lundi 2 janvier 2017

Les persécutions religieuses dans le canton de Saint-Fulgent (1796-1799)

La guerre de Vendée s’est-elle achevée en mars 1796 avec la capture de Charette par le général Travot ? Dans la suite, les autorités ont maintenu leur présence dans le canton de Saint-Fulgent grâce à l’armée. C’est dire que la pacification, exclusivement militaire, n’était pas achevée. Les soubresauts de révoltes en 1799 en sont un signe.

Nous avons décrit l’histoire de la municipalité de Saint-André-Goule-d’Oie et du canton de Saint-Fulgent entre 1796 et 1799, dans notre article publié sur ce site en juillet 2010 : Les agents communaux Fluzeau (1796-1797) et Bordron (1797-1799). Le mois dernier nous avons évoqué les difficultés rencontrées dans la collecte des impôts pendant cette période : Les nouveaux impôts à St André Goule d’Oie en 1796. Nous nous proposons maintenant de décrire, toujours à la même époque, les persécutions religieuses dans la paroisse de Saint-André et le canton de Saint-Fulgent.

Une situation de tolérance en juillet 1796


En février 1795, les deux camps ennemis s’étaient entendus au traité de la Jaunaye pour mettre fin à la guerre civile. Les enjeux de cette dernière dépassaient les capacités politiques des signataires du traité, et les combats reprirent, rompus de part et d’autre. La radicalité du processus révolutionnaire aboutissait pour tout le monde à un dilemme insoluble, une impasse où s’enfermaient les meilleures intelligences, comme dans un problème mal posé : le retour à l’ordre ancien ou la sauvegarde de l’ordre nouveau. Il faudra attendre Bonaparte pour sortir de cette impasse politique.

En 1795/1796, côté républicain, les généraux Hoche et Travot purent et surent agir en militaires efficaces et en politiques habiles, offrant l’arrêt des combats et finissant par l’imposer. Ils promirent de fermer les yeux sur l’activité clandestine des prêtres ayant refusé de prêter le fameux serment à la constitution civile du clergé. Côté royaliste, Charette ne se battait plus que pour l’honneur, abandonné par les frères du roi guillotiné, dans la région comprenant la commune de Saint-André-Goule-d’Oie. Stofflet en faisant autant dans la région de Cholet.

Mgr Jean Brumault de Beauregard
Mgr Marie-Charles Isidore de Mercy

En août 1795, eut lieu le synode diocésain du Poiré organisé par le vicaire général du diocèse de Luçon, l'abbé Jean Brumault de Beauregard, par délégation de monseigneur de Mercy, évêque de Luçon en exil (1). Il a réuni l'ensemble du clergé vendéen réfractaire au Poiré-Sur-Vie. Les 6 paroisses du canton de Saint-Fulgent y étaient représentées en la personne de leurs curés réfractaires à la constitution civile du clergé pour trois d’entre elles : Saint-André (Allain), Chavagnes (Remaud), la Rabatelière (Guédon de la Poupardière). Le curé de Saint-Fulgent était mort en déportation, mais son vicaire était présent (Brillaud). Le curé de Bazoges était mort dans la Virée de Galerne, remplacé par son vicaire (Brenugat). Enfin à Chauché le curé assermenté avait été chassé par ses paroissiens, et un prête réfractaire, Guyard, le remplaçait. Ces six prêtres ne devaient leur survie depuis juillet 1792 qu’à l’aide de la population qui les cachait. Ils avaient pratiqué le culte de manière clandestine pendant les combats et opérations d’extermination de 1793/1794. À Saint-André on a relevé que le village de la Maigrière a ainsi servi de cachette au moins au vicaire Brillaud.  

En 1796 les insurgés de la région de Saint-André-Goule-d’Oie étaient, comme ailleurs, décimés, ruinés et battus. Ils aspiraient à la paix à tout prix, déjà un peu avant la disparition de Charette. La misère était générale dans un pays exsangue (ponts et maisons détruits, attaques des loups, de bandits, etc.). La plupart des prêtres avaient prêché le dépôt des armes, et un sentiment de défaite paralysait les âmes.

Le curé de Saint-André-Goule-d’Oie était revenu vivre à la vue de tous dans son presbytère, avec l’assentiment de Hoche semble-t-il. En 1795 il acheta des bestiaux pour les affermer à ses anciens métayers de Fondion, cette métairie ayant été vendue comme bien national. Nous en reparlerons. Il gageait même une bonne, Marie Gaboriau, ancienne domestique chez le notaire de Saint-Fulgent, à la date du 31 août 1796 (2).

Pour obtenir l’arrêt des combats, il avait fallu promettre aux insurgés que les prêtres réfractaires auraient la vie sauve. Une fois l’objectif atteint, la promesse d’un général serait-elle tenue ? La question s’est posée d’autant plus qu’on voulut mette fin à l’état de siège le plus vite possible, pour installer à la place une administration civile normale, en application de la loi constitutionnelle du Directoire, dite de l’an 3.

Comme nous l’avons déjà raconté, cette installation s’est appuyée dans la région sur des républicains de conviction, très peu nombreux, augmentés de quelques acheteurs de biens nationaux et autres obligés. Les fonctionnaires locaux avaient été choisis spécialement parmi eux de Paris par le gouvernement. De plus, ils étaient très étroitement contrôlés par l’administration départementale de Fontenay-le-Comte. Le premier commissaire exécutif du canton de Saint-Fulgent avait été Louis Merlet, installé en juillet 1796. Accusé d’indélicatesse financière, il céda sa place en avril 1798 à Étienne Benjamin Martineau. Celui-ci démissionna en juin 1799 pour raisons personnelles, mais ne fut pas remplacé. Ces quelques républicains ne tenaient que grâce à la présence de l’armée. Ils avaient conscience de leur situation fragile, et ils avaient peur de la population. Ainsi, à l’ombre des fusils, chacun des deux camps avait peur de l’autre.

Les autorités allaient-elles continuer à fermer les yeux sur la pratique religieuse des habitants avec leurs prêtres réfractaires ? Ou bien, rompant avec la tolérance au temps de l’état de siège des généraux Hoche et Travot, allaient-elles vouloir revenir à l’application rigoureuse des lois anti religieuses en vigueur ? Telle était une des questions centrales qui se posait à elles ?

