mercredi 1 février 2017

La révolte gronde : deux morts près de Linières (1799)

Une fusillade tragique


Triste bilan dans une traque entre républicains et royalistes à Saint-André-Goule-d’Oie dans la journée du 16 septembre 1799 : un mort de chaque côté.  C’est ce qu’on apprend en lisant le compte-rendu du juge de paix du canton de Saint-Fulgent, Simon François Gérard, du 25 septembre suivant (1). Que s’est-il passé ?

Au cours de la nuit du 15 au 16 septembre, huit partisans royalistes ont fait une expédition punitive contre des républicains bien en vue de Chauché. Ils ont d’abord volé des habits et du linge dans la maison de François Bossard, qui était absent. C’était le président de l’administration municipale du canton de Saint-Fulgent, élu en mars dernier. Il occupait un poste avec peu de pouvoirs, et on ne lui connaît aucune exaction, mais il appartenait au camp ultra minoritaire des républicains, sur qui pesait il est vrai la responsabilité des malheurs de la région. Sa femme a dû assister impuissante au pillage, terrorisée par des menaces.

Ensuite ils sont allés à la maison de Mathurin Bossus, ex-assesseur du juge de paix, qui était chez lui. Pour se faire ouvrir la porte sans difficulté, ils obligèrent un de ses voisins à demander de l’ouvrir. On ne nous précise pas bien comment ils étaient armés, mais l’un d’entre eux gardait la porte de la maison avec un fusil baissé et la baïonnette en avant. Ils pillèrent là aussi la maison, proférèrent des menaces, et parait-il, demandèrent au nommé Bossus de prendre son gilet pour les suivre afin de l’assassiner. Néanmoins, ce dernier réussit à s’échapper, en fonçant sur le garde à l’entrée de sa maison. Les partisans saccagèrent tout son intérieur, s’en prenant aussi à la domestique, écrit le juge de paix.

Aux abords de Linières
Enfin ils se rendirent, à une heure non précisée, au logis de Linières, demeure du commissaire exécutif cantonal disposant de vrais pouvoirs, Étienne Martineau, quand il revenait épisodiquement à cette époque à Saint-Fulgent. Il avait donné sa démission en juin dernier de son poste, et habitait désormais à Luçon. Il avait été accueilli à Linières l’année précédente par son beau-frère, Joseph Guyet. Ce dernier vivait alors en concubinage avec la propriétaire des lieux (la vicomtesse de Lespinay), partagé entre Paris, où elle élevait leur fils, et la Vendée, où il s’occupait du domaine.
On sait que Martineau était particulièrement haï dans la contrée. Les partisans pillèrent tout ce qui se trouva sous la main, jusqu’aux habillements de ses enfants écrit le juge de paix. Ils forcèrent la serrure d’un secrétaire où il tenait ses papiers renfermés, ils en lacérèrent plusieurs et notamment des textes de lois, tient à noter le juge de paix comme d’un sacrilège. Ils tirèrent aussi plusieurs coups de fusils.

L’agent de  Saint-André-Goule-d’Oie (maire), Jean Bordron fils, avait entendu les coups de fusils provenant de Linières. Il avait été prévenu de l’expédition, et s’attendait à la visite de la bande. Le 16 septembre, il courut au bourg de Saint-Fulgent chercher le secours de quelques amis et de la gendarmerie. La petite troupe de républicains repéra facilement celle des huit royalistes dans un champ de la Mauvelonnière. Malheureusement, en s’approchant, les poursuivants firent du bruit en passant un échalier (barrière en bois dans un buisson pour l’enjamber tout en faisant obstacle au passage des animaux). Alertés, les royalistes firent deux décharges de fusils, tuant le nommé Dodin, dit Bois-Vert, fendeur de bois, et marié depuis peu de temps dans le bourg de Saint-Fulgent à une demoiselle Meunier, qui était enceinte au moment du drame.

Au cours de la poursuite qui s’en suivit, les républicains tuèrent un partisan de la bande adverse, et en firent prisonnier un autre (le juge de paix ne donne pas leurs noms volontairement). Le reste de la bande réussit à s’échapper. On fit parler le prisonnier, originaire de Vendrennes. Pour se sauver du pire il livra des cachettes d’armes, et on récupéra ainsi 12 fusils.

Le juge de paix de Saint-Fulgent depuis mars 1797, Simon François Gérard, est bien connu (voir sa biographie dans le dictionnaire des Vendéens sur le site internet des Archives de la Vendée). Il est tout sauf neutre. Il nous donne la motivation des pilleurs en les désignant ainsi : « une troupe de bandits connus sous le nom de chouans ». Voilà qui est clair. Mais alors pourquoi cette expédition punitive contre des républicains en vue de Chauché, par ailleurs dépositaires de l’autorité publique pour deux d’entre eux ?

Dans le pays anciennement insurgé de la région de Saint-André-Goule-d’Oie, les habitants, décimés, ruinés et battus, avaient aspiré à la paix à tout prix, surtout après la capture du général Charette en mars 1796. Depuis ils avaient subi sans pouvoir broncher la reprise des persécutions religieuses à la fin de 1797 (voir notre article publié en janvier 2017 : Les persécutions religieuses dans le canton de Saint-Fulgent (1796-1799). Ils avaient payé des impôts, malgré quelques trop rares gestes de dégrèvement des autorités (voir notre article publié en décembre 2016 : Les nouveaux impôts à Saint-André-Goule-d’Oie en 1796). Ils avaient subi les réquisitions de ravitaillement pour les armées de passage à proximité de Saint-Fulgent, et la misère générale dans un pays exsangue : ponts et maisons détruits, cheptels de bestiaux décimés, attaques des loups, brigandage, etc. (voir notre article publié en juillet 2010 : Les agents communaux Fluzeau (1796-1797) et Bordron (1797-1799)). Mais les prêtres avaient prêché le dépôt des armes, et un sentiment de défaite et d’impuissance paralysait les âmes.

De l’autre côté, l’administration s’appuyait dans la région sur des républicaines de conviction, très peu nombreux, augmentés de quelques acheteurs de biens nationaux et autres obligés. Son pouvoir avait été confié à des élus et des fonctionnaires choisis spécialement parmi eux de Paris par le gouvernement. De plus, ces autorités locales étaient très étroitement contrôlées par l’administration départementale de Fontenay-le-Comte. Le premier commissaire exécutif du canton de Saint-Fulgent avait été Louis Merlet, installé en juillet 1796, mettant fin ainsi à l’état de siège. Accusé d’indélicatesse financière, il céda sa place en mars 1798 à Étienne Benjamin Martineau. Celui-ci démissionna en juin 1799 pour raisons personnelles, et sa place resta inoccupée. À sa place, le juge de paix, Simon François Gérard, qui tenait en même temps la charge de secrétaire de l’administration cantonale, faisait du zèle pour obtenir sa place. Il le fit jusqu’à la fin du régime du Directoire, auquel mit fin rapidement le général Bonaparte après son coup d’État de novembre 1799. Ces quelques républicains ne tenaient que grâce à la présence de l’armée. Ils avaient conscience de leur situation fragile, et ils avaient peur de la population. Ainsi, à l’ombre des baïonnettes, chacun des deux camps avait peur de l’autre.

L’insécurité avait persisté après l’arrêt des combats


Les "chauffeurs"
En 1796, la misère est telle, deux ans après le passage des « colonnes infernales » dans la région, qu’on trouve des bandits prêts à tout pour profiter de la situation. Ainsi, dans la nuit du 7 au 8 décembre 1796, douze d’entre eux ont brûlé à Mesnard-la-Barotière les pieds d’un couple de propriétaires, pour leur faire avouer où ils cachaient leur argent. Outre l’or et l’argent ils ont emporté des habits, du linge, un cochon salé, des grains, du beurre et du pain. Dans la campagne on tremblait de peur à l’idée de recevoir des « chauffeurs » (2).

La nouvelle administration, aidée par l’armée et la gendarmerie, applique les consignes, comme la vérification des congés aux militaires pour dépister les déserteurs. On réalise des enquêtes contre les actes de brigandages. On nomme des gardes champêtres dans chaque commune. On traque des émigrés, mais on n’en trouve pas.

Dans la vérification des passeports nécessaires pour se déplacer d’une ville à l’autre, Merlet, le commissaire de Saint-Fulgent, se plaint qu’on n’applique pas bien la loi à Montaigu et hors de la Grand’route, alors qu’à Saint-Fulgent on est très strict. Selon lui, cela favorise les émigrés et « autres ennemis du gouvernement ». D’ailleurs il soupçonne « Suzannet fils » de se cacher à Chavagnes, un noble bien connu dans la commune. Mais dans l’ensemble, Merlet rassure : « les anciens brigands sont tranquilles sauf le nommé Recotillon, ci-devant commandant de cavalerie brigande » (un hôtelier dans le bourg de Saint-Fulgent).

Néanmoins certaines consignes sur les jeunes gens à réquisitionner pour l’armée ne sont pas appliquées. Le commissaire cantonal s’en explique : « je garde le silence pour éviter une insurrection » (3).

Il soumissionne avec le président de la municipalité, Aubin, aux mises aux enchères des affermages des biens nationaux dans le canton. On observe qu’ils sont les seuls à le faire, sans se concurrencer entre eux, dans l’année 1796, et à bas prix (4). D’un côté on pourrait voir là un indice de corruption. De l’autre côté au contraire, ce pourrait être le signe d’un dévouement, pour ne pas laisser les enchères sans aboutissements. Les accusations de Martineau contre Merlet orientent vers la première hypothèse.  Mais il est venu plus tard un citoyen nommé Bossard (évoqué plus haut), de Chauché, qui a fait monter les biens de la Rabatelière et de Chauché à leurs valeurs.

Puis Martineau prend la place de Merlet au directoire exécutif près l’administration municipale du canton de Saint-Fulgent au mois d’avril 1798. Dès le 24 avril il tire la sonnette d’alarme. Il a entendu dire qu’on s’apprêtait à retirer la troupe de Saint-Fulgent, en vue d’une descente en Angleterre préparée par le général Perrin. « Le départ des troupes jette l’épouvante dans les âmes des patriotes », proclame-t-il (5). La phrase est révélatrice du personnage. « Sentir » est un de ses mots préférés, et c’est ce qu’il appelle sa conscience. Il règle sur elle ses attitudes, prétend-t-il, comme l’écrivain Jean Jacques Rousseau. Tout simplement, ici il a peur !

Il est piégé par une fausse alerte au sujet d’un rassemblement aux Quatre-Chemins de l’Oie. Il en averti ses collègues des Herbiers (son beau-frère Ageron), de Mouchamps (La Douespe) et des Essarts (Chauvin) (6). Il y avait déjà eu des rumeurs d’un complot à la Barotière au mois d’octobre précédent. On croyait savoir que Sapinaud « de la Gaubretière » (de la Rairie) séjournait dans la région, ce qui alarme les républicains.

L’affaire du « vive le roi » crié à Bazoges-en-Paillers en novembre 1798, est révélatrice, elle aussi, de la fébrilité qui règne parmi les autorités. Un cousin de l’agent municipal de Bazoges « avait fait entendre le cri impie de vive le roi » en sa présence. Et celui-ci était accusé d’avoir gardé le silence. Le juge de paix voulu entendre l’agent Denechaud, ce qui les fâcha pour de bon. Martineau classa l’affaire, jugeant Gérard, le juge de paix, un « passionné », et Denechaud, un « pusillanime » (7). Dans une autre affaire, Gérard se mit à dos les gens de Chavagnes-en-Paillers après qu’il les eut accusés de comploter. Quoique dévoué, il apparaît maladroit.

Martineau adopte une attitude prudente dans une lettre du 15 février 1799 sur l’ordre fragile régnant dans son canton, après que le bruit s’était répandu d’un rassemblement séditieux à Ardelay. Il écrit : « Je suis certain que le peuple de mon canton, quoiqu’inquiet et criant contre les contributions ne veut pas absolument remuer … cependant, surveiller est un devoir essentiel » (8). Bref, il ne faut ni s’endormir, ni paniquer. Et quand on arrête le mois suivant à la Menardière (Saint-Fulgent) le meunier Badreau, coupable d’avoir fait travailler un déserteur, Martineau écrit dans son style romantique à la mode : « la présence de la force armée a jeté la consolation dans les âmes » (lettre du 17 ventôse an 7). Il parle pour lui.

La crainte des royalistes, et les mesures de surveillance qui en découlèrent, ne garantissaient pas pour autant la tranquillité. On eut ainsi à déplorer en ce mois de mars 1799 l’agression d’un matelot espagnol par trois bandits sur la route de Montaigu à  Saint-Fulgent pour le détrousser. Courageux, Jean Guedon de la Limonière (Chavagnes), qui avait entendu les cris du matelot du champ où il travaillait, mis les attaquants en déroute. Ces derniers se cachèrent dans le bois de la Burnière tout proche, et ils purent échapper aux poursuites (9).

Après la démission de Martineau de ses fonctions en juin 1799, les rapports du juge de paix Gérard se succèdent auprès de Coyaud, commissaire du département. Il n’est que le secrétaire en chef de l’administration municipale, mais il veut la place de commissaire exécutif abandonnée par Martineau. Il déploie un zèle épistolaire prolixe pour se mettre en avant. Il dénonce des complots qui ne sont que des rumeurs, et exagère ceux qui existent. Difficile d’y voir juste, tant il étale par écrit son courage et sa clairvoyance auprès des autorités du département.

On apprend ainsi un rassemblement royaliste à Chavagnes et un autre aux Herbiers à deux jours d’intervalles en juillet 1799, et un attroupement ennemi à Bazoges fin juin. Gérard avouera lui-même qu’aux Herbiers c’était une fausse alerte. L’agent de Chavagnes démentira le rassemblement dans sa commune. Mais à Bazoges Gérard confirme qu’on fit une foire selon la date d’avant la Révolution au mépris de l’arrêté l’ayant changée. Les gendarmes s’y portèrent pour l’interdire, deux hommes sans passeports ont été arrêtés, une troupe de jeunes les a libérés en blessant et désarmant les gendarmes, ils ont frappé l’agent de Bazoges, des propos séditieux ont été tenus et des menaces proférées (affaire du 11 messidor an 7 dans la version de Gérard) (10).

Le 30 juillet 1799, 52 brigands armés se sont emparés du corps de garde de la Bruffière, ont égorgé 5 hommes et ont pris 13 fusils. C’est ce que rapporte le général Travot, résidant à Montaigu, dans une lettre à l’administration centrale du département de la Vendée. Dans sa séance du 14 thermidor an VII (1-8-1799), celle-ci décide d’une liste d’une trentaine d’otages, parmi lesquels Jean Aimé de Vaugiraud, demeurant à Saint-André-Goule-d’Oie. La décision est prise en application de l’article 3 de la loi du 24 messidor an VII sur la répression du brigandage, qui rend personnellement responsable des assassinats et brigandages dans les départements en état de troubles, « les parents d’émigrés, leurs alliés et ci-devant nobles », et tous ceux notoirement connus pour faire partie « des rassemblements ou bandes d’assassins ». Les otages désignés « sont tenus pour responsables personnellement des assassinats commis en haine de la République » dans le canton de la Bruffière et sur les autres points limitrophes du département. Ils devront se rendre à Fontenay d’ici 10 jours et s’y établir à leurs frais dans le local de Notre-Dame (ancienne église). Les otages demeurent dans les cantons de la Bruffière, de Mortagne, de Montaigu, de la Flocellière, les communes de la Gaubretière, des Herbiers, Ardelay, la Rabatelière, la Barotière (11).


C’est dans ce contexte que se déroula le drame du 16 septembre 1799 dans les environs de Linières.

 L’état de siège dans la région de Saint-André-Goule-d’Oie à la fin de 1799


Ce drame près de Linières n’est pas un acte isolé. Le 26 septembre 1799, le juge de paix envoie son compte-rendu relatant les deux morts près de Linières dans un courrier au commissaire du département à Fontenay. Il l’informe en même temps d’autres troubles à l’ordre public. Le même jour, 16 septembre, une quarantaine de « scélérats » ont coupé l’arbre de la liberté à Beaurepaire, désarmé l’adjoint de l’agent communal, bloquant l’accès au bourg pendant leurs méfaits. Le 25 septembre une autre bande a pillé la maison du citoyen Audibert à Saint-Georges-de-Montaigu, lui aussi responsable municipal. Le même jour la troupe qui escortait la diligence a été attaquée près de Remouillé (12).

Gérard s’inquiète, craignant que la population entière ne rejoigne les partisans royalistes. Il demande des renforts militaires. Les espions, « les républicains qui se dévouent à l’intérieur à faire le métier de chouans pour sonder l’opinion du peuple » écrit-il, s’accordent à dire que la crainte seule de ne pas réussir retient le peuple, mais que « ses principes sont détestables ». C’est le maréchal des logis de Saint-Fulgent, Augeron, qui « avec une sagacité et une prudence les plus méritoires a su faire ce métier difficile et bien intéressant pour la chose publique ». Et Gérard d’affirmer qu’il n’est pas certain que le peuple s’insurge, non plus qu’il reste soumis, car « il fait des vœux ardents pour le renversement de l’ordre actuel. S’il se décide à ne pas remuer, c’est qu’il ne sera pas assuré de la réussite. Les forces lui en imposeront. Nous en sollicitons, viendront-elles enfin ? » (12).  

La situation d’insécurité est si grave qu’un arrêté a rétablit l’état de siège. Néanmoins le 14 octobre 1799, Gérard précise dans une lettre que le général Travot a promis de suspendre son exécution dans le canton de Saint-Fulgent (13).

Le 29 octobre, les citoyens Martineau, Bossard, Bouhier et Bordron (des républicains) profitèrent de l’escorte du général Gilibert pour aller à la foire de Montaigu du lendemain. Ils ont été attaqués sur la route et sont retournés se réfugier à Saint-Fulgent, incitant (c’est lui qui le dit) le juge de paix, trop en vue, à s’enfuir.

Ce qu’il fit aussitôt, se cachant dans un premier temps à Saint-Vincent-Sterlanges. Apeuré, Gérard pense que la guerre civile est décidée (14). Il est rentré quelques semaines après à Saint-Fulgent, jugeant que l’hostilité est suspendue provisoirement, et surtout le poste est occupé par la troupe. Indiquons au passage qu’il avait loué en septembre 1797 pour 2 ans, trois bâtiments en grande partie incendiés, à l’entrée de la cour du château de Saint-Fulgent, sur la droite (15). Il y avait fait son logement. La location, moyennant le prix important de 650 F par an, incluait aussi trois cours, les douves, trois jardins, quatre pièces de terre dans le grand parc, plusieurs prés, le petit parc, l’affiage, les gâts, l’ouche et plusieurs champs. Notre homme s’est transformé en agriculteur en y faisant travailler du personnel.

Mais les insurgés se montrent et sont partout. Ils ont fait une revue des volontaires à Sainte-Florence. À la foire de Tiffauges 150 « chouans » gardaient les lieux. À Bazoges les révoltés refusèrent d’obéir à l’agent communal, qui demandait de remettre leurs armes. À Chavagnes on compte une centaine de « chouans », et dans un accrochage armé, Suzannet, leur chef, aurait été blessé, mais il a fait 3 prisonniers républicains.

Côté républicain, l’administration cantonale de Saint-Fulgent ne se réunit plus, et le commissaire cantonal n’a toujours pas été remplacé (16). De toute façon certains de ses membres, écrit le juge de paix, sont des ennemis qui trahiraient les secrets des républicains. Dans le canton, le régime du Directoire agonise dans un délitement avancé. Les autorités départementales n’ont pas voulu donner au secrétaire de l’administration cantonale la place vacante de commissaire exécutif. Il faut dire que même à Saint-Fulgent, Gérard dû se défendre d’une accusation portée contre lui d’avoir détourné une somme de 500 F (17). Il y parvint, mais gageons que sa réputation n’en sortit pas indemne. D’un côté il se comportait comme un fourbe à l’aplomb étonnant, et de l’autre comme un militant dévoué et peut-être courageux.

Autre aspect de ce délitement, les républicains locaux continuaient de se déchirer entre eux. Ainsi, pour la commune de Saint-Fulgent, un citoyen (non nommé, mais probablement Charles Hurtaud) avait accepté d’être agent municipal, mais il a démissionné au bout de 2 décades devant « l’égoïsme d’une famille opulente ». L’un de ses membres, aux dires de Gérard, avait refusé une réquisition pour l’armée, que tentait de répartir équitablement l’agent de la commune en fonction des ressources de chacun (18). Dans une autre lettre on comprend que son ennemi Martineau fait partie de cette famille. Ce sont donc les fils Guyet, dont fait partie notre nouveau châtelain de Linières.

Le coup d’État du 18 brumaire


Coup d’État du 18 brumaire
Le 9 novembre 1799, Bonaparte prend le pouvoir par la force à Paris. Ce n’est pas une nouveauté, les dirigeants du Directoire avaient déjà fait appel à l’armée pour se maintenir au pouvoir. Cette fois-ci est la dernière comme on sait, et les républicains, qui ont soutenu le jeune général, vont vite découvrir qu’il s’est servi d’eux. 

Cette compréhension est plus tardive à Saint-Fulgent dans l’esprit du juge de paix. Gérard écrit le 7 décembre : « le gouvernement est-il bien instruit de ce qui se passe dans ce pays-ci ? Comment, on nous annonce la paix avec les insurgés ! …. Nos troupes ont défense d’inquiéter les chouans ! ». Incrédule, il informe l’administration départementale que les rebelles s’organisent publiquement. Rezeau, un de leurs chefs, est aux Essarts, et il a mis la main sur les blés des domaines nationaux affermés. Il a formé 4 brigades à Saint-André-Goule-d’Oie. Il y a dit que son beau-frère Caillaud avait beaucoup plus recruté que lui, et Lecouvreur aussi (19). Visiblement le juge de paix délire.

On voit ici apparaître sous la plume de Gérard le nom de trois chefs de bandes royalistes qui tentèrent de soulever les Vendéens. Il exagère leur importance dans la région.
  1. -        Pierre Rezeau (1764-1813), marchand de bois à la Copechagnière, avait été un officier de Charette et nommé par lui en fin 1793 chef de la division de Montaigu. Il fut emprisonné à Saumur au moment de sa soumission en fin février 1796. Évadé en décembre 1796, il fut pourchassé et emprisonné à nouveau à Nantes vers mars 1798, d’où il s’échappa à nouveau (20). Il épousera Aimée Adélaïde Cailleteau le 19 août 1802 à la Copechagnière (vue 14), sœur de Jean Marie Cailleteau, le maire républicain de Chauché, et aussi de Pierre Cailleteau, ancien adjudant dans l’armée de Charette
  2. -        Charles Caillaud, beau-frère de Rezeau, avait été officier en 1793 dans l’armée du Centre du général de Royrand. En fin 1793 il s’était mis aux ordres de Charette, qui le nomma chef de la division de Chantonnay. Comme Rezeau, il fut emprisonné à Saumur au moment de sa soumission, et s’en évada en décembre 1796 (20). En 1799, il suivit le général de Suzannet.
  3. -        Lecouvreur, ancien cabaretier, fut nommé par Charette commandant de la division de Legé à la fin de 1793. Il reprit les armes en 1799 dans la région du marais.
Les historiens nous apprennent qu’en ce milieu d’année 1799, des partisans royalistes complotèrent pour soulever les habitants des départements de l’Ouest à leur cause. Le comte d’Artois (frère de Louis XVI guillotiné) nomma le marquis de Grigny général du centre de la Vendée, pour y organiser le soulèvement. Il sera tué dans un combat à la mi-novembre à Chambretaud.  Le 29 Octobre, Suzannet, bien qu'à la tête de 3 000 insurgés vendéens, est repoussé à Montaigu. Ces initiatives furent peu suivies par les habitants du bocage vendéen. En face le général Travot, guerrier efficace, avait compris ses habitants et s’attachait à respecter leurs convictions. Il mena la vie dure à ces bandes, malgré le peu de soldats dont il disposait. À l’époque les armées françaises se trouvaient en Égypte et dans les pays européens voisins. On en manquait à l’intérieur des frontières.

Mgr Étienne Alexandre Bernier
La situation tourna court avec Bonaparte. Avant tout il veut la paix, entre en négociation, et tente de rallier les chefs royalistes. Ceux-ci étaient nombreux et actifs en pays de chouannerie sur la rive droite de la Loire. Ils constituaient une menace pour le gouvernement. Au sud de la Loire il y avait le mythe de la Vendée, déjà, vu comme un danger, mais sans grande portée militaire en réalité à cette époque. A Paris cela faisait un tout, désignant « les départements de l’Ouest » que l’on craignait.

Par arrêté du 29 novembre 1799, soit 20 jours après sa prise de pouvoir, Bonaparte a fait libérer les prêtres prisonniers sur l’île de Ré. Le 28 décembre il proclame officiellement : « Une guerre impie menace d’embraser une deuxième fois les départements de l’Ouest. Le devoir des premiers magistrats de la République est d’en arrêter les progrès ». Habile, il confie à l’abbé Bernier, ancien membre du conseil supérieur des armées vendéennes à partir de 1793, le soin de négocier avec le pape l’organisation du retour à la liberté religieuse. On l’aura compris, Bonaparte « coupait l’herbe sous les pieds » des royalistes et des républicains qui n’étaient pas avec lui.

Dans le souvenir amer de leurs morts, les survivants vendéens des combats et opérations d’extermination de 1793 à 1796, ont ruminé leurs ressentiments durant cette période dévastatrice dans les consciences, des années 1796 à 1799. Dira-t-on assez la violence des douleurs supportées dans beaucoup de familles au souvenir des atrocités vécues ? Les traces d’incendie, les lieux des charniers et l’absence de tant de proches, hantaient leur vie quotidienne. Pour stopper cette logique destructrice, les orienter à l’inverse dans la voie d’un repos des âmes, les survivants avaient besoin d’une reconnaissance forte.

Le retour des prêtres persécutés et la liberté religieuse apporta aux Vendéens la reconnaissance dont ils avaient besoin. Les générations qui ont suivi ont fait de cette reconnaissance un message politique et religieux, mais ceci est une autre histoire. De même que les héritiers des républicains, traînant la terreur révolutionnaire comme un boulet, ont mis bien du temps pour faire prévaloir leurs idées, et ceci est aussi une autre histoire. Sauf que ces deux histoires ont forgé une image souvent déformée de ce qui s’est réellement passé en Vendée de 1790 à 1799.

Les républicains de Saint-Fulgent après la guerre


Le pauvre juge de paix de Saint-Fulgent fut largué par l’évolution politique, et ne s’en mêla plus officiellement, semble-t-il. Un an après son arrivée à Saint-Fulgent, il s’était marié avec la fille d’un officier de santé demeurant à Bazoges, Aubin, qui avait été le premier président de la municipalité cantonale de Saint-Fulgent. Simon Gérard avait alors changé de prénom pour prendre celui de Thrasybule (restaurateur de la liberté d’Athènes dans l’Antiquité), « n’ayant jamais reconnu de saints », affirma-t-il pour faire oublier qu’il avait été prêtre. Il garda sa fonction de juge de paix jusqu’en 1808. Puis il finit ses jours dans la discrétion comme cafetier à MontaiguIl y est décédé le 26 avril 1813.

Étienne Benjamin Martineau conserva son engament politique en soutien de Napoléon, protecteur des nouveaux propriétaires des biens nationaux. Et puis un de ses frères était mort au pont d’Arcole. Il déménagea de Luçon aux Herbiers, où il fut nommé maire en 1804. En 1807 il fut remplacé à la mairie par son beau-frère Pierre Ageron, et l’année d’après il devint juge de paix dans le canton. Il est mort au pays de sa femme à Saint-Fulgent en 1828. Voir l’article publié sur ce site en avril 2011 : Etienne Benjamin Martineau.

Carte postale ancienne du Croisic
Louis Merlet avait perdu son épouse, Marie Monnois, morte le 16 juin 1797 à l’âge de 64 ans, ce qui valut un mois et demi d’interruption de son courrier au commissaire du département, alors qu’il devait écrire au moins chaque décade. Il sera maire provisoire de Saint-Fulgent d’avril à décembre 1800. En 1802 Merlet revendit aux paroissiens de la Rabatelière le presbytère qu’il avait acheté comme bien national, et quitta le pays (21).

Il ira vivre au Croisic (Loire-Atlantique) avec une jeune femme de Saint-Fulgent, Catherine Mandin, qui avait divorcé en 1802 d’avec Jean Baptiste Libaud (agent municipal de Saint-Fulgent de septembre 1797 à mars 1798). Sur les registres du Croisic il est qualifié de rentier. Il se maria civilement avec Catherine Mandin en 1805, et ils eurent trois enfants. Elle mourut le 25 septembre 1820, et, acte significatif, ils se marièrent religieusement le même jour. Louis Merlet mourut en 1835 au Croisic, âgé de 88 ans (22). Prisonnier des insurgés vendéens au début de la guerre de Vendée, il avait été libéré en octobre 1793 suite au fameux geste de Bonchamps : « grâce aux prisonniers ! ». Le mois d’après il s’était réfugié à Sainte-Hermine avec d’autres républicains de Saint-Fulgent dont quelques officiers municipaux. Il avait été alors nommé maire provisoire de Saint-Fulgent par les autorités, mais la fonction fut toute théorique, n’habitant pas sur place (23).

Une conclusion


Une conclusion nous paraît s’imposer aux termes de nos récits sur ce qui s’est passé à Saint-André-Goule-d’Oie et dans le canton de  Saint-Fulgent : la Guerre de Vendée n’a vraiment pris fin qu’au début de l’année 1800. Les escarmouches de 1799 ont des allures de chouannerie en Vendée, certes, mais là n’est pas l’important. La guerre a continué durant toute la période du Directoire, et si les armes ont fait défaut du côté royaliste, elles ont permis aux républicains de survivre, durer et persécuter. Certes, l’affirmation est discutable, mais la pacification de 1795 n’est pas celle de 1800, comme on vient de le voir.

La vraie pacification de la Vendée à partir de 1800 doit beaucoup sur place à deux hommes. D’abord le préfet Merlet qui « a su se concilier l’estime générale. Il passe pour allier à beaucoup de douceur un caractère ferme et les talents nécessaires au chef d’une administration », juge le général Gouvion dans un rapport en 1804 à Bonaparte (24). Ensuite le nouvel évêque de la Rochelle, Mgr Paillou, est un ancien vicaire général de l’évêque de Luçon qui s’est rallié à Bonaparte. Il est jugé « responsable du bon esprit des prêtres » en Vendée qui étaient alors sous son autorité (24). Mais la pacification n’alla pas sans de petits accrocs, notamment de la part des conscrits levés pour les armées de Napoléon. Au 15 avril 1803, le général Gouvion note : « À quelques remplacements près, la levée des conscrits est terminée. Il n’y a eu jusqu’à ce jour que 4 déserteurs ». Mais quelques mois après il écrit : « Je ne peux me louer beaucoup du départ des conscrits. Il faut encore un peu de patience » (24). L’année d’avant avaient éclaté quelques révoltes vites réprimées par la gendarmerie. En particulier, un rassemblement eut lieu le 8 frimaire (an XI : 30 novembre 1802) à Saint-Fulgent. « Les rebelles se portèrent en armes sur le lieu du tirage de la conscription et mirent en fuite la commission qui en était chargée. Le maréchal des logis de cette résidence fut gravement blessé ainsi que 2 chasseurs du 12e régiment d’infanterie légère. Le premier est mort des suites de ses blessures. Piveteau commandait ce rassemblement. Ce brigand a été arrêté par le lieutenant Bourgeois, traduit en justice et condamné à mort. Ce même rassemblement se porta sur Montfaucon dans la nuit du 8 au 9, blessa un gendarme, en désarma 2 et se porta sur Boussay. » (24) Jean Piveteau, domestique demeurant à Saint-André-Goule-d’Oie, fit partie des 9 condamnés à morts du département de la Vendée suite à ces mouvements séditieux. L’anecdote ne doit pas nous cacher une réalité bien différente, car le département de la Vendée se montra plus patriote que la moyenne à cette époque. On n’y compte qu’un seul déserteur en 1805, pour une moyenne d’environ 22 % pour toute la France (25).

Les soulèvements de 1815, à cause du retour de Napoléon, et de 1831/1832 à cause du renversement des Bourbons de la branche aînée, ont un air de famille avec ce qu’on appelle la Guerre de Vendée. Mais on fait à juste titre la différence, comme on admet la différence entre celle-ci et la chouannerie au nord de la Loire, malgré leurs caractéristiques communes. Pour le soulèvement de 1831/1832 nous renvoyons à notre article publié en mars 2011 : Palluau, juin 1832 : Le juge de paix a peur. Il s’agit du fils de Benjamin Martineau.


Mais certains livres d’histoire qui arrêtent la Guerre de Vendée avec la capture de Charette en 1796, risquent alors de minimiser la réalité humaine de ce qui a été vécut dans les deux camps. N’en déplaise au grand historien Jules Michelet qui arrête l’histoire de la Révolution avec la chute de Robespierre, celle-ci, comme celle de la Guerre de Vendée, nous paraît inclure la période du Directoire dans toute sa durée et dans tous ses aspects, pour ce que nous avons vu à  Saint-André-Goule-d’Oie : l’administration politique locale, les impôts, le maintien de l’ordre et la persécution religieuse. Nous nous rangeons sur ce point du côté de ceux qui considèrent que c’est Bonaparte qui mit réellement fin à la Guerre de Vendée, comme il arrêta la Révolution. La question reste posée à cause de l’approximation que portent ces deux notions. Bien sûr ces deux histoires, qui n’en font qu’une, ne peuvent être vues d’un seul bloc, n’en déplaise à Georges Clemenceau, mais au contraire dans chacune de leurs étapes. Entre Vendéens on n’hésitera pas à avancer cette conclusion, ne serait-ce qu’à cause d’une proximité qui sait faire cohabiter, on s’en doute, le respect que mérite ce grand Vendéen, avec la discussion de son affirmation.

Paul Boisson (1951)
(d’après une photo conservée aux 
Archives historiques du diocèse de Luçon)
Pour terminer, il nous faut indiquer que la rédaction de cet article s’est appuyée en presque totalité sur les recherches de l’abbé Paul Boisson (1912-1979), comme en témoignent les sources indiquées ci-après. Professeur d’Histoire au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, et aumônier à l’hospice de Saint-Fulgent, ses travaux historiques sur le canton de Saint-Fulgent sont précieux. Il avait lu ce qui s’était écrit sur la guerre de Vendée, mais il ne s’en est pas contenté. Il est allé à la source des documents originaux pour les confronter entre eux. En vrai historien, il a mis son sens critique au service de la recherche des faits. En plus de la foi catholique, il eut la religion de leur vérification. À cet égard, voici un extrait d’une réflexion qu’il a écrite dans un essai de chronologie des débuts de l’insurrection dans le canton de Saint-Fulgent en mars 1793, un vrai casse-tête : « Les oppositions, voire les contradictions quand il s’en présente (entre documents, traditions, etc.), ne sauraient qu’être apparentes. La plupart doivent se résoudre à l’étude, et stimuler la patience et la ténacité des chercheurs. C’est ce que nous avons essayé de faire, et nous pensons que bien des pages de l’histoire de la Guerre de Vendée, gagneraient à être revues dans cet esprit. Si quelques lecteurs corrigent ou complètent … merci » (26). Cette note est datée du début des années 1970.

C’est sur les faits recueillis par Paul Boisson que notre récit s’appuie, et nous y avons ajouté nos explications les concernant. Il a légué ses papiers au diocèse de Luçon, classés ensuite par l’abbé Delhommeau, archiviste du diocèse. Les originaux des lettres de Merlet et Martineau au commissaire du département à Fontenay-le-Comte, sont conservées aux Archives départementales de la Vendée sous la cote L 237.

(1) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-4, procès-verbal du 3 vendémiaire an 8 de Gérard sur les attaques de partisans à Chauché du 30 fructidor an 7.
(2) 7 Z 12-1, lettre du 20 frimaire an 5 de L. Merlet au commissaire du département. 
(3) 7 Z 12-1, lettre du 30 ventôse an 5 de L. Merlet au commissaire du département.
(4) 7 Z 46-3, tableau des fermes des biens nationaux dans le canton de Saint-Fulgent.
(5) 7 Z 12-2, lettre du 5 floréal an 6 de L. Merlet au commissaire du département. 
(6) 7 Z 12-2, lettre du 22 floréal an 6 de Martineau au commissaire du département.
(7) 7 Z 12-2, lettre du 5 frimaire an 6 de Martineau au commissaire du département.
(8) 7 Z 12-3, lettre du 27 pluviôse an 7 de Martineau au commissaire du département.
(9) 7 Z 12-3, lettre du 23 ventôse an 7 de Gérard au commissaire du département.
(10) 7 Z 12-3, lettre du 11 messidor an 7 de Gérard au commissaire du département.
(11) Registre des délibérations de l’administration centrale du département de la Vendée, du 3 pluviôse an VII au 29 frimaire an VIII, Archives de Vendée : L 78, page 114, vue 117.
(12) 7 Z 12-4, lettre du 4 brumaire (erreur : vendémiaire) an 8 de Gérard au commissaire du département.
(13) 7 Z 12-4, lettre du 22 vendémiaire an 8 de Gérard au commissaire du département.
(14) 7 Z 12-4, lettre du 9 brumaire an 8 de Gérard au commissaire du département (écrite de Feole).
(15) Notes sur la sous-ferme en date du 29 fructidor an 5, aux Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé boisson : 7 Z 108, Fortin et Rezeau. Et sous ferme du 29 thermidor an V d’Agnan Fortin à Simon Gérard, Archives de Vendée, minutier ancien des notaires des Essarts, étude (A), Joseph David, 3 E 15 94-1, vues 75 et 76/114.
(16) 7 Z 12-4, lettre du 13 frimaire an 8 de Gérard au commissaire du département.
(17) 7 Z 12-3, lettre du 25 ventôse an 7 du payeur départemental au commissaire exécutif du département (Coyaud) au sujet de Gérard.
(18) 7 Z 12-4, lettre du 12 vendémiaire an 8 (2-6-1800) de Gérard au commissaire du département.
(19) 7 Z 12-4, lettre du 16 frimaire an 8 de Gérard au commissaire du département.
(20) 7 Z 108, copie de l’article d’Henri Bourgeois dans La Vendée Historique, 1908.
(21) 7 Z 48-1, église de la Rabatelière. Aussi vente de la cure de la Rabatelière le 23 germinal an X par Merlet à Debien et consorts, Archives de Vendée, notaires de Chavagnes, Bouron : 3 E 31/19.
(22) 7 Z 16-1, les maires de Saint-Fulgent ; et 7 Z 20, notes sur Louis Merlet.
(23) Procès-verbal de L. Merlet de déposition contre Sionneau du 7 ventôse an 2 (25-2-1794), Archives de Vendée, commissions militaires de Fontenay-le-Comte an II : L 1586.
(24) Rapport de Gouvion à Bonaparte sur la Vendée an XI-an XIII (1802/1804), Archives de Vendée : 1 J 2388.
(25) A. Billaud, La Petite Église dans la Vendée et les Deux-Sèvres (1800-1830), NEL, 1961, page 26.
(26) 7 Z 46-1, débuts de l’insurrection dans la région de Saint-Fulgent, essai de chronologie.

Emmanuel François, tous droits réservés
Février 2017, complété en octobre 2023





lundi 2 janvier 2017

Les persécutions religieuses dans le canton de Saint-Fulgent (1796-1799)

La guerre de Vendée s’est-elle achevée en mars 1796 avec la capture de Charette par le général Travot ? Dans la suite, les autorités ont maintenu leur présence dans le canton de Saint-Fulgent grâce à l’armée. C’est dire que la pacification, exclusivement militaire, n’était pas achevée. Les soubresauts de révoltes en 1799 en sont un signe.

Nous avons décrit l’histoire de la municipalité de Saint-André-Goule-d’Oie et du canton de Saint-Fulgent entre 1796 et 1799, dans notre article publié sur ce site en juillet 2010 : Les agents communaux Fluzeau (1796-1797) et Bordron (1797-1799). Le mois dernier nous avons évoqué les difficultés rencontrées dans la collecte des impôts pendant cette période : Les nouveaux impôts à St André Goule d’Oie en 1796. Nous nous proposons maintenant de décrire, toujours à la même époque, les persécutions religieuses dans la paroisse de Saint-André et le canton de Saint-Fulgent.

Une situation de tolérance en juillet 1796


En février 1795, les deux camps ennemis s’étaient entendus au traité de la Jaunaye pour mettre fin à la guerre civile. Les enjeux de cette dernière dépassaient les capacités politiques des signataires du traité, et les combats reprirent, rompus de part et d’autre. La radicalité du processus révolutionnaire aboutissait pour tout le monde à un dilemme insoluble, une impasse où s’enfermaient les meilleures intelligences, comme dans un problème mal posé : le retour à l’ordre ancien ou la sauvegarde de l’ordre nouveau. Il faudra attendre Bonaparte pour sortir de cette impasse politique.

En 1795/1796, côté républicain, les généraux Hoche et Travot purent et surent agir en militaires efficaces et en politiques habiles, offrant l’arrêt des combats et finissant par l’imposer. Ils promirent de fermer les yeux sur l’activité clandestine des prêtres ayant refusé de prêter le fameux serment à la constitution civile du clergé. Côté royaliste, Charette ne se battait plus que pour l’honneur, abandonné par les frères du roi guillotiné, dans la région comprenant la commune de Saint-André-Goule-d’Oie. Stofflet en faisant autant dans la région de Cholet.

Mgr Jean Brumault de Beauregard
Mgr Marie-Charles Isidore de Mercy

En août 1795, eut lieu le synode diocésain du Poiré organisé par le vicaire général du diocèse de Luçon, l'abbé Jean Brumault de Beauregard, par délégation de monseigneur de Mercy, évêque de Luçon en exil (1). Il a réuni l'ensemble du clergé vendéen réfractaire au Poiré-Sur-Vie. Les 6 paroisses du canton de Saint-Fulgent y étaient représentées en la personne de leurs curés réfractaires à la constitution civile du clergé pour trois d’entre elles : Saint-André (Allain), Chavagnes (Remaud), la Rabatelière (Guédon de la Poupardière). Le curé de Saint-Fulgent était mort en déportation, mais son vicaire était présent (Brillaud). Le curé de Bazoges était mort dans la Virée de Galerne, remplacé par son vicaire (Brenugat). Enfin à Chauché le curé assermenté avait été chassé par ses paroissiens, et un prête réfractaire, Guyard, le remplaçait. Ces six prêtres ne devaient leur survie depuis juillet 1792 qu’à l’aide de la population qui les cachait. Ils avaient pratiqué le culte de manière clandestine pendant les combats et opérations d’extermination de 1793/1794. À Saint-André on a relevé que le village de la Maigrière a ainsi servi de cachette au moins au vicaire Brillaud.  

En 1796 les insurgés de la région de Saint-André-Goule-d’Oie étaient, comme ailleurs, décimés, ruinés et battus. Ils aspiraient à la paix à tout prix, déjà un peu avant la disparition de Charette. La misère était générale dans un pays exsangue (ponts et maisons détruits, attaques des loups, de bandits, etc.). La plupart des prêtres avaient prêché le dépôt des armes, et un sentiment de défaite paralysait les âmes.

Le curé de Saint-André-Goule-d’Oie était revenu vivre à la vue de tous dans son presbytère, avec l’assentiment de Hoche semble-t-il. En 1795 il acheta des bestiaux pour les affermer à ses anciens métayers de Fondion, cette métairie ayant été vendue comme bien national. Nous en reparlerons. Il gageait même une bonne, Marie Gaboriau, ancienne domestique chez le notaire de Saint-Fulgent, à la date du 31 août 1796 (2).

Pour obtenir l’arrêt des combats, il avait fallu promettre aux insurgés que les prêtres réfractaires auraient la vie sauve. Une fois l’objectif atteint, la promesse d’un général serait-elle tenue ? La question s’est posée d’autant plus qu’on voulut mette fin à l’état de siège le plus vite possible, pour installer à la place une administration civile normale, en application de la loi constitutionnelle du Directoire, dite de l’an 3.

Comme nous l’avons déjà raconté, cette installation s’est appuyée dans la région sur des républicains de conviction, très peu nombreux, augmentés de quelques acheteurs de biens nationaux et autres obligés. Les fonctionnaires locaux avaient été choisis spécialement parmi eux de Paris par le gouvernement. De plus, ils étaient très étroitement contrôlés par l’administration départementale de Fontenay-le-Comte. Le premier commissaire exécutif du canton de Saint-Fulgent avait été Louis Merlet, installé en juillet 1796. Accusé d’indélicatesse financière, il céda sa place en avril 1798 à Étienne Benjamin Martineau. Celui-ci démissionna en juin 1799 pour raisons personnelles, mais ne fut pas remplacé. Ces quelques républicains ne tenaient que grâce à la présence de l’armée. Ils avaient conscience de leur situation fragile, et ils avaient peur de la population. Ainsi, à l’ombre des fusils, chacun des deux camps avait peur de l’autre.

Les autorités allaient-elles continuer à fermer les yeux sur la pratique religieuse des habitants avec leurs prêtres réfractaires ? Ou bien, rompant avec la tolérance au temps de l’état de siège des généraux Hoche et Travot, allaient-elles vouloir revenir à l’application rigoureuse des lois anti religieuses en vigueur ? Telle était une des questions centrales qui se posait à elles ?

Modus vivendi maintenu de juillet 1796 à août 1797


Louis Merlet, marchand de profession, a été nommé commissaire du directoire exécutif près l’administration municipale du canton de Saint-Fulgent le 6 juillet 1796, par l’administration du département de la Vendée. Il possédait la réalité du pouvoir, mais à côté de lui se trouvait un président élu de cette administration municipale, Aubin, puis Martineau. Les communes avaient perdu leur autonomie, dirigées par des agents élus chaque année, mais ceux-ci placés sous les ordres du commissaire cantonal. Louis Merlet devait écrire toutes les décades au moins (période de 10 jours) au commissaire du département, pour lui rendre compte de la situation dans le canton et des problèmes rencontrés. Il s’agissait de surveiller une reprise éventuelle de la révolte. Si on avait vaincu par la répression, on savait bien que les convictions demeuraient intactes dans la population.

Au cours de la réunion décadaire de la municipalité du canton du 8 juillet 1796, les agents des communes de la Rabatelière, Bazoges et Chauché ont dit que leurs prêtres étaient prêts de rendre le dernier serment exigé. L’agent de Chavagnes a indiqué qu’il y aurait un soulèvement si on le demandait. Son curé a dit qu’il obéissait aux lois, mais sans prêter le serment. Celui de Saint-André-Goule-d’Oie a pris la même position. Ces deux prêtres affirmaient posséder une lettre du général républicain Hoche qui les dispensait de faire le serment. Prudent, Merlet demanda au président de l’administration municipale d’ajourner la réunion des prêtres prévue pour le serment exigé, et se tourna vers son chef à Fontenay pour connaître la conduite à tenir (3).

Rappelons que selon la loi du 11 prairial an 3 (mai 1795), les prêtres ne pouvaient pas exercer le culte dans les églises non aliénées (elles étaient biens nationaux), sans avoir fait acte de soumission aux lois de la République devant la municipalité du lieu. En fait le texte fut peu suivi d’effet, et c’est pourquoi le Directoire publia un nouveau décret du 7 vendémiaire an 4 (septembre 1795), exigeant des prêtres le serment suivant, dit de « soumission aux lois de la République » : « Je reconnais que l’universalité des citoyens est le souverain et je promets soumission et obéissance aux lois de la République ». Le serment était à l’époque un moyen de sélection de fonctionnaires fidèles, les prêtres et les évêques en faisant partie.

Léon Goupil : 
Femme portant la cocarde tricolore
Le 18 juillet 1796 Merlet fait un tour rapide de la situation de son canton dans sa lettre au commissaire du département : « toutes les communes de notre canton se sont soumises aux lois de la République (les élections ont eu lieu), le désarmement a été fait partout » … Dans l’administration chacun « porte la cocarde aux trois couleurs, mais les habitants paraissent avoir une indifférence pour la cocarde tricoloreNous avons dans notre canton six prêtres autant comme de communes. Je crois qu’il y en a qui se soumettront à faire la déclaration exigée par la loi du 7 vendémiaire dernier, sous peu » (4).

Dans une autre lettre du 6 août 1796, Merlet indique que « les prêtres en ce moment ne font aucun culte extérieur depuis la défense que je leur ai faite, même ils prêchent la paix dans ce moment » (5).

Merlet reçoit le 13 août un ordre du quartier général de Luçon pour l’application des mesures en vigueur sur les étrangers, la discipline des soldats et les prêtres. Ces deniers sont vus ici en effet comme un problème de maintien de l’ordre. Il lui est demandé « par des ordres secrets et particuliers que les prêtres exerçant le culte aient prêté un serment public d’obéissance aux lois, et qu’il ne réside aucun prêtre étranger à la commune » (6).

Les militaires conseillaient un comportement « politique », mais les civils se voulaient dans la discipline à la loi. Au-delà du paradoxe on voit d’un côté l’homme d’action et de l’autre le militant. Alors, le 27 août 1796 le commissaire Merlet a notifié à tous les ministres du culte de se rendre à la maison commune cantonale à Saint-Fulgent « pour donner acte de leur soumission aux lois de la République dans la huitaine », écrit-il avec sa plume parfois un peu gauche.

Le courrier qui suit ne précise pas quelle suite les prêtres ont donné à ce serment du 7 vendémiaire ainsi exigé. On a l’impression qu’ils s’y sont pliés. L’évêque de Luçon en exil évolua vers la soumission à ce serment non sans difficulté. Se référant à l’attitude du pape, il indiqua au final qu’on devait se soumettre aux lois des républicains qui ne sont pas contraires à la religion. Le 26 novembre 1796 Merlet note, en parlant des prêtres de son canton : « je ne leur vois prêcher que la paix devant moi et la soumission aux lois de la République, mais je ne sais pas ce qu’ils disent en mon absence » (7).

Métairie de Fondion
Le curé de Saint-André-Goule-d’Oie menait apparemment une vie normale. Il saisit même la justice de paix de Saint-Fulgent dans un différend qui l’opposait à l’acheteur, René Robin de Sainte-Florence, de la métairie de Fondion, ancien bien du prieuré. Ce dernier, pour se faire payer sa ferme de l’année 1794, s’était attribué la propriété de bestiaux appartenant aux métayers. Sauf qu’ils appartenaient aussi à moitié au prieur Allain, qui les louait aux métayers dans un bail à cheptel de fer, suivant l’expression de l’époque. Le prieur obtint chez le juge de paix une conciliation avec les métayers pour les faire enlever le 8 juillet 1796. En rétorsion, Robin fit citer le prieur devant Pierre Charles Marie Gourraud, juge de paix du canton de Saint-Fulgent, le 17 juillet suivant (8).

Le 9 octobre 1796, les habitants de Saint-Fulgent sont venus demander à Merlet l’autorisation de restaurer l’église paroissiale en ruine (9). Il n’a pas osé dire non de lui-même, se rappelant sans doute qu’il avait été fabriqueur de la paroisse avant 1789. Alors il demande à son interlocuteur de Fontenay : « Est-ce possible ? ». L’anticléricalisme était une opinion politique, obligatoire chez les républicains, et comme telle était portée selon le caractère de chaque militant. Il est arrivé à Merlet d’assister le 29 mai 1797 (vues 7 et 8 du registre clandestin de Saint-Fulgent) comme témoin à un mariage religieux clandestin célébré par l’abbé Brillaud (non jureur), ce qui paraît bien en contradiction avec ses paroles et ses actes de commissaire du canton. En revanche on le voit d’une grande sincérité pour défendre ses intérêts. Et il paraît sensible au pouvoir, en quête de reconnaissance. De manière plus légère on ajoutera qu’il portait à l’occasion des « boucles d’argent pour hommes à la nouvelle mode » (10).

Il n’y avait pas que les prêtres à surveiller de près. Les paroissiens demandaient à entendre les cloches à nouveau, et à Bazoges on avait osé les sonner au mois d’août 1796. C’était un signe extérieur de religion interdit par la loi. Le 6 septembre Merlet informe qu’il a demandé à l’agent de la commune de confisquer les battants de cloches. Sauf que dans la paroisse voisine de la Gaubretière elles sonnaient. Alors pourquoi cette sévérité que la population reprochait à Merlet ? Celui-ci se plaignit à son collègue du canton de Tiffauges en décembre 1796. En juin 1797, il renouvela sa plainte auprès des autorités de  Fontenay car rien n’avait changé, alors que dans le canton de Saint-Fulgent les cloches ne sonnaient plus depuis 8 mois, affirma-t-il fièrement.

Ainsi quelques mois après son installation, la nouvelle municipalité cantonale de Saint-Fulgent paraissait s’en être sortie, sans troubles graves, de l’épineux et difficile problème religieux. Ce ne fut qu’un répit. La politique et la religion continuaient toujours à se mélanger totalement dans les esprits. Vraie ou fausse, l’information suivante est révélatrice.

Merlet doit reprendre la lutte antireligieuse d’août 1797 à mars 1798


Dans une lettre du 5 mars 1797, Merlet reproduit le rapport que lui a fait l’agent de Bazoges, républicain comme lui, sur des « rassemblements de prêtres dans des maisons isolées de sa commune ». Le curé de la Gaubretière y participait, rapportant, paraît-il, des rumeurs antigouvernementales : désordre des armées françaises aux frontières, ouvertures des prisons par le gouvernement aux assassins afin de fomenter des troubles, contre-révolution en préparation à Paris aux cris de vive le roi (11). Une copie de la lettre fut envoyée aux généraux Travot (aux Sables-d’Olonne) et Grigny (à Montaigu) et au ministre de la Police.

Coup d’état du 18 fructidor an 5 :
arrestation de députés royalistes
En ce printemps 1797, on préparait à Paris les élections qui devaient renouveler par tiers, l’assemblée des Cinq-Cents et celle des Anciens. Craignant des choix « inciviques », le gouvernement eut l’idée d’imposer aux électeurs un serment gênant pour les royalistes. Après discussions on arrêta le texte suivant du 30 ventôse an 5 (mars 1797) : « Je promets attachement et fidélité à la République et à la Constitution de l’an III. Je m’engage à les défendre de tout mon pouvoir contre les attaques de la royauté et de l’anarchie»

On le voit, il ne s’agissait plus de sélectionner les fonctionnaires fidèles, mais de sélectionner les « bons » électeurs. Nos partis politiques modernes ont importé des États-Unis les primaires, pour choisir à leur place leurs candidats aux élections présidentielles. Pour ne s’adresser qu’à leurs électeurs, alors que les opinions politiques ne figurent pas sur les listes électorales, ils ont inventé l’obligation de signer une charte partisane lors du vote. La prestation de serment eut été trop lourde, et aurait été contraire à la conception libérale moderne de la liberté politique individuelle. Le texte de cette charte moderne, comme les prestations de serment de jadis, constitue à n’en pas douter un enjeu.

En 1797 les électeurs royalistes ne tombèrent pas dans le piège. Ils vinrent voter nombreux et remportèrent les élections du 21 mai 1797. C’est alors qu’une partie du Directoire fomenta un coup d’État le 4 septembre 1797 (fructidor an 5), avec l’aide de l’armée, qui annula en pratique le résultat des élections.

Le lendemain 5 septembre les républicains reprirent un texte plus offensif à imposer aux fonctionnaires pour démasquer leurs ennemis. Ce fut le serment de « haine à la royauté », le huitième depuis le début de la Révolution, du 19 fructidor an 5. Parmi les fonctionnaires concernés par le serment se trouvaient les prêtres. Son texte était le suivant : « Je jure haine à la royauté et à l’anarchie et je promets attachement et fidélité à la République et à la Constitution de l’an III. »

Dans sa lettre du 22 septembre 1797, Merlet indique que les 5 prêtres du canton sont venus à la réunion à laquelle il les avait convoqués pour prêter le serment (on ne connaît pas celui qui manque, probablement celui de Chauché). Ils ont déclaré que leur conscience ne leur permettait pas de se soumettre à la prestation de ce serment, et qu’en conséquence ils cessaient d’exercer leur ministère, conformément à la loi (12). Les prêtres étaient arrivés à Saint-Fulgent sous la protection d’une grande foule (13).

Cette position posait problème, alors que le serment fût rejeté par presque tous les prêtres réfractaires de la Vendée. Comment distinguer politique et religion ? Les quelques prêtres qui acceptèrent y virent la possibilité d’exercer publiquement leur ministère, sans mettre en cause aucun dogme catholique. Mais le pape Pie VI condamna ce serment le 24 septembre 1798 comme antireligieux, au motif qu’il impliquait une haine « positive », ce qui est contraire à la notion de charité chrétienne. Une fois connue la position du pape, certains curés se rétractèrent. Le 25 juillet 1798, monseigneur de Mercy, évêque de Luçon en exil, l’avait aussi condamné, mais sans condamner les sermentaires.

On sait que le curé Remaud de Chavagnes refusa le serment. Le vicaire de Saint-Fulgent et le curé de Saint-André le prêtèrent pour s’assurer la liberté d’exercer le culte, tout en le regrettant. D’ailleurs ce dernier, Allain, se ravisa et ne vint plus dans son église célébrer le culte, préférant la maison d’un particulier à la Brossière, pour éviter de voir la copie de son serment affiché à la porte de l’église paroissiale.

Merlet note dans une lettre du 30 septembre 1797 que les prêtres de son canton n’exercent plus officiellement, sauf celui de Bazoges, qui le fait sans s’être soumis au serment. Un ressentiment s’exprime en conséquence contre lui, Merlet (14). Et ce n’est pas tout.

Les habitants de Chavagnes écrivent le 20 novembre suivant directement au commissaire du département pour défende leur curé non assermenté, et 17 d’entre eux signent la lettre. Ils s’indignent qu’on ait voulu l’arrêter, ils se portent garant de son obéissance aux lois et au gouvernement. Ils affirment qu’il n’a pas voulu influencer d’autres prêtres à ne pas prêter serment. Ils demandent qu’on respecte néanmoins son choix de s’y refuser, au nom de la liberté et conformément à la loi, en supportant la conséquence de ne plus exercer son ministère (15).

La Brossière
Merlet s’en prit au curé de Saint-André-Goule-d’Oie à cause de l’affichage de son serment. On peut le soupçonner d’avoir protégé le vicaire réfractaire de Saint-Fulgent, mais on ne comprend pas la mesquinerie qui l’anima contre le curé réfractaire de Saint-André. Il était prévu d’afficher la soumission au serment sur les lieux où le prêtre officiait. Dans la seule version de Merlet que nous possédons, apparemment relatant la réalité, le curé Allain préféra reprendre la célébration du culte clandestinement, plutôt que dans son église paroissiale, pour éviter cet affichage, craignant sans doute que certains paroissiens le lui reprochent. Il célébra la messe clandestinement dans une grange de la Brossière, chez François Fluzeau, l’ancien agent démissionnaire de la commune, parce que lui aussi avait refusé le serment du 19 fructidor, étant assimilé à un fonctionnaire. Il n’y avait pas d’affichage de son serment à la porte d’entrée de la grange, ce qui constituait une faute selon la loi en vigueur (16).  

Merlet donne ces informations dans la lettre qu’il écrit au commissaire du département le 22 octobre 1797. Et il ajoute avoir dénoncé les agissements du curé de Saint-André au tribunal de police de Montaigu. Le président du tribunal, Pierre Étienne Sorin (voir sa biographie dans le dictionnaire des Vendéens sur le site internet des Archives départementales), lui fit une réponse qu’il juge « ambiguë et peu satisfaisante », en lui « conseillant de vous consulter » (Coyaud, commissaire à Fontenay). Et Merlet d’ajouter : « Il serait bien temps que le gouvernement prit des mesures répressives contre les prêtres qui ne cessent de travailler au renversement de la République ».

Dans la même lettre un passage frappe le lecteur : « Hier s’est célébrée la cérémonie funèbre du général Hoche avec toute la pompe qu’on peut attendre de notre localité et des circonstances … Les autorités constituées seule avec la force armée composaient le cortège, trois à quatre individus du bourg seulement y ont assisté. Elle avait été néanmoins proclamée dans toutes les communes » (16). Le général Hoche était mort le 19 septembre précédent en poste en Allemagne. Il avait mis fin aux combats de la guerre de Vendée avec efficacité, pratiquant prises d’otages et réquisitions, mais laissant en vie les prêtres réfractaires. C’est ce que les historiens appellent avec logique une pacification. De là à penser qu’on puisse trouver plus de quelques personnes, en dehors de l’armée, pour lui rendre hommage à Saint-Fulgent ! Des années lumières séparaient les deux camps politiques ennemis qui s'y côtoyaient. 

Avant de répondre à Merlet, le commissaire de Fontenay, prudent, saisit le ministre de la police le 27 octobre 1797 sur la conduite à tenir. Il était partagé entre la crainte de rallumer la guerre civile, et celle de déplaire au gouvernement. Après le gauchissement de septembre orchestré par le Directeur Paul Barras, quel fonctionnaire d’autorité pouvait être sûr de connaître désormais une ligne politique définie par un gouvernement ne survivant que par des coups d’État ? De Fontenay, le commissaire Coyaud envoya au ministre de la police Sotin, un tableau nominatif de 39 prêtres vendéens ayant refusé le serment, avec des indications sur leurs attitudes pour chacun d’eux (17). 

Paul Barras (1755-1829)
Le gouvernement fut plus modéré, si l’on ose dire, dans ses actes que dans ses discours. Il décida la déportation pour 13 d’entre eux, et une surveillance spéciale pour 13 autres. L’arrêté concernant le prieur de Saint-André et le vicaire de Saint-Fulgent, ensemble, est daté du 28 novembre 1797, signé à Paris du président Barras, du secrétaire Lagarde et du ministre de la police Sotin. En voici le texte :

« Le directoire exécutif, ouï le rapport du ministre de la police générale, considérant que le nommé Hallaire (lire Allain) de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie canton de Saint-Fulgent, et le nommé Brillaud, aussi de la commune et canton de Saint-Fulgent, ont d’abord été réfractaires aux premières lois concernant les ministres du culte, qu’ils n’ont ensuite prêté avec répugnance le serment prescrit par la loi du 19 fructidor dernier, que par des motifs de crainte, et que, comme s’ils avaient été honteux de cette prétendue soumission, ils ont cessé tout à coup d’exercer leur culte, à l’exception de Hallaire qui a dit une seule fois la messe clandestinement et sans que sa soumission ait été affichée [a], et ont même refusé de signer sur les registres l’acte de leur prestation de serment, conduite qui avait pour but d’en imposer aux fanatiques et qui a produit un fort mauvais effet dans le canton de Saint-Fulgent,
Considérant encore que ces deux individus sont soupçonnés de manœuvres clandestines et d’influencer les opinions des habitants très fanatiques et très antirépublicains de leurs communes,
Arrête, en vertu de l’art. 24 de la loi du 19 fructidor (5-9-1797) :
Article 1°, les nommés Hallaire et Brillaud ci-dessus désignés seront sur le champ arrêtés et déportés.
Article 2, le ministre chargé de la police générale est chargé de l’exécution du présent arrêté. » (17).
[a] chez François Fluzeau à la Brossière.

L’erreur sur le nom du curé de Saint-André, faite par un secrétaire parisien, ne posa évidemment aucune difficulté dans l’exécution de la décision visant le curé Allain. D’autres arrêtés condamnaient aussi à la déportation le curé de Chavagnes, Remaud, et le vicaire de Bazoges, Brenugat. Coyaud transmit la décision gouvernementale à Travot, commandant de la troupe, lui recommandant de faire procéder aux arrestations « au même moment s’il est possible ……… le plus secrètement possible sans occasionner le moindre mouvement… les conduire à Fontenay et transférer à Rochefort. ». On ne peut pas dire qu’il était rassuré, et on dû prendre un peu de temps pour l’exécution de ces consignes.

Dans une lettre du 20 décembre 1797 Merlet indique que le général Grigny a fait arrêter, deux jours auparavant, Allain, curé de Saint-André, et Brenugat, vicaire de Bazoges, qui ont été emprisonnés à Montaigu. Remaud, curé de Chavagnes, et Brillaud, vicaire de Saint-Fulgent, s’étaient enfuis et avaient échappé à leur arrestation. Allain et Brenugat ont été emmenés dès le lendemain vers le port de Rochefort puisqu’ils avaient été déjà condamnés à la déportation en Guyane par le gouvernement (18).

Les deux prêtres furent enfermés dans des chaloupes désaffectées dans le port de Rochefort. Dans le froid de l’hiver ils y passèrent la fête de noël, avec d’autres prêtres arrêtés en Vendée, notamment un natif de Linières à Saint-André-Goule-d’Oie, Jean Herbreteau, qui était vicaire de Venansault.

Celui-ci réussit à s’échapper 20 jours après son arrivée, en compagnie du curé de Saint-André. Ils continuèrent à se cacher durant deux années, reprenant leur ministère avec la liberté religieuse retrouvée à partir de 1800. Pierre Brenugat fut embarqué pour Cayenne, où il est mort d’inanition dans la forêt tropicale, et son décès a été enregistré le 8 septembre 1798 (19).

Écrivant en 1817 à l’abbé Remaud, l’ancien secrétaire de Charette et frère de l’ancien curé de Chavagnes, le curé Allain eut cette phrase : « Je ne parlerai point de moi. On sait que j’ai été traîné de prison en prison, maltraité, condamné à la déportation, et ai souffert tout ce qu’on peut souffrir, excepté la mort, que je n’ai évité que, parce qu’en me sauvant des prisons de Rochefort, j’ai été assez heureux pour n’être pas tombé sous le couteau de nos ennemis » (19).

Quant à son prédécesseur à la cure de Saint-André, François Chevreux, il avait lui aussi refusé de prêter le serment de 1790, étant alors chanoine en la cathédrale de Luçon. On le mit en prison, mais il en sorti grâce à l’intervention de La Réveillère-Lépeaux, conventionnel girondin influent du Maine-et-Loire né à Montaigu, qu’on avait intéressé à son sort (20). C’est l’occasion de rappeler ici que tous les révolutionnaires n’eurent pas le même profil que celui rencontré à Saint-Fulgent. Certains d’entre eux comptent même, comme on sait, parmi les victimes de la Révolution.


La neutralisation du clergé n’était pas suffisante. Au début de l’année 1798, Merlet reçoit instruction de faire la chasse aux signes extérieurs du culte. Il promet de le faire, accusant les administrations précédentes des communes de n’avoir pas exécuté ses ordres. Il est bien vrai qu’on n’imagine pas François Fluzeau à Saint-André se lancer dans cette voie. Il avait acheté l’église et le presbytère de la paroisse comme bien national, mais certainement pas pour en changer la destination. Désormais Merlet menaçait l’emploi de l’armée si les nouveaux agents ne s’exécutaient pas.

Dans une lettre du 21 janvier 1798 Merlet est obligé d’avouer que les agents n’ont rien fait pour faire disparaître les croix encore debout dans la campagne. Le commandant de Saint-Fulgent a dû aller lui-même à Saint-André-Goule-d’Oie pour en abattre deux. C’est que les agents sont pour la plupart les seuls patriotes de leur commune, dit-il ! Ils craignent les réactions populaires dirigées par les meneurs contre-révolutionnaires (21). Or dans son courrier à Fontenay il avoue qu’on ne trouve pas de nobles réfugiés dans la contrée et il ne reste que très peu de prêtres réfractaires.

Martineau maintient l’ordre antireligieux d’avril 1798 à fin 1799


En remplaçant Louis Merlet à partir d’avril 1798, Étienne Martineau affirme que le canton est tranquille, mais il se promet de surveiller le curé de la Rabatelière qui a prêté serment, mais dont les « propos peuvent troubler la société ».  Le médecin a remplacé le marchand. Au style « pataud » de Merlet, se substitue celui de l’emphase et du romantisme révolutionnaire de Martineau. Ce curé de la Rabatelière s’appelait Jacques Mangeard, il était venu se réfugier dans cette paroisse pendant la guerre, venant de Loire-Atlantique, et fut le seul qui s’est soumis complètement au serment du 19 fructidor, aux dires de Martineau dans une lettre du 13 août 1798, où il ajoute qu’il a continué d’exercer le culte jusqu’à la mi-juillet 1798. « Depuis qu’il a prêté le serment il n’a plus d’influence, et je me suis convaincu qu’il est abhorré par ceux qui font réputation d’aristocrate », précise-t-il enfin (22). Le style peut faire sourire à deux siècles de distance, mais le fond est juste. On voit que la Révolution s’est fabriquée dans la contrée des ennemis politiques irréductibles.

Dans la même lettre il avoue ne pas savoir où sont ceux qui n’ont pas prêté serment. « Ils se tiennent cachés pour le malheur de la société. Ils trouvent aisément chez le peuple des asiles sûrs. »

Le 27 mai 1798, répondant à une enquête de l’administration départementale, Martineau fait le point sur l’instruction dans le canton de Saint-Fulgent  : « je dois vous dire que l’instruction dans ce canton est on ne plus négligée, et que je ne connais même personne qui veuille se charger des fonctions précieuses d’instituteur. Ce pays sera abandonné longtemps à la fatalité de l’ignorance, si des étrangers, ou les soins paternels du gouvernement, ne satisfont aux besoins d’instruction qu’il éprouve … et le peuple ne sera vraiment républicain que lorsque son éducation, en sapant les fondements des préjugés dont son esprit est infecté, lui aura fait voir les avantages sociaux qui résultent de l’ordre politique qui le régit » (23). Déjà Merlet avait répondu quelques mois auparavant : « Rien à vous dire sur l’instruction publique, puisque malheureusement il n’en existe point dans ce canton. La prétendue instruction qui s’y donne est confiée à des femmes fanatiques ou à des hommes ignorants et étrangers aux principes républicains, s’ils n’en sont pas les ennemis déclarés. L’esprit public de ce canton n’est pas à beaucoup près celui de l’amour de la République ».

Au mois de février 1799 on relève dans une lettre de Martineau : « Il m’a été impossible de déterminer les agents d’André-Goule-d’Oie et de Bazoges à faire fermer les lieux où se rassemble le peuple les jours ci-devant fériés, quoique cinq à six procès-verbaux de séances mentionnent mes réquisitions à cet égard » (24). On remarquera sa maîtrise toute « républicaine » de l’écriture. Sa plume reste pure, évitant les mots qui souillent les âmes politiquement sensibles : l’église est nommée « les lieux », et les dimanches sont des « jours ci-devant fériés ». Pourtant un nommé Robin, de Sainte-Florence-de-l’Oie, déjà propriétaire de l’ancienne métairie du prieuré à Fondion, avait acheté l’église et le presbytère de Saint-André le 1e juillet 1798. Apparemment il n’avait pas osé interrompre l’usage de l’église pour le culte. Et il est probable qu’aucun prêtre ne participait à ces prières dominicales en cette période. Le curé Allain confirme son absence à cette époque dans un acte d’enterrement en août 1799 sur son 2e registre paroissial clandestin (vue 12). On remarque que Martineau habitait alors Linières, soit à un km de l’église de Saint-André, et qu’il s’est montré à cette occasion plus courageux sur le papier que dans ses actes. Il faut dire que les paroissiens l’avaient déjà mis en fuite en mars 1793 quand il était venu arrêter Jean de Vaugiraud avec des gendarmes dans le bourg. Non seulement la Révolution s’était fait des ennemis politiques irréductibles, mais elle avait aussi renforcé le sentiment religieux dans la population, qu’elle voulait éradiquer. Et si les paysans sont devenus plus catholiques, ne doutons pas qu’ils sont devenus aussi plus royalistes.

Une note d’Amblard de Guerry, chercheur de Chavagnes-en-Paillers, nous explique comment le prieuré était affecté « à l’usage du ministère du culte catholique ». Certes l’église n’est pas le presbytère, mais ils appartenaient tous deux au même propriétaire en 1801. Or le 6 messidor an IX (25 juin 1801), le juge de paix de Saint-Fulgent décide d’une enquête sur l’affermage du presbytère. Il avait été saisi par Joseph Guyet, le tout récent propriétaire du domaine de Linières et bon républicain, qui en était fermier. Il avait sous-affermé verbalement le presbytère à un nommé Sébastien Mercier, garde champêtre demeurant à la Pelissonnière paroisse du Boupère. Guyet avait saisi le juge de paix de Saint-Fulgent en dommages et intérêts contre Mercier. Or ce dernier avait lui-même sous affermé verbalement le presbytère et jardin à « différents habitants de la commune qui les destinaient à l’utilité du ministre du culte », et demandait leur comparution devant le juge. D’où l’enquête décidée par ce dernier. Elle révèle les noms de quelques-uns de ces sous fermiers au 3e degré : Jean Herbreteau père, Pierre Herbreteau maire de la commune (ancien combattant vendéen), Jean Rochereau de la Boninière, François Cougnon du Coudray (ancien capitaine de paroisse dans les armées vendéennes). Et il est indiqué qu’ils mettent un lit dans le bâtiment et cueillent les fruits dans le jardin. Ce lit servirait-il à un prêtre clandestin ? On n’a pas la réponse. La note n’indique pas la suite de la procédure après l’enquête, et n’évoque pas le sort de l’église qui aussi était « à l’usage du ministère du culte catholique » comme on l’a vu plus haut (25).

La restauration de la liberté religieuse à partir de 1800


L’ordre policier règne désormais dans le domaine religieux depuis la fin de l’année 1797, et le sujet n’apparaît plus dans le courrier envoyé de Saint-Fulgent à l’administration du département. Les républicains ont réussi à éliminer les prêtres dans le canton, sauf pour des cérémonies secrètes et probablement devenues rares. Mais ils n’ont pas éliminé la religion. 

Alors, pour mettre fin aux escarmouches royalistes qui menaçaient l’ordre dans la région à la fin de 1799, Bonaparte, aussitôt arrivé au pouvoir, va rapidement rétablir la liberté religieuse. L’abbé Brillaud, les curés Allain et Remaud, vont sortir de la clandestinité, au prix d’un serment bien sûr.

Celui du 18 novembre 1799 (7 jours après le coup d’État) ne concernait que les fonctionnaires publics, donc aussi les prêtres, avec le texte suivant, plus consensuel que d’habitude, adapté à l’urgence du moment. « Je jure d’être fidèle à la République une et indivisible, fondée sur l’égalité et la liberté et le système représentatif ». Il a échappé aux prêtres qui se cachaient. Mais le suivant s’imposait à eux s’ils voulaient sortir de la clandestinité. C’était le serment dit de la « promesse » ou de « fidélité à la Constitution de l’an VIII » : « Je promets fidélité à la Constitution ». Le 21 août 1800, une circulaire de Fouché, ministre de la police, faisait de la prestation de ce serment la condition sine qua non du retour des prêtres déportés. L’évêque de Luçon en exil y était favorable. On sait que le curé Remaud de Chavagnes-en-Paillers, toujours inflexible, le refusa. Il mourut peu après en 1801, des suites d’une saignée mal à propos. On ne connaît pas l’attitude du curé de Saint-André à cette date, ni où il se cachait.
Giuseppe Longhi : Bonaparte

Enfin il y eut le dernier et douzième serment exigé des prêtres depuis le début de la Révolution, le serment du concordat. Le pape et Napoléon avaient signé le concordat le 15 juillet 1801, comprenant un serment accepté du côté catholique : « Je jure et promets à Dieu, sur les saints évangiles, de garder obéissance et fidélité au gouvernement établi par la Constitution de la République française ; Je promets aussi de n’avoir aucune intelligence, de n’assister à aucun conseil, de n’entretenir aucune ligue, soit au-dedans, soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique ; et si dans mon diocèse (dans ma paroisse), ou ailleurs, j’apprends qu’il se trame quelque chose au préjudice de l’État, je le ferai savoir au gouvernement. »

Voilà bien un texte qui ne fut pas sans poser de problèmes au début. Le clergé se mettait apparemment au service du gouvernement, et il fallait en plus oublier le traumatisme psychologique de la terreur révolutionnaire. Sauf que les cloches sonnaient et qu’on célébrait la messe et les sacrements en toute liberté. Les curés avaient la liberté d’exercer leur ministère sous réserve de ce serment. Avec le temps, et la paix civile retrouvée, il ne posa plus de difficultés à la majorité du clergé et des fidèles.

François Gérard : Signature du concordat
Le concordat organisait dans certaines conditions l’intégration du clergé réfractaire avec celui qui avait prêté serment. Cet accommodement ne fut pas au goût de certains de ceux qui avaient lutté contre la Révolution dans les conditions que l’on sait. Ils allèrent jusqu’à faire scission avec le pape, donnant naissance à ce qu’on a appelé alors « la Petite Église », phénomène apparemment inconnu dans le canton de Saint-Fulgent. On l’a observé au nord-ouest des Deux-Sèvres, en Aveyron, en Bretagne. Les dissidents rejetèrent notamment le serment d’allégeance à Napoléon.  À la mort du dernier de leurs prêtres, leur culte se laïcisa (26).

Il est intéressant de comparer le serment du concordat qui marqua la fin à la guerre de Vendée, à celui voté le 12 juillet 1790, auquel 74 % prêtres du diocèse de Luçon d’avant la Révolution furent réfractaires (27) : « Je jure de veiller avec soins sur les fidèles du diocèse (de la paroisse) qui me sont confiés, d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et approuvée par le roi » (28). L’engagement politique demandé alors au clergé en 1790 parait même moins poussé que celui de 1801. Mais il faut s’attarder sur le mot « loi » qu’il contient. Car la loi sur la constitution civile du clergé, c’est-à-dire organisant l’Église de France, coupait celle-ci du pape. Alors que le concordat organisait une Église de France profondément divisée, en accord avec le pape. Le texte du serment de 1790, apparemment anodin vu d’aujourd’hui, exigeait l’acceptation d’une politique religieuse qui heurtait la population vendéenne.

Il faut se rappeler à cet égard que l’empereur d’Autriche, Joseph II, avait mené récemment dans ses États une politique d’affranchissement de l’Église à l’égard du pape et de laïcisation de la société, ce qu’on a appelé le joséphisme, rencontrant des oppositions, mais sans provoquer de condamnation du pape.

Croix au village de la Boninière
Au-delà de l’aspect doctrinal de la coupure avec Rome, le plus important en ce domaine, pour comprendre le refus du serment de 1790 et ses conséquences, est de commencer par s’interroger sur la pratique religieuse des populations. Elle était fervente si l’on pense aux prières collectives des paroissiens dans l’église de Saint-André en 1799. Mais n’était-ce pas déjà un contrecoup des persécutions ? Cette pratique était forte dans la contrée avant la Révolution. La population allait à la messe du dimanche matin. Elle allait aussi aux vêpres en début d’après-midi, y compris les hommes. Nous en avons le témoignage pour la paroisse voisine de Vendrennes en 1783 (29).

Mais il faudrait aller plus loin dans l’exposé de cette pratique religieuse, et indépendamment de l’influence même du clergé. En effet, le sermon du curé de Chavagnes pour expliquer son refus de prêter le serment en février 1791, a pu influencer ses fidèles (30). Mais à Chauché le curé et le vicaire ont prêté serment avec conviction. Alors comment expliquer que les paroissiens de Chauché et de Chavagnes se soient engagés également dans les combats des insurgés ? On sait que d’autres facteurs que la religion sont à l’origine de la révolte de la population vendéenne. Parmi eux, quelle place et quel rôle a vraiment tenu la religion ? Celle-ci a fait l’objet d’une sublimation compréhensible en réaction aux persécutions, amplifiée ensuite postérieurement à la révolte. Il parait difficile de la reporter telle quelle sur l’origine de celle-ci.

Une chose est sûre, ces persécutions religieuses ont laissé des traces profondes. Un détail le souligne à propos des croix abattues par les gendarmes de Saint-Fulgent en 1798 à Saint-André-Goule-d'Oie. Faisant le compte rendu de la bénédiction en 1860 de la croix de la Boninière, un village de Saint-André éloigné du bourg d’environ 2 kms, toujours bien entretenue de nos jours, un auteur non repéré a écrit comment les paroissiens s’y sont rendus en procession à l’issue des vêpres du dimanche 10 juin de cette année-là : « Arrivés à la Boninière, les assistants se rangèrent autour de la croix de pierres, monument de la piété et de la générosité de tous les fidèles du village, élevé à la place d’une croix ancienne renversée par l’impiété révolutionnaire, bénédiction de la croix par le curé de Saint-André, Prosper Guibert, chanoine honoraire » (31). Combien sommes-nous à pouvoir identifier leurs ancêtres parmi les habitants du village de la Boninière en 1860 ?

Les recherches de Paul Boisson

Paul Boisson en 1937, année de son ordination
(d’après une photo conservée aux 
Archives historiques du diocèse de Luçon)

Pour terminer, il nous faut indiquer que la rédaction de cet article s’est appuyée en presque totalité sur les recherches de l’abbé Paul Boisson (1912-1979), comme en témoignent les sources indiquées ci-après. Professeur d’Histoire au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, puis aumônier à l’hospice de Saint-Fulgent, ses travaux historiques sur le canton de Saint-Fulgent sont précieux. Il avait lu ce qui s’était écrit sur la guerre de Vendée, mais il ne s’en est pas contenté. Il est allé à la source des documents originaux pour les confronter entre eux. En vrai historien, il a mis son sens critique au service de la recherche des faits. En plus de la foi catholique, il eut la religion de leur vérification. À cet égard, voici un extrait d’une réflexion qu’il a écrite dans un essai de chronologie des débuts de l’insurrection dans le canton de Saint-Fulgent, un vrai casse-tête : « Les oppositions, voire les contradictions quand il s’en présente (entre documents, traditions, etc.), ne sauraient qu’être apparentes. La plupart doivent se résoudre à l’étude, et stimuler la patience et la ténacité des chercheurs. C’est ce que nous avons essayé de faire, et nous pensons que bien des pages de l’histoire de la Guerre de Vendée, gagneraient à être revues dans cet esprit. Si quelques lecteurs corrigent ou complètent … merci » (32). Cette note est datée du début des années 1970.

C’est sur les faits recueillis par Paul Boisson que notre récit s’appuie, et nous y avons ajouté nos explications les concernant. Il a légué ses papiers au diocèse de Luçon, classés ensuite par l’abbé Delhommeau, archiviste du diocèse. Les originaux des lettres de Merlet et Martineau au commissaire du département à Fontenay-le-Comte, sont conservées aux Archives départementales de la Vendée sous la cote L 237. Article à suivre : « La révolte gronde, deux morts près de Linières en 1799 ».
  
(1) T. de Gouttepagnon, le synode du Poiré de 1795, Revue du Bas-Poitou, 1890 (A3), page 183.
(2) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Frappier, transaction du 17 fructidor an 4 entre les héritiers de Claude Joseph Frappier et Marie Gaboriau.
(3) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 20 messidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(4) 7 Z 12-I, lettre du 30 messidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(5) 7 Z 12-I, lettre du 19 thermidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(6) 7 Z 12-I, lettre du 26 thermidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(7) 7 Z 12-I, lettre du 6 frimaire an 5 de Merlet au commissaire du département.
(8) 7 Z 73-1, justice de paix de Saint-Fulgent du 28 messidor an 4, acte de non conciliation entre Robin et Allain concernant des bestiaux sur la métairie de Fondion.
(9) 7 Z 12-I, lettre du 18 vendémiaire an 5 de Merlet au commissaire du département.
(10) 7 Z 20, Louis Merlet, contrat de mariage du 11 mai 1780 de Louis Merlet et Marie Monnois.
(11) 7 Z 12-I, lettre du 15 ventôse an 5 de Merlet au commissaire du département.
(12) 7 Z 12-II, lettre du 6 vendémiaire an 6 de Merlet au commissaire du département.
(13) Application de la loi du 19 fructidor an V qui prescrit en particulier la déportation de certains prêtres, Archives du ministre de la police générale aux Archives nationales, F / 7 / 7304.
(14) 7 Z 12-II, lettre du 9 vendémiaire an 6 de Merlet au commissaire du département.
(15) 7 Z 12-II, lettre du 20 brumaire an 6 des habitants de Chavagnes au commissaire du département.
(16) 7 Z 12-II, lettre du 1e brumaire an 6 de Merlet au commissaire du département.
(17) 7 Z 74-I, lettre du ministre de la police au commissaire exécutif de la Vendée du 14 frimaire an 6 (4-12-1797), et arrêté du directoire du même jour condamnant Allain et Brillaud à la déportation. (Voir aussi : Archives de Vendée L 274).
(18) 7 Z 12-II, lettre du 30 frimaire an 6 de Merlet au commissaire du département.
(19)  M. Maupilier, Des étoiles au Lion d’Or, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions, 1989, page 136.
(20) Edgar Bourloton, Le clergé de la Vendée pendant la Révolution, Revue du Bas-Poitou (1898-3), page 287.
(21) 7 Z 12-II, lettre du 2  pluviôse an 6 de Merlet au commissaire du département.
(22) 7 Z 12-II, lettre du 26 thermidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(23) 7 Z 12-II, lettre du 8 prairial an 6 de Martineau au commissaire du département.
(24) 7 Z 12-III, lettre du 27 pluviôse an 7 de Martineau au commissaire du département.
(25) Ordonnance du 6 messidor an IX de la Justice de paix de Saint-Fulgent concernant le prieuré de Saint-André-Goule-d’Oie, cité dans les notes personnelles d’Amblard de Guerry, archives personnelles.
(26) Auguste Billaud, La petite église dans la Vendée et les Deux-Sèvres (1800-1830), éd. Nouvelles Éditions Latines, 1962.
(27) Archives de Vendée, revue du Bas-Poitou, Y. Chaillé, Les divisions ecclésiastiques de la Vendée en 1789, 1967, p. 239 (vue 36).
(28) Archives de Vendée, annuaire de la société d’émulation de la Vendée, (1913), P. Boutin, Les 12 serments demandés aux prêtres pendant la Révolution, page 3.
(29) Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/10, assemblée des habitants de Vendrennes du 23-11-1783.
(30) Archives de Vendée, annuaire de la société d’émulation de la Vendée, (1978), Paul Boisson, sermon de Pierre Marie Remaud en février 1793, page 39 (vue 24).
(31) 7 Z 73-4, notes sur la bénédiction des croix de Saint-André-Goule-d’Oie en 1860.
(32) 7 Z 46-1, débuts de l’insurrection dans la région de Saint-Fulgent, essai de chronologie.

Emmanuel François, tous droits réservés
Janvier 2017, complété en octobre 2019