mercredi 1 mars 2017

La vente des biens du clergé à Saint-André-Goule-d’Oie

On sait qu’il y eut trois sortes de biens nationaux pendant la Révolution : ceux provenant de l’Église (première origine), ceux confisqués aux nobles (seconde origine), et ceux provenant du Roi (troisième origine). À Saint-André-Goule-d’Oie on vendit les premiers au début de l’année 1791, comme partout. Puis les ventes reprirent après les combats de la guerre de Vendée en juillet 1796. Les premières ventes de biens d’origine noble ne commencèrent qu’en août 1796 dans cette paroisse.

Nous nous intéresserons ici aux biens d’Église. Leur vente illustre trois facteurs des tensions qui se formèrent au milieu de l’année 1790 entre les nouvelles autorités révolutionnaires et la population : esprit d’indépendance des habitants, maladresse des nouvelles autorités et anticléricalisme.
Mais tout d’abord, quels étaient ces biens d’Église dans la paroisse ?

Les biens du prieuré-cure


Pièce du chartrier de la Rabatelière
La lecture du chartrier de la Rabatelière, avec quelques centaines de documents concernant la commune de Saint-André, nous permet de dresser une liste des biens et revenus du prieuré avant la Révolution. Elle n’est pas complète à cause de certains documents détériorés et de la nature même de leur contenu

La propriété du prieuré-cure comportait l’église paroissiale et le presbytère, avec son mobilier. La fabrique, sorte d’association cultuelle avant la lettre, ne possédait pas de biens fonciers ou de rentes, contrairement à d’autres paroisses dans la région. Mais le prieuré possédait la métairie de Fondion, et une borderie dans le bourg de Saint-André, aussi un moulin à vent. La métairie de Fondion avait été donnée, très probablement au Moyen Âge, « à franche aumône » au prieuré par le seigneur du Coin Foucaud ou son prédécesseur pour l’entretien de la chapelle érigée sur les lieux, et le service « d’y dire et célébrer par chacune semaine trois messes en silence (messe basse) ». Le texte qui en fait état ne précise pas à quelle intention ces messes devaient être dites. Comme n’importe quel propriétaire, le prieur, suivant l’usage au 18e siècle, était parrain de l’aîné des enfants du métayer, sa sœur aussi parfois était marraine. 

Et on a relevé des rentes et devoirs seigneuriaux dus au prieuré dans la période moderne postérieure au Moyen Âge, résultat probablement de dons :
  • une rente de 112 boisseaux de seigle par an prélevée sur les propriétaires du Fief du Prieuré. C’était un tènement ou terre censive proche des villages de la Brossière et des Gâts. Nous n’avons pas d’informations sur la provenance de la rente, probablement une concession en franche aumône, et peut-être du même seigneur du Coin Foucaud.
  • le tiers d’une dîme au Pin sur les agneaux, la laine, les veaux et les cochons.
  • la moitié des dîmes d’agneaux, veaux, pourceaux et laines, et des terrages sur le lin au tènement de la Bergeonnière. Cette dîme était de 1/10e de la valeur d’un animal nouveau. S’y ajoutait la moitié du droit de terrage qui était à 1/8e des récoltes.
  •  un tiers des dîmes des pourceaux, de la laine et du lin aux villages du Coin et du Peux (valant 1/12e de l’accroissement des animaux et de la récolte d’une année).
  •  une rente de 16 boisseaux de seigle due à la mi-août sur le tènement de la Machicolière.
  •  une rente de 5 boisseaux de seigle à la Maigrière.
  •  une rente de 2 boisseaux de seigle au fief de la Bequetière (au village de la Brossière).
  •  une rente seconde foncière de 12 boisseaux seigle due sur le tènement de la Porcelière.
Le curé recevait ces redevances comme n’importe quel autre seigneur ou bourgeois qui en aurait été propriétaire. Il en était le possédant, et bien sûr après lui, elles allaient à son successeur. La valeur des dîmes données par les seigneurs était assez faible en réalité. En revanche elle était significative pour le droit de terrage, mais il y en avait bien peu pour le prieur de Saint-André-Goule-d’Oie. Seules les quelques rentes en seigle représentaient un revenu significatif.

Nous ne connaissons pas toutes les ressources provenant des possessions foncières : moulin, métairie, borderie. On peut estimer à la veille de la Révolution un revenu annuel d’une centaine de livres pour le moulin, et presque autant pour la borderie. La métairie de Fondion était louée en 1783 moyennant le paiement annuel de 400 livres (1)

Émile Cardinal : L’Arbre
De même nous n’avons pas d’indication sur les revenus ecclésiastiques  proprement dits : la grosse dîme sur les récoltes au profit de l'Eglise et le boisselage. À Saint-André la situation était plus complexe comme dans d’autres paroisses de la région, à cause du droit de boisselage qui remplaçait en partie ou en totalité la dîme sur les céréales au profit de l'Église. Il s’en distinguait par un prélèvement fixe et modéré d’un boisseau de seigle sur chaque métairie et borderie en 1700 (2), comme la dîme qui ne s’adressait qu’aux propriétaires des récoltes et à leurs métayers. À cette date son montant total à Saint-André était de 60 boisseaux, alors que dans une étude de Marcel Faucheux publiée en 1953 (3), on relève que vers 1770, le boisselage rapportait 119 livres par an à Saint-André-Goule-d’Oie, s’ajoutant aux 710 livres provenant des autres sources de revenus pour le prieuré. Le total de 829 livres aboutit à un revenu important pour une paroisse de 1 200 âmes environ. À la même époque le roi fixait à 300 livres par an le revenu minimum du curé de campagne. Tout ne restait pas au prieuré de Saint-André, la plus grande partie remontait à l’autorité ecclésiastique dont dépendait la cure. Le prieur percevait ce qu’on appelait « la portion congrue », avec un minimum fixé par le roi. Cette valeur d’un boisseau par métairie est confirmée dans un document concernant la Chevaleraye, où on a relevé la déclaration d’un propriétaire : « je paye aussi au sieur prieur de Saint André de Gouledois un boisseau de seigle pour droit de boisselage » (4).