Modus vivendi maintenu de juillet 1796 à août 1797


Louis Merlet, marchand de profession, a été nommé commissaire du directoire exécutif près l’administration municipale du canton de Saint-Fulgent le 6 juillet 1796, par l’administration du département de la Vendée. Il possédait la réalité du pouvoir, mais à côté de lui se trouvait un président élu de cette administration municipale, Aubin, puis Martineau. Les communes avaient perdu leur autonomie, dirigées par des agents élus chaque année, mais ceux-ci placés sous les ordres du commissaire cantonal. Louis Merlet devait écrire toutes les décades au moins (période de 10 jours) au commissaire du département, pour lui rendre compte de la situation dans le canton et des problèmes rencontrés. Il s’agissait de surveiller une reprise éventuelle de la révolte. Si on avait vaincu par la répression, on savait bien que les convictions demeuraient intactes dans la population.

Au cours de la réunion décadaire de la municipalité du canton du 8 juillet 1796, les agents des communes de la Rabatelière, Bazoges et Chauché ont dit que leurs prêtres étaient prêts de rendre le dernier serment exigé. L’agent de Chavagnes a indiqué qu’il y aurait un soulèvement si on le demandait. Son curé a dit qu’il obéissait aux lois, mais sans prêter le serment. Celui de Saint-André-Goule-d’Oie a pris la même position. Ces deux prêtres affirmaient posséder une lettre du général républicain Hoche qui les dispensait de faire le serment. Prudent, Merlet demanda au président de l’administration municipale d’ajourner la réunion des prêtres prévue pour le serment exigé, et se tourna vers son chef à Fontenay pour connaître la conduite à tenir (3).

Rappelons que selon la loi du 11 prairial an 3 (mai 1795), les prêtres ne pouvaient pas exercer le culte dans les églises non aliénées (elles étaient biens nationaux), sans avoir fait acte de soumission aux lois de la République devant la municipalité du lieu. En fait le texte fut peu suivi d’effet, et c’est pourquoi le Directoire publia un nouveau décret du 7 vendémiaire an 4 (septembre 1795), exigeant des prêtres le serment suivant, dit de « soumission aux lois de la République » : « Je reconnais que l’universalité des citoyens est le souverain et je promets soumission et obéissance aux lois de la République ». Le serment était à l’époque un moyen de sélection de fonctionnaires fidèles, les prêtres et les évêques en faisant partie.

Léon Goupil : 
Femme portant la cocarde tricolore
Le 18 juillet 1796 Merlet fait un tour rapide de la situation de son canton dans sa lettre au commissaire du département : « toutes les communes de notre canton se sont soumises aux lois de la République (les élections ont eu lieu), le désarmement a été fait partout » … Dans l’administration chacun « porte la cocarde aux trois couleurs, mais les habitants paraissent avoir une indifférence pour la cocarde tricoloreNous avons dans notre canton six prêtres autant comme de communes. Je crois qu’il y en a qui se soumettront à faire la déclaration exigée par la loi du 7 vendémiaire dernier, sous peu » (4).

Dans une autre lettre du 6 août 1796, Merlet indique que « les prêtres en ce moment ne font aucun culte extérieur depuis la défense que je leur ai faite, même ils prêchent la paix dans ce moment » (5).

Merlet reçoit le 13 août un ordre du quartier général de Luçon pour l’application des mesures en vigueur sur les étrangers, la discipline des soldats et les prêtres. Ces deniers sont vus ici en effet comme un problème de maintien de l’ordre. Il lui est demandé « par des ordres secrets et particuliers que les prêtres exerçant le culte aient prêté un serment public d’obéissance aux lois, et qu’il ne réside aucun prêtre étranger à la commune » (6).

Les militaires conseillaient un comportement « politique », mais les civils se voulaient dans la discipline à la loi. Au-delà du paradoxe on voit d’un côté l’homme d’action et de l’autre le militant. Alors, le 27 août 1796 le commissaire Merlet a notifié à tous les ministres du culte de se rendre à la maison commune cantonale à Saint-Fulgent « pour donner acte de leur soumission aux lois de la République dans la huitaine », écrit-il avec sa plume parfois un peu gauche.

Le courrier qui suit ne précise pas quelle suite les prêtres ont donné à ce serment du 7 vendémiaire ainsi exigé. On a l’impression qu’ils s’y sont pliés. L’évêque de Luçon en exil évolua vers la soumission à ce serment non sans difficulté. Se référant à l’attitude du pape, il indiqua au final qu’on devait se soumettre aux lois des républicains qui ne sont pas contraires à la religion. Le 26 novembre 1796 Merlet note, en parlant des prêtres de son canton : « je ne leur vois prêcher que la paix devant moi et la soumission aux lois de la République, mais je ne sais pas ce qu’ils disent en mon absence » (7).

Métairie de Fondion
Le curé de Saint-André-Goule-d’Oie menait apparemment une vie normale. Il saisit même la justice de paix de Saint-Fulgent dans un différend qui l’opposait à l’acheteur, René Robin de Sainte-Florence, de la métairie de Fondion, ancien bien du prieuré. Ce dernier, pour se faire payer sa ferme de l’année 1794, s’était attribué la propriété de bestiaux appartenant aux métayers. Sauf qu’ils appartenaient aussi à moitié au prieur Allain, qui les louait aux métayers dans un bail à cheptel de fer, suivant l’expression de l’époque. Le prieur obtint chez le juge de paix une conciliation avec les métayers pour les faire enlever le 8 juillet 1796. En rétorsion, Robin fit citer le prieur devant Pierre Charles Marie Gourraud, juge de paix du canton de Saint-Fulgent, le 17 juillet suivant (8).

