista de l’hypothèque légale prise à son profit contre M. Guyet-Desfontaines, et consentit à la radiation de la garantie qui avait été prise sur le château de Linières et ses deux métairies contiguës (13).

Le contrat de mariage, en date du 14 août 1841, a été signé suivant l’usage avec la mention de la présence des parents et amis du nouveau couple. Du côté du marié, on note sa sœur et son beau-frère Marchand, « ce dernier l’un des exécuteurs testamentaires de l’empereur Napoléon » est-il noté au lieu de dire qu’il était son dernier valet de chambre, les deux assertions étant vraies. Il y avait aussi leur fille, Marie Malvina, et le frère, militaire de carrière, le baron Amilcar de Brayer. Du côté de la mariée on fut plus nombreux. Il y avait d’abord, en dehors des parents, l’oncle maternel, Amaury-Duval. Puis Mme Alexandre Duval, tante maternelle, et des cousins : Charles Guyet, et Eugène Guyet, M. Clément, M. et Mme Victor Regnault, leur fille Melle Adèle Regnault, Mme Jenny Malvina Mazois, et enfin Mme Constance Grandcourt, une cousine éloignée par alliance dont les frères s’étaient installés à Saint-Fulgent. Et puis il y avait les amis proches : Mme Aspasie Le Porcher, épouse de M. Jal, et M. Antoine Anatole Jal leur fils ; M. et Mme Lafitte, M. Charles Séchan, M. Jules Dieterle, M. Barre père, graveur de la monnaie, M. et Mme Auguste Barre, M. Albert Barre, M. Asseline, secrétaire des commandements de la duchesse d’Orléans, M. Jadin, M. Delsarte et M. Repiquet.

Le 5 septembre suivant, les époux, accompagnés de leur notaire, se rendirent au château des Tuileries, pavillon de Marsan, où résidaient le duc et la duchesse d’Orléans. Ceux-ci ont « daigné apposer leur signature au présent acte, comme témoignage de l’agrément qu’ils ont donné au mariage de M. Alfred, Gaspard Herman vicomte de Brayer, avec Melle Charlotte Berthe Isaure Chassériau » (14). La formule imitait un usage d’Ancien Régime, réservé alors aux grands de la cour et aux pages au service du roi.

Mme Guyet-Desfontaines a constitué une dot à sa fille, et M. Guyet-Desfontaines s’est porté caution solidaire. Derrière cette présentation juridique officielle, c’est le beau-père qui a tout payé. L’apport du futur époux a consisté en son trousseau (bijoux, chevaux, voiture, armes, bibliothèques, tableaux, et argent comptant), d’une valeur de 12 000 F, provenant de ses économies et de la succession de ses père et mère. L’apport de la future épouse a d’abord consisté en son argent comptant, et objets personnels provenant de cadeaux de famille et de ses économies, pour une valeur de 3 500 F (effets mobiliers, bijoux, objets d’arts, livres français et étrangers et instruments de musique). Ensuite sa mère lui a constitué en dot un trousseau de 10 000 F de valeur, et un capital de 150 000 F. Il est prévu que M. de Brayer pourra employer cette dernière somme librement jusqu’à concurrence de 50 000 F, et notamment à former le cautionnement auquel il est assujetti en sa qualité de comptable du trésor public. Le solde, soit 100 000 F régi au régime dotal, devra être employé soit en acquisition d’immeubles, soit en achat de rentes sur le gouvernement français à inscrire au nom de la future épouse, ou d’actions de la Banque de France, le tout au choix des futurs époux. Les versements ont été effectués en six fois : deux en 1841 pour 60 000 F, trois en 1842 pour 40 000 F, et le dernier en mars 1844 pour 50 000 F.

À cette occasion les actes notariés qui en font état permettent de relever que les jeunes époux de Brayer ont quitté Parthenay pour s’installer au printemps 1842 aux Andelys (Eure). L’année d’après, les jeunes de Brayer viendront habiter Paris, où Alfred a été muté. Ils y habitaient au 33 rue de la Madeleine.

En 1842, naît à Louveciennes Marcel de Brayer le fils d’Isaure. Il a deux ans et demi quand sa grand-mère Emma rend visite à sa fille Isaure aux Andelys. Alfred de Brayer est alors receveur particulier des finances, c'est-à-dire effectuant les opérations de trésorerie dans un arrondissement pour le compte du trésorier-payeur général du département.

Emma écrit à son frère, alors en voyage en Italie : « Cependant malgré la neige, j’ai été aux Andelys. Il y avait 6 semaines que je n’avais vu mon enfant. J’ai trouvé Alfred assez changé et souffrant. Il avait de plus un clou au genou qui lui donnait de la fièvre. Mais à mon départ il était mieux. Isaure va bien, elle a repris. Quelle charmante femme ! Elle vit seule, ou à peu près, travaille, s’occupe toujours, et l’ennui ne la gagne pas. Son fils est là près d’elle à jouer, on ne peut avoir un plus doux intérieur. Marcel (qui s’appelle Farcel) est délicieux. Il parle depuis le matin jusqu’au soir, et très bien. Il ne grasseyera pas ! Ce sera un phénomène dans la famille ! Il a un camarade de cinq ans, une vraie victime. Je le couvre de baisers, de tendresse, mais le malheureux a la figure balafrée des égratignements de M. Farcel. Qui aime bien châtie bien, tel est l’axiome de tête. Il traite sa mère assez légèrement, mais l’adore. Quant à nous, nous en sommes fous. » Si dans cette lettre on voit le petit enfant faire la joie de sa grand-mère, on voit aussi Isaure à l’aise dans son intérieur, quoiqu’un peu seule.

Les emplois de la dot d’Isaure dans les premières années du mariage ne paraissent pas avoir soulevé de problèmes. Les époux ont fait le choix de placement en rentes sur la dette publique de l’État français à raison d’un intérêt de 5 %. Ainsi un capital de 100 000 F rapportait 4 000 F net de revenus par an (15). À la même époque une domestique gagnait environ 200 F par an, logée et nourrie (16).

Louise Swanton Belloc
Cependant le mariage ne fut pas heureux, Alfred étant indélicat pour son épouse. Ainsi, les habits de la riche demoiselle de vingt et un ans et ceux du beau vicomte de trente-quatre ans, au moment de leur mariage, ne cacheront pas longtemps, l’un à l’autre, leurs âmes si peu en correspondance. « Libre de choisir entre beaucoup de prétendants qu’attiraient une grosse dot », la jeune fille épousa pourtant « un beau vicomte à tête vide, à cœur nul, qui l’a humiliée et délaissée. » Ainsi s’exprime la cousine de son père, Louise Swanton Belloc dans son histoire de la famille Chassériau (17).
Dans ses lettres à son frère, Emma fait de courtes allusions sur son gendre :

« Cependant malgré la neige, j’ai été aux Andelys. Il y avait 6 semaines que je n’avais vu mon enfant. J’ai trouvé Alfred assez changé et souffrant… »
« Isaure te dit mille choses affectueuses. Marcel t’embrasse, c’est un amour décidément, Marcellin te serre la main, et mon gendre…un insuffisant… »

Nous n’en savons pas plus de sa part, mais on sent que ça ne va pas.  Au point qu’à la requête de Mme de Brayer, la première chambre du tribunal civil de la Seine prononça le 24 décembre 1851 un jugement de séparation de corps et de biens entre elle et son mari. Une commission judiciaire en date du 30 décembre 1851 constata ensuite l’ouverture de la liquidation des reprises de Mme de Brayer contre son mari. Le 15 janvier 1852, Mme de Brayer renonça devant le même tribunal, à la société d’acquêts constituée par son contrat de mariage. 

Alfred est alors sans emploi et couvert de dettes. Rappelons qu’à l’époque le divorce n’existait pas, mais la séparation de corps et de biens des époux pouvait être prononcée par un tribunal, aux tords de l’un des époux. Cela veut dire qu’Isaure était revenue vivre un peu avant chez ses parents avec son fils, ce dernier étant âgé alors de neuf ans. Triste de nature, elle n’a pas été heureuse dans le mariage, au point d’y mettre fin à une époque où la procédure était rare.

La carrière de fonctionnaire des impôts d’Alfred de Brayer n’a pas laissé de trace, à la différence de sa position au sein de la garde nationale parisienne. Il s’était comporté avec audace lors de l’émeute républicaine des 5 et 6 juin 1832, faisant suite à la sépulture du général Lamarque, qui avait dégénéré en émeute. Son père, général en poste à Strasbourg, le félicite : « J’apprends avec bien du plaisir que pendant les journées du 5 et 6 courant, tu as été chargé d’une mission importante, et que tu as été assez heureux de réussir. Non sans quelque danger puisque tu as perdu plusieurs de braves…reçois mes félicitations à cette occasion et n’oublie jamais qu’avec passion, l’audace est tout dans une entreprise de ce genre. Les rouges de Strasbourg ont aussi voulu se distinguer mais je suis intervenu… » En 1846 Alfred de Brayer est nommé capitaine et en 1849 il est chef d’escadron dans la garde nationale. À ce titre il est fait chevalier de la légion d’honneur le 6 juillet 1849. 