Quant à la grosse dîme, appelée ainsi parce qu’elle était prélevée sur les gerbes de blés dans les champs, elle se montait au 1/13e des récoltes dans le bourg de Chauché, et probablement autant à Saint-André (5). Elle ne se prélevait pas, sauf exception, sur les terres déjà sujettes à terrage pour le seigneur, et à Chauché les 2/3 du prélèvement allaient au curé primitif ou à l’abbaye fondatrice, et le reste au curé de la paroisse. Pour Saint-André nous n’avons trouvé qu’un seul champ sujet à cette dîme. À la place le prieuré percevait au sortir du Moyen Âge la moitié du terrage dans la plupart des tènements relevant du Coin Foucaud, mais cette part fut confisquée au seul profit du seigneur suzerain dans la période des guerres de religion. On est tenté de faire un lien entre cette confiscation et l’existence du droit de boisselage, mais notre documentation disponible est insuffisante pour l’établir.

Après cette approche d’une réalité chiffrée des biens et revenus du prieuré de Saint-André, entrons maintenant dans une autre réalité : la politique, ses luttes de pouvoir et son ambition d’un monde nouveau avec la Révolution française.

Goupilleau de Montaigu


Rappelons pour commencer que l’Assemblée Nationale adopta en novembre 1789 une solution au déficit abyssal des finances publiques, à l’origine de la convocation des États Généraux, en s’appropriant les biens d’Église. Puis, votée en décembre 1790, une constitution civile du clergé créa une nouvelle organisation de l’Église de France. Pour remplacer les biens confisqués, mais qui assuraient entre autres la subsistance des membres du clergé, l’État versera désormais un salaire à ces derniers. De plus on réorganisa les évêchés et on décida d’élire les curés, et même les évêques.

Les révolutionnaires parachevaient ainsi l’œuvre de François Ier et de Louis XIV, soumettant l’Église de France à l’État. De plus, la vente des biens d’Église pour renflouer le trésor royal, n’était pas une nouveauté. Des millions de livres avaient été récupérés sur le clergé au temps des derniers Valois, qui avaient aussi instauré une redevance forcée collective appelée « don gratuit », qui perdura jusqu’à la Révolution. La vente des biens d'Église était réclamée par les huguenots, et le roi argumentait auprès de l’Église de la nécessaire lutte contre ces derniers, onéreuse en dépenses militaires. Mais le roi obtenait à chaque fois l’accord du pape pour procéder à ces aliénations.

De même il faut se souvenir de l’empereur d’Autriche, Joseph II, frère de la reine de France, qui de 1780 à 1790, promulgua près de 6000 décrets concernant la vie religieuse dans ses États. « L’empereur sacristain », comme certains l’appelèrent, voulait, entre autres, mettre l’Eglise au service de l’Etat, se heurtant au clergé et au pape, mais sans aller jusqu’à la rupture avec ce dernier néanmoins.

V. Lacueille : Voltaire, ou Le Jeu des Lumières
Mais à la différence du très pieux empereur d’Autriche, certains révolutionnaires français ne cachaient pas leur anticléricalisme, à commencer par l’influent évêque d’Autun, Talleyrand, qu’on avait forcé à devenir prêtre. Et ils prirent avec légèreté le risque d’une coupure avec Rome, ce qui constitue un schisme pour les catholiques. D’ailleurs on lit dans le registre d’état-civil de Chauché l’expression significative de « catholiques romains » pour désigner les récalcitrants aux nouvelles mesures.

En conséquence, la mise en œuvre de cette politique opéra une rupture dans la société, transformée en guerre civile en l’espace de deux à trois années, entre la masse des Vendéens du Bocage et du Marais Breton et les nouvelles autorités révolutionnaires, minoritaires dans les gros bourgs. Parmi les causes de ce drame, cette rupture tient une place essentielle.  

Les départements avaient été mis en place à partir du mois de mars 1790. Dans la même période on avait vu à Saint-André-Goule-d’Oie s’installer la première municipalité, avec la création des communes. On créa aussi une garde nationale avec pour commandant le seul ancien militaire de la commune, habitant régulièrement sur place, Jean de Vaugiraud. Elle participa, a-t-on écrit, avec 18 autres communes du Bocage au rassemblement de l’Oie le 30 mai 1790. Les rassemblements avaient pour but de manifester l’attachement à la patrie. Ils devaient aboutir à la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, à l’origine de notre fête nationale comme chacun sait.

Puis dans chaque département on avait installé des districts, dont celui de Montaigu, comprenant le canton de Saint-Fulgent. Le président du district de Montaigu était un médecin, Rousse, et son procureur-syndic était un ancien avocat au parlement de Paris de 1776 à 1780, qui avait fait son droit à Poitiers, Vendéen d’origine, Philippe Charles Aimé Goupilleau (1749-1823). Il fut procureur syndic de la Rocheservière en 1789, puis du district de Montaigu en 1790 (6). Chargé de l’exécution des lois, le procureur-syndic apparaît comme le représentant du pouvoir législatif parisien.

Goupilleau de Montaigu
À la suite du soulèvement vendéen en mars 1793, Goupilleau de Montaigu fut envoyé en mission en Vendée de mai à août 1793. Il s’y opposa aux exécutions, qu'il jugeait inutiles. De 1793 à 1795 il semble s’être montré très scrupuleux dans ses fonctions de représentant en mission dans le Midi de la France (7). De janvier à mars 1796 il s’opposa à Hoche, l’accusant de rallumer la guerre de Vendée en protégeant les nobles et les prêtres. Il fut soutenu par son ancien collègue de Pouzauges à la Convention, Dominique Dillon, contre ce que ce dernier appela la « faction hochique » (8). Pour une compréhension du personnage, nous renvoyons au livre de Mireille Bossis et Philippe Bossis, Goupilleau de Montaigu : les apprentissages d'un révolutionnaire vendéen (1763-1781) (9). Un des traits dominants de son action politique est son anticléricalisme. Un de ses traits de caractère est sa raideur. Voyons-les à l’œuvre.