Le 9 octobre 1796, les habitants de Saint-Fulgent sont venus demander à Merlet l’autorisation de restaurer l’église paroissiale en ruine (9). Il n’a pas osé dire non de lui-même, se rappelant sans doute qu’il avait été fabriqueur de la paroisse avant 1789. Alors il demande à son interlocuteur de Fontenay : « Est-ce possible ? ». L’anticléricalisme était une opinion politique, obligatoire chez les républicains, et comme telle était portée selon le caractère de chaque militant. Il est arrivé à Merlet d’assister le 29 mai 1797 (vues 7 et 8 du registre clandestin de Saint-Fulgent) comme témoin à un mariage religieux clandestin célébré par l’abbé Brillaud (non jureur), ce qui paraît bien en contradiction avec ses paroles et ses actes de commissaire du canton. En revanche on le voit d’une grande sincérité pour défendre ses intérêts. Et il paraît sensible au pouvoir, en quête de reconnaissance. De manière plus légère on ajoutera qu’il portait à l’occasion des « boucles d’argent pour hommes à la nouvelle mode » (10).

Il n’y avait pas que les prêtres à surveiller de près. Les paroissiens demandaient à entendre les cloches à nouveau, et à Bazoges on avait osé les sonner au mois d’août 1796. C’était un signe extérieur de religion interdit par la loi. Le 6 septembre Merlet informe qu’il a demandé à l’agent de la commune de confisquer les battants de cloches. Sauf que dans la paroisse voisine de la Gaubretière elles sonnaient. Alors pourquoi cette sévérité que la population reprochait à Merlet ? Celui-ci se plaignit à son collègue du canton de Tiffauges en décembre 1796. En juin 1797, il renouvela sa plainte auprès des autorités de  Fontenay car rien n’avait changé, alors que dans le canton de Saint-Fulgent les cloches ne sonnaient plus depuis 8 mois, affirma-t-il fièrement.

Ainsi quelques mois après son installation, la nouvelle municipalité cantonale de Saint-Fulgent paraissait s’en être sortie, sans troubles graves, de l’épineux et difficile problème religieux. Ce ne fut qu’un répit. La politique et la religion continuaient toujours à se mélanger totalement dans les esprits. Vraie ou fausse, l’information suivante est révélatrice.

Merlet doit reprendre la lutte antireligieuse d’août 1797 à mars 1798


Dans une lettre du 5 mars 1797, Merlet reproduit le rapport que lui a fait l’agent de Bazoges, républicain comme lui, sur des « rassemblements de prêtres dans des maisons isolées de sa commune ». Le curé de la Gaubretière y participait, rapportant, paraît-il, des rumeurs antigouvernementales : désordre des armées françaises aux frontières, ouvertures des prisons par le gouvernement aux assassins afin de fomenter des troubles, contre-révolution en préparation à Paris aux cris de vive le roi (11). Une copie de la lettre fut envoyée aux généraux Travot (aux Sables-d’Olonne) et Grigny (à Montaigu) et au ministre de la Police.

Coup d’état du 18 fructidor an 5 :
arrestation de députés royalistes
En ce printemps 1797, on préparait à Paris les élections qui devaient renouveler par tiers, l’assemblée des Cinq-Cents et celle des Anciens. Craignant des choix « inciviques », le gouvernement eut l’idée d’imposer aux électeurs un serment gênant pour les royalistes. Après discussions on arrêta le texte suivant du 30 ventôse an 5 (mars 1797) : « Je promets attachement et fidélité à la République et à la Constitution de l’an III. Je m’engage à les défendre de tout mon pouvoir contre les attaques de la royauté et de l’anarchie»

On le voit, il ne s’agissait plus de sélectionner les fonctionnaires fidèles, mais de sélectionner les « bons » électeurs. Nos partis politiques modernes ont importé des États-Unis les primaires, pour choisir à leur place leurs candidats aux élections présidentielles. Pour ne s’adresser qu’à leurs électeurs, alors que les opinions politiques ne figurent pas sur les listes électorales, ils ont inventé l’obligation de signer une charte partisane lors du vote. La prestation de serment eut été trop lourde, et aurait été contraire à la conception libérale moderne de la liberté politique individuelle. Le texte de cette charte moderne, comme les prestations de serment de jadis, constitue à n’en pas douter un enjeu.

En 1797 les électeurs royalistes ne tombèrent pas dans le piège. Ils vinrent voter nombreux et remportèrent les élections du 21 mai 1797. C’est alors qu’une partie du Directoire fomenta un coup d’État le 4 septembre 1797 (fructidor an 5), avec l’aide de l’armée, qui annula en pratique le résultat des élections.

Le lendemain 5 septembre les républicains reprirent un texte plus offensif à imposer aux fonctionnaires pour démasquer leurs ennemis. Ce fut le serment de « haine à la royauté », le huitième depuis le début de la Révolution, du 19 fructidor an 5. Parmi les fonctionnaires concernés par le serment se trouvaient les prêtres. Son texte était le suivant : « Je jure haine à la royauté et à l’anarchie et je promets attachement et fidélité à la République et à la Constitution de l’an III. »

Dans sa lettre du 22 septembre 1797, Merlet indique que les 5 prêtres du canton sont venus à la réunion à laquelle il les avait convoqués pour prêter le serment (on ne connaît pas celui qui manque, probablement celui de Chauché). Ils ont déclaré que leur conscience ne leur permettait pas de se soumettre à la prestation de ce serment, et qu’en conséquence ils cessaient d’exercer leur ministère, conformément à la loi (12). Les prêtres étaient arrivés à Saint-Fulgent sous la protection d’une grande foule (13).

Cette position posait problème, alors que le serment fût rejeté par presque tous les prêtres réfractaires de la Vendée. Comment distinguer politique et religion ? Les quelques prêtres qui acceptèrent y virent la possibilité d’exercer publiquement leur ministère, sans mettre en cause aucun dogme catholique. Mais le pape Pie VI condamna ce serment le 24 septembre 1798 comme antireligieux, au motif qu’il impliquait une haine « positive », ce qui est contraire à la notion de charité chrétienne. Une fois connue la position du pape, certains curés se rétractèrent. Le 25 juillet 1798, monseigneur de Mercy, évêque de Luçon en exil, l’avait aussi condamné, mais sans condamner les sermentaires.