Une mort prématurée 


La santé d’Isaure était fragile. Un ami de la famille écrit en août 1853 : « Faites-moi l’amitié de m’écrire deux lignes pour me donner des nouvelles de la santé de Mme de Brayer ». À l’époque le secours de la médecine était bien faible et elle mourut rapidement. On devine le deuil pour Emma, Marcellin, Amaury, et le petit garçon, Marcel, premier drame dans le noyau familial. Isaure est morte au mois de mai 1854. La cousine de son père, Louise Swanton Belloc, écrit quelques mois après à Emma Guyet des phrases touchantes et intelligentes :

« Non certes, chère amie, je ne vous ai pas accusée d’inaptitude ou de négligence. Votre silence m’affligeait comme preuve de la douleur qui vous absorbait, et à laquelle je n’osais m’imposer, malgré mon désir d’aller savoir de vos nouvelles. Hélas !
Chère amie, qui peut avancer dans la vie, sans avoir de ces déchirements qui laissent d’incurables plaies ? Le cher et doux ange, que vous pleurez, a aujourd’hui la meilleure part. Elle habite un monde meilleur et plus beau, et Dieu, en la reprenant si jeune, lui a sans doute épargné d’autres rudes épreuves. Elle était trop pure et trop bonne pour n’avoir pas à souffrir beaucoup ici-bas. Dites-vous, chère amie, qu’en la retirant dans son sein, Dieu a plus fait pour elle que tout ce qu’eut pu et voulu faire votre sollicitation maternelle.
Je sens bien tout ce que cette absence laisse de vide dans votre pauvre cœur désolé, et combien la …et difficile sous l’atteinte de pareils coups. Mais elle a dû compter sur vous, sur votre courage pour la remplacer auprès de son fils, de ce cher petit Marcel, qui s’annonçait si aimable et si intelligent. Cet enfant, c’est encore elle, et si, comme je le crois fermement, nos chers absents pénètrent dans nos plus secrètes pensées, et peuvent encore, quoique invisibles, assister aux actes de notre vie, combien ne vous sait-elle pas gré de tout ce que vous faites pour cet enfant ! Que cette conviction vous soutienne, chère amie, et vous donne de force. Je voudrais que votre douce et chère fille fût présente et vivante dans vos souvenirs et dans ceux de tous vos amis, comme un bon ange gardien qui tempère et adoucit l’amertume de nos esprits. Pour moi, je ne me la rappelle pas, sans un profond attendrissement. Elle m’était toujours apparue affectueuse, mais triste et réservée. Elle semblait traverser ce monde sans y prendre racine. Elle avait sa patrie autre part…
Voilà la vie, telle que la révolution, les soucis, les chagrins, nous l’ont faite. Encore faut-il porter vaillamment son fardeau jusqu’au bout.
Le jour où vous voudrez me voir, envoyez-moi un mot, et j’irai vous trouver, à Marly ou ici. Mais ne le faites que lorsque vous attendrez de ma visite un peu d’obligeance. Vous savez si je serais heureuse de pouvoir vous faire un peu de bien. Mais hélas ! Il ne suffit pas de vouloir.
Adieu, chère amie, croyez comme toujours à ma vieille et sincère affection.
Louise Sw Belloc » (18)

La succession d’Isaure


Signe révélateur, Isaure Chassériau avait rédigé un testament le 15 février 1852. Elle lègue « à ma bonne mère pour le cas où elle me survivrait tout ce dont la loi me permet de disposer en sa faveur » (19). Au moment de son décès à Paris le 14 mai 1854, elle demeurait à Paris rue Duphot, no 25.

Pour s’occuper de la succession de sa fille et de la tutelle de son petit-fils Marcel de Brayer, Mme Guyet-Desfontaines fit une procuration à son mari le 26 mai 1854 (20). Ceux-ci demeuraient alors à Paris rue Duphot no 25, ainsi qu’à Marly le Roi. M. Guyet-Desfontaines fut élu comme subrogé tuteur du mineur de Brayer, suivant la délibération du conseil de famille tenu sous la présidence du juge de paix du 1e arrondissement de Paris, le 27 mai 1854.

Il fut présent à ce titre et à celui de mandataire de sa femme, légataire universelle de Mme de Brayer, à l’inventaire après le décès de celle-ci, le 29 mai 1854. Y assistait aussi Alfred de Brayer, comme tuteur naturel et légal de son fils mineur (21).

Maison de campagne à Marly-le-Roi
des Guyet-Desfontaines
L’inventaire fut commencé dans une dépendance de l’appartement occupé par M. et Mme Guyet-Desfontaines située au 1e étage au-dessus de l’entresol de la maison louée rue Duphot. Elle avait fait son domicile et habitait chez sa mère, à Paris et à Marly, depuis la séparation prononcée entre elle et son mari. Les meubles étaient la propriété de M. et Mme Guyet-Desfontaines. L’ensemble des autres objets mobiliers trouvés dans l’appartement de ses parents se monta à 2 326 F, dont 1 264 F de bijoux (on note une montre en or numérotée de la maison Oudais à Paris). Le 6 juin 1854, l’inventaire se poursuivit en la maison de campagne de M. et Mme Guyet-Desfontaines située à Marly le Roi. Mme de Brayer y occupait un pavillon dans le parc, comprenant un petit salon, une chambre à coucher avec une pièce à la sortie, une salle à manger, un cabinet de toilette et une chambre de domestique. Sauf exception, le mobilier lui appartenait. S’y trouvaient beaucoup de linge, habits, effets personnels, vaisselle, argenterie, bibliothèque. Le tout se montant à une valeur estimée à 1 935 F. Enfin on inventoria des objets à Paris entreposés dans un local rue du Faubourg Poissonnière no 11 occupé par M. et Mme Guyet-Desfontaines : quelques meubles et de la vaisselle fine pour un montant de 185 F. L’estimation des objets mobiliers s’élevaient donc à un total de 4 446 F.

À l’examen des papiers appartenant à la défunte, on constata qu’une somme de 15 268 F n’avait pas été employée conformément aux prescriptions du contrat de mariage. À laquelle il fallait ajouter une somme de 36 032 F, également non employée suivant le régime de la dot, et provenant d’un remboursement de caution de comptable de M. de Brayer, et qui avait servi à acquitter des engagements personnels de ce dernier.

Après le jugement de séparation de corps et de biens du 24 décembre 1851, Mme de Brayer réclamait un montant de 113 000 F à son mari, que celui-ci avait reconnu dans un procès-verbal du 10 février 1852. En plus M. de Brayer était débiteur auprès de 3 créanciers d’une somme totale de 52 000 F. Mme de Brayer avait accepté qu’une partie des sommes à elle dues restent placées au profit de son mari, pour permettre à ce dernier de désintéresser ses autres débiteurs. Au jour de l’inventaire en 1854, seuls 8 000 F sur les 52 000 F avaient été remboursés.

Néanmoins Mme de Brayer était rentrée en possession d’une somme de 48 700 F qu’elle avait placé en rente sur l’État et qui lui rapportait 2 000 F par an, pour laquelle elle avait payé le prix de 45 949,35 F. À cette occasion elle s’était adressée à un cousin agent de change, Eugène Guyet.

On relève dans le passif de la succession de Mme de Brayer une somme importante de 4 212,50 F pour frais de dernière maladie, payés par M. Guyet-Desfontaines à divers médecins et pharmaciens, à Paris, Saint-Germain et Dieppe.

Comme légataire universelle, sa mère recueilli sa succession, c’est-à-dire ses créances sur son mari. Elle recueilli aussi son fils. Entre le père du petit Marcel de Brayer et ses grands-parents, les problèmes financiers étaient donc importants.

Pour terminer, nous citerons cette phrase de son fils relevée dans son journal de voyage en Italie un an avant sa propre mort, en 1873. Il s’apprête à voyager seul en Italie et cherche dans cette solitude un renouveau personnel. « Si l’épreuve réussit, je suis sauvé, car j’aurais trouvé le vrai remède à cet ennui terrible qui m’enveloppe sans cesse dans un manteau de glace. » La tristesse en héritage.


(1) Sophie Gay (1776-1852), tint un salon littéraire, publia deux romans. Marraine d’Emma Duval.
(2) Jean-Charles-Emmanuel Nodier (1780-1844) est un écrivain et romancier à qui on attribue une grande importance dans la naissance du mouvement romantique en littérature.
(3) Émile de Girardin (1806-1881) est un journaliste et créateur de journaux influents.
(4) Alexandre Dumas père (1802-1870) fut un écrivain à succès de pièces de théâtre et de romans.
(5) Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix (1798-1863) est un peintre majeur du romantisme.
(6) Jules-Claude Ziegler (1804-1856) peintre, céramiste et photographe. Élève d’Ingres lui aussi.
(7) Julien Auguste Brizeux (1803-1858) fut un poète breton à succès, défenseur de la langue bretonne.
(8) Auguste Jal (1795-1873) historiographe de la Marine et écrivain. Témoin à l’acte de naissance de Marcel de Brayer, et à la déclaration du décès de M. Guyet-Desfontaines à l’état-civil.
(9) Oscar Gué (1809-1877) peintre célèbre et ami du peintre Dauzats, autre habitué des Guyet.
(10) V. Noël Bouton Rollet, Amaury-Duval (1808-1885). L’homme et l’œuvre (2005-2006), thèse de doctorat en Sorbonne Paris IV, page 24.
(11) Louise Swanton Belloc, une cousine née Chassériau.
(12) Compte de tutelle et cotutelle du 27 juillet 1841 rendu par Mme Antigone Emma Pineu Duval et M. Guyet-Desfontaines, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/791.
(13) Acte du 11 août 1741 d’approbation et d’arrêté de compte de tutelle d’Isaure Chassériau, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/791.
(14) Signatures le 5-9-1841 du contrat de mariage par le duc et la duchesse d’Orléans, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/791. Ferdinand Philippe d'Orléans (1810-1842) était le fils aîné du roi Louis-Philippe 1er, porté au pouvoir par Révolution de 1830.
(15) Déclarations d’emploi par M. et Mme de Brayer du 5-1-1841 de 10 000 F en rente de 428 F, et de 20 000 F en rente de 843 F, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/791.
(16) Inventaire du 25 avril 1857 après le décès de Laure Longuemare, veuve Charles Louis Guyet, Archives nationales, études notariales de Paris : MC/ET/XIV/850.
(17) Note de Nathalie Chassériau, 2009.
(18)  Lettre de L. Belloc à Emma Guyet du 20-10-1854, Société Éduenne d’Autun, fonds Amaury Duval : K8 324.
(19) Testament du 15 février 1852 d’Isaure de Brayer, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV 839.
(20) Procuration du 26 mai 1854 de Mme Guyet-Desfontaines à son mari, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV 839.
(21) Inventaire du 29 mai 1854 après le décès de Mme de Brayer, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV 839.

