mardi 1 décembre 2020

Le livre de raison de Julien de Vaugiraud (1584/1597)

 Julien de Vaugiraud, seigneur de Logerie (Bazoges-en-Paillers), est le père de Pierre de Vaugiraud qui épousa Renée Masson à Saint-André-Goule-d’Oie le 8 février 1625, la fille du seigneur de la Jaumarière (1). Par la suite les de Vaugiraud seront seigneurs de la Jaumarière, possesseurs de borderies à la Maigrière, la Porcelière, le Coudray et le bourg de Saint-André, possesseurs aussi de droits seigneuriaux principalement à la Boninière et à la Bourolière. Nous avons raconté leur histoire dans un article publié sur ce site en août 2014 : La famille de Vaugiraud à Saint-André-Goule-d'Oie Nous avons aussi publié un autre article en avril 2012 sur le dernier d’entre eux à Saint-André, qui fut un officier méconnu dans l’armée du Centre des révoltés vendéens : M. de Vaugiraud à Saint-André-Goule-d'Oie.

Livre de Julien de Vaugiraud 
page 1 
(Archives de la Vendée)
Julien de Vaugiraud a tenu son « livre de raison » entre juin 1584 et août 1597. C’était un livre de comptes, écrit au jour le jour, qui restait cantonné aux aspects matériels de l’existence. Son expression est spontanée et parfois élémentaire. On croit reconnaître les constructions de phrases de Montaigne, son contemporain, mais en dégradé nous semble-t-il. Bien des mots employés ont disparu, que le dictionnaire « de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle » de Godefroy nous aide à traduire, sauf quelques mots anciens de patois bas-poitevin. Ses écritures se répartissent chronologiquement entre les journées et les mois. Une telle forme juxtapose les sujets les plus différents entre eux. Les plus prosaïques côtoient des faits majeurs comme les naissances et les enterrements, sans narration ni effusion de l’auteur (2). Si le livre de Julien de Vaugiraud était orienté comptabilité, tous les auteurs n’ont pas fait comme lui. Par exemple Paul de Vendée, dans son journal de 1611 à 1623, évoque surtout ses rencontres, ses déplacements, ses loisirs, et on le suit même dans sa pratique religieuse de protestant et sa participation à des campagnes militaires (3).

Les 189 pages du livre de raison de Julien de Vaugiraud couvrent une période de 13 ans et 4 mois avec beaucoup d’interruptions représentant 45 % du temps dans cette période de 1584 à 1597, en pleine guerres de religion (4). Mais l’abondance des détails restitue la vie de la famille, même si elle ne répond pas à des questions importantes que nous nous posons. Avec ce livre nous allons faire connaissance avec les frères et sœurs et les enfants de l’auteur. Nous verrons comment ils vivaient : habillements, activités, logis, alimentation, santé, messagerie. On aura aussi un aperçu de leurs domaines, des artisans et des domestiques à leur service, et de l’environnement économique à leur époque et dans leur contrée. Julien de Vaugiraud était venu s’installer au logis de Logerie (devenu l’Orgerie) à Bazoges-en-Paillers, après un partage de biens avec son frère Charles en 1581 (5). Une dizaine de kilomètres le séparait du bourg de Saint-André dans un même pays de bocage, une même économie et une même société exclusivement agricole et rurale, et une même société politique seigneuriale et catholique. Ce livre nous parle donc à sa façon aussi de Saint-André-Goule-d’Oie à la même période.   


Une famille dans le rythme effréné des naissances et des morts


Au début des écritures du mois de juin 1584, le frère aîné (Jean) et un autre frère, sieur de Villeneuve (Charles) sont cités, étant vivants. Leurs prénoms ne sont jamais indiqués, mais nous sont connus par le dossier des titres de famille dans les mêmes archives. Plus loin on voit apparaître une sœur, appelée mademoiselle de la Grange. On voit un monsieur de la Grange venir à Logerie le 7 août 1590, probablement son mari, qui n’est jamais cité ensuite. On suppose qu’il est mort dans les périodes d’interruption du livre. Cette sœur est toujours en correspondance avec Julien de Vaugiraud en août 1597 à la fin du journal, mais seule.