On sait que le curé Remaud de Chavagnes refusa le serment. Le vicaire de Saint-Fulgent et le curé de Saint-André le prêtèrent pour s’assurer la liberté d’exercer le culte, tout en le regrettant. D’ailleurs ce dernier, Allain, se ravisa et ne vint plus dans son église célébrer le culte, préférant la maison d’un particulier à la Brossière, pour éviter de voir la copie de son serment affiché à la porte de l’église paroissiale.

Merlet note dans une lettre du 30 septembre 1797 que les prêtres de son canton n’exercent plus officiellement, sauf celui de Bazoges, qui le fait sans s’être soumis au serment. Un ressentiment s’exprime en conséquence contre lui, Merlet (14). Et ce n’est pas tout.

Les habitants de Chavagnes écrivent le 20 novembre suivant directement au commissaire du département pour défende leur curé non assermenté, et 17 d’entre eux signent la lettre. Ils s’indignent qu’on ait voulu l’arrêter, ils se portent garant de son obéissance aux lois et au gouvernement. Ils affirment qu’il n’a pas voulu influencer d’autres prêtres à ne pas prêter serment. Ils demandent qu’on respecte néanmoins son choix de s’y refuser, au nom de la liberté et conformément à la loi, en supportant la conséquence de ne plus exercer son ministère (15).

La Brossière
Merlet s’en prit au curé de Saint-André-Goule-d’Oie à cause de l’affichage de son serment. On peut le soupçonner d’avoir protégé le vicaire réfractaire de Saint-Fulgent, mais on ne comprend pas la mesquinerie qui l’anima contre le curé réfractaire de Saint-André. Il était prévu d’afficher la soumission au serment sur les lieux où le prêtre officiait. Dans la seule version de Merlet que nous possédons, apparemment relatant la réalité, le curé Allain préféra reprendre la célébration du culte clandestinement, plutôt que dans son église paroissiale, pour éviter cet affichage, craignant sans doute que certains paroissiens le lui reprochent. Il célébra la messe clandestinement dans une grange de la Brossière, chez François Fluzeau, l’ancien agent démissionnaire de la commune, parce que lui aussi avait refusé le serment du 19 fructidor, étant assimilé à un fonctionnaire. Il n’y avait pas d’affichage de son serment à la porte d’entrée de la grange, ce qui constituait une faute selon la loi en vigueur (16).  

Merlet donne ces informations dans la lettre qu’il écrit au commissaire du département le 22 octobre 1797. Et il ajoute avoir dénoncé les agissements du curé de Saint-André au tribunal de police de Montaigu. Le président du tribunal, Pierre Étienne Sorin (voir sa biographie dans le dictionnaire des Vendéens sur le site internet des Archives départementales), lui fit une réponse qu’il juge « ambiguë et peu satisfaisante », en lui « conseillant de vous consulter » (Coyaud, commissaire à Fontenay). Et Merlet d’ajouter : « Il serait bien temps que le gouvernement prit des mesures répressives contre les prêtres qui ne cessent de travailler au renversement de la République ».

Dans la même lettre un passage frappe le lecteur : « Hier s’est célébrée la cérémonie funèbre du général Hoche avec toute la pompe qu’on peut attendre de notre localité et des circonstances … Les autorités constituées seule avec la force armée composaient le cortège, trois à quatre individus du bourg seulement y ont assisté. Elle avait été néanmoins proclamée dans toutes les communes » (16). Le général Hoche était mort le 19 septembre précédent en poste en Allemagne. Il avait mis fin aux combats de la guerre de Vendée avec efficacité, pratiquant prises d’otages et réquisitions, mais laissant en vie les prêtres réfractaires. C’est ce que les historiens appellent avec logique une pacification. De là à penser qu’on puisse trouver plus de quelques personnes, en dehors de l’armée, pour lui rendre hommage à Saint-Fulgent ! Des années lumières séparaient les deux camps politiques ennemis qui s'y côtoyaient. 

Avant de répondre à Merlet, le commissaire de Fontenay, prudent, saisit le ministre de la police le 27 octobre 1797 sur la conduite à tenir. Il était partagé entre la crainte de rallumer la guerre civile, et celle de déplaire au gouvernement. Après le gauchissement de septembre orchestré par le Directeur Paul Barras, quel fonctionnaire d’autorité pouvait être sûr de connaître désormais une ligne politique définie par un gouvernement ne survivant que par des coups d’État ? De Fontenay, le commissaire Coyaud envoya au ministre de la police Sotin, un tableau nominatif de 39 prêtres vendéens ayant refusé le serment, avec des indications sur leurs attitudes pour chacun d’eux (17). 

Paul Barras (1755-1829)
Le gouvernement fut plus modéré, si l’on ose dire, dans ses actes que dans ses discours. Il décida la déportation pour 13 d’entre eux, et une surveillance spéciale pour 13 autres. L’arrêté concernant le prieur de Saint-André et le vicaire de Saint-Fulgent, ensemble, est daté du 28 novembre 1797, signé à Paris du président Barras, du secrétaire Lagarde et du ministre de la police Sotin. En voici le texte :

« Le directoire exécutif, ouï le rapport du ministre de la police générale, considérant que le nommé Hallaire (lire Allain) de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie canton de Saint-Fulgent, et le nommé Brillaud, aussi de la commune et canton de Saint-Fulgent, ont d’abord été réfractaires aux premières lois concernant les ministres du culte, qu’ils n’ont ensuite prêté avec répugnance le serment prescrit par la loi du 19 fructidor dernier, que par des motifs de crainte, et que, comme s’ils avaient été honteux de cette prétendue soumission, ils ont cessé tout à coup d’exercer leur culte, à l’exception de Hallaire qui a dit une seule fois la messe clandestinement et sans que sa soumission ait été affichée [a], et ont même refusé de signer sur les registres l’acte de leur prestation de serment, conduite qui avait pour but d’en imposer aux fanatiques et qui a produit un fort mauvais effet dans le canton de Saint-Fulgent,
Considérant encore que ces deux individus sont soupçonnés de manœuvres clandestines et d’influencer les opinions des habitants très fanatiques et très antirépublicains de leurs communes,
Arrête, en vertu de l’art. 24 de la loi du 19 fructidor (5-9-1797) :
Article 1°, les nommés Hallaire et Brillaud ci-dessus désignés seront sur le champ arrêtés et déportés.
Article 2, le ministre chargé de la police générale est chargé de l’exécution du présent arrêté. » (17).
[a] chez François Fluzeau à la Brossière.

L’erreur sur le nom du curé de Saint-André, faite par un secrétaire parisien, ne posa évidemment aucune difficulté dans l’exécution de la décision visant le curé Allain. D’autres arrêtés condamnaient aussi à la déportation le curé de Chavagnes, Remaud, et le vicaire de Bazoges, Brenugat. Coyaud transmit la décision gouvernementale à Travot, commandant de la troupe, lui recommandant de faire procéder aux arrestations « au même moment s’il est possible ……… le plus secrètement possible sans occasionner le moindre mouvement… les conduire à Fontenay et transférer à Rochefort. ». On ne peut pas dire qu’il était rassuré, et on dû prendre un peu de temps pour l’exécution de ces consignes.

Dans une lettre du 20 décembre 1797 Merlet indique que le général Grigny a fait arrêter, deux jours auparavant, Allain, curé de Saint-André, et Brenugat, vicaire de Bazoges, qui ont été emprisonnés à Montaigu. Remaud, curé de Chavagnes, et Brillaud, vicaire de Saint-Fulgent, s’étaient enfuis et avaient échappé à leur arrestation. Allain et Brenugat ont été emmenés dès le lendemain vers le port de Rochefort puisqu’ils avaient été déjà condamnés à la déportation en Guyane par le gouvernement (18).

Les deux prêtres furent enfermés dans des chaloupes désaffectées dans le port de Rochefort. Dans le froid de l’hiver ils y passèrent la fête de noël, avec d’autres prêtres arrêtés en Vendée, notamment un natif de Linières à Saint-André-Goule-d’Oie, Jean Herbreteau, qui était vicaire de Venansault.

Celui-ci réussit à s’échapper 20 jours après son arrivée, en compagnie du curé de Saint-André. Ils continuèrent à se cacher durant deux années, reprenant leur ministère avec la liberté religieuse retrouvée à partir de 1800. Pierre Brenugat fut embarqué pour Cayenne, où il est mort d’inanition dans la forêt tropicale, et son décès a été enregistré le 8 septembre 1798 (19).

Écrivant en 1817 à l’abbé Remaud, l’ancien secrétaire de Charette et frère de l’ancien curé de Chavagnes, le curé Allain eut cette phrase : « Je ne parlerai point de moi. On sait que j’ai été traîné de prison en prison, maltraité, condamné à la déportation, et ai souffert tout ce qu’on peut souffrir, excepté la mort, que je n’ai évité que, parce qu’en me sauvant des prisons de Rochefort, j’ai été assez heureux pour n’être pas tombé sous le couteau de nos ennemis » (19).

Quant à son prédécesseur à la cure de Saint-André, François Chevreux, il avait lui aussi refusé de prêter le serment de 1790, étant alors chanoine en la cathédrale de Luçon. On le mit en prison, mais il en sorti grâce à l’intervention de La Réveillère-Lépeaux, conventionnel girondin influent du Maine-et-Loire né à Montaigu, qu’on avait intéressé à son sort (20). C’est l’occasion de rappeler ici que tous les révolutionnaires n’eurent pas le même profil que celui rencontré à Saint-Fulgent. Certains d’entre eux comptent même, comme on sait, parmi les victimes de la Révolution.


La neutralisation du clergé n’était pas suffisante. Au début de l’année 1798, Merlet reçoit instruction de faire la chasse aux signes extérieurs du culte. Il promet de le faire, accusant les administrations précédentes des communes de n’avoir pas exécuté ses ordres. Il est bien vrai qu’on n’imagine pas François Fluzeau à Saint-André se lancer dans cette voie. Il avait acheté l’église et le presbytère de la paroisse comme bien national, mais certainement pas pour en changer la destination. Désormais Merlet menaçait l’emploi de l’armée si les nouveaux agents ne s’exécutaient pas.

Dans une lettre du 21 janvier 1798 Merlet est obligé d’avouer que les agents n’ont rien fait pour faire disparaître les croix encore debout dans la campagne. Le commandant de Saint-Fulgent a dû aller lui-même à Saint-André-Goule-d’Oie pour en abattre deux. C’est que les agents sont pour la plupart les seuls patriotes de leur commune, dit-il ! Ils craignent les réactions populaires dirigées par les meneurs contre-révolutionnaires (21). Or dans son courrier à Fontenay il avoue qu’on ne trouve pas de nobles réfugiés dans la contrée et il ne reste que très peu de prêtres réfractaires.

Martineau maintient l’ordre antireligieux d’avril 1798 à fin 1799


En remplaçant Louis Merlet à partir d’avril 1798, Étienne Martineau affirme que le canton est tranquille, mais il se promet de surveiller le curé de la Rabatelière qui a prêté serment, mais dont les « propos peuvent troubler la société ».  Le médecin a remplacé le marchand. Au style « pataud » de Merlet, se substitue celui de l’emphase et du romantisme révolutionnaire de Martineau. Ce curé de la Rabatelière s’appelait Jacques Mangeard, il était venu se réfugier dans cette paroisse pendant la guerre, venant de Loire-Atlantique, et fut le seul qui s’est soumis complètement au serment du 19 fructidor, aux dires de Martineau dans une lettre du 13 août 1798, où il ajoute qu’il a continué d’exercer le culte jusqu’à la mi-juillet 1798. « Depuis qu’il a prêté le serment il n’a plus d’influence, et je me suis convaincu qu’il est abhorré par ceux qui font réputation d’aristocrate », précise-t-il enfin (22). Le style peut faire sourire à deux siècles de distance, mais le fond est juste. On voit que la Révolution s’est fabriquée dans la contrée des ennemis politiques irréductibles.