Emmanuel François, tous droits réservés
Novembre 2011, complété en septembre 2017

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samedi 1 octobre 2011

Le catéchisme des trois Henri : le curé de Chauché attaque son évêque.

Jules Alexis Muenier : La leçon de catéchisme
Dans le registre paroissial de Chauché, le curé Jude Bellouard écrit pour l’année 1757 : « En mille sept cent cinquante-sept, Monseigneur de Verthamon a voulu faire enseigner dans notre diocèse un catéchisme rempli d'erreurs ; les curés et viquaires de saine doctrine n'ont point voulu souscrire à l'enseignement d'un tel catéchisme. Ceux qui l'ont enseigné, ce sont des curés et vicaires étrangers poussés par un vil intérêt ou par d'autres motifs terrestres. Ce catéchisme mauvais est appelé le catéchisme des trois Henri. » (1)

Diable ! est-on tenté de s’exclamer... ou mon Dieu ! Sur Saint-André-Goule-d’Oie ou Saint-Fulgent, on ne trouve pas d’allusion à ce catéchisme au nom apparemment « pas catholique ». En revanche l’évocation du clergé étranger ne nous étonne pas, puisqu’à cette époque le diocèse de Luçon manquait de vocations et avait dû faire appel à des prêtres venus de l’étranger. Ainsi de Jean Baptiste Poulain, prêtre de la province de Normandie, inhumé le 30 octobre 1688, d’Eustache Madeline, inhumé le 6 juillet 1699, qui était originaire de Vire en Normandie, ainsi que de Guillaume Burk, prêtre irlandais du diocèse de Cloufart (province de Conacy), décédé le 15 novembre 1701 dans la maison noble de Boisreau, et inhumé à Chauché comme les deux précédents (2).

Quant aux « motifs terrestres et au vil intérêt de ces prêtres », Jude Bellouard ne précise pas sa pensée. Peut-être fait-il allusion au laisser-aller de ses prédécesseurs à Chauché au temps des évêques jansénistes de Luçon. Ainsi Jacques Dorinière, prêtre, inhumé à Chauché le 24 janvier 1687, avait eu un fils à l’âge de 27 ans avec Suzanne Ayrault (qui fut inhumé à Chauché le 7 août 1674). Il était diacre au moment de cette naissance. Peut-être aussi avait-on gardé le souvenir de la querelle, au début des années 1600, entre le curé Barbot et son vicaire Normandin, pour la possession de la cure (3). Bref, Chauché avait connu un clergé indigne autrefois.

Mais cette attaque du titulaire de la modeste cure de Chauché envers l’évêque de Luçon, sur le terrain même de la religion, étonne. Alors, de quoi s’agit-il ?

Le catéchisme des Trois Henri doit son nom au prénom des trois évêques qui le propagèrent à la fin du XVIIe siècle dans leurs diocèses, celui de Luçon (Henri de Barillon), celui de la Rochelle (Henri de Laval) et celui d’Angers (Henri Arnaud). Rédigé de manière simple, souvent avec des questions/réponses, il avait pour but d’enseigner la religion catholique dans les familles. À cette époque, chaque évêque écrit ou approuve un manuel d’enseignement dans son diocèse, appelé catéchisme, pour bien se démarquer de l’hérésie protestante. Publié en 1676, le catéchisme des Trois Henri fut interdit ensuite en 1701 dans le diocèse de Luçon par les successeurs de Mgr de Barillon, Mgr de Lescure et Mgr de Rabutin, très antijansénistes. C’est que Mgr de Barillon avait eu des sympathies pour le jansénisme et son prédécesseur, Mgr de Colbert, avait pris position contre le pape, quand celui-ci avait condamné Jansénius. Cette interdiction du catéchisme des trois Henri relevait d’une chasse au jansénisme en considération des personnes, plus que du texte même incriminé.

Ce monseigneur de Barillon avait été généreux envers la confrérie de la Charité de la paroisse de Chauché. À sa mort il lui avait légué une somme de 50 livres. Elle fut mise au coffre de la confrérie le 2 août 1699 en présence des officières, par le curé Clément Thibaud et le procureur des pauvres, maître Jacques Basty, sieur de la Perrauderie (4).

Jansenius
Le jansénisme est né d’une fausse interprétation de la pensée de saint Augustin, faite par Jansénius, évêque catholique d’Ypres. Publiée en 1646, dans son livre l’Augustinus, la doctrine présente l’homme comme irrémédiablement vicié par le péché originel. Son rachat par la grâce est réservé aux âmes prédestinées, niant à la fois le libre arbitre de l’homme et la volonté divine de sauver tous les hommes (5). Cette doctrine fut condamnée par les papes à plusieurs reprises, mais elle séduisait des catholiques, en général des milieux cultivés, épris d’austérité morale. Ils refusèrent d’obéir au pape, à une époque où son infaillibilité n’était pas un dogme. Le pardon des péchés exigeait de longues pénitences selon les jansénistes, et la communion était réservée à des fidèles très pieux.

Louis XIV, chef de l’Église catholique de France, réprima les jansénistes avec brutalité, créant de ce fait un problème politique. Dans cette querelle, l’ordre des jésuites se mit en avant pour défendre le pouvoir du pape. Les deux camps ennemis, les jansénistes et les jésuites, ne s’alimentaient que d’exclusives, mettant aussi en œuvre les moyens judiciaires et politiques à leur disposition, puisque l’Église et l’État étaient fortement liés l’un à l’autre à cette époque. L’État national français, centralisé et bureaucratique est né au 17e siècle, la Sorbonne s’affichant plus nationaliste que jamais et l’Église de France penchant vers le gallicanisme. Aussi quand le pape demanda aux jésuites d’influer pour faire appliquer sa bulle Unigenitus contre les jansénistes, ils apparurent transnationaux, aux ordres de l’étranger représenté par le pape, se heurtant à la fin du règne de Louis XIV à la naissante affirmation du nationalisme français. D’une affaire de religion on avait fait une affaire politique.

Mrg de Verthanon, de tendance janséniste, fut nommé évêque de Luçon en 1737. Par ses maladresses et ses provocations il ralluma dans son évêché la querelle des jansénistes et des jésuites (6). Ceux-ci enseignaient au séminaire et ils avaient dans le même camp qu’eux, la majorité des chanoines de la cathédrale, et aussi les Ursulines de Luçon. L’évêque prit des mesures (nominations) qui mirent le feu aux poudres. On en vint aux mains dans la cathédrale et au couvent des Ursulines. En 1751 il décida de rétablir l’usage de l’ancien catéchisme des Trois Henri, remplacé depuis 1701. Ce manuel rappelait de manière classique l’essentiel des dogmes catholiques pour l’éducation des gens simples. Il était exempt de toute hérésie. Mais beaucoup refusèrent dans le clergé vendéen de l’enseigner, par sectarisme envers l’évêque, accusé à juste titre de jansénisme. Le parlement de Paris fut saisi, qui confirma la décision de l’évêque d’expulser les jésuites du séminaire de Luçon. On s’en rapporta au pape, qui refusa de condamner le catéchisme des Trois Henri. La querelle ne prit fin dans le diocèse qu’avec la mort de l’évêque en 1758.

Dans son livre récent, Mme Françoise Hildesheimer, Rendez à César, l’Église et le pouvoir, met en lumière l’enjeu politique du jansénisme à cette époque. D’abord il y avait les rapports de l’Église de France et du roi depuis le concordat de 1516, conclu entre François 1er et le pape. Il eut pour conséquence de placer les évêques dans un rôle d’instrument de direction de l’opinion au service du roi de France. Ensuite des spiritualités nouvelles, fruits de la contre-réforme catholique, comme le jansénisme, répondirent à un besoin d’absolu. Mais l’absolu de Dieu risquait d’apparaître comme une renaissance de l’insoumission protestante, alors que l’esprit d’autorité triomphait dans l’Église et le royaume. En promouvant une conscience plus indépendante, le jansénisme portait un potentiel de désobéissance civile. Alors que les jésuites, au début utilisés par le pouvoir politique contre les jansénistes, portaient eux un esprit universaliste, mais au service du pape, ce qui les éloigna des philosophes des lumières et du parlement de Paris au 18e siècle.


(1) Rapports des chefs de service au Conseil Général de la Vendée, lors de sa 2e session en 1899. Voir 2e chapitre du rapport, page 85 (vue 342 sur Gallica)
(2) Rapports des chefs de service au Conseil Général de la Vendée, lors de sa 2e session en 1899. Voir 2e chapitre du rapport, page 82 (vue 339 sur Gallica)
(3) Rapports des chefs de service au Conseil Général de la Vendée, lors de sa 2e session en 1899. Voir 2e chapitre du rapport, page 84 (vue 341 sur Gallica.fr)
(4) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 28-1, registre de la confrérie de la Charité de la paroisse Saint-Christophe de Chauché, page 54.
(5) H. X. Arquillière, Histoire de l’Église (1941), Éditions de l’École, page 343
(6) J. F. Tessier, de Verthanon évêque de Luçon jalons pour un itinéraire, 2e partie, annuaire de la société d'Émulation de la Vendée, 1988, page 73 et s.

Emmanuel François, tous droits réservés
Octobre 2011, complété en mars 2018

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La vie privée de Guyet-Desfontaines (1797-1857)

Naissance et éducation


La naissance de Guyet-Desfontaines le 26 avril 1797 a fait l’objet d’une fausse déclaration sur l’identité de ses parents. Il s’agissait alors pour sa mère, toujours mariée au vicomte Charles Auguste de Lespinay, parti guerroyer contre les révolutionnaires dans les rangs des émigrés, de cacher cette naissance adultérine et ses liens amoureux avec le jeune républicain originaire de Saint-Fulgent, Joseph Guyet. On déclara un faux père : Desfontaines. Ses parents naturels, mariés en 1804, l’adoptèrent légalement en 1824 (la loi exigeait alors d’avoir l’âge minimum de 50 ans pour adopter). Il prit ainsi le nom de Guyet-Desfontaines.