Une autre sœur, Marguerite, épouse de Jean Richelet, seigneur de la Vachonnière (Verrie), était décédée au 26 juin 1584, ayant eu un fils, Léonard Richelet. Julien a été curateur de ce fils et le prit en charge comme on le voit le 22 janvier 1592, où il lui paya la confection d’un habit.

Jean de Vaugiraud, le frère aîné, était célibataire. Il est mort en avril 1590 à l’âge de 41 ans. Ne s’épanchant pas dans son live de comptes, Julien termine son écriture indiquant brièvement sa mort par cette phrase de résignation : « Dieu par sa miséricorde veuille avoir son âme ». Elle donne aussi à voir sa foi religieuse, que nous retrouverons plus loin. Le défunt laissa derrière lui des dettes que ses frères durent payer, contractées pour payer sa rançon au capitaine Hazard qui l’avait fait prisonnier. Nous sommes en pleine guerres de religion et ce capitaine était du camp des huguenots (6).

L’autre frère cadet de Julien, Charles de Vaugiraud, seigneur de Villeneuve (Boissière-de-Montaigu) demeurant à la Grange (Saint-Christophe-du-Bois en Anjou), devint veuf en janvier 1593 de sa première femme, Jeanne Meriault. Avec elle il eut Jean, Claude, Pierre, Antoine et Gabrielle. Après le décès de sa femme il envoya les deux derniers à Logerie chez son frère Julien, et se remaria quelques mois après. Et en janvier 1595, sa seconde femme donna naissance à un fils, Charles. Mais le père mourut 5 mois plus tard vers le 10 mai 1595 d’une grave maladie. Il avait reçu la visite de son fils Antoine le 20 avril précédent. Quelques jours après, tous ceux de Logerie étaient allés assister le mourant à la Gange. Le décès n’est pas inscrit dans le livre, et dans cette période autour du 15 avril 1595 il comporte 4 écritures non datées. Faut-il y voir un signe de pudeur, confiant les naissances au journal, comme les rentrées d’argent, mais pas son chagrin ? Le curé de Saint-Christophe-du-Bois fut payé par Julien de l’enterrement et des messes pour le défunt le 20 mai suivant. Il paya aussi la nourrice de Charles jusqu’au 2 janvier 1597 avec l’argent de ses neveux dont il était devenu le curateur en juillet 1595.

Le 29 mai 1595 Julien de Vaugiraud vint à la Grange pour assister à l’inventaire des titres de famille de son frère défunt par le sénéchal de Mortagne, le procureur et le greffier de cette cour seigneuriale. Le sénéchal décida que le bahut où ils se trouvaient serait transporté à Mortagne à cause de la grande quantité de parchemins et papiers qui s’y trouvaient, et où on y ferait l’inventaire plus commodément. Le 5 juin 1595 une partie de la vaisselle de la succession fut achetée par son frère et l’autre conservée par la veuve. On remarque que les assiettes s’ajoutaient alors aux écuelles, d’usage plus ancien. Il faut dire que ces écuelles, qui vont disparaître bientôt chez les gens aisés, portaient les armes de la Grange et des Rondeau, la famille de son épouse. Le métal dont elles étaient faites n’est pas indiqué (souvent en étain).

La veuve de Charles vint demeurer à Logerie avec son bébé. Et on voit Julien le 2 juillet 1597 payer la pension de son neveu Jean à Angers qui avait débuté le 3 juin précédent : 37 sols 6 deniers pour un quartier (3 mois), plus 3 £ pour le régent. Le 15 mars 1597 son neveu avait été malade et il envoya un homme pour l’aller voir, et lui porter 15 £ pour se soigner. Le 17 avril 1797 il envoya à nouveau un homme à Angers payer le quartier de la pension, il ajouta 4 £ 6 deniers à son neveu « pour lui avoir des livres ». Enfin le 13 juin 1597, Julien partage avec sa sœur, mademoiselle de la Grange, les gages donnés par cette dernière à une chambrière (femme de chambre) du Plessis des Landes (Saint-Fulgent), venue assister leur frère défunt.

Julien mit en pension à ses frais aux Essarts auprès d’un précepteur deux de ses neveux, Claude et Pierre, fils de Charles sieur de Villeneuve. S’agissant des Essarts on est enclin à penser qu’il s’agissait d’apprendre à lire, écrire, compter et prier.