Goupilleau de Montaigu s’oppose à la municipalité de Saint-André-Goule-d’Oie


Le 2 septembre 1790, les tout nouveaux élus de Saint-André écrivirent une pétition à l’Assemblée nationale pour protester contre le projet de mise en vente de tous les biens du prieuré. On n’a pas le texte de leur lettre, mais on a en réponse un réquisitoire de Goupilleau à ses collègues en date du 3 novembre 1790 (10). Il propose une réponse musclée comme on le voit :  

« Dans le réquisitoire du procureur syndic du district de Montaigu – extrait du registre des délibérations. »
« No 4                                           Du 3 novembre 1790
Le procureur syndic a dit messieurs

Chargé par état de veiller à l’exécution des lois, je ne dois pas garder le silence lorsque je suis informé qu’on s’y oppose. La municipalité de Saint André de Goule d’Oie a, non seulement osé le faire, mais encore s’est coalisé avec des municipalités étrangères. Elle a fait plus, elle a osé vous adresser une pétition en date du 2 septembre dernier, tendant à vous faire adopter une façon de penser aussi criminelle, et en vous priant de vous opposer à ce que les biens qui dépendent de leur cure fussent vendus, attendu que leur jouissance en était indispensable à leur curé. 
C’est sans doute, messieurs, un égarement de la part de ceux qui ont souscrit une demande aussi étrange. Pourrait-il en être autrement puisqu’ils s’adressent pour la faire adopter, à vous qui avez fait serment d’être fidèles à la même loi qu’ils vous proposent de violer ? (puisque). Ces mêmes biens, dont ils voudraient empêcher la vente, leur curé lui-même s’est soumis pour (en) acheter; (et que) son intérêt personnel devant céder à celui de l’État, il ne doit pas s'effrayer des enchères.
Mais, messieurs, quoiqu’il paraisse évident que les officiers municipaux aient été séduits et trompés, nous n’en devons pas moins un exemple. Votre silence sur une pétition de cette nature, pourrait en autoriser d’autres, et l’aliénation des biens nationaux, cette question dont dépend en partie le salut de l’État, serait arrêtée dans notre district, tandis que tout doit exciter et encourager la confiance. Je vous demande donc que cette pétition des officiers municipaux de Saint André Goule d’Oie du 2 septembre dernier, que je laisse sur le bureau, soit proscrite par vous comme inconstitutionnelle, que défense soit faite d’en faire de pareilles à l’avenir, et que vous preniez pour la publicité de vos décisions, telles précautions que vous dictera votre sagesse. »

Une adresse  en 1790
à l’Assemblée Nationale
L’idée de garder quelques terres aux curés de campagne avaient été plaidée, sans succès, par l’abbé Grégoire à l’Assemblée nationale (11). La mise en œuvre de cette loi relevant de la compétence du district, c’est à lui de répondre à la lettre des élus. Dès les premiers mots on comprend que la démarche est illégitime pour le procureur syndic. Le droit de pétitionner, de donner son avis, que possédaient avant la création des communes les assemblées des habitants des paroisses n’est plus de mise. Sauf à être du bon côté, celui des révolutionnaires. On ne s’en priva d’ailleurs pas à Paris, où les assemblées reçurent beaucoup de pétitions, des « adresses » » comme on disait à l’époque. Ce fut même un des procédés parmi les plus efficaces dans la dynamique du processus révolutionnaire parisien, sans même évoquer plus tard les intimidations, même accompagnées de violences, subies par les députés. Pour Goupilleau, la municipalité de Saint-André ne disposait pas de ce droit, c’était même criminel d’en user. 

Son objectif, indiqué à la fin de son réquisitoire, est de réclamer à ses collègues un exemple : la pétition doit être proscrite comme anticonstitutionnelle. Il faut empêcher le renouvellement de ce type de pétitions, en édicter l’interdiction tout simplement et le faire bien savoir. Par ailleurs, il rappelle l’urgence de la vente des biens « nationaux », dont « dépend en partie le salut de l’État ». Et il n’avait pas tort, au regard de l’état des finances publiques. Les deux points de vue, celui des édiles d’un côté, celui du procureur-syndic de l’autre, se comprennent parfaitement. Fallait-il qu’ils s’affrontent ? Goupilleau avait fait le choix de répondre non à la demande de la municipalité, ce qui était son droit, son devoir aussi. Il y avait néanmoins plusieurs façons de le faire, même avec fermeté, et même à son époque. Il aurait pu expliquer la loi pour atténuer les incompréhensions suscitées, et souligner son approbation par le roi. Le procureur-syndic a contribué à la naissance des tensions à Saint-André en cette fin de 1790, obtenant ce qu’il a suscité. Il faisait partie de ces révolutionnaires locaux qui se savaient en minorité. De là peut-être son intransigeance. 

Mais pour comprendre Goupilleau il faut pénétrer le système de pensée des révolutionnaires. Ils étaient dans une logique d’idées : l’Assemblée exprimait la volonté du peuple, autorité suprême, libératrice, incontestable et indépassable. De cet absolu doctrinal où la loi est l’expression de la volonté générale, il s’en suit qu’il n’était pas possible de l’amender dans son exécution. Cette approche par la logique est une bonne tactique en même temps. Goupilleau écrit en effet : « C’est sans doute, messieurs, un égarement de la part de ceux qui ont souscrit une demande aussi étrange. Pourrait-il en être autrement ? ». Plus loin, il concède que les « criminels » ont pu être « trompés ». Voilà notre idéologue moins extrémiste qu’il n’en avait l’air. Les « criminels » manquent de logique, et voilà ses collègues du district, à qui il s’adresse, enfermés dans son raisonnement. C’est habile à première vue à leur égard.  

L’absolu de la loi était une idée ancienne et avait déjà été affirmée en lien avec la souveraineté absolue du roi par le théoricien Jean Bodin au 16e siècle. On en avait gardé l’emprunte dans la montée de l’absolutisme monarchique, symbolisé par le mot apocryphe de Louis XIV : « l’État c’est moi ». Mais cet absolutisme, parce qu’il prétendait se soustraire aux contingences des conflits internes dans la société politique, portait avec lui sa fragilité. Ainsi, en prenant l’habitude de reculer dans les conflits, Louis XVI avait perdu son pouvoir faute de se reconnaître légitime à négocier. Les révolutionnaires, tout empressés à refonder l’absolu de la loi dans une nouvelle légitimité, n’ont pas vu le danger. C’est ce qui explique, entre autres, un de leurs traits dominant : une divergence ne peut pas être résolue par la persuasion ou le compromis, mais par l’imposition du silence au contradicteur. Suivront plus tard la prison, la déportation puis la mise à mort. En explorant les racines de ce trait on trouverait par exemple la politique d’éradication du protestantisme par Louis XIV. Ainsi pour Goupilleau un nouveau credo, celui de la « loi » devait s’imposer, vue comme l’incarnation de la démocratie à bâtir. Il a ajouté sa manière tatillonne de le mettre en œuvre et a entretenu des divisions. On sait que le mépris contre les bourgeois « arrogants », les « patauds » comme on disait, fut une antienne très répandue dans les rangs des insurgés pendant la guerre de Vendée. Certains y ont laissé leur vie en représailles.