Sur la jeunesse de Marcellin Guyet-Desfontaines, nous disposons de peu d’informations. Le peintre Delacroix a été son camarade au lycée impérial de la rue Saint Jacques à Paris (actuel lycée Louis Le Grand). Avec des parents fortunés, propriétaires du domaine de Linières (Vendée), le jeune Marcellin a dû recevoir une solide éducation, comme il le montrera plus tard dans sa vie d’adulte. Après le baccalauréat il a fait son droit.

Dans son milieu familial, il a grandi avec le culte des principes nouveaux nés de la Révolution française. Mais il a dû aussi intégrer la partie royaliste de son « patrimoine génétique », avec l’histoire de sa mère, et les du Vigier de Mirabal. Les enfants du grand-oncle Jean Baptiste du Vigier, qui s’était fait massacrer en tant que garde du corps du roi le 10 août 1792, avait une autre vision de la Révolution Française. Un petit-fils participera à l’âge de 16 ans, dans la troupe des zouaves pontificaux en 1860 contre les piémontais, à la sanglante bataille de Castelfidardo (1).

Ajoutées à un héritage culturel aussi contrasté, les conditions rocambolesques de la déclaration de sa naissance, l’attente du délai de son adoption officielle par ses parents naturels en 1824, la mort de sa demi-sœur en 1811, Henriette de Lespinay, tous ces éléments lui ont donné une enfance et une adolescence peu banales. Indiquons tout de suite que dans sa vie d’adulte, il a beaucoup contribué au bonheur de ses proches, et il s’est consacré au service des autres dans l’action politique, donnant l’image d’un homme responsable et équilibré.

Tout juste remarque-t-on un détail dans sa signature : le mot Guyet a une écriture penchée vers la gauche et le mot Desfontaines, à l’inverse a une écriture penchée vers la droite, avec dans les deux cas une graphie différente. Quel sens pourraient donner des spécialistes de la graphologie à cette observation ? Guyet à gauche et Desfontaines à droite, voilà bien qui concorde parfaitement avec la réalité historique en tout cas ! 

Ses débuts d’homme de lois et sa rencontre avec Emma Duval


Après son droit il a débuté dans la vie comme avocat près la cour d’Assise de Paris, en 1817 dit une biographique (2). Il est alors âgé de 20 ans et c’est aussi ce qu’on lit dans un certificat d’exemption du service militaire. On suppose qu’il était alors plutôt en stage. Il était conscrit de la classe 1817, susceptible d’être tiré au sort pour faire son service militaire. Il a été libéré de cette obligation à cause d’une exemption pour myopie. Dans le certificat qui en fait état, on lit qu’il mesurait 1,67 m (3). Il était donc relativement petit, comme son grand-père Simon Charles Guyet de Saint-Fulgent. 

Il est entré le 15 juin 1818 dans une étude de notaires parisiens, Me Colin de Saint-Miege et Chauvin, pour commencer son temps de cléricature, y débutant comme 4e clerc. Il est passé 3e clerc le 2 avril 1820. Puis il a poursuivi chez Me Chaulin à partir du 25 septembre 1823, comme 2e clerc, et 1e clerc le 1e décembre 1823. Au total il a rempli la condition nécessaire de temps de stage pour être nommé notaire, d’au moins 7 ans, dont 2 ans comme 1e clerc. C’est ce qu’a vérifié la chambre des notaires de Paris lors de ses séances des 20 et 28 avril 1826. Celle-ci a constaté qu’il avait l’âge requis d’au moins 25 ans, qu’il était libéré du service militaire et elle s’est portée garante, après enquêtes, des capacités et moralité du candidat. Elle a aussi vérifié auprès de la mairie du domicile (2e arrondissement de Paris) qu’aucun cas de suspension ni privation de ses droits civils et civiques nécessaires à l’exercice d’une fonction publique, n’était relevé à son encontre. Guyet-Desfontaines a été interrogé par les membres de la chambre sur ses connaissances en droit, lesquels s’en sont déclarés satisfaits. Cet examen professionnel a donc remplacé l’exigence d’un diplôme universitaire. Et pourtant on pourra apprécier plus tard ses bonnes connaissances en droit, tant à la chambre des députés que dans ses échanges avec le préfet quand il fut maire de Marly-le-Roi. Sa demande de nomination comme notaire à Paris, déposée à la chambre des notaires le 11 mai 1826, était en remplacement de la démission de Me Breton (du 13 avril précédent) en sa faveur, dont il avait acheté l’étude pour 400 000 F. Le prix, quoique considérable, fut jugé en rapport avec son volume d’activité. Un relevé des actes passés dans les 10 dernières années dans cette étude fut fourni : 4590 minutes et 3578 brevets, produisant pour le fisc, peu gourmand à l’époque, 859 192,71 F de droits d’enregistrement (4). Son père possédait à son décès 4 ans plus tard des immeubles à Paris et des valeurs financières, plus en Vendée 485 hectares dans les marais et 930 hectares dans le bocage. Il était riche et c’est lui qui paya l’étude à son fils. Guyet-Desfontaines a été nommé à son office du no 6 rue du Faubourg-Poissonnière (ancien 2ème arrondissement de Paris), à l’âge de 29 ans le 30 mai 1826. Son étude devait être importante. À son endroit, on notera l’expression de « riche notaire parisien », employée dans un document.

Nous savons qu’il était passionné de théâtre, de peinture, de musique et de littérature. Il aimait fréquenter des artistes comme son ami Delacroix. Un de ses clercs de notaires, Félix Arvers (1806-1850), embauché en 1830, connut le succès en tant que poète à son époque. Un biographe de ce poète a écrit : "Par devoir, il devient clerc de notaire ; par vocation, il rime. Au surplus, quel délicieux endroit pour donner rendez-vous aux Muses que l'hospitalière étude de ce bon M. Guyet-Desfontaines Imagine-t-on un notaire de cette sorte ? Le siècle n'en vit qu'un et ce fut celui-là. Cet aimable officier ministériel ne s'hypnotisait pas, tant s'en faut, sur les cartons verts. Il aimait les arts, chérissait les artistes, fréquentait chez les lettrés, comptait des amis illustres, à l'Académie, dans les cénacles et dans les salons où l'on cause. On jouait chez lui la comédie de société. Chez son patron, Félix Arvers rencontre Delacroix, Dumas." Il quitta l’étude en 1836 en tant que 2e clerc.

Marcellin avait 33 ans quand son père est mort. C’est à la même époque qu’il rencontra sa future femme chez Isidore Guyet, dont il était un neveu. Journaliste au Courier Français, Isidore habitait au no 26 boulevard de Boule. Républicain, il avait bien sûr signé la pétition contre la première des cinq ordonnances de Charles X du 26 juillet 1830 suspendant la liberté de la presse et rétablissant la censure. Contre la majorité des journalistes de l’époque, c’était un homme cultivé et instruit. Il avait notamment réalisé une bonne édition de Voltaire.

Mais cet homme recevait aussi chez lui sa nièce et son neveu, les enfants d’une sœur de sa femme : Emma Chassériau et Amaury-Duval. Emma Pineu Duval s’était mariée avec A. Chassériau, mais était devenue veuve.

Elle faisait alors pour son oncle « le résumé des principaux articles des journaux de Paris, peut-être un ministre, auquel ce résumé était envoyé », selon ce qu’écrit Amaury-Duval dans son livre de souvenirs (5). Il continue en expliquant la rencontre des deux futurs époux. Nous avons consacré un article spécialement sur cette rencontre.Voir l’article publié en septembre 2011 : La rencontre de Marcellin Guyet-Desfontaines et d’Emma Chassériau.

Guyet-Desfontaines s’intéressa à l’ancêtre de la photographie. À ce titre, on lui doit des clichés de daguerréotype, dont certains d’entre eux furent vendus aux enchères à Drouot-Richelieu en décembre 2008. Ils étaient estimés dans le catalogue à 200/300 €. La daguerréotypomanie, comme l’appela un caricaturiste, s’empara des gazettes vers 1839. Le 6 mars 1841, à onze heures du matin, Louis Philippe se fit daguerréotyper dans la cour des Tuileries et l’opération dura trois minutes. Le 19 août 1839, François Arago, savant et homme politique, déclara à l'académie des Sciences que la France venait d'acheter un brevet révolutionnaire : elle « dote noblement le monde entier d'une découverte qui peut tant contribuer aux progrès des arts et de la science ». L'invention de Daguerre connaît en 1841 un succès fulgurant. Rien qu'à Paris se vendent cette année-là 2 000 appareils et 500 000 plaques photographiques. Mais le succès est éphémère, le daguerréotype est vite dépassé par la photographie (6).


Ingres :
Guyet-Desfontaines (Musée Bonnat)
Néanmoins, c’est un des plus grands peintres français, Ingres (1780-1867), qui nous permet de montrer Guyet-Desfontaines dans un dessin, à la mine de plomb et rehauts de blanc (32x24.3 cm). Il est conservé au musée Bonnat de Bayonne et provient du fonds Amaury-Duval, légué à son élève Froment-Delormel. Marcellin nous apparaît élégant et sûr de lui, sensible et observateur, à l’aise dans les contacts humains, avec un air malin.