Dans la même lettre il avoue ne pas savoir où sont ceux qui n’ont pas prêté serment. « Ils se tiennent cachés pour le malheur de la société. Ils trouvent aisément chez le peuple des asiles sûrs. »

Le 27 mai 1798, répondant à une enquête de l’administration départementale, Martineau fait le point sur l’instruction dans le canton de Saint-Fulgent  : « je dois vous dire que l’instruction dans ce canton est on ne plus négligée, et que je ne connais même personne qui veuille se charger des fonctions précieuses d’instituteur. Ce pays sera abandonné longtemps à la fatalité de l’ignorance, si des étrangers, ou les soins paternels du gouvernement, ne satisfont aux besoins d’instruction qu’il éprouve … et le peuple ne sera vraiment républicain que lorsque son éducation, en sapant les fondements des préjugés dont son esprit est infecté, lui aura fait voir les avantages sociaux qui résultent de l’ordre politique qui le régit » (23). Déjà Merlet avait répondu quelques mois auparavant : « Rien à vous dire sur l’instruction publique, puisque malheureusement il n’en existe point dans ce canton. La prétendue instruction qui s’y donne est confiée à des femmes fanatiques ou à des hommes ignorants et étrangers aux principes républicains, s’ils n’en sont pas les ennemis déclarés. L’esprit public de ce canton n’est pas à beaucoup près celui de l’amour de la République ».

Au mois de février 1799 on relève dans une lettre de Martineau : « Il m’a été impossible de déterminer les agents d’André-Goule-d’Oie et de Bazoges à faire fermer les lieux où se rassemble le peuple les jours ci-devant fériés, quoique cinq à six procès-verbaux de séances mentionnent mes réquisitions à cet égard » (24). On remarquera sa maîtrise toute « républicaine » de l’écriture. Sa plume reste pure, évitant les mots qui souillent les âmes politiquement sensibles : l’église est nommée « les lieux », et les dimanches sont des « jours ci-devant fériés ». Pourtant un nommé Robin, de Sainte-Florence-de-l’Oie, déjà propriétaire de l’ancienne métairie du prieuré à Fondion, avait acheté l’église et le presbytère de Saint-André le 1e juillet 1798. Apparemment il n’avait pas osé interrompre l’usage de l’église pour le culte. Et il est probable qu’aucun prêtre ne participait à ces prières dominicales en cette période. Le curé Allain confirme son absence à cette époque dans un acte d’enterrement en août 1799 sur son 2e registre paroissial clandestin (vue 12). On remarque que Martineau habitait alors Linières, soit à un km de l’église de Saint-André, et qu’il s’est montré à cette occasion plus courageux sur le papier que dans ses actes. Il faut dire que les paroissiens l’avaient déjà mis en fuite en mars 1793 quand il était venu arrêter Jean de Vaugiraud avec des gendarmes dans le bourg. Non seulement la Révolution s’était fait des ennemis politiques irréductibles, mais elle avait aussi renforcé le sentiment religieux dans la population, qu’elle voulait éradiquer. Et si les paysans sont devenus plus catholiques, ne doutons pas qu’ils sont devenus aussi plus royalistes.

Une note d’Amblard de Guerry, chercheur de Chavagnes-en-Paillers, nous explique comment le prieuré était affecté « à l’usage du ministère du culte catholique ». Certes l’église n’est pas le presbytère, mais ils appartenaient tous deux au même propriétaire en 1801. Or le 6 messidor an IX (25 juin 1801), le juge de paix de Saint-Fulgent décide d’une enquête sur l’affermage du presbytère. Il avait été saisi par Joseph Guyet, le tout récent propriétaire du domaine de Linières et bon républicain, qui en était fermier. Il avait sous-affermé verbalement le presbytère à un nommé Sébastien Mercier, garde champêtre demeurant à la Pelissonnière paroisse du Boupère. Guyet avait saisi le juge de paix de Saint-Fulgent en dommages et intérêts contre Mercier. Or ce dernier avait lui-même sous affermé verbalement le presbytère et jardin à « différents habitants de la commune qui les destinaient à l’utilité du ministre du culte », et demandait leur comparution devant le juge. D’où l’enquête décidée par ce dernier. Elle révèle les noms de quelques-uns de ces sous fermiers au 3e degré : Jean Herbreteau père, Pierre Herbreteau maire de la commune (ancien combattant vendéen), Jean Rochereau de la Boninière, François Cougnon du Coudray (ancien capitaine de paroisse dans les armées vendéennes). Et il est indiqué qu’ils mettent un lit dans le bâtiment et cueillent les fruits dans le jardin. Ce lit servirait-il à un prêtre clandestin ? On n’a pas la réponse. La note n’indique pas la suite de la procédure après l’enquête, et n’évoque pas le sort de l’église qui aussi était « à l’usage du ministère du culte catholique » comme on l’a vu plus haut (25).

La restauration de la liberté religieuse à partir de 1800


L’ordre policier règne désormais dans le domaine religieux depuis la fin de l’année 1797, et le sujet n’apparaît plus dans le courrier envoyé de Saint-Fulgent à l’administration du département. Les républicains ont réussi à éliminer les prêtres dans le canton, sauf pour des cérémonies secrètes et probablement devenues rares. Mais ils n’ont pas éliminé la religion. 

Alors, pour mettre fin aux escarmouches royalistes qui menaçaient l’ordre dans la région à la fin de 1799, Bonaparte, aussitôt arrivé au pouvoir, va rapidement rétablir la liberté religieuse. L’abbé Brillaud, les curés Allain et Remaud, vont sortir de la clandestinité, au prix d’un serment bien sûr.