Caricature anticléricale à l’époque révolutionnaire
Qui était ce « pataud » ? Vendéen d’origine, Philippe Goupilleau appartenait à une famille de bourgeois fournissant au moins un prêtre à chaque génération (13). Il avait fait son droit à Poitiers et exerça le métier d’avocat au parlement de Paris de 1776 à 1780 (14). Aussitôt élu député en septembre 1791, il s’inscrira le mois d’après au club des Jacobins à Paris. Il se distinguera alors par ses motions contre les prêtres et les nobles. Le 17 avril 1792, il dénoncera à la tribune de l’Assemblée Législative les prêtres de Vendée comme fauteurs de guerre civile. Il a cultivé un anticléricalisme virulent jusqu’à son dernier souffle de vie. Nous renvoyons à sa courte biographie dans le dictionnaire des Vendéens, sur le site internet des Archives départementales de la Vendée.  Un des traits dominants de son action politique est son anticléricalisme. 

Les ventes des biens du prieuré de Saint-André-Goule-d’Oie


On trouve aux Archives départementales de la Vendée, dans le sommier des adjudications des domaines nationaux faites par le district de Montaigu, coté 1 Q 232 chapitre 26, les ventes suivantes des biens d’Église à Saint-André :

Métairie de Fondion en 2016
  • le 28 février 1791 la métairie de Fondion à René Robin pour 12 000 F. C’était un bourgeois de Sainte-Florence-de-l’Oie, tanneur de profession, et marié avec Marie Péaud.
  • Le 14 avril 1791 « le temporel du ci-devant prieuré » à Nicolas Lefevre Couzartière de Cholet pour 45 000 F. Le temporel en question n’est pas désigné. Or ce n’est pas le presbytère ni la borderie dans le bourg, qui furent vendus plus tard. À cause du prix on ne peut pas croire qu’il ne concerne que les rentes évoquées plus haut et le moulin. Nous savons que cette liste de biens, que nous avons tenté d’établir, est probablement incomplète. L’importance du montant de la transaction intrigue. Peut-être d’autres biens se trouvaient-ils situés dans une paroisse voisine. On lit bien sur le document que le prix a été payé en quatre fois à crédit en grande partie, avec le mot soldé écrit sur le décompte des versements.
  • Le 4 mai 1791 une rente de 4 boisseaux de seigle sur la Maigrière à Jean Boisson de Chavagnes pour 200 F. L’enchère valorise le boisseau de seigle à 50 F de capital, soit à 2,5 F la valeur d’un boisseau, suivant les calculs habituels de l’époque.
  • Le 5 mai 1791 la borderie de la cure et une rente de 29 boisseaux de seigle à Jean Aimé de Vaugiraud pour 7 000 F. Il est le seul habitant de la commune à avoir acheté un bien d’Église. Il appartenait à une famille noble. Il faut rappeler ici que de manière générale, la vente des biens d’Église ne posa pas de difficultés en Vendée. Celles-ci sont spécifiques à Saint-André-Goule-d’Oie.
Jean de Vaugiraud a été protégé par la population quand Benjamin Martineau, membre de la municipalité de Saint-Fulgent et responsable des gardes nationaux de la commune, est venu l’arrêter à la demande des instances du département en mars 1793, au motif qu’il était suspect. Ses voisins se sont interposés en face des gendarmes, les ont injuriés et menacés, et les ont fait fuir. Ce sont pourtant les représentants de cette même population qui avaient milité un an et demi plus tôt pour refuser la vente d’une partie des biens d’Église. L’achat de M. de Vaugiraud avait-il été de complaisance, dans le but d’en faire retour au prieuré ? On connaît des cas de cette nature dans la contrée, c’est pourquoi nous posons la question. Mais faute de preuve, nous ne répondrons pas. D’autant qu’en dehors de Saint-André-Goule-d’Oie, on sait que la vente des biens d’Église n’a généralement pas posé de problème aux populations. Néanmoins les gens de Saint-André ne sont pas les seuls à avoir voulu préserver de la vente une part des biens de la cure. L’argument des revenus ecclésiastiques au bénéfice des pauvres a été utilisé, notamment lors de la révolte d’habitants en janvier 1791 dans le district de Châtillon (15).

Il est intéressant de relever que des métayers de Chauché ont trompé les représentants de l’administration lors de la confiscation des biens du seigneur Durcot de Puytesson. Ils ont réussi à soustraire ainsi 1178 boisselées de terre dans l’inventaire, soit 60 % du domaine ! La manœuvre a permis au propriétaire de les récupérer à son retour d’émigration (16).

Après les ventes que nous venons d’indiquer, les archives ne nous en donnent plus d’autres à constater. En particulier, ni l’église ni le presbytère n’étaient vendus au début de l’année 1793. La guerre de Vendée se déroula pour les habitants de Saint-André de mars 1793 à mars 1796. Les ventes reprirent ensuite, mais réalisées désormais à Fontenay-le-Comte par les administrateurs du département.

La Brossière en 2016
Le 29 juillet 1796 le presbytère et l’église de Saint-André-Goule-d’Oie furent adjugés à François Fluzeau le jeune (1763-1824) pour 1 124 F, un habitant du village de la Brossière (17), qui allait être élu agent de la commune (maire). Il était marchand et appartenait à la couche la plus aisée de la paysannerie, faisant jeu égal de fortune avec les petits bourgeois des bourgs de la contrée. Une estimation de ce montant avait été faite le 24 juillet précédent par Jean Coutaud, cultivateur demeurant à Chavagnes représentant le département, et Jean Rondeau, cultivateur à André-Goule-d’Oie (nom révolutionnaire) représentant le soumissionnaire Fluzeau, en présence de Louis Merlet, commissaire du directoire exécutif près l’administration municipale du canton de Fulgent-des-Bois (nom révolutionnaire). Ils ont estimé que le revenu annuel en 1790 était de 60 livres pour les bâtiments et de 2 livres pour une petite surface de terre. Le premier chiffre a été multiplié par 18, et le deuxième par 22, pour obtenir la valeur totale en capital de 1124 livres. Ce montant paraît bien faible, la seule église de Saint-Fulgent, incendiée, ayant été vendue 3000 livres à Pierre Louis Guyet, frère du châtelain de Linières. Et la présence de Merlet ne rassure pas sur sa sincérité. Voir à cet égard l’article publié sur ce site en février 2017 : Les persécutions religieuses dans le canton de Saint-Fulgent (1796-1799).

Voici comment sont décrits les biens vendus : « la maison ci-devant curiale de la commune de André-Goule-d’Oie consiste dans une cuisine, une chambre, un four, un salon, une chambre au-dessus et une cabine à côté, un cellier et une chambre par-dessus, une cour, deux petites écuries, une poulaillerie et un toit, un jardin, une grange-grenier par-dessus, ensemble (en plus) la ci-devant église dudit lieu, sacristie et ballet (auvent) en dépendant, le tout se joignant, contenant le total environ 2 boisselées de terre (2 430 m2), y compris quelques bâtiments et servitudes qui ont été incendiés. Plus une ouche contenant environ une boisselée appelée les Trois Carrières tenant au chemin qui conduit à Florence. »

Revente de l’église, du presbytère et de la borderie


Deux ans plus tard, le 1e juillet 1798, le presbytère, la borderie et l’église sont à nouveau vendues, mais à René Robin (de Sainte-Florence), pour 23 200 F (18). Il était tanneur et fermier, acheteur de biens d’église.

La borderie avait été reprise par l’administration à M. de Vaugiraud, faute de paiement. On lit en effet sur le sommier de l’adjudication qu’un acompte de 840 F fut payé le 27 mai 1791, puis la notation suivante : « À défaut de paiement le domaine a été revendu par le gouvernement ».

Le motif ne surprend pas. On sait en effet que Jean Aimé de Vaugiraud et son frère Augustin ont habité Paris de mars à septembre 1792, puis son frère fut incarcéré à Nantes à la fin de l’année à titre de suspect (19). À voir les attestations que ce dernier dut produire de sa prison sur sa présence à Paris, son autorisation de voyager, l’attestation sur leur emploi du temps le 10 août 1792 (avec son frère), son serment civique du 6 septembre 1792 à la section de Beaurepaire séante aux Mathurins à Paris, la police était entrée dans la vie privée des personnes cette année-là. Pour des nobles il y avait de quoi avoir peur. Il parait probable que Jean de Vaugiraud s’est caché des autorités officielles au lieu d’aller au district de Montaigu payer son échéance. Pourtant, avec son engagement ensuite dans la guerre de Vendée aux côtés du général de Royrand de l’armée du Centre, on ne lui confisqua pas le reste de ses biens ! Certes, les révolutionnaires du district de Montaigu ont eu bien des tracas pendant cette guerre, mais cela ne les empêcha pas de confisquer par exemple les biens du général de Royrand, son voisin.

Une estimation de la borderie fut faite le 20 janvier 1798 pour 2 200 F, valeur en capital de 1790, ne tenant pas compte de l’enchère de 1791. Elle comprenait environ 7 boisselées de pré et 36 boisselées de terres et jardins dans le bourg (5,2 ha au total).

La revente du presbytère et de l’église, deux ans après son achat par François Fluzeau, tient aussi à l’abandon après coup de ce dernier. Il avait démissionné de sa charge d’agent au mois de septembre 1797, plutôt que de prêter le serment prévu par la loi du 19 fructidor an 5. C’était une loi d’épuration concernant tous les fonctionnaires, en les obligeant à prêter un serment de « haine à la royauté ». Fluzeau préféra démissionner. Dans une lettre de Merlet à l’administration du département, on apprend le 27 septembre 1797 que tous les membres de l’administration municipale du canton de Saint-Fulgent, agents et adjoints, à l’exception du président, de deux agents et de deux adjoints, ont donné leur démission en vertu de cette loi. Notamment, Fluzeau, agent de Saint-André, est alors remplacé par Jean Bordron fils, surnommé « La Couette » (20). Aux élections, on substituait désormais les nominations.

Cette démission révèle un désaccord politique entre François Fluzeau et le parti des révolutionnaires de Saint-Fulgent. Ceux-ci, peu nombreux, donnent une image d’eux très particulière, où dominent l’extrémisme, l’intérêt personnel, et les querelles de clans. François Fluzeau avait été « capitaine d’infanterie dans les armées royales », suivant le titre de décoration du Lys qu’il reçut le 1e janvier 1815 (21). Il n’a pas voulu se renier, et abandonna l’achat de l’église en même temps que son mandat municipal.

Il donna asile au curé de Saint-André-Goule-d’Oie pour dire des messes clandestines, chez lui, dans une grange de la Brossière en octobre 1797 (22). Tous ces détails nous incitent à penser qu’il n’avait pas l’intention de détourner l’église de la paroisse de son usage cultuel. Peut-être même son achat avait-il été de complaisance.

D’ailleurs, le nouvel acquéreur de l’église en 1798, la laissait encore au mois de février 1799 à la disposition des fidèles. Ceux-ci venaient les dimanches y prier, même en l’absence très probable de prêtres (23). L’agent de Saint-André successeur de Fluzeau, le fils Bordron, se refusait à cette époque à la fermer. Tout républicain qu’il fût, il vivait au milieu d’une population qui ne l’aurait pas laissé faire visiblement, à commencer par ses proches. C’est le même qui refusa de faire abattre des croix dans la commune. De plus, le presbytère faisait l’objet de locations en cascades. D’abord le propriétaire de Linières, Joseph Guyet, appartenant au camp républicain, le louait au propriétaire pour le sous-louer à un étranger de la commune, Sébastien Mercier, garde champêtre demeurant à la Pelissonnière au Boupère. En 1801 ce dernier le sous-affermait ensuite verbalement à différents habitants de la commune qui le destinaient à l’usage d’un prêtre. Des problèmes d’entretien conduisirent Joseph Guyet à demander un dédommagement au juge de paix de Saint-Fulgent en messidor an IX (juin 1801). Parmi les habitants cités dans l’enquête du juge et s’occupant du presbytère on voit François Fluzeau et Jean Herbreteau du bourg, Pierre Herbreteau maire de la commune, Jean Rochereau de la Boninière et François Cougnon du Coudray (24). Le procès dû s’arrêter après l’enquête car en novembre 1801 le presbytère fut acheté par 38 particuliers.

La vente des biens du « couvent de Saint-Fulgent »


Pour être complet nous évoquerons rapidement quelques biens à la Javelière qui appartenaient à des religieuses établies à Saint-Fulgent. Le commissaire de la municipalité du canton de Saint-Fulgent fit procéder le 27 mars 1799 à l’estimation d’une grange et de neuf parcelles de jardin et terres, totalisant environ 1 ha à la Javelière. Il s’appelait Benjamin Martineau, vivait à Linières chez son beau-frère Joseph Guyet, qui allait acquérir bientôt le domaine de la vicomtesse de Lespinay. Voir l’article publié sur ce site en avril 2011 : Etienne Benjamin Martineau.

Pour désigner ces biens, l’expert originaire de Mouchamps écrit sous la dictée de Martineau qu’ils sont « du couvent de Saint-Fulgent provenant de la ci-devant communauté des filles du dit Fulgent ». Plus loin une précision intrigue : « provenant le tout de la communauté des propagandes de Saint-Fulgent » (25). On sait qu’en 1771 Mme de Chevigné fit une fondation pour créer une école des filles à Saint-Fulgent. L’acte portait que « la maîtresse régente choisira une fille pour l’aider à secourir les pauvres et les malades de la paroisse, et l’entretien des autels de l’église » (23). Jusqu’à la Révolution on eut ainsi à Saint-Fulgent une école dite « de la Charité » et « la confrérie des dames de la Charité », suivant l’historien Maurice Maupilier (27). Dans ses « Chroniques paroissiales » l’abbé Aillery indique que la chambre ecclésiastique du diocèse de Luçon payait avant la Révolution à la Charité de Saint-Fulgent la somme annuelle de 600 livres (28). Saint Vincent de Paul avait réuni l’Union Chrétienne et la Propagation de la foi dans une même communauté, dont les sœurs se consacraient à des activités de soins dans les hôpitaux et d’instruction dans les écoles (29). Le mot de propagation provient du prosélytisme à l’égard des calvinistes, à l’origine de la congrégation religieuse de la Propagation de la Foi, d’où « la communauté des propagandes de Saint-Fulgent ».

la Javelière en 2016
La date de cette estimation intrigue. Cela faisait neuf ans qu’elle aurait dû être faite selon la loi, avec la valeur en cours de l’année 1790. Il est difficile de soupçonner la municipalité de Saint-Fulgent de négligence, quand on se souvient de son zèle révolutionnaire, en particulier de celui de Martineau. Et les bourgeois républicains avaient été suffisamment frustrés par le seigneur local, Agnan Fortin, qui avait raflé l’essentiel des ventes de biens d’Église dans la commune. Mais peut-être une première estimation avait-elle été faite, perdue ensuite à cause des combats qui s’y déroulèrent en 1793 et 1794 ?

Ces biens à la Javelière furent mis d’abord en location par enchère publique. Et un décret impérial en 1808 en affecta les revenus à l’hôpital de Saint-Fulgent, remis en activité en 1804. Désormais il était tenu par les sœurs de Chavagnes, une nouvelle congrégation créée par le père Baudouin (30). 


Le rachat de l’église et du presbytère


Comme les châteaux et les métairies des nobles, les biens des prieurés et des cures restèrent à leurs nouveaux propriétaires qui les avaient acquis légalement, même après la Révolution. Mais les églises et les presbytères posèrent un problème avec la restauration de la liberté religieuse à partir de 1800 par Bonaparte. Comme souvent ailleurs on fit une souscription, et un groupe de fidèles de Saint-André-Goule-d’Oie racheta l’église et le presbytère à son acquéreur.

D’abord un groupe de 16 paroissiens fit l’acquisition de l’église avec sa sacristie pour 300 F auprès de René Robin le 13 avril 1801 (31).

Ensuite, ils ont été 38 particuliers à racheter le presbytère le 26 novembre 1801 au même René Robin, pour 1 324 F (32). Ce montant fut divisé en 78 parts d’une valeur de 17 F chacune. Les plus gros acheteurs ont pris 3,75 parts, d’autres 2, d’autres 1,5 ou 1. La châtelaine de la Rabatelière et celle de Linières ont participé à la souscription. Il est indiqué dans l’acte d’achat que les parties jouiront tous ensemble d’un commun accord, sans pouvoir les diviser ni les vendre et faire vendre par licitation. Les frais d’actes (80 F) sont supportés par François Cougnon. Ancien capitaine de paroisse pendant la guerre, il était plutôt riche à cause de sa femme, et avait dû garder l’habitude de l’exemplarité.

À regarder la liste des souscripteurs à chaque fois, on voit les plus importants propriétaires de la commune avant tout. Bien sûr c’étaient de bons catholiques, mais pas plus que ceux qui n’ont pas donné vraisemblablement. De 1791 à 1800 la population de la commune était passée de 1300 à 1032 âmes. En 1826 elle n’avait augmenté que de 9 % par rapport à 1800 (33). Nous n’avons pas de chiffres pour évaluer les ruines, mais on devine l’état de dénuement qui régnait encore dans les maisons rescapées, retapées ou reconstruites. Que la richesse ait été le facteur déterminant dans la constitution de ces deux listes paraît bien incontournable.

Dans l’église restituée légalement à ses fidèles, un nouvel objet précieux avait pris place : la croix de Charette. Désormais elle ferait partie du patrimoine de la paroisse, puis de la commune, classée au patrimoine historique en 1983 (34), et conservée jusqu'à récemment dans l’église pour servir aux cérémonies (elle est maintenant en lieu sûr à la Roche-sur-Yon). Elle est en lames d’argent sur âme de bois, avec gravures. Elle avait été dérobée par les Bleus, puis reprise par les Vendéens. En décembre 1793, après le combat des Quatre-Chemins, Charette avait demandé à ses hommes de confier cette croix au desservant de la première église qu’ils rencontreraient en allant à Montaigu. Grâce à un habitant de la Brossière, elle fut ainsi dirigée vers l’église de Saint-André-Goule-d’Oie (35). La période concernée est 1794/1795, mais on ne sait pas à qui elle fut confiée ni comment elle fut cachée. Naturellement on l’appela la « Croix de Charette », et deux siècles après son nom fut donné à une rue dans le bourg de la commune. La croix de procession comporte un poinçon de la jurande de Nantes, et est datée vers 1623, attribuée à l’orfèvre nantais Denis Sevin. À ce titre elle fut prêtée pour l’exposition de 1989 sur les orfèvres de Nantes organisée dans cette ville au musée Dobrée (36). Le culte de Charette fut aussi marqué à Saint-André-Goule-d’Oie par la célébration d’une messe chaque année le lundi de la passion voulue en 1827 par l’évêque de Luçon, « pour le repos des âmes du général Charette, des braves qui sont morts en défendant la cause sacrée de l’autel et du trône, et des autres victimes de la fidélité pendant la guerre de la Vendée » (37). Elle fut célébrée dans l’église paroissiale de 1827 jusqu’en 1946, date à laquelle le capital initial de 100 F de la fondation de cette messe fut versé par la paroisse de Saint-André à l’évêché de Luçon (38).

Quel lien avec la guerre de Vendée ?


Michel Moy : Sans Titre
Une question importante est d’examiner le lien possible entre ces ventes et la révolte vendéenne. Des historiens ont mis en avant l’accaparement par les bourgeois républicains des biens nationaux, pour en déduire la jalousie des paysans, frustrés de ne pas avoir pu les acheter eux-mêmes. Cette frustration les aurait conduits à une hostilité envers les nouvelles autorités révolutionnaires. Additionnée à d’autres facteurs, elle contribuerait à expliquer l’origine de la révolte vendéenne (39). À Saint-André-Goule-d’Oie, ce facteur n’a pas joué, même si le curé a songé à acheter des biens d’Église. On n’en a vendu qu’à des étrangers à la commune, sauf à Vaugiraud, mais c’est une exception qui est à prendre avec précaution comme nous l’avons vu. Et encore, on aimerait bien connaître la liste des membres de la coalition contre ces ventes, dont Goupilleau accuse la municipalité de Saint-André-Goule-d’Oie de faire partie. Une minorité d’habitants conduite par le maire Jean Bordron, un artisan aisé, se rangea du côté républicain, comme on le voit à sa participation au scrutin de mars 1799 pour l’élection du président de la municipalité cantonale. Mais Jean Bordron collabora avec le prieur de la paroisse pour tenir le registre paroissial au 2e semestre 1792, quand ce dernier dû se cacher pour éviter la déportation. Son frère Pierre, habitant la Ridolière, fut tué par les républicains le 5 décembre 1795. Là encore la documentation fait défaut sur ce premier maire de Saint-André. Et pourtant il serait intéressant de mieux connaître en pleine guerre civile ce républicain non violent et les divisions politiques dans la population.

Le maire républicain de Chauché en 1799, Jean Marie Cailleteau, paraît de la même veine que Jean Bordron. Ses notes sur les registres de sa commune révèlent un esprit cultivé, des opinions politiques fermes et un comportement pacifique. Ce petit extrait écrit par lui après 1796 en témoigne, pour expliquer son annotation du 2e registre clandestin : « C’est par suite de l’affreuse guerre civile qui a eu lieu dans le pays depuis le 13 mars jusqu’en l’an 1796 que ce codicille a eu lieu, les révoltés ayant détruit et renversé les autorités établies par la constitution qu’ils voulaient [] et vainement anéantir. Chose étrange, ce peuple en révolte et aveuglé s’armait contre ceux qui voulaient lui rendre ses droits naturels. Ô inconcevable travers de l’esprit humain ! » (40). Fils du fermier de Languiller, la famille de Jean Marie Cailleteau s’est divisée en politique. Sa sœur Adélaïde épousa en 1802 Pierre Rézeau, un chef vendéen nommé par Charette. Son autre sœur Marie Anne épousa René Bossard, agent républicain de Chauché pendant le Directoire. Son frère Pierre Louis combattit aux Cent Jours. Sa mère logea à Languiller en 1795 le vicaire général de l’évêque de Luçon en exil, accompagné de trois infirmières, une religieuse, deux dames nobles et un jeune enfant. Ces deux maires voisins nous montrent une société villageoise plus tolérante en son sein que beaucoup de récits sur la guerre civile ne pourraient le laisser croire. Leurs attitudes nous montrent aussi que leurs motivations personnelles ne rentrent pas toujours bien dans les cases définies par les écoles de pensée.

La population du Bocage vendéen a manqué des motifs qui ailleurs ont mis le peuple dans un mouvement de révolte, de jacquerie aussi a-t-on écrit, rejoignant les discours et l’action des révolutionnaires en 1789 et 1790. Qui plus est, la révolte de la faim aux Essarts au printemps 1789 avait eu pour cible un convoi de grains appartenant à Charles Guyet, les bourgeois comme lui tenant dès le départ le mauvais rôle pour la population, plutôt que les nobles. Et comme Guyet, d’autres bourgeois se mirent en avant dans le soutien aux grandes réformes de l’été 1789. Pourtant rien ne pouvait laisser croire à cette même date que la majorité de la population devienne « anti » révolutionnaire rapidement, puis « contre » révolutionnaire au bout de trois ans, les armes à la main.

Pour comprendre le phénomène, la société vendéenne d’alors doit être interrogée bien sûr. Mais comme la Révolution elle-même, ce qu’on appelle la Guerre de Vendée ne peut être pris d’un bloc. La première montée des tensions à Saint-André (été 1790-mars 1793), est née de causes entremêlées. Parmi elles, on voit dans cette commune la part prise par l’arrogance de Goupilleau de Montaigu. Son attitude toute en raideur a braqué une population qui ne paraît pas avoir été hostile au départ à la Révolution.

Et dans la révolte de mars 1793, on peut relever la chasse aux hommes de loi préposés à la vente et à l’enregistrement des domaines. Il n’y eut pas que le refus du recrutement à l’armée et la chasse aux curés assermentés. Ainsi les insurgés arrêtent-ils Louis Chollet le 13 mars à Montaigu, directeur de l’Enregistrement et des Domaines, le poussent devant eux et le font périr. Jean Victor Goupilleau (frère de Charles Aimé évoqué précédemment), aurait été spécialement visé, mais ce jour-là il était à Nantes (41).

(1) Ferme du 10-4-1779 de la métairie de Fondion pour 5 ans, Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Mathurin Thoumazeau : 3 E 30/123.
(2) Livre des recettes du prieuré commencé en 1671, Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 28, chemise IV. 
(3) Marcel Faucheux, Un ancien droit ecclésiastique perçu en Bas-Poitou, le boisselage, Potier, 1953, annexe VII : état des 131 cures à boisselage vers 1770, page 71 et s.
(4) Déclaration roturière du 2-9-1711 de Marguerite Rousseau, veuve Corbière, à Languiller pour la métairie de la Chevaleraye dans Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 58.
(5) Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/F 32, déclaration roturière du 17-12-1745 de la borderie de la Vignolle (Chauché).
(6) Archives nationales, dictionnaires des députés, Philippe Charles Aimé Goupilleau.
(7) Claude Gandrillon, Philippe Charles Aimé Goupilleau de Montaigu (1749-1823), représentant en mission dans le Midi, dans Les Bleus de Vendée, Éditions du CVRH, 2010, page 127.
(8) Médiathèque de Nantes, collection Dugast-Matifeux série Révolution, vol 75, pièce 109, cité par l’abbé Boisson.
(9) Mireille Bossis et Philippe Bossis, Goupilleau de Montaigu : les apprentissages d'un révolutionnaire vendéen (1763-1781) dans Archives de la Vendée : BIB B 3223. 
(10) Rapport du 3-11-1790 de Goupilleau au district de Montaigu sur la pétition de la municipalité de Saint-André-Goule-d’Oie : no 6, 4. Médiathèque de Nantes, collection Dugast-Matifeux, vol. 67.
(11) Compte-rendu par S. de Dainville-Barbiche du livre de Rodney J. Dean (2014), L’assemblée constituante et la réforme ecclésiastique. 1970 : la constitution civile du clergé du 12 juillet et le serment ecclésiastique du 27 novembre, dans Histoire de l’Église de France, no 10, 2016, p. 176.
(12) Archives nationales, dictionnaires des députés, Philippe Charles Aimé Goupilleau.
(13) Ibidem : 7 Z 95, le clergé avant et sous la Révolution
(14) Mireille Bossis et Philippe Bossis, Goupilleau de Montaigu : les apprentissages d'un révolutionnaire vendéen (1763-1781) dans Archives de la Vendée : BIB B 3223. 
(15) Jacques Peret, Histoire de la Révolution Française en Poitou-Charente 1789-1799, Projets Éditions, Poitiers, 1988, page 157.
(16) P. Bossis, Recherches sur la propriété nobiliaire en pays vendéen avant et après la Révolution,  dans l’Annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée (1973), page 139.
(17) Vente le 29-7-1796 du presbytère et de l’église de Saint-André-Goule-d’Oie à Fluzeau, Archives de la Vendée, ventes des biens nationaux : 1 Q 240 no 261.
(18) Vente le 1-7-1798 du presbytère, borderie et église de Saint-André-Goule-d’Oie à Robin, ibidem : 1 Q 267 no 1401.
(19) Deuxième réclamation d’Augustin de Vaugiraud du 14-1-1793 aux administrateurs du département de la Loire-Inférieure, et attestation du 31-10-1792 de Charles Joseph Daricourt, Archives de Loire-Atlantique, police des suspects de 1792 incarcérés au château de Nantes : L 241-2. 
(20) Lettre de Merlet à Coyaud du 6 vendémiaire an 6, Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II.
(21) Famille Fluzeau à Saint-André-Goule-d’Oie, ibidem : 7 Z 75.
(22) Lettre du 1e brumaire an 6 de Merlet au commissaire du département, ibidem : 7 Z 12-II. Voir aussi l’article d’Edgar Bourloton, Le clergé de la Vendée pendant la Révolution, dans la Revue du Bas-Poitou (1903-3), page 215 et s.
(23) Lettre du 27 pluviôse an 7 de Martineau au commissaire du département, ibidem : 7 Z 12-III.
(24) Copie d’Amblard de Guerry des registres d’état-civil de Chauché et Saint-André-Goule-d’Oie en 1793, et des registres du juge de paix de Saint-Fulgent dans la période révolutionnaire.
(25) Estimation des biens du couvent de Saint-Fulgent à la Javelière le 29 germinal an 7, Archives de Vendée : 1 Q 218. 
(26) Archives Historiques de Saintonge et d’Aunis, 1896, tome 25, p.130, citées par famillesvendennes.fr : de Chevigné (Branche de Preigné et la Grassière).
(27) Maurice Maupilier, Des étoiles au Lion d’or, Saint-Fulgent sur la route royale, Hérault-Éditions, 1989, page 119.
(28) Abbé Aillery, Chroniques paroissiales, Tome 1, 1892, pages 264 et 265.
(29) Propagation (école de la) à Montaigu dans le Dictionnaire toponymique, en ligne sur le site internet des Archives départementales de la Vendée.
(30) Idem (28).
(31) Archives de Vendée, notaires de Mouchamps, étude A, Morisson (an V- an X), vue 613. Transcription par F. Charpentier dans son livre, Chez nous en 1793, Saint-André-Goule-d'Oie, récits d'un vieux Vendéen, éditeur J. Siraudeau à Angers, 1906, page 274 et s. (Voir aux Archives de la Vendée).
(32) Ibidem.
(33) Jacques Hussenet, Détruisez la Vendée, Éditions du CVRH, 2007, page 605.
(34) http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/dapapal_fr. Ce site conduit à la base Palissy des objets mobiliers. Pour ouvrir sur la description de la croix, il faut renseigner la case de texte libre (croix de procession) et celle de la localisation (Saint-André-Goule-d’Oie).
(35) Revue du Souvenir Vendéen, no 213, décembre 2000, page 38.
(36) Courrier du conservateur des musées de Loire-Atlantique en 1889 au curé de Saint-André dans Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton 28, chemise II mobilier (1831-1977).
(37) Recettes et dépenses de la fabrique de Saint-André-Goule-d’Oie (1821-1829)
Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 29, chemise V : gestion de la fabrique 1812-1851.
(38) Dossier des fondations de messes à Saint-André en 1927 dans Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 29, chemise VI : Fabrique, fondations 1711-1946.
(39) A-J. Czouz-Tornare, La Révolution française pour les nuls, First Editions, 2009, page 224.
(40) Archives de Vendée, état-civil, registre clandestin de Chauché 1792-juin 1796, vue 2.
(41) Dugast-Matifeux, Débuts de l'insurrection vendéenne à Montaigu, Mortagne et Tiffauges, dans les Échos du Bocage vendéen, 1884, T. 2, p. 43. Et M. Ehlermann-Gandrillon, Jean Victor Goupilleau un républicain dans la tourmente révolutionnaire, Éditions du CVRH, 2019, page 47.


Emmanuel François, tous droits réservés
mars 2017, complété en janvier 2022