L’oncle paternel de Julien de Vaugiraud, François de Vaugiraud, était prieur de Saint-André. Dans le journal de Julien il est indiqué comme "messier", titre particulier donné semble-t-il alors au receveur de redevances, notamment dans certaines abbayes. Il eut une fille bâtarde, Perrine, à laquelle Julien versait une pension en 1594 et 1595. On a aussi trace d’un « René le bâtard » en 1594, mais dont on ne connaît pas les parents. L’époque de la fin du Moyen Âge est connue pour la dépravation des mœurs dans l’Église, à Rome et dans le clergé. L’existence de la fille bâtarde d’un curé n’est donc pas étonnante à cette date, malgré que le célibat fût imposé aux prêtes depuis 4 à 5 siècles. C’est ce qui explique, comme l’on sait, en réaction la naissance du protestantisme au début du 16e siècle dans une partie de l'Europe (Luther avait été excommunié en 1521), et la réforme de l’Église par le concile de Trente qui s’est tenu à Rome de 1545 à 1563, et l’émergence d’une nouvelle spiritualité catholique comme celle d’Ignace de Loyola. Après la réforme protestante, la contre-réforme catholique ne produisit ses effets de remise en ordre dans l’Eglise que progressivement. 

P. de Champaigne : 
Les enfants de Habert de Montmor (1649) 
(Musée des Beaux-Arts de Reims)
Julien de Vaugiraud s’est marié avec Jeanne Rondeau vers 1568. Dans la période de son livre on relève la naissance de 6 de ses enfants et le décès de 2 d’entre eux. À la naissance de Pierre en 1596, le père indique que c’est la 14e naissance, en moyenne une tous les deux ans donc. Et dans un acte de 1612, on voit qu’il faut ajouter encore au moins 3 autres naissances. C’est une assemblée de parents du 14 janvier 1612, où Jeanne Rondeau, nouvellement veuve de Julien de Vaugiraud, est nommée tutrice curatrice de ses enfants mineurs (7). Ils ne sont plus alors qu’au nombre de 6, dont Charles, l’aîné des garçons qui mourra en 1622 à la guerre. À l’enterrement de « la petite Marie » le 9 mars 1597, il note que c’est « le 10e enfant qu’avons enterré ». Pierre restera le seul garçon survivant, et viendra se marier à Saint-André-Goule-d’Oie. Julien comme à son habitude ne s’épanche pas dans son livre de raison. Le 9 mars 1597 il écrit « nous avons enterré la petite Marie qui est morte d’une defluxion (écoulement) de rhume … qui lui engendra une gangrène sur les dents. C’est le 10e enfant qu’avons enterré. La maladie et l’enterrage nous coûte environ de 2 écus ». Il est difficile, avec ce style froid de comptable, d’associer, sans plus d’indice, l’hécatombe de mortalité des jeunes enfants et le fatalisme du ton employé. Un mot de tendresse se trouve quand même dans la « petite » Marie. Il est renouvelé pour la « petite Isabeau » qui a été enterrée le 20 janvier 1595, « et a coûté l’enterrement environ 1 écu ». Nous sommes dans un livre de comptes, ce qui limite considérablement sa portée pour apprécier les attitudes de l’auteur. Et puis n’oublions pas sa consolation : après la mort, l’âme des petits enfants baptisés allait au paradis. Cette mortalité n’est pas sans lien probablement avec ce que l’historien Le Roy Ladurie a appelé l’hyper Petit Âge Glaciaire de la dernière décennie du 16e siècle (8). Si la famine épargnait les riches, le froid et les épidémies pénétraient chez tous. Nous ne disposons du registre paroissial de Bazoges-en-Paillers qu’à partir de 1627 pour les décès, ce qui nous empêche d’observer la mortalité dans la paroisse à l’époque de notre livre de raison.

Les bébés étaient placés en nourrice dans les jours suivant les naissances, et on a pu calculer dans 3 cas qu’ils y restaient 19 mois, 20 mois et 39 mois. Le prix de 5 £ par trimestre payait la nourriture et la peine de la nourrice, les frais d’habillement et linges restant à la charge des parents. Cela veut dire que la mère gardait un lien avec son bébé. Les nourrices étaient des femmes habitant dans des villages des alentours. Ensuite la sage-femme, qui venait « gouverner » (garder et prendre soin) la mère, restait plusieurs jours au logis, sauf une exception où la sage-femme tomba malade et dû s’en aller aussitôt.


Les de Vaugiraud de Logerie dans les guerres de religion


Nous avons la preuve de l’engagement dans ces guerres pour Jean, le frère aîné, dans le camp des catholiques. Pour Julien et son frère Charles, c’est notre conviction seulement, basée sur des indices concordants. Julien de Vaugiraud avait la foi et une formation religieuse de bon niveau. Son livre de raison commence comme le prêtre commençait son prône, par une citation en latin : « Initium sapientiae, timor Domini. Ne reminiscaris, Domine, delicta nostra vel parentum nostrorum neque vindictam sumas de peccatis nostras. Sed parce, Domine, parce populo tuo quem redemisti precioso sanguine tuo ne in eternum irrascaris nobis ». La traduction en français donne le texte suivant de 3 phrases : « Le début de la sagesse, c’est la crainte de Dieu (9). Ne vous rappelez pas mes fautes, Seigneur, ou celles de mes parents, et ne tirez pas vengeance de mes péchés (10). Épargnez, Seigneur, épargnez votre peuple que vous avez racheté, Christ, par votre sang (11) ». La première phrase est le début du psaume 110, verset 10 du manuscrit de Saint-Gall. La deuxième phrase est un antiphonaire grégorien, d’après Tobie, 3, 3. La troisième phrase est un antiphonaire grégorien d’après Apocalypse 5,9 ; Joël 2, 17 et Isaïe, 64, 9. Le choix de ces chants religieux est personnel. Ces antiphonaires étaient la marque des catholiques, comme la pratique de la messe bien sûr. Ainsi le 12 mai 1597 la veuve de Charles et la femme de Julien de Vaugiraud, étant à la Grange, firent le « cosme » (service religieux) de son frère défunt « qui avait demeuré toujours à cause de l’incommodité du temps » (froids et pluies). Elles y dépensèrent pour les prêtres, clercs, sacristain, pauvres et ornements : 11 £. Le don aux pauvres était alors une obligation religieuse précisée dans les testaments. En 1597 on lit : « Nous avons fait faire service (religieux) à Bazoges ce 1er jour d’an et donné un boisseau froment pour le pain bénit, les prêtres en ont demi écu ». Les de Vaugiraud étaient donc restés catholiques, à la différence de beaucoup de nobles de la contrée, passés au protestantisme.

Alors pendant les guerres de religion (1562-1598) on n’imagine pas l’auteur du livre de raison ne pas prendre parti. Mais, éparpillés au milieu de ses écritures de dépenses et recettes, on n’a que des indices de son engagement. Si l’achat de 2 livres de poudre chacun, par les deux frères en 1585 (26 sols la livre) ne dit pas l’usage qu’ils en firent, en revanche l’information est plus explicite quand Julien achète en 1592 une livre de poudre à canon au prix de 22 sols 6 deniers, quoique la quantité soit faible. En avril 1585 Julien écrit qu’il a déménagé des meubles à Villeneuve « où nous sommes délibérés nous retirer ensemble durant les bruits de guerre qui court ». Après la mort le 10 juin 1584 du duc d’Anjou, Henri de Navarre, prince protestant, devient le successeur légitime au trône de France. Dans un traité du 12 janvier 1584 avec les Espagnols, les Guise (ligue catholique) formèrent une armée pour placer leur oncle Charles de Lorraine sur le trône à sa place. Au printemps 1585 la ligue prit des villes, et la 8e et dernière guerre de religion commença, s’achevant 13 ans plus tard par le succès du futur Henri IV sur Charles de Lorraine. Cette attitude de retrait des frères de Vaugiraud est peut-être temporaire et ne préjuge pas de qu’ils ont fait avant et après cette date. D’autant qu’en 1592, on les voit appartenir au parti catholique, dans une écriture rendant compte d’un prêt que Julien consentit au seigneur de la Florencière pour le délivrer de la prison. Et on a repéré un capitaine de la Florencière (Mothe-Achard) dans le camp de la ligue, qui s’empara de Beaufort en 1590. Il s’agit très probablement de lui. 

J. de Gheyn (1607) : 
dessin du maniement d’arquebuse
Regardons de près maintenant les dépenses de Julien de Vaugiraud pour ses armes. Ce sont celles d’un chasseur, mais aussi d’un guerrier. Il a acheté une épée en juin 1584 et a fait faire son fourreau en octobre, lequel lui coûta 10 sols. En 1597 il fit faire à nouveau un fourreau à Mortagne pour son « épée longue ». En juillet 1584 il acheta un pistolet chez un arquebusier de Maulévrier. Ce dernier lui a aussi rapporté sa grande arquebuse après qu’il l’ait remontée en changeant un grand ressort et un dessus de chien pour le prix de 4 £ 9 sols. Maulévrier était une paroisse touchant Cholet et non loin de la seigneurie de la Grange, berceau de la famille. L’arquebuse fut « rhabillée » (faire une révision) ensuite par Jacques Grilleau arquebusier de Montaigu. À la même époque son beau-frère est allé quérir une arquebuse dans la paroisse voisine de Chavagnes-en-Paillers auprès d’un arquebusier de Saint-Anne, qui était de passage. En mai 1585 il fit mettre un grand ressort et réviser un petrinal (mousquet) par Loys Goiffard arquebusier de Mortagne. En 1597 c’est à Georget de Beaurepaire qu’il confia ses armes pour les nettoyer (7 sols 6 deniers pour la journée). Cet artisan lui mit un chien à une arquebuse et un ressort à une hallebarde. Dommage que le livre de raison ne dise rien sur son engagement pendant les guerres de religion. La période qu’il couvre est comprise dans celle de la 8e et dernière guerre de religion de 1585 à 1598. Il ne dit rien non plus sur ses parties de chasse, alors que Paul de Vendée les note à chaque fois dans son journal, comme ses pêches dans les rivières, précisant même ses trophées de chasse (loup, sanglier, biche, lapin).

Les activités à la maison noble de Logerie


À Logerie Julien de Vaugiraud affermait sa métairie à partage à moitié fruits (récoltes). En octobre 1590 il a fourni 33 boisseaux de semence de blés à la mesure de Mortagne, dont les métayers lui en devront la moitié. Après les battages des moissons en août 1593 (année moyenne) la récolte totale s’élève à 34 boisseaux de seigle, 80 boisseaux de froment à la mesure de Montaigu, 75 boisseaux d’avoine, 80 boisseaux de méteil (mélange de céréales) et 6,5 boisseaux d’orge. Cette quantité correspond à une métairie d’environ une quarantaine d’hectares. Il est à noter l’importance du méteil, dont la culture disparaîtra progressivement dans les métairies de la Rabatelière voisine. On ne connaît pas le « cheptel » (bail du bétail) des « aumailles » (gros animaux) existants entre le propriétaire et les métayers, mais leur commerce était fait en accord entre eux. Ainsi les métayers allèrent à la foire d’Ardelay le 6 août 1584 pour « harder » (échanger) ou vendre des bêtes. Au final ils échangèrent 2 vieux bœufs pour 2 jeunes âgés de 3 ans. L’opération rapporta 4 £ pour la part de Julien de Vaugiraud. En 1590 on comptait aussi un troupeau de 40 moutons.

Celui-ci note la quantité de suif recueilli lors de l’abattage de ses bœufs : 39 livres, 56 livres ou 60 livres pour un seul bœuf, de 1584 à 1586. Avec le suif on faisait fabriquer les chandelles pour s’éclairer. Une livre de suif valait de 3 sols 6 deniers à 4 sols en 1584/1585, puis 5 sols à partir de 1593. Son voisin, M. de la Rairie, lui en a pris. L’usage des chandelles de suif, dégageant une odeur forte et émettant une fumée noire, révèle un niveau de revenus inférieur à ceux qui utilisaient des bougies à la cire d’abeilles, voire à l’huile d’olive importées du midi. Les titres de noblesse ne suffisaient pas, on le voit dans nos campagnes bas-poitevines en ce 16e siècle, à procurer des revenus suffisants pour s’éclairer à la cire d’abeