dimanche 1 juillet 2012

Décembre 1790 : le curé de Saint-André-Goule-d'Oie sous surveillance.

Dans les archives de la médiathèque de Nantes, 24 quai de la Fosse, on trouve une lettre du curé de Saint-André-Goule-d'Oie au procureur-syndic de Montaigu, en date du 24 décembre 1790 (1). Nous la reproduisons à la fin de notre article. À cette date la Révolution est commencée depuis un an et demi, mais nous sommes encore loin des débuts de la guerre de Vendée, en mars 1793. Et déjà le curé de la paroisse est surveillé par les nouvelles autorités politiques.

Goupilleau de Montaigu
Quelles sont ces nouvelles autorités ? Les départements ont été mis en place à partir du mois de mars 1790. Puis dans chaque département on a installé des districts, dont celui de Montaigu, comprenant le canton de Saint-Fulgent. Le président du district de Montaigu est un médecin, Rousse, et son procureur-syndic est un avocat, vendéen d’origine, Philippe Charles Aimé Goupilleau. Chargé de l’exécution des lois, le procureur-syndic apparaît comme le représentant du pouvoir exécutif. Avec Philippe Charles Aimé Goupilleau, on se trouve en présence d’un militant sourcilleux et dévoué de la cause révolutionnaire. Il sera élu député de Vendée l’année suivante et il se distinguera alors par ses motions contre les prêtres et les nobles. Le 17 avril 1792, il dénoncera à la tribune de l’Assemblée législative les prêtres de Vendée comme fauteurs de guerre civile. Il a cultivé un anticléricalisme virulent jusqu’à la fin de sa vie. Bref, pour le curé de Saint-André-Goule-d'Oie, c’était un manque de chance d’être surveillé par lui. La Vendée est connue pour ses contrerévolutionnaires, on ne reconnaît pas assez l’importance de ses propres révolutionnaires pour expliquer ce qui s’y est passé à cette époque.

Mais le curé, Louis Marie Allain, avait du caractère, comme il le montrera pendant toute la période des persécutions religieuses. Dans une lettre à l’abbé Pierre François Remaud de Chavagnes en 1817, il écrit : « Je ne parlerai point de moi. On sait que j’ai été traîné de prison en prison, maltraité, condamné à la déportation, et ai souffert tout ce qu’on peut souffrir, excepté la mort, que je n’ai évité que, parce qu’en me sauvant des prisons de Rochefort, j’ai été assez heureux pour n’être pas tombé sous le couteau de nos ennemis. » On voit ici, avec les mots employés dix-sept ans après l’arrêt des persécutions, la violence des luttes.


La constitution civile du clergé


Avant d’examiner la lettre du curé, rappelons brièvement son contexte. Depuis l’été de 1789, l’Assemblée constituante, appelée Assemblée nationale, a voté les principales lois donnant naissance à un nouvel ordre politique. On appelait à l’époque ces lois des décrets le plus souvent, émanant de l’Assemblée nationale.

Depuis quelques mois une municipalité a été élue à Saint-André-Goule-d'Oie, avec son premier maire, Jean Bordron, maréchal au bourg. N’ayant aucune archive le concernant, nous ignorions quand il avait été élu. Avec cette lettre du curé, nous apprenons que la commune avait commencé sa vie municipale comme généralement partout en France, en 1790.

La grande affaire qui préoccupait les curés comme celui de Saint-André en cette fin d’année 1790, était la confiscation des biens du clergé, votée en novembre 1789. Le déficit des finances publiques était énorme. En s’appropriant les biens de l’Eglise pour les revendre aux particuliers, on comptait ainsi renflouer les caisses de l’État.

Caricature du ministre des Finances

























Talleyrand








Le promoteur de l’initiative, le très anticlérical évêque d’Autun, Talleyrand, expliquait que la propriété de l’Église était particulière. Celle-ci n’était que dépositaire de ses biens, et pour assurer ses missions religieuses et sociales il suffisait d’organiser les choses autrement. Votée le 12 décembre 1790, une Constitution civile du clergé créa une nouvelle organisation de l’Église de France. Pour remplacer les biens confisqués, mais qui assuraient pour partie la subsistance des membres du clergé, l’État versera désormais un salaire à ces derniers. De plus on réorganisa les évêchés et on décida d’élire les curés, et même les évêques, opérant ainsi une coupure avec l’Église de Rome, c’est à dire imposant un schisme au sein de l’Église catholique. Vu d’aujourd’hui cela peut paraitre très cavalier, révolutionnaire pour tout dire. Vu de l’époque, ce l’était un peu moins à cause du penchant à l’indépendance de l’Église de France à l’égard du pape depuis au moins plus de deux siècles (appelé le gallicanisme), très partagé dans la sphère politique d’alors.

Le curé de Saint-André-Goule-d’Oie en accusation


À partir de là, les conditions d’un conflit entre les révolutionnaires et les catholiques sont réunies. Et c’est ce qui ressort de la lettre du prieur Allain du 24 décembre 1790. En fait le prieur répond à une lettre du procureur-syndic de Montaigu dont nous n’avons pas connaissance. Ce dernier lui demande de s’expliquer sur des accusations portées contre lui et il le menace de le traduire en justice.

Qui a porté ces accusations ? Le curé lui-même indique qu’il aimerait bien connaître ses délateurs, comme il les appelle. On peut évidemment soupçonner quelques révolutionnaires de Saint-Fulgent comme le médecin Martineau ou le maître de postes Guyet ou le marchand Louis Merlet. On peut même s’interroger sur quelques notables de la municipalité de Saint-André, Jean Bordron notamment, le maire de la commune. On le verra rester dans le camp des partisans de la Révolution jusqu’au bout. Mais on ne connaîtra pas ces délateurs.

Quelles sont ces accusations portées contre le curé ? Le prieur Allain rempli mal son rôle d’information des paroissiens sur les décrets de l’Assemblée nationale, il complote pour demander la suspension de la vente des biens de la cure, il prétend les acquérir lui-même, il intervient à tort dans les délibérations des assemblées de citoyens de sa commune, et il a même une mauvaise influence dans son confessionnal. C’est beaucoup d’accusations, mélangeant l’intérêt matériel, la politique et la religion. Elles constituent un de ces nombreux faits qui ont concouru, avec d’autres et par accumulation, à créer et alimenter l’explosion populaire de mars 1793. Examinons ces accusations l’une après l’autre.
 

Publication des décrets au prône de la messe du dimanche


Rappelons que la religion catholique était religion d’État sous l’Ancien Régime et que le roi était chef de l’Église catholique, choisissant les évêques proposés ensuite à la nomination du pape, suivant un concordat conclut entre le roi de France et le pape au temps de François 1e. L’administration locale n’existait pas et les paroisses en tenaient lieu, le curé ayant un rôle administratif. Il fournissait des statistiques à l’Intendant de la province, tenait l’état civil (les registres paroissiaux), informait les paroissiens des lois nouvelles, etc. Il s’occupait de l’éducation et de l’action sociale, distribuant à l’occasion des subsides royaux en cas de calamités. L’éducation et la santé entraient dans les compétences exclusives de l’Église.

Chaire portative (cathédrale de Luçon)
Décorée par Mgr Nivelle
Ce bref rappel de la situation est nécessaire pour éviter de comprendre l’action des révolutionnaires, seulement avec les yeux d’aujourd’hui sur l’Église catholique, en ignorant le contexte de départ. Les députés avaient « du pain sur la planche », si l’on peut dire, pour créer un État moderne plus impliqué au service des français. Les autres nations européennes ont évolué dans le même sens, chacune à sa manière, la France ayant commencé sa démarche dans une débauche de passions anticléricales, dont l’examen de la lettre nous donne un petit aperçu.

Le curé de Saint-André-Goule-d'Oie a-t-il lu à ses fidèles, de manière neutre et exhaustive, la Constitution civile du clergé, pour ne prendre que cette loi ? Nous n’avons pas de compte-rendu indépendant et objectif pour répondre, mais il est arrivé aux oreilles de procureur-syndic des informations négatives sur ce point. Celles-ci ne sauraient nous surprendre, néanmoins. Mais le curé s’en défend. J’ai tout publié, écrit-il, même les textes les plus longs. Parfois j’ai abrégé la lecture, en expliquant le sens du texte. Mais je l’ai fait de bonne foi et avec l’accord des paroissiens. On peut conclure de cet échange que le curé admet la légitimité de la remarque, même s’il en conteste le bien-fondé. Il sait ce qu’il doit à César, si l’on veut paraphraser l’Évangile.

L’urgence, pour les nouveaux fonctionnaires, de mettre en place les communes et de faire remplir ce rôle d’information par de nouvelles autorités municipales apparaît clairement ici. Et c’était en train de se faire. Alors pourquoi quereller le curé sur un sujet appelé rapidement à disparaître ? Il y a bien des façons de pratiquer l’action politique, Goupilleau de Montaigu ignore ici la souplesse et se braque le clergé inutilement.

Requête pour conserver les biens de la cure de Saint-André-Goule-d’Oie


Les biens d’Église à Saint-André-Goule-d'Oie comprenaient, outre le presbytère et l’église, des rentes foncières, une borderie dans le bourg, la métairie de Fondion, un moulin et d’autres domaines que nous ne connaissons pas. Une part des revenus allait au prieur, et le reste remontait à l’abbaye de Nieul au Moyen Âge. Au début du 18e siècle la communauté de Nieul fut supprimée supprimée au profit de l’évêché de La Rochelle. À la suite, ce dernier abandonna son droit de présentation du titulaire du prieuré, mais il garda les bénéfices en provenant (2).  

Au départ, les membres de la première municipalité de Saint-André, élus au début de l’année 1790, paraissent en harmonie avec les lois votées l’année d’avant. Dans cette unanimité on voit même la garde nationale de Saint-André commandée par le seul militaire de formation habitant dans la commune, Jean Aimé de Vaugiraud. Quelques mois après, et sur le problème de la religion, les élus vont se diviser. Le destin de quelques-uns nous est connu, le maire va se découvrir "républicain", et la majorité des autres conseillers vont se découvrir "royalistes", deux catégories nouvelles, forgées par le processus révolutionnaire. 

Au cours de l’année 1790, la municipalité de Saint-André-Goule-d'Oie avait envoyé une requête à l’Assemblée nationale pour conserver à la cure un peu de biens. Cette idée de garder un lopin de terre aux curés de campagne avait d’ailleurs été plaidée, sans succès, par l’abbé Grégoire à Assemblé Nationale (3). Dans une lettre du 3 novembre 1790, Goupilleau de Montaigu avait répondu par une protestation ferme à la municipalité, là aussi dépourvue de nuances : « c’est une position criminelle », avait-il affirmé (4). 

La démarche de ces élus tendant à ne pas appliquer intégralement une loi votée par l’Assemblée nationale constituait donc un crime pour ce révolutionnaire intransigeant qu'était Goupilleau. Et il accuse le prieur de la paroisse d’avoir exhorté ses paroissiens dans cette démarche.

Ce dernier répond que l’idée n’est pas venue de lui, et il qu’il a même prédit son échec. Mais il ajoute qu’on se soumet au refus en bons citoyens. Ce « on » concerne la communauté de Saint-André-Goule-d'Oie, alors que le curé affirme n’avoir pas été dans le coup. N’est-ce pas ambigu ?

Dans cette lettre de Goupilleau on apprend que le curé Allain voulait lui-même acquérir des biens de la cure. Mais on ne sait pas pourquoi cela ne s’est pas fait. S’il en avait personnellement la capacité financière, il s’assurait ainsi un complément de revenus dont on ne saura pas ce qu’il voulait en faire. Après tout, dans le département voisin de la Vienne on a compté 116 curés ayant acquis des biens d’Église par conviction révolutionnaire, par goût de la propriété et de la terre, ou par sens pratique (5). 


Acquisition des biens de la cure


En cette fin d’année 1790 les adjudications pour la vente des biens d’Église avaient commencé à Saint-André. Le curé avait fait une offre pour acheter en son nom, des membres de la municipalité aussi. Nous ne savons pas s’ils se sont concertés. Mais cela ne plaît pas à l’administration du district de Montaigu.

Dans sa lettre, le prieur justifie sa démarche, autorisée selon lui par la loi. Il informe avoir expliqué aux membres de la municipalité comment monter le dossier de soumission à l’adjudication. La commune n’avait pas l’autonomie pour acheter ces biens, il s’agit donc de démarches personnelles de conseillers municipaux. 

Voulant apaiser son interlocuteur, le prieur informe dans sa lettre à Goupilleau de Montaigu qu’il abandonne son offre d’achat au profit des membres de la municipalité. Mais il le fait avec une accusation voilée de duplicité de leur part. Faute d’en savoir plus, on reste étonné de cette allusion. D’autant que le maire Jean Bordron, s’il participa à des élections locales du côté des révolutionnaires en 1799, aida en 1792 le curé de Saint-André à tenir le registre paroissial alors que ce dernier se cachait comme prêtre réfractaire. Les faits sont rares et la documentation inexistante pour les expliquer. Les interrogations ne manquent donc pas. Néanmoins Bordron, le futur républicain, n’est visiblement pas un extrémiste, et les divisions politiques parmi les habitants de la commune à Saint-André paraissent être restées à l’abri de l’hystérie la plus terrifiante à Paris.   
Assignats gagés sur la vente des biens nationaux

On ne peut pas non plus écarter l’idée que le prieur cherche ici à brouiller les pistes. Les jésuites avaient été expulsés du royaume de France, mais le prieur Allain aurait pu être leur élève, quand on observe ses attitudes en cette période. La fermeté dans ses convictions ne l’a pas privé de souplesse d’exécution, à l’occasion notamment des nombreux serments auxquels il a été soumis, les refusant quand la religion lui paraissait en cause, et les acceptant quand l’enjeu ne lui semblait que politique. Dans l’adversité il a montré du courage pour rompre avec les autorités au péril de sa vie, tout en essayant de garder la tête froide, comme on le voit dans cette lettre.

Sur ces ventes des biens d’Église, indiquons que la métairie de Fondion fut vendue le 28 février 1791 à René Robin de Sainte-Florence. Celui-ci avait déjà effectué des achats identiques dans sa paroisse. Le 14 avril 1791 le « temporel du cy-devant prieuré de Saint-André-Goule-d'Oie » fut adjugé à Nicolas Lefeuvre Couzartière de Cholet, pour le prix de 45 500 livres. La borderie de la cure fut adjugée à Jean de Vaugiraud le 5 mai 1791 pour 7 000 livres et le 19 mai suivant une rente de 4 boisseaux de seigle due sur le village de la Maigrière, provenant du prieuré de Saint-André-Goule-d'Oie, fut acquise par Jean Boisson, bordier au Cormier de Chavagnes-en-Paillers, pour le prix de 200 livres. Jean Boisson est connu pour se situer plutôt du côté royaliste.

Intervention dans les délibérations de la dernière assemblée


Le prieur se justifie d’être intervenu dans le déroulement de la dernière assemblée à Saint-André-Goule-d'Oie. On ne nous précise pas de quelle assemblée il s’agit. Ce pouvait être une assemblée délibérative de la municipalité, mais on voit mal ce que le prieur y avait à faire. Plus probablement il pourrait s’agir d’une assemblée élective concernant tous les citoyens actifs. À l’époque les isoloirs n’existaient pas et les votes constituaient une nouveauté à laquelle il fallait s’initier. Ils avaient lieu en assemblée. Devait-on voter par acclamation, en levant la main, avec un bulletin ? Tout le monde ne savait pas lire et écrire. On sait que bien des formes ont été pratiquées à cette époque, et les procès-verbaux ont disparu dans les combats ensuite. Les étudiants qui ont eu la chance de fréquenter les « assemblées générales » de nos facultés contemporaines, où sont officiellement décidées les manifestations politiques diverses, pourront se faire une idée de ce que furent les pratiques des votes dans les débuts de la démocratie élective en 1790.

Henri Leys : Prêcheur
Il semble qu’ici les organisateurs de l’assemblée, président et scrutateurs, aient été désignés « de vive voix ». Et puis l’assemblée devait renouveler les « membres et les notables ». On l’a fait en votant avec des billets au lieu d’utiliser le tirage au sort selon les instructions reçues. Rappelons que l’administration de la commune appartenait à un conseil général composé d’un conseil municipal et de notables, tous élus pour deux ans par les citoyens actifs. Dans la lettre, le curé évoque un changement des membres et des notables. Nous n’en savons pas assez, faute d’archives, pour comprendre à quel changement d’élus on a procédé ici. On pense à une manœuvre de certains d’entre eux pour échapper à la fin de leur mandat.

Ce qui est intéressant de noter sur ce point c’est que le prieur se justifie de sa prise de position lors de cette assemblée. Il s’est mêlé de politique, même si le sujet était de pure procédure, tout au moins apparemment. 

Le prieur s’est rangé, dit-il, du côté des instructions officielles et de l’administration. Mais alors, pourquoi Goupilleau a été mal renseigné ? Ne serait-ce pas trop facile de soupçonner un de ces révolutionnaires bien connus de Saint-Fulgent ? Le délateur ne serait-il pas plutôt un notable de Saint-André-Goule-d'Oie auquel le prieur s’est opposé dans cette affaire de vote ? Il ne faudrait pas sur ce point plaquer sur cette époque les idées de maintenant, plutôt défavorables à l’intervention des curés dans la vie politique locale. Ils étaient souvent les chefs naturels des communautés, ils ont été élus parfois maires de leurs communes dans plus de 50 communes de la Vienne par exemple en 1790 (6).

Confesseur de mauvaise influence


Comment oser évoquer ce qui se passe dans mon confessionnal ? Goupilleau a osé le faire et le prieur lui répond que cela ne le regarde pas. Il veut bien rendre à César ce qui est à César, mais il rendra à Dieu, ce qui est à Dieu. Sur ce précepte, le curé est péremptoire et sa réponse est brève. On sent qu’il ne s’en laissera pas compter par le procureur-syndic.












On le voit, même s’il nous manque des détails sur les sujets évoqués pour tout comprendre, cette lettre nous apporte plusieurs informations sur la situation politique à Saint-André-Goule-d'Oie en cette fin de 1790 :

-        Le conseil municipal a été installé au cours de cette année-là. Le maire Jean Bordron aidera ensuite le prieur à tenir le registre paroissial, à partir du moment où ce dernier a dû se cacher dans l’été 1792, et avant l’entrée en vigueur de l’état-civil officiel au 1-1-1793. À cause de la suite et de cette lettre, on devine que lui et le curé n’ont pas toujours été d’accord dans la mise en œuvre des réformes. Mais les deux hommes semblent n’avoir jamais rompu leurs relations.  

-        Le rôle central du curé dans les paroisses sous l’Ancien Régime ne pouvait que l’impliquer d’une manière ou d’une autre dans le processus révolutionnaire à ses débuts. Ses rapports avec les autorités locales émergentes (districts et municipalités) ont dû constituer un élément essentiel de l’acceptation du nouveau régime par les populations. Et dans ces rapports, le politique avait autant d’importance que l’ecclésiastique.

-        La vente des biens d’Église dans le bocage vendéen ne semble pas avoir posé de problèmes si l’on en croit la plupart des historiens de la guerre de Vendée des deux bords. En revanche, tous mettent l’accent sur la Constitution civile du clergé. À Saint-André-Goule-d'Oie, cette vente a fait débat et le prieur a participé au débat, même si nous cernons mal son rôle sur ce point.

-        Les modalités de vote dans les assemblées électives ont constitué un élément novateur important pour les populations. On sait qu’elles ne sont pas nées du néant, faisant suite aux assemblées de paroisses. On sait aussi qu’elles furent assimilées au parti révolutionnaire et finirent par être rejetées par les royalistes. Elles ont contribué, telles qu’elles ont été pratiquées, à couper les populations du bocage vendéen des partisans de la Révolution. Mais sait-on à quel point ?


(1) Bibliothèque municipale de Nantes, collection Dugast-Matifeux : I, volume 25, no 1.
(2) Charles Arnaud, Petite Histoire de l’abbaye de Nieuil-sur-l’Autize, Éditions des régionalismes, 2013, page 42 ; et Histoire du Poitou par Thibaudeau, 1839, page 187.
(3) Ségolène de Dainville-Barbiche, notes bibliographiques dans la revue d’Histoire de l’Église de France, no 102, 2016, page 176 sur le livre de Rodney J. Dean (2014), l’Assemblée constituante et la réforme ecclésiastique. 1790 : la constitution civile du clergé du 12 juillet et le serment ecclésiastique du 27 novembre. 
(4) Fichier historique du diocèse de Luçon, Saint-André-Goule-d'Oie : 1 Num 47/404.
(5) Jacques Peret, Histoire de la Révolution française en Poitou-Charentes 1789-1799, Projets Éditions, 1988, page 267
(6) Jacques Peret, Histoire de la Révolution française en Poitou-Charentes 1789-1799, Projets Éditions, 1988, page 96.

 Emmanuel Françoistous droits réservés
Juillet 2012, complété en octobre 2017

POUR REVENIR AU SOMMAIRE


Texte de la lettre :

Le 24 décembre 1790
Monsieur
Les connaissances que vous avez exigées de ma conduite et les menaces que vous m’avez fait faire en cas de délit, m’annoncent qu’on vous en a imposé sur mon compte. La confiance que j’ai toujours eue en vous et les avis que j’en ai reçu sur les affaires du temps, auraient dû vous prévenir en ma faveur et empêcher qu’on ne parvienne si parfaitement à vous indisposer contre moi. Si vous eussiez daigné me faire connaître mes délateurs et leurs dépositions, je vous aurais témoigné la plus vive reconnaissance et n’aurais pas eu de peine à vous faire connaître mon innocence, et si quelqu’un, témoin et indigné des faussetés qu’on débite contre moi, n’en eut la charité de m’en instruire, j’aurais été coupable à vos yeux sans savoir pourquoi et sans jamais penser à me disculper, ce que ma sensibilité me fait entreprendre aujourd’hui.
Vous vous êtes informé, Monsieur, si j’étais exact à publier les décrets qui nous sont envoyés par l’assemblée nationale, j’ignore la réponse qu’on vous a fait à ce sujet, mais je prends à témoin mes paroissiens et leur demande qu’ils vous disent en âme et conscience si jamais j’ai manqué à publier indistinctement, au prône de notre messe paroissiale, les décrets et les ordonnances qui nous viennent soit de l’assemblée nationale, soit du département, soit du district ? Je me suis permis quelques fois de représenter qu’on pouvait peut-être se dispenser de publier au prône certains décrets, mais que malgré mes observations, j’ai toujours publié pour ne pas être répréhensible. Je me suis aussi permis quelques fois de les abréger lorsqu’ils étaient multipliés et que la lecture exigeait au moins deux heures de temps, et me suis contenté d’en expliquer le sens. Je croyais en cela entrer dans les vues de l’assemblée nationale et dans les vôtres, et c’était le vœu des paroissiens et de la municipalité.
On m’impute, Monsieur, d’avoir exhorté mes paroissiens à présenter une requête à l’assemblée nationale pour conserver un peu de biens fonds à leur curé. Cette idée n’est jamais venue de moi. J’en ai eu connaissance il est vrai et ne l’ai eu que pour prédire et assurer qu’elle serait inutile, ce qui est arrivé ; mais je puis vous assurer qu’on en a vu le refus avec toute la soumission possible aux décrets.
On m’impute d’avoir fait ma souscription pour l’acquisition de ce même bien ; n’y étais-je pas autorisé par les décrets ? N’en ai-je pas d’ailleurs donné connaissance aux membres de la municipalité ? Ma souscription empêchait-elle la leur ? Ne leur ai-je pas au contraire expliqué plusieurs fois la manière dont ils devaient la faire pour qu’elle fût valide ? Au reste j’abandonne mes prétentions en leur faveur, que ne vous adressent-ils donc encore leur souscription, s’ils désirent autant qu’ils veulent le paraître faire l’acquisition de ces biens, ce n’est donc feinte de leur part ?
On m’impute de m’être récrié à l’occasion de la dernière assemblée pour le changement des membres et des notables. Serais-je coupable, Monsieur, pour avoir désiré, ce à quoi je n’ai pu cependant parvenir, qu’on suivit la forme qui nous est prescrite dans les instructions pour la tenue des assemblées, et notamment de la dernière, où on a proclamé de vive voix le président et les scrutateurs, et où, au lieu de tirer au sort pour le changement des membres et des notables, on a préféré de faire des billets, contre l’avis de plusieurs, pour faire sortir les uns et faire enter les autres ; le serment n’oblige-t-il pas à observer la loi telle qu’elle a été portée et à suivre invariablement les décrets pour la composition du bien commun.
Enfin, Monsieur, on a porté les choses jusqu’à vous entretenir de ce qui se passait à ce sujet au tribunal de la pénitence, avouez donc que l’esprit de parti est porté à son comble, convenez que ce tribunal n’est pas de votre ressort et que je ne dois là compte de ma conduite qu’à Dieu seul, convenez aussi que je ne suis cité à votre tribunal que parce que je prêche la fidélité aux décrets que je me suis toujours fait un devoir d’observer exactement et plus exactement que ne le désirent mes délateurs. Et si je leur parais coupable en cela, c’est une faute dont je ne me corrigerai jamais. J’aurais cru agir contre ma conscience et ma religion si je leur avais parlé un autre langage sur tout ce qui s’est fait jusqu’à ce moment. Je reconnais trop ce que peut exiger une puissance temporelle pour ne pas m’y soumettre avec autant de plaisir que je me soumets à ce qu’exige de moi la puissance spirituelle. Voici ma profession de foi sur laquelle vous voudrez bien décider.
J’ai l’honneur d’être avec les sentiments les plus distingués, Monsieur, votre très humble et très obligé serviteur.
Allain prieur-curé de Saint-André-Goule-de-d'Oye.


La disparition d’Emma Guyet-Desfontaines


Après la mort de son mari en 1857, Emma est restée seule avec son frère Amaury et son petit-fils Marcel, alors âgé de quinze ans. Elle a cinquante-huit ans. Il lui reste onze ans à vivre.

Pour s’occuper du domaine de Linières elle a fait appel sur place à un cousin, Narcisse de Grandcourt, qui habite Saint-Fulgent, marié à Élise Agathe Martineau. Cette dernière était née à Linières en 1799 et les liens entre les Guyet-Desfontaines et les de Grandcourt sont toujours restés proches. À Paris et à Marly-le-Roi, la sœur des frères Grandcourt, mariée à un officier qui s’appelait Franco, fréquentait régulièrement les Guyet-Desfontaines. Amaury-Duval a peint son portrait.

Eugène de Grandcourt
C’est Narcisse de Grandcourt sans doute qui a dû régler une demande de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie. Dans une délibération du conseil municipal du 18 juillet 1867, on cite Mme veuve Guyet-Desfontaines, à propos d’un projet d’échange entre le champ dit Pré aux chevaux, lui appartenant, et une parcelle de terrain vague appartenant à la commune et située au lieu-dit la Croix fleurette. Cet échange était nécessaire pour construire la route de Saint-André-Goule-d’Oie à Vendrennes.

Aidée par son frère et ses amis, la vie reprend son cours pour Emma. Le 2 octobre 1862 on joue la Vanité Perdue à Marly. C’est un drame en un acte d’Arnaud Berquin, mis en vaudeville par M. Émile Van der Burch. Le 17 septembre 1864 au théâtre de Marly-le-Roi, l’ami Melesville (1) joue dans La Sœur de Jocrisse (de MM. Varnet et Duvert). Il est accompagné de son gendre (Alfred Van der Vliet), de sa petite-fille Louise et de son petit-fils Maurice. L’auteur du prologue ironise sur la censure au théâtre (Napoléon III a supprimé la liberté acquise en 1848) et souligne que Louise, la plus jeune actrice, a dix ans. 

La principale préoccupation de Mme Guyet fut de suivre l’éducation de son petit-fils. Elle publia deux livres aussi en 1862 et en 1868, comme on l’a vu.

Elle a souffert longtemps de maux de rhumatismes, s’en plaignant déjà à l’âge de quarante-cinq ans. En 1850 elle écrivait : « Au milieu de cette distraction, je ne passe pas un jour sans souffrir, c’est désolant. » Et en vieillissant le mal s’est accentué, mais elle est morte subitement le 11 octobre 1868 en fin d’après-midi, elle avait soixante-neuf ans. 

Elle avait joué au billard et s’était habillée pour recevoir à dîner une quinzaine de ses amis.  En attendant, elle lisait au coin du feu le petit livre de poésies que son petit-fils venait de faire publier et qui avait paru la veille, intitulé Odes. Quand son petit-fils Marcel est entré dans le salon, elle s’est retournée et est tombée foudroyée. Amaury-Duval est arrivé cinq minutes après et c’est à lui que nous devons ces détails sur la mort de sa sœur. Il a écrit deux semaines plus tard dans une lettre à un ami : « Je ne vous dirai pas mon désespoir, vous savez ce qu’elle était pour moi, l’affection maternelle dont elle m’entourait. Je me trouve tout seul à présent et je tourne ma pensée vers mes bons amis, vous surtout, qui me donnez tant de preuves d’affectueux dévouement. Marcel aussi est bien cruellement éprouvé, il adorait sa grand-mère. » (2)

Parmi les lettres de condoléances, voici celle de Mme Lehmann, épouse d’un peintre qu’Amaury-Duval a connu chez Ingres et habituée du salon des Guyet-Desfontaines avec son mari :

Henri Lehmann, esquisse  pour une 
fresque du château de Linières
« Mon pauvre cher Amaury,
Nous avons un profond chagrin de la perte de votre chère sœur, nous sentons avec vous tout ce que vous devez souffrir. Cette séparation est toujours bien terrible, mais quand elle vient rompre une si longue, si parfaite union de deux cœurs et de deux esprits, on est comme dans un désert. Henri (3) a couru de suite chez vous, chez ce pauvre jeune homme qui perd trop tôt cet ardent foyer d’affection, de vigilance, de protection… Quand je l’ai revue à Étretat, elle n’avait plus pour moi que des jours de grâce, j’en ai été profondément émue ; et quand elle m’écrivait le 6 de ce mois : « rien ne me guérit, je m’en attriste, faut-il donc déjà partir, quitter tout ? Cela me ferait beaucoup de peine. »

Dieu lui a épargné cette peine, ses derniers regards, ses dernières paroles ont été pour vous deux qu’elle aimait tant…Elle croyait et espérait ; moi aussi. Je crois et j’espère qu’elle n’a pas été trompée.

Quant à nous pauvres humains, qui n’avons pas de consolation pour ces douleurs suprêmes, nous avons nos cœurs, pour vous et le cher Marcel. Nous vous prions tous deux, de compter sur notre profonde affection.
A. Lehmann » (4)

Un des petits cousins vendéens venu faire son droit à Paris, Frédéric Martineau habitant Marans, fut hébergé chez les Guyet-Desfontaines. Il écrit à Marcel de Brayer après le décès d’Emma : « Ce n’est pas elle qui me devait de la reconnaissance. C’est moi qui ai été comblé, sa vie durant, de ses bontés et qui en ai gardé un souvenir ineffaçable. Pour moi qui ai eu le bonheur d’être admis dans son intimité pendant mon séjour à Paris, elle a eu les attentions d’une mère, et j’ai conservé de ces trois années une impression qui me charme encore à vingt ans de distance. » (5). Elle lui avait donné un capital de 20 000 F dans son testament, pour le remercier, lui et son père, des soins apportés dans la gestion de ses biens dans le Marais. 

Bien plus tard, l’ami proche d’Amaury-Duval, Eugène Froment, revenant sur le caractère d’Emma, écrira : « Malgré ce que je sais de votre sœur, je ne connaissais pas ce caractère dévoué et ferme sous cette gaîté et cette aménité si spirituelle, ce côté de dévouement m’a beaucoup touché et je regrette bien aujourd’hui de ne l’avoir pas connue (ce côté), quand je le pouvais encore. » (6)

Delaval : Édouard Bertin
Le journal d’Édouard Bertin publia un article à l’occasion de sa disparition. Son auteur, Prévost-Paradol (7), écrivit : « La société parisienne vient de perdre en Mme Guyet-Desfontaines, sœur de M. Amaury-Duval, une personne excellente et distinguée, qui commençait à marquer dans le monde des lettres par des nouvelles spirituelles, délicatement contées et pleines d'une malice innocente ; mais son mérite personnel était bien au-dessus de son talent d'écrivain. Mme Guyet-Desfontaines n'était pas seulement agréable par sa bonne grâce, par son esprit aimable, par son affectueux accueil ; elle avait en outre un don de plus en plus rare, et qui rappelait le monde d'autrefois, le don de la franche et simple gaîté. C'était une sorte de bonne humeur involontaire qui se soutenait et brillait toujours en elle et qui se communiquait bientôt à tous ceux qui avaient le plaisir de l'approcher. Elle était pourtant loin d'être insensible aux maux de cette vie, et elle n'avait pas été épargnée par le sort ; elle avait traversé de grandes épreuves qu'elle a profondément senties sans en être jamais abattue. Quant à son frère, quant à son petit-fils, qu'elle a élevé avec tendresse, quant à ses amis qui auront tant de peine à se déshabituer de sa présence, sa mort si soudaine est le premier chagrin qu'elle leur ait causé. » (8)

La résidence de Marly fut vendue. Elle n’a pas été démolie tout de suite, contrairement à ce que laisse entendre l’auteur dramatique Joseph Mery (9). Depuis 1955 elle est la propriété de la société d’assurances Axa, qui a construit dans son parc et à la place de la maison d’autrefois, deux bâtiments de bureaux en arc de cercle disposés perpendiculairement l’un par rapport à l’autre (10). Dans les bosquets conservés, peut-être y a-t-il quelques vieux arbres âgés d’au moins 150 ans, qui pourraient témoigner des soins que leur apportaient Guyet-Desfontaines avec son jardinier Jean Lesueur. Ce lieu de loisirs est devenu un lieu de travail, mais figé par le cadastre, le nom de la propriété demeure : Les Délices.


(1) Mélesville, à l’état-civil Anne-Honoré-Joseph Duveyrier, (1787-1865), est un auteur dramatique. Seul ou en société avec Eugène Scribe et Delestre-Poirson, avec lesquels il signait du pseudonyme collectif d'Amédée de Saint-Marc, il est l'auteur de plus de 340 pièces de théâtre. Il a été longtemps vice-président de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques.
Il eut deux enfants. Sa fille Laure (1812-1883) épousa en 1843 Alfred Van Der Vielt. Ils eurent deux enfants : Louise, mariée en 1874 à M. Filhos et Maurice mariée à Mlle Massing.
Son demi-frère, Charles Duveyrier (1803-1866), fut dramaturge et idéologue saint-simonien.
(2) Archives de la société éduenne d’Autun, fonds Amaury Duval K8 33, lettre d’Amaury-Duval à Froment du 26-10-1868.
(3) Henri Lehmann (1814–1882), d’origine allemande, fut peintre, élève de son père et d’Ingres et ami d’Amaury-Duval, dont il est toujours resté proche. Habitué de Linières, il y a été représenté dans une décoration.
Mme Lehmann était née Clémence Casadavant et avait été veuve de Victor Désiré Michel Oppenheimer.
(4) Archives de la société éduenne d’Autun, fonds Amaury Duval K8 33, Lettre de Clémence Lehmann à Amaury-Duval du 13-10-1868.
(5) Archives de la société éduenne d’Autun, fonds Amaury Duval K8 34, lettre de Frédéric Martineau à Marcel de Brayer du 4-12-1868.
(6) Archives de la société éduenne d’Autun, fonds Amaury Duval K8 33, lettre de Froment à Amaury-Duval du 5-3-1880.
(7) Journaliste politique (1829-1870), surtout au journal des Débats, chantre du libéralisme.
(8) Journal des Débats du 16-10-1868
(9) Dans Ems et les bords du Rhin de Joseph Mery (1794-1866), auteur dramatique, chroniqueur et poète et habitué du salon Guyet-Desfontaines.
(10) C. Neave, Marly rues demeures et personnages, 1983.


Emmanuel François, tous droits réservés
Juillet 2012