Son entrée dans le cercle familial de son épouse


Emma, revenue habiter chez son père après la banqueroute de son premier mari et sa fuite en Amérique du sud, fréquentait le salon des Nodier à l’Arsenal, un des lieux réputés de rencontre des artistes romantiques. Elle avait elle-même créé son propre salon chez son père, qui avait un logement de fonction, quai Conti à Paris. Il était en effet secrétaire de l’Académie des Inscriptions et belles lettres. Elle y réunissait des écrivains, des musiciens, des chanteurs et des comédiens. Après son mariage, elle emmena tout ce monde chez son mari au no 36 de la rue Anjou-Saint-Honoré.

Guyet-Desfontaines aimaient les artistes, nous l’avons vu, son épouse aussi. Léon Séché, dans son Études d’Histoire romantique Alfred de Musset (1907), écrit à propose de son étude notariale : « Déjà fréquentée par les écrivains et les artistes, elle était déjà devenue, à partir de son mariage avec Mme veuve Chassériau, fille, sœur et nièce des trois Duval (7), une manière d’académie, un salon où passaient et repassaient, chaque semaine, les habitués de l’Arsenal, à commencer par la famille Nodier. On y dansait, on y faisait de la musique, on y disait des vers, et les clercs de l’étude étaient de toutes les fêtes. »

Ingres : 
Mme Guyet-Desfontaines
(musée Bonnat)
La personnalité d’Emma, les nombreuses lettres qu’elle a écrites, la notoriété de ses fréquentations, la réputation de son salon, forment un ensemble qui mérite plusieurs exposés particuliers sur cette femme, même si cette présentation oblige à séparer artificiellement la part de vie commune du couple, notamment leur vie mondaine et familiale. Ils feront l'objet d’articles à venir au premier semestre 2012 sur le présent site.

Guyet-Desfontaines perdit sa mère en avril 1833. Il se trouva alors à la tête d’une importante fortune, ayant recueilli l’héritage de ses parents et de sa demi-sœur. Voir notre article publié en juillet 2014 : La fin du domaine et du château de Linières. Il possédait le domaine de Linières (Vendée) bien sûr, mais aussi son étude de notaire, des fermes dans le marais vendéen et des immeubles à Paris.

Il va aider son beau-père, Amaury Duval. Celui-ci s’était porté caution pour son gendre, Adolphe Chassériau, quand ce dernier, quittant l’armée après Waterloo, s’était lancé dans une affaire d’édition de livres. Et à la date du 19 août 1836, M. Guyet-Desfontaines était créancier de M. Pineu Duval d’un capital de 29 116,09 F.

Les 10 et 30 octobre 1836, ce dernier dû vendre à son gendre la totalité de ses objets mobiliers, livres et gravures, moyennant le prix de 4 094 F. Sa dette se trouva ainsi réduite à 25 022,09 F. M. Duval signa ensuite les mêmes jours une reconnaissance de dette à son gendre pour ce dernier montant. Il fit une affectation hypothécaire pour la garantir, sur sa maison de campagne de Montrouge, laquelle était déjà grevée à cette date de privilèges et hypothèques pour une somme de 74 000 F au profit de divers créanciers, avec une délégation sur une compagnie mutuelle d’assurance. Autant dire que la garantie au profit de son gendre avait peu de valeur. En complément, il fit une délégation à M. Guyet-Desfontaines des sommes qui lui étaient dues : traitements et émoluments de l’Institut de France, pension de retraite, indemnité de logement (depuis qu’il avait quitté son logement de fonction du Quai Conti), et perception des loyers de la maison de Montrouge. Ces dispositions n’empêchèrent pas la dette du beau-père à l’égard du gendre d’augmenter. À sa mort elle s’élevait à 27 850,11 F.

M. Pineu Duval, comme membre de l’Institut de France, eu droit à une escorte d’honneur d’un détachement militaire (payé 50 F à l’État-major par son gendre) lors de son enterrement. Ses effets, linge, hardes, bijoux et autres objets servant à son usage personnel furent évalués après son décès à la modeste somme de 201 F. Dans l’inventaire de ces objets, on note deux petits anneaux en or, une croix d’officier de la légion d’honneur, une croix de chevalier de la légion d’honneur, et un costume de membre de l’Institut.

L’actif de sa succession ne fut pas calculé, car proche de zéro. Le passif s’éleva à 108 846,91 F (8). M. Guyet-Desfontaines dû intervenir après coup, mais la documentation nous manque pour savoir comment et de combien. On a seulement relevé qu’une main levée fut obtenue le 15 décembre 1838 sur une créance remontant à 1831, et gagée sur la maison de Montrouge (9).

Les écrits et papiers personnels de M. Pineu Duval ont été recueillis par son fils Amaury-Duval, peintre d’histoire. Ils se trouvent conservés avec ceux du peintre et ceux d’autres membres de la famille, dans la bibliothèque de la société Éduenne des lettres, sciences et arts, au musée Rolin de la ville d’Autun.     

Marcellin adopta la fille de son épouse, issue de son premier mariage, Isaure. Celle-ci avait 11 ans quand elle vint habiter chez son beau-père. Ce dernier l'a reçue et l’adopta comme sa propre fille, lui procurant les moyens d’une éducation d’un enfant de la haute société. Au jour de son mariage il la dota de 150 000 F.

Amaury-Duval : Isaure
Ses lettres personnelles où il a évoqué ses relations avec sa fille adoptive n’ont pas été conservées. Faute de mieux on se contentera de ses testaments. Les textes et leurs contenus sont intéressants à cet égard. Déjà dans un premier testament en 1833, près de 2 ans après son mariage, il donne un capital de 400 000 F et une rente de 18 000 F à sa jeune épouse, outre son mobilier. Ces legs iraient à la fille de sa femme, Isaure Chassériau, si Mme Guyet-Desfontaines venait à décéder avant lui. On voit ici à la fois l’importance du patrimoine, et la place occupée par cette petite fille dans sa vie (10).

Dans un testament rédigé à l’âge de 55 ans, on voit Guyet-Desfontaines préoccupé par Isaure. Il est daté du 31 janvier 1852, juste après la séparation de corps et de biens de sa fille, qu’il désigne comme un notaire et un grand-père à la fois : « ma chère fille, Charlotte Berthe Isaure Chassériau, épouse séparée de corps et de biens de M. Alfred de Brayer ». Il y fait de sa femme sa légataire universelle. Et dans un codicille c’est sa fille qui hériterait de tout, pour le cas où sa mère viendrait à mourir avant elle. Pour les biens meubles, il précise une réserve à l’intention de sa fille, bénéficiaire d’objets spéciaux. Et pour s’assurer que cette réserve est suffisante, il fixe à 150 000 F la valeur minimum de ses biens meubles, quitte, pour atteindre ce montant, à prendre sur ses biens immeubles. Cette réserve concerne tout le mobilier meublant qui garnit l’appartement de sa fille à Paris dans sa maison, aussi bien que celui qui se trouve dans la petite maison qu’elle occupe personnellement dans sa propriété de Marly. Sa fille conserve ainsi la pleine propriété de tous les meubles s’y trouvant, y compris ceux prêtés par ses parents.

Pour la totalité de ces biens immeubles, sa femme en a l’usufruit sa vie durant, et sa fille la nue-propriété, pour en recueillir la jouissance seulement après l’extinction de l’usufruit de sa mère. Ces biens rentreront naturellement sous l’empire des stipulations de son contrat de mariage aux termes duquel tous ses biens sont soumis au régime dotal. Ce rappel lui parait nécessaire après la dilapidation par Alfred de Brayer d’une partie de sa dot. Et il ajoute avec des mots touchants qu’il donne en plus à sa fille, une rente viagère annuelle de 6 000 F. Cette rente doit être dans sa totalité incessible et insaisissable.

Pour son petit-fils il a aussi des mots de tendresse d’un grand-père, et laisse à sa femme le soin de choisir « un petit souvenir spécial qu’il conservera en mémoire d’un grand-père qu’il a rendu si heureux ». Dans un codicille il suggère de lui donner sa bibliothèque (sauf quelques volumes à en détacher), et encore sa montre et le pupitre sur lequel il travaillait journellement depuis près de 30 ans. Dans un dernier codicille du 19 avril 1853, il ajoutera qu’en cas de décès de Mme de Brayer avant lui, toutes les dispositions contenues en sa faveur dans le testament et les codicilles, profiteront à son fils Marcel de Brayer. La santé de la mère devait déjà donner des signes d’inquiétudes au grand-père pour lui faire ajouter cette disposition. D’ailleurs elle mourra un an après.

Dans les autres codicilles, il met les points sur les « i » touchant les implications juridiques de ses dispositions testamentaires au regard du régime dotal du contrat de mariage de sa fille. On sent la méfiance envers le gendre, qui n’est que séparé de corps et de biens, mais dont le contrat de mariage existe toujours, le divorce n’existant pas à l’époque. D’ailleurs dans le premier codicille il nomme comme exécuteur testamentaire son notaire, Me Poumet, auquel il donne pour cela un « diamant » de 5 000 francs. Le mot désignait une gratification, apparemment utilisée pour les exécuteurs testamentaires, synonymes de « poignée de main », « épingles » ou « pot de vin » dans d’autres milieux de la société que celui des notaires parisiens.

Ce testament témoigne de ce qu’ont été les liens d’affection existant entre l’oncle, la nièce et la sœur depuis le temps de leur vie commune au Quai Conti. Puis ce noyau s’est élargi au mari fortuné Guyet-Desfontaines, et au petit-fils adoré Marcel de Brayer. 

Guyet-Desfontaines accueillit aussi le frère de son épouse, Amaury-Duval. Ce dernier avait son atelier de peintre et son domicile à Paris, mais cela ne plaisait pas à sa sœur Emma, une sorte de « mère poule ». Avec l’accord de son mari, Emma réussit à faire revenir habiter son frère chez eux. Ils avaient beaucoup d’amis communs dans le monde des arts. À titre d’exemple, on relève que l’étude de Guyet-Desfontaines était au nombre des trois études de notaires qui recueillirent des dons au bénéfice des incendiés du théâtre de la Gaîté du 21 février 1835 (11).

Ce fut une famille unie, y compris dans les difficultés, tous amis des arts, sinon artistes eux-mêmes. Après Joseph Guyet, propriétaire de 1800 à 1830, les trois propriétaires qui se sont succédés à Linières sont : M et Mme Guyet-Desfontaines (de 1830 à 1868), Marcel de Brayer, leur petit-fils (de 1868 à 1875) et Amaury-Duval (de 1875 à 1885), le grand-oncle du petit Marcel, et frère de Mme Guyet-Desfontaines.

Bayard : Amaury-Duval
L’histoire personnelle de chacun d’eux est intimement liée à celle des autres. Ils appartiennent tous à une même famille très unie par de forts sentiments. C’est ce qui explique que l’universitaire Véronique Noël-Bouton-Rollet, centrée dans ses recherches pour sa thèse de doctorat sur l’homme Amaury-Duval et sur son œuvre, s’est intéressée naturellement à ses proches : M. et Mme Guyet-Desfontaines, leur fille Isaure de Brayer et leur petit-fils Marcel de Brayer.

Aussi nous devons souligner dès maintenant la place éminente de Marcellin Guyet-Desfontaines parmi les membres de cette famille, y compris pour sa belle-fille et pour son beau-frère. Elle va au-delà de l’épaisseur de son porte-monnaie. Il est l’exemple même d’un homme de cœur et aussi du service que peut rendre l’argent qu’on a.

Le premier domicile de Guyet-Desfontaines au moment de son mariage est celui de son étude notariale rue du Faubourg-Poissonnière. Rapidement il emménagera au no 36 de la rue Anjou-Saint-Honoré. C’était un immeuble datant du XVIIIe siècle, détruit en 1861 lors du prolongement du boulevard Malesherbes et situé à la place de l’actuel No 28. Talleyrand a habité au no 35 (12). Plus tard Guyet-Desfontaines habita au no 13 rue de la rue de Tivoli, devenue ensuite rue d’Athènes.

Voyages, Marly, les arts et le théâtre


Avec son épouse ils voyagèrent beaucoup, découvrant l’Italie, notamment Venise, l’Allemagne et la vallée du Rhin, la Suisse, la Hollande, l’Angleterre, où ils continuaient de fréquenter des amis des Duval, les Heath. À ce propos nous avons dû constater avec un certain étonnement la crainte engendrée à l’époque par les voyages, même en Europe, liée il est vrai aux risques de mortalité du temps. Nous la voyons chez Guyet-Desfontaines, ayant de la peine à le croire craintif de tempérament, quand il rédige son testament à l’âge de 36 ans. Il y écrit que son geste est motivé par un petit voyage qu’il s’apprête à faire, et dont il espère revenir « sain et sauf ».  D’ailleurs son épouse, âgée alors de deux ans de moins que lui, fit de même son propre testament ! (13).

Ils découvrirent les bains de mer, dont la mode a été lancée à leur époque. Un auteur écrivit en effet en 1843 qu’aux Sables-d’Olonne des baigneurs se donnaient rendez-vous sur la plage dans les années 1840 (14). Guyet-Desfontaines et son épouse choisirent un endroit pas trop éloigné de Paris : Étretat sur le rivage de la Manche. 

Ils eurent leur résidence de campagne aussi, délaissant Montrouge pour rester proches de leurs amis installés dans l’Ouest parisien. Ce fut un pavillon, loué semble-t-il dès 1835, à Luciennes (devenu Louveciennes). Le peintre Roqueplan a exposé au salon de 1856 une vue « du pavillon de Louveciennes, prise des hauteurs de Marly et appartenant à Guyet-Desfontaines. » (15)

En 1847 Guyet-Desfontaines achète un château à Marly-le-Roi, à côté de Luciennes. Aujourd’hui disparue, la propriété était située à proximité de celle de la comédienne Rachel, dont le terrain est actuellement occupé par des lycées, à l’orée du parc royal et de l’Abreuvoir. Le chemin de fer de la gare Saint-Lazare à Saint-Germain-en-Laye avait été inauguré en 1837 et son trajet durait 25 minutes. On était proche de la gare de Saint-Germain. 

Dans son livre, Les environs de Paris (1856), Adolphe Joanne écrit : « De la place de l’Eglise (Marly), sur laquelle on remarque une belle maison de campagne, appartenant à M. Guyet-Desfontaines, on atteint en deux ou trois minutes une porte qui donne accès dans la forêt ». Le village de Marly, alors une commune de 1200 habitants, est bâti sur un promontoire dominant d’environ 150 m la Seine, proche. Le château, ou villa "les Délices", a disparu aujourd’hui. Depuis 1830, de nombreuses personnalités s'installèrent à Marly : Geneviève Lambert de Sainte-Olive, veuve du baron Guillaume Dupuytren, Charles Duveyrier dit "Mélesville", Rachel. Alexandre Dumas habitait à Saint-Germain, tout à côté (16).

Villa "Les Délices" à Marly le Roy
À Marly, Guyet-Desfontaines put aussi cultiver, si l'on peut dire, une autre de ses passions : l’horticulture. Ses compétences le font admettre comme membre de la Société d’Acclimatation pour la protection de la nature, dans sa séance du 11 mai 1855 (17). Il engagea du personnel pour entretenir les jardins et les serres, sous les ordres d’un jardinier en chef, Jean Aimé Lesueur (1815-1897). Ce dernier a travaillé ensuite à Boulogne pour le grand parc Rothschild (parc James) (18). Guyet-Desfontaines s’est tellement plu à Marly qu’à partir de la fin des années 1840, il préférait y rester le plus possible plutôt que de retourner à Paris. C’est sans surprise qu’on note sa nomination de maire de Marly-le-Roi du 26 juin 1849 au 4 janvier 1852. Il fut élu conseiller général de la Seine-et-Oise. Les courtes biographies de lui, qui indiquent qu’après avoir perdu les élections législatives de 1848 il s’est « retiré sur ses terres en Vendée », ne sont pas exactes sur ce point.

Marly fut aussi le lieu privilégié d’une passion qu’il partagea avec sa femme : le théâtre. Mais dans le couple, le rôle principal en ce domaine était tenu par elle et nous l’évoquerons à son sujet. On peut cependant noter qu’en pleine Révolution de 1848, l’amour du théâtre et sa réputation en ce domaine, font nommer pour un temps Guyet-Desfontaines membre de la commission devant décider du choix du nouveau commissaire du gouvernement à la Comédie Française. Celle-ci venait de faire elle aussi sa révolution en acclamant le gouvernement républicain et en faisant déclamer La Marseillaise par Mlle Rachel, célèbre comédienne et amie proche des Guyet-Desfontaines. On y célébrait aussi la suppression de la censure sur ses activités et la dissolution de la commission de surveillance du théâtre. En lui confiant cette courte mission, les républicains victorieux de 1848 signifiaient que Guyet-Desfontaines n’était pas un de leurs ennemis politiques.

La politique


La grande passion de Guyet-Desfontaines, en dehors des arts, ce fut la politique.

Il était partisan du nouveau régime de la Monarchie de Juillet. En digne membre de la famille Guyet, Marcellin Guyet-Desfontaines avait applaudi au renversement de la branche aîné des Bourbons. Le nouveau régime avait besoin de gagner à sa cause la circonscription législative des Herbiers en Vendée, où se trouvait Linières sur la commune de Chauché. Elle était représentée par un député légitimiste, ennemi du nouveau régime, Gabriel du Chaffault. À l’époque la fonction de député n’était pas rémunérée, mais Guyet-Desfontaines possédait précisément une fortune suffisante pour lui permettre de se consacrer à cette fonction. 

Par lettre du 1e décembre 1835, l’année d’après sa première élection de député, adressée au roi, Guyet-Desfontaines démissionna de ses fonctions de notaire, en faveur de Me Poumet. Il lui avait vendue son étude pour 380 000 F. L’état des 10 dernières années d’activité compte 3380 brevets et 4486 minutes, soit 7 866 actes correspondant à 68 386,22 F de droits d’enregistrement (19). C’est un peu moins que les 10 années précédentes, peut-être à cause d’un temps trop souvent consacré aux arts par le notaire. Il vécut ensuite des rentes procurées par son important patrimoine.

Il devint député de la Vendée de 1834 à 1848. Son activité de parlementaire est décrite dans mon livre, Les châtelains de Linières à Saint-André-Goule-d’Oie, et ses campagnes électorales auprès de ses électeurs ont déjà fait l’objet d’un article spécial sur le présent site,  publié en novembre 2010 : .Le candidat Guyet-Desfontaines aux élections législatives en Vendée (1834-1849).

J. A. Barre : Guyet-Desfontaines
Pour sa participation à ces élections, Marcellin avait son pied à terre aux Herbiers, au château du Bignon, chez un frère de son père, Louis René Guyet (1776-1853). Le manoir du Bignon avait été acquis en 1828 par cet oncle à la famille des vicomtes de Rouault. Le nouveau propriétaire avait entrepris de remanier le pavillon central et sa façade du XVIIe, en ramenant des pierres taillées de l'abbaye de la Grainetière. Voici ce que Louis Guyet écrivait à son neveu, député de la Vendée le 5 avril 1844, parmi des nouvelles diverses des amis et membres de la famille : « Je t’annoncerai que j’ai reçu en apparence bien conditionné deux paniers de vin de champagne (20). À ton prochain voyage dans notre bocage, et lors de ton séjour au Bignon nous nous assurerons si l’intéressé est en aussi bon état, en attendant reçois mes remerciements… Aurais-je le plaisir cette année d’embrasser les bonnes joues dodues de ma nièce. Dis-lui en attendant que je te charge de lui donner un compte de baisers » Et puis il y a toujours les inévitables « pistons » demandés au député : « Timoléon a écrit à A. Guyet pour son frère Adolphe : aura-t-il l’espoir d’être placé ? C’est un jeune homme qui par son âge, la raison de son avancée, est bien longtemps à obtenir un léger avancement. »

Son engagement chez les libéraux conduira, on le sait, Guyet-Desfontaines à participer aux évènements qui préparèrent la Révolution de 1848, mais il n’était pas pour autant du camp des républicains. Il restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie à la famille d’Orléans, lui rendant visite dans son exil londonien. On a un texte du petit-fils de son épouse (issu du premier mariage de celle-ci), Marcel de Brayer, à l’âge de 9 ans, rendant visite à la reine en 1851 à Claremont dans la banlieue de Londres, emmené par ses grands-parents.

À Marly-le-Roi, Guyet-Desfontaines utilisa les fonds recueillis par ses soins lors des spectacles privés qu’il organisait dans sa propriété, pour les donner à sa commune dont il fut le maire de 1849 à 1851, à la charge pour celle-ci d’assurer des secours pour les indigents. Et si à Saint-André-Goule-d’Oie on construisait des routes, à Marly le maire perçait de nouvelles rues. Guyet-Desfontaines mis de l’ordre dans les concessions privées des eaux provenant de la machine de Marly. Il a sauvegardé aussi le service de voiture entre Marly et la gare de Saint-Germain, récemment ouvert. Il avait été élu maire par le conseil municipal le 26 juin 1849 par 10 voix sur 11. Il fut aussi élu au conseil général de l’ancien département de la Seine-et-Oise. Il présida son dernier conseil municipal le 18 novembre 1851. Puis il démissionna après le coup d’État du 2 décembre suivant du président de la République se proclamant empereur avec le nom de Napoléon III. Il ne l’aimait pas. De toute façon, la nouvelle loi électorale, qui exigeait une durée de 3 ans (au lieu de 6 mois) de résidence dans la commune, entraînait sa radiation de la liste des électeurs de sa commune. Son changement d’adresse était trop récent (21).

Sa résidence de Marly s’est transformée en résidence principale dans les années 1855/1856. En effet, son hôtel particulier de la rue d’Anjou Saint-Honoré a été détruit en 1861, lors du prolongement du boulevard Malesherbes à Paris. On sait aussi qu’en 1854 il louait une maison rue Duphot à Paris (22), et qu’au moins dès 1855, Guyet-Desfontaines habita dans une maison achetée, située au no 13 de la rue de Tivoli, devenue ensuite rue d’Athènes. Marly a dû constituer un havre de paix, loin des travaux dans Paris et des embarras du déménagement.

Marcellin Benjamin Guyet-Desfontaines est mort à l’âge de soixante ans le 22 avril 1857. La Revue de Bretagne et de Vendée écrit après sa mort : « De son côté le département de la Vendée a perdu récemment deux de ses anciens députés, M. Guyet-Desfontaines et M. Isambert. M. Guyet-Desfontaines était un homme aimable, un homme d’esprit et de talent, et qui savait faire d’une belle fortune un heureux usage : député de la Vendée de 1834 à 1848, puis membre du conseil général de Seine et Oise et maire de Marly le Roi jusqu’en 1851, il est mort à Paris le 22 avril dernier, une huitaine de jours après M. Isambert » (23). La revue, marquée à droite, a salué l’homme au-delà de ses convictions politiques qu’elle ne partageait pas.


(1) Journal L’ami de la Religion et du Roi (1860), page 25.
(2) Lacaine et Laurent, Biographies et nécrologies des hommes marquants du XIXe siècle, tome 7, 1844-66, extrait copié dans les archives privées Fitzhebert (dossier no 11).
(3) Certificat d’exemption du service militaire de Guyet-Desfontaines du 19 mars 1819, archives privées Fitzhebert (dossier no 3).
(4) Dossier de nomination de Guyet-Desfontaines aux fonctions de notaire à Paris, Archives privées Fitzhebert (dossier no 3).
(5) Amaury-Duval, Souvenirs (1829-1830), Plon (1885), page 251.
(6) Nouvelle de France Info du 19 août 2021.
(7) Amaury le père (membre de l’académie des Inscriptions et Belles lettres, écrivain et ancien directeur des Beaux-arts sous Napoléon), Amaury-Duval le frère (peintre reconnu de l’école classique), Alexandre l’oncle (membre de l’académie française, dramaturge à la mode).
(8) Inventaire après le décès de M. Amaury Duval du 19 novembre 1838, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/776.
(9) Main levée du 15-12-1838 par Mme veuve Boulé au profit de M. Amaury Duval, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/776.
(10) Actes testamentaires de Marcellin Guyet-Desfontaine, Archives nationales, études notariales de Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/850. 
(11) Journal l’Indépendant du 26-2-1835.
(12) A. Castelot, Talleyrand ou le cynisme, Perrin (1980), pages 205 et 353.
(13) Idem (10).
(14) E. de Monbail, Notes et croquis sur la Vendée, réimpression en 1978 par Laffitte Reprints de l’édition de 1843, page 154.
(15) Revue universelle des arts 1855 T2, page 82.
(16) Nous avons cité les noms d’amis des Guyet-Desfontaines seulement.
(17) Bulletin de la Société d’Acclimatation pour la protection de la nature (juin 1855).
(18) Lettre de Denis Lesueur, un descendant rencontré sur le web (novembre 2010).
(19) Dossier de démission de Guyet-Desfontaines aux fonctions de notaire à Paris, Archives privées Fitzhebert, (dossier no 4).
(20) Le nombre de bouteilles dans un panier a varié avec les époques. Dans ces années 1840 la technique du bouchonnage des bouteilles de vin de champagne avait fait des progrès avec les capsules.
(21) Emmanuel François, Marcellin Guyet-Desfontaines maire de Marly-le-Roi de 1849 à 1851, dans la revue de la « Société historique, archéologique et artistique du Vieux Marly », 2015, page 69 et s.
(22) Inventaire du 29 mai 1854 après le décès de Mme de Brayer, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV 839.
(23) La Revue de Bretagne et de Vendée (Tome 1-Nantes-1857, numérisé au Harvard college library).

Emmanuel François, tous droits réservés
Octobre 2011, complété en août 2021

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lundi 19 septembre 2011

La rencontre de Marcellin Guyet-Desfontaines et d’Emma Chassériau

Guyet-Desfontaines et son épouse Emma furent propriétaires de Linières de 1830 à 1868. Emma Pineu-Duval s’était mariée à l’âge de 18 ans avec un officier, Adolphe Chassériau. Ce dernier venait de quitter l’armée après la défaire de Waterloo et la Restauration monarchique qui l’a suivie. Il s’était lancé dans une affaire de librairie et d’édition mais il fit faillite. Pour refaire fortune il partit en Amérique du Sud, laissant femme et enfant seuls à Paris. Il est mort à Caracas en 1828.

Académie au quai Conti
Ainsi abandonnée, Emma Chassériau est venue habiter chez son père en 1824, quai Conti. Celui-ci, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles lettres, y avait un logement de fonction. Elle y retrouva son jeune frère, devenu depuis le peintre Amaury-Duval, plus jeune qu’elle de 9 ans. Elle avait 29 ans quand elle devint veuve.

Sans ressources, son père étant dans la gêne car il s’était porté caution des créances de son gendre, Emma Chassériau fit face avec courage à sa situation, multipliant ce qu’on appelle aujourd’hui les petits boulots. Elle exécuta des travaux de secrétariat pour Adolphe Thiers, elle confectionna des bourses en filet de soie et des sacs pour dames, vendus auprès d’amis et par un marchand du palais royal, elle donna des cours de chants et de musique. Ce qui ne l’empêchait pas, de temps en temps, de sortir au théâtre (quand elle recevait un billet d’invitation) et de fréquenter les salons de Sophie Gay (une amie de sa mère dont elle était sa filleule) et de Charles Nodier. Elle recevait des amis aussi chez elle, quai Conti, où bientôt, elle eut ses réceptions où se retrouvaient nombre d’artistes.

Devenue veuve, les prétendants ne se firent pas attendre. Au mois de janvier 1829, elle écrit à son frère : « T’avais-je dit que M. Decomberousse devait me présenter le petit de B…, et devait le présenter comme prétendant ? Eh bien ! il est venu mardi. De ta vie tu ne verras un costume pareil : pantalon collant, bas de dentelle, brillants tout le long de sa chemise ; serré à étouffer, vu qu’il est horriblement gros ; claque à la main, chaîne de montre, chaîne de lorgnon, bague à tous les doigts…Enfin, inouï. Il a fait révolution. Tout ce qu’il a dit a répondu à son costume. Associé d’agent de change il n’a parlé que de sa caisse et de rentes ; il m’a offert du jus de réglisse dans une petite bonbonnière en or…Me vois-tu la femme d’un homme comme cela ? C’est que je lui plais excessivement. »

Son frère est en Grèce et au mois de mai suivant, elle lui écrit à nouveau : « L’excellente madame D… va bientôt retourner à Tours ; en la perdant, je vais perdre beaucoup. Est-ce qu’elle ne veut pas me faire épouser un prince ! Me vois-t-tu princesse ? Ma foi ! Cela amuserait. Delphine Gay aussi veut me marier à M. E. de G…. (1) Elle me le vante, elle m’en parle et reparle : si bien qu’il vient chez moi, que je reçois son journal, et tous les livres qui paraissent. »

Deux jours plus tard, dans une nouvelle lettre elle revient sur le sujet : « Maintenant, je te demanderai un mari, puisque tu trouves tant de bonnes choses en Grèce, mais un mari français, bien aimable, bien riche, bien spirituel, bien bon, bien fait, qui comprenne toutes mes folies, et qui m’aime surtout ».