Celui du 18 novembre 1799 (7 jours après le coup d’État) ne concernait que les fonctionnaires publics, donc aussi les prêtres, avec le texte suivant, plus consensuel que d’habitude, adapté à l’urgence du moment. « Je jure d’être fidèle à la République une et indivisible, fondée sur l’égalité et la liberté et le système représentatif ». Il a échappé aux prêtres qui se cachaient. Mais le suivant s’imposait à eux s’ils voulaient sortir de la clandestinité. C’était le serment dit de la « promesse » ou de « fidélité à la Constitution de l’an VIII » : « Je promets fidélité à la Constitution ». Le 21 août 1800, une circulaire de Fouché, ministre de la police, faisait de la prestation de ce serment la condition sine qua non du retour des prêtres déportés. L’évêque de Luçon en exil y était favorable. On sait que le curé Remaud de Chavagnes-en-Paillers, toujours inflexible, le refusa. Il mourut peu après en 1801, des suites d’une saignée mal à propos. On ne connaît pas l’attitude du curé de Saint-André à cette date, ni où il se cachait.
Giuseppe Longhi : Bonaparte

Enfin il y eut le dernier et douzième serment exigé des prêtres depuis le début de la Révolution, le serment du concordat. Le pape et Napoléon avaient signé le concordat le 15 juillet 1801, comprenant un serment accepté du côté catholique : « Je jure et promets à Dieu, sur les saints évangiles, de garder obéissance et fidélité au gouvernement établi par la Constitution de la République française ; Je promets aussi de n’avoir aucune intelligence, de n’assister à aucun conseil, de n’entretenir aucune ligue, soit au-dedans, soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique ; et si dans mon diocèse (dans ma paroisse), ou ailleurs, j’apprends qu’il se trame quelque chose au préjudice de l’État, je le ferai savoir au gouvernement. »

Voilà bien un texte qui ne fut pas sans poser de problèmes au début. Le clergé se mettait apparemment au service du gouvernement, et il fallait en plus oublier le traumatisme psychologique de la terreur révolutionnaire. Sauf que les cloches sonnaient et qu’on célébrait la messe et les sacrements en toute liberté. Les curés avaient la liberté d’exercer leur ministère sous réserve de ce serment. Avec le temps, et la paix civile retrouvée, il ne posa plus de difficultés à la majorité du clergé et des fidèles.

François Gérard : Signature du concordat
Le concordat organisait dans certaines conditions l’intégration du clergé réfractaire avec celui qui avait prêté serment. Cet accommodement ne fut pas au goût de certains de ceux qui avaient lutté contre la Révolution dans les conditions que l’on sait. Ils allèrent jusqu’à faire scission avec le pape, donnant naissance à ce qu’on a appelé alors « la Petite Église », phénomène apparemment inconnu dans le canton de Saint-Fulgent. On l’a observé au nord-ouest des Deux-Sèvres, en Aveyron, en Bretagne. Les dissidents rejetèrent notamment le serment d’allégeance à Napoléon.  À la mort du dernier de leurs prêtres, leur culte se laïcisa (26).

Il est intéressant de comparer le serment du concordat qui marqua la fin à la guerre de Vendée, à celui voté le 12 juillet 1790, auquel 74 % prêtres du diocèse de Luçon d’avant la Révolution furent réfractaires (27) : « Je jure de veiller avec soins sur les fidèles du diocèse (de la paroisse) qui me sont confiés, d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et approuvée par le roi » (28). L’engagement politique demandé alors au clergé en 1790 parait même moins poussé que celui de 1801. Mais il faut s’attarder sur le mot « loi » qu’il contient. Car la loi sur la constitution civile du clergé, c’est-à-dire organisant l’Église de France, coupait celle-ci du pape. Alors que le concordat organisait une Église de France profondément divisée, en accord avec le pape. Le texte du serment de 1790, apparemment anodin vu d’aujourd’hui, exigeait l’acceptation d’une politique religieuse qui heurtait la population vendéenne.

Il faut se rappeler à cet égard que l’empereur d’Autriche, Joseph II, avait mené récemment dans ses États une politique d’affranchissement de l’Église à l’égard du pape et de laïcisation de la société, ce qu’on a appelé le joséphisme, rencontrant des oppositions, mais sans provoquer de condamnation du pape.

Croix au village de la Boninière
Au-delà de l’aspect doctrinal de la coupure avec Rome, le plus important en ce domaine, pour comprendre le refus du serment de 1790 et ses conséquences, est de commencer par s’interroger sur la pratique religieuse des populations. Elle était fervente si l’on pense aux prières collectives des paroissiens dans l’église de Saint-André en 1799. Mais n’était-ce pas déjà un contrecoup des persécutions ? Cette pratique était forte dans la contrée avant la Révolution. La population allait à la messe du dimanche matin. Elle allait aussi aux vêpres en début d’après-midi, y compris les hommes. Nous en avons le témoignage pour la paroisse voisine de Vendrennes en 1783 (29).

Mais il faudrait aller plus loin dans l’exposé de cette pratique religieuse, et indépendamment de l’influence même du clergé. En effet, le sermon du curé de Chavagnes pour expliquer son refus de prêter le serment en février 1791, a pu influencer ses fidèles (30). Mais à Chauché le curé et le vicaire ont prêté serment avec conviction. Alors comment expliquer que les paroissiens de Chauché et de Chavagnes se soient engagés également dans les combats des insurgés ? On sait que d’autres facteurs que la religion sont à l’origine de la révolte de la population vendéenne. Parmi eux, quelle place et quel rôle a vraiment tenu la religion ? Celle-ci a fait l’objet d’une sublimation compréhensible en réaction aux persécutions, amplifiée ensuite postérieurement à la révolte. Il parait difficile de la reporter telle quelle sur l’origine de celle-ci.

Une chose est sûre, ces persécutions religieuses ont laissé des traces profondes. Un détail le souligne à propos des croix abattues par les gendarmes de Saint-Fulgent en 1798 à Saint-André-Goule-d'Oie. Faisant le compte rendu de la bénédiction en 1860 de la croix de la Boninière, un village de Saint-André éloigné du bourg d’environ 2 kms, toujours bien entretenue de nos jours, un auteur non repéré a écrit comment les paroissiens s’y sont rendus en procession à l’issue des vêpres du dimanche 10 juin de cette année-là : « Arrivés à la Boninière, les assistants se rangèrent autour de la croix de pierres, monument de la piété et de la générosité de tous les fidèles du village, élevé à la place d’une croix ancienne renversée par l’impiété révolutionnaire, bénédiction de la croix par le curé de Saint-André, Prosper Guibert, chanoine honoraire » (31). Combien sommes-nous à pouvoir identifier leurs ancêtres parmi les habitants du village de la Boninière en 1860 ?

Les recherches de Paul Boisson

Paul Boisson en 1937, année de son ordination
(d’après une photo conservée aux 
Archives historiques du diocèse de Luçon)

Pour terminer, il nous faut indiquer que la rédaction de cet article s’est appuyée en presque totalité sur les recherches de l’abbé Paul Boisson (1912-1979), comme en témoignent les sources indiquées ci-après. Professeur d’Histoire au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, puis aumônier à l’hospice de Saint-Fulgent, ses travaux historiques sur le canton de Saint-Fulgent sont précieux. Il avait lu ce qui s’était écrit sur la guerre de Vendée, mais il ne s’en est pas contenté. Il est allé à la source des documents originaux pour les confronter entre eux. En vrai historien, il a mis son sens critique au service de la recherche des faits. En plus de la foi catholique, il eut la religion de leur vérification. À cet égard, voici un extrait d’une réflexion qu’il a écrite dans un essai de chronologie des débuts de l’insurrection dans le canton de Saint-Fulgent, un vrai casse-tête : « Les oppositions, voire les contradictions quand il s’en présente (entre documents, traditions, etc.), ne sauraient qu’être apparentes. La plupart doivent se résoudre à l’étude, et stimuler la patience et la ténacité des chercheurs. C’est ce que nous avons essayé de faire, et nous pensons que bien des pages de l’histoire de la Guerre de Vendée, gagneraient à être revues dans cet esprit. Si quelques lecteurs corrigent ou complètent … merci » (32). Cette note est datée du début des années 1970.

C’est sur les faits recueillis par Paul Boisson que notre récit s’appuie, et nous y avons ajouté nos explications les concernant. Il a légué ses papiers au diocèse de Luçon, classés ensuite par l’abbé Delhommeau, archiviste du diocèse. Les originaux des lettres de Merlet et Martineau au commissaire du département à Fontenay-le-Comte, sont conservées aux Archives départementales de la Vendée sous la cote L 237. Article à suivre : « La révolte gronde, deux morts près de Linières en 1799 ».
  
(1) T. de Gouttepagnon, le synode du Poiré de 1795, Revue du Bas-Poitou, 1890 (A3), page 183.
(2) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Frappier, transaction du 17 fructidor an 4 entre les héritiers de Claude Joseph Frappier et Marie Gaboriau.
(3) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 20 messidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(4) 7 Z 12-I, lettre du 30 messidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(5) 7 Z 12-I, lettre du 19 thermidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(6) 7 Z 12-I, lettre du 26 thermidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(7) 7 Z 12-I, lettre du 6 frimaire an 5 de Merlet au commissaire du département.
(8) 7 Z 73-1, justice de paix de Saint-Fulgent du 28 messidor an 4, acte de non conciliation entre Robin et Allain concernant des bestiaux sur la métairie de Fondion.
(9) 7 Z 12-I, lettre du 18 vendémiaire an 5 de Merlet au commissaire du département.
(10) 7 Z 20, Louis Merlet, contrat de mariage du 11 mai 1780 de Louis Merlet et Marie Monnois.
(11) 7 Z 12-I, lettre du 15 ventôse an 5 de Merlet au commissaire du département.
(12) 7 Z 12-II, lettre du 6 vendémiaire an 6 de Merlet au commissaire du département.
(13) Application de la loi du 19 fructidor an V qui prescrit en particulier la déportation de certains prêtres, Archives du ministre de la police générale aux Archives nationales, F / 7 / 7304.
(14) 7 Z 12-II, lettre du 9 vendémiaire an 6 de Merlet au commissaire du département.
(15) 7 Z 12-II, lettre du 20 brumaire an 6 des habitants de Chavagnes au commissaire du département.
(16) 7 Z 12-II, lettre du 1e brumaire an 6 de Merlet au commissaire du département.
(17) 7 Z 74-I, lettre du ministre de la police au commissaire exécutif de la Vendée du 14 frimaire an 6 (4-12-1797), et arrêté du directoire du même jour condamnant Allain et Brillaud à la déportation. (Voir aussi : Archives de Vendée L 274).
(18) 7 Z 12-II, lettre du 30 frimaire an 6 de Merlet au commissaire du département.
(19)  M. Maupilier, Des étoiles au Lion d’Or, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions, 1989, page 136.
(20) Edgar Bourloton, Le clergé de la Vendée pendant la Révolution, Revue du Bas-Poitou (1898-3), page 287.
(21) 7 Z 12-II, lettre du 2  pluviôse an 6 de Merlet au commissaire du département.
(22) 7 Z 12-II, lettre du 26 thermidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(23) 7 Z 12-II, lettre du 8 prairial an 6 de Martineau au commissaire du département.
(24) 7 Z 12-III, lettre du 27 pluviôse an 7 de Martineau au commissaire du département.
(25) Ordonnance du 6 messidor an IX de la Justice de paix de Saint-Fulgent concernant le prieuré de Saint-André-Goule-d’Oie, cité dans les notes personnelles d’Amblard de Guerry, archives personnelles.
(26) Auguste Billaud, La petite église dans la Vendée et les Deux-Sèvres (1800-1830), éd. Nouvelles Éditions Latines, 1962.
(27) Archives de Vendée, revue du Bas-Poitou, Y. Chaillé, Les divisions ecclésiastiques de la Vendée en 1789, 1967, p. 239 (vue 36).
(28) Archives de Vendée, annuaire de la société d’émulation de la Vendée, (1913), P. Boutin, Les 12 serments demandés aux prêtres pendant la Révolution, page 3.
(29) Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/10, assemblée des habitants de Vendrennes du 23-11-1783.
(30) Archives de Vendée, annuaire de la société d’émulation de la Vendée, (1978), Paul Boisson, sermon de Pierre Marie Remaud en février 1793, page 39 (vue 24).
(31) 7 Z 73-4, notes sur la bénédiction des croix de Saint-André-Goule-d’Oie en 1860.
(32) 7 Z 46-1, débuts de l’insurrection dans la région de Saint-Fulgent, essai de chronologie.

Emmanuel François, tous droits réservés
Janvier 2017, complété en octobre 2019