Emma Chassériau fréquentait un oncle, Isidore Guyet, qui avait épousé Félicité Tardy, une sœur de sa mère. Le père d’Emma avait aidé son beau-frère avec des collaborations au journal de La Décade philosophique autrefois, dont il était un des fondateurs. L’oncle était maintenant journaliste au Courrier Français, après être revenu d’un exil à Bruxelles en raison de ses opinions politiques (c’était un opposant aux royalistes et aux Bourbons). Contre la majorité des journalistes de l’époque, c’était un homme cultivé et instruit. Il avait notamment réalisé une bonne édition de Voltaire.

Le père de cet oncle, originaire de Saint-Fulgent, avait été le frère de Simon Guyet, le maître de poste de Saint-Fulgent, le républicain massacré le 14 mars 1793 à Saint-Vincent-Sterlanges par les royalistes. Ce dernier était aussi le grand-père de Marcellin Guyet-Desfontaines, qui allait bientôt hériter du domaine de Linières.

Nous connaissons la suite, le dénouement ne fut pas long chez son oncle par alliance, Isidore Guyet, où Emma Chassériau rencontra Marcellin Guyet-Desfontaines. Écrivant ses souvenirs à Linières dans les années 1880, Amaury-Duval apporte la précision suivante sur la rencontre de sa sœur et de son beau-frère : « aimable homme, spirituel, qui fut touché du récit de cette courageuse existence, aussi de la grâce et du charme que ma sœur possédait encore. Elle n’avait que trente-deux ans. Un amour très vif succéda à l’admiration, et, en 1832, Guyet-Desfontaines mit aux pieds de Madame Chassériau sa brillante fortune. » Tout est dit dans ces quelques lignes. D’abord le souci de la précision et de la vérité de l’auteur, écartant toute emphase, s’effaçant pudiquement derrière son sujet, loin de toute attitude romantique. Sa sensibilité aussi, pour énumérer d’un mot les qualités et les sentiments des protagonistes. Un style dépouillé et sensible, c’est tout l’homme Amaury-Duval. Et qui en dit beaucoup sur la naissance de cet amour. Quand Marcellin rencontre le sourire d’Emma et la vivacité de son regard, il est touché aussi du courage de la jeune veuve abandonnée et dans le besoin. C’est dans son âme qu’un être humain puise son énergie et sa force, on le sait. Chez une femme avec plus d’évidence. Or dans le cœur de Marcellin est gravée une histoire de femme courageuse. Celle de sa mère dans la virée de galerne et parmi les condamné(e)s aux noyades à Nantes.

En 1840, l’historien Jacques Crétineau-Joly, publiera son Histoire de la Vendée militaire en quatre volumes. Il y consacrera une page sur l’histoire de l’ex dame de Linières, sauvée des noyades de Nantes, indiquant que son fils est maintenant député de la Vendée.

Le mariage de Marcellin Guyet-Desfontaines et d’Emma Pineu Duval, veuve Chassériau fit l'objet d'un contrat devant notaire le 21 décembre 1831 (2). Il eut lieu en mairie le 26 décembre 1831 (3).


Adolphe Thiers
Parmi les félicitations reçues par la mariée, nous avons une lettre de Thiers, l’un des hommes politiques parmi les plus marquants du XIXe siècle (4), intéressante à reproduire. Emma connaissait Adolphe Thiers avant que son futur mari, député de Vendée, n’aille le soutenir à la chambre des députés quand il était chef du gouvernement : « Je vous assure qu’au milieu des tourments, des soucis de mille espèces, dont je suis assailli, votre bonheur m’a ému, et réjoui le cœur… Ma satisfaction a été réelle, je l’ai ressentie comme on ressent un bien qui vous est personnel. Si peu d’entre nous, vieux amis que nous sommes, si peu sont heureux, que c’est une fête de régiment quand il y en a un qui arrive au port ! J’irai dîner chez vous mercredi soir. Si je ne suis pas dans l’erreur sur le jour, en tout cas rectifiez ma mémoire. Adieu, soyez heureux, vous me ferez un grand plaisir. Faites agréer mes vœux à votre mari, qui a prouvé en vous choisissant, qu’il vous valait, et ce n’est pas peu de chose.
A. Thiers »

Entrons maintenant dans les aspects matériels de cette rencontre de M. et Mme Guyet-Desfontaines, avec les dossiers des notaires de Paris conservés aux Archives nationales (5). Au moment du décès de sa femme en 1823, le père d’Emma était débiteur de créances hypothécaires sur sa maison de Montrouge pour un montant de 69 400 F. Une partie de ces hypothèques avait concerné M. Chassériau son gendre, mais l’état de la liquidation de ce dernier ne lui laissait espérer qu’un très faible recouvrement de la caution. M. Duval touchait une pension de retraite de l’État de 3 427 F (valeur en 1838). Il dû aussi percevoir des droits d’auteur pour ses livres et ses articles publiés. Nous ne connaissons pas leurs valeurs, mais il est probable que ces revenus irréguliers étaient bien faibles au regard de ses dettes.

Lors de son second mariage avec M. Guyet-Desfontaines, Emma Pineu Duval ne possédait que son trousseau, et son père avait donc beaucoup de dettes. Le contrat de mariage, signé le 21 décembre 1831, prévit la séparation de biens entre les époux. Et Emma Duval ne reçut pas alors de dot de la part de son père, celui-ci n’en ayant pas la capacité. 

Après le mariage, Guyet-Desfontaines, il est vrai fort riche, suppléa aux réclamations des créanciers de M. Pineu Duval. Il fit des avances et paiements pour ce dernier, et prit même le vieil homme chez lui, âgé de plus de 70 ans, qui mourut le 12 novembre 1838. Le portier de l’hôtel lui appartenant avait été mis à la disposition du vieillard. C’est ainsi qu’à la date du 19 août 1836, M. Guyet-Desfontaines était créancier de M. Pineu Duval d’un capital de 29 116,09 F. On comprend mieux maintenant pourquoi la jeune veuve écrivait à son frère qu’elle voulait un mari « bien aimable, bien riche …. ».

Et puis il y avait la petite fille, Isaure Chassériau, âgé de 11 ans au moment du remariage de sa mère. Le décès d’Adolphe Chassériau à Caracas en 1828, a donné lieu à l’ouverture de la tutelle naturelle et légale de sa fille, par sa mère. De plus, il a été procédé à Paris à l’inventaire après le décès de M. Chassériau par Me Chaulin et son collègue, notaires à Paris, le 4 mai 1829, à la requête de sa veuve, ayant agi à cause de ses intérêts nés de la communauté de biens entre elle et son défunt mari, aussi en qualité de tutrice naturelle et légale de sa fille, et enfin comme ayant la jouissance légale des biens de celle-ci jusqu’à ce qu’elle fut émancipée ou qu’elle eut atteint sa 18e année. Étaient présents à cet inventaire un avocat, M. Petit d’Hauterive, subrogé tuteur d’Isaure Chassériau, et l’oncle Isidore Guyet, conseil spécial de la tutrice (marié à une sœur de la mère d’Emma Pineu Duval). Ils avaient été nommés en conseil de famille sous la présidence du juge de paix du 10e arrondissement le 10 mars 1829.

Lors de cet inventaire de la succession, la veuve habitait à Paris chez M. Duval son père, et le mobilier inventorié n’a consisté qu’en quelques objets, linge et hardes à l’usage personnel de la jeune femme, estimés à 402 F. On constata que M. Chassériau aurait dû toucher en 1820 sa part (un quart) dans la succession de sa tante, Marie Jeanne Bertin, pour un montant de 36 384,87 F. Mais le fondé de pouvoir des héritiers de la demoiselle Bertin n’avait toujours pas pu apurer les comptes. Il y avait bien aussi une société de commerce de librairie et d’impression, constituée par M. Chassériau avec un associé nommé M. Devismes, et dont le siège devait être à Carthagène ou toute autre ville de la Colombie. Mais on n’avait pas de nouvelles de l’associé, et on doutait de l’importance de son actif. Tout juste était-on sûr des arrérages échus alors depuis 4 ans environ en 1829, de la pension dont jouissait M. Chassériau sur le fonds de la légion d’honneur, et pouvant s’élever à 1 000 F.

Avant la célébration de son mariage avec M. Guyet-Desfontaines, Mme Emma Duval convoqua la veille le conseil de famille de sa fille mineure, le 20 décembre 1831, présidé par le juge de paix du 10e arrondissement de Paris. Le conseil décida son maintien dans la tutelle de sa fille, ce qui était une décision juridiquement nécessaire à cause de son remariage. Il nomma en même temps M. Guyet-Desfontaines comme cotuteur à cause du futur mariage le lendemain 21 décembre 1831. Par la même délibération l’hypothèque légale de mademoiselle Chassériau, eu égard à la cotutelle de M. Guyet-Desfontaines, a été restreinte sur le château de Linières et « deux métairies contiguës dont les bâtiments sont attenants à la cour du château ». Pour tous les autres immeubles, M. Guyet-Desfontaines en a été affranchi. Enfin la tutelle et la cotutelle ont été complétées par le maintien d’un subrogé tuteur provisoire en la personne de M. Louis Henri Arthur Chassériau, attendu l’absence de M. Petit d’Hauterive, subrogé tuteur en titre (6).

(1) Émile de Girardin, patron de presse, qui épousera bientôt Delphine Gay, la fille de Sophie !
(2) Inventaire après le décès de M. Amaury Duval du 19 novembre 1838, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/776.
(3) Mariage de Guyet-Desfontaines et Emma Pineu Duval du 26-12-1831, Archives privées Fitzhebert (dossier no 10).
(4) Sous la Monarchie de juillet il fut député, souvent ministre et deux fois chef du gouvernement. Il fut député d’opposition après un bref exil sous Napoléon III. Après la défaite de 1871, il fut désigné comme chef du gouvernement pour négocier avec les Prussiens. Il a été alors le premier président de la IIIe République.
(5) Idem (2).
(6) Tutelle et dot d’Isaure Chassériau, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/791.

Emmanuel François, tous droits réservés
Septembre 2011, complété en septembre 2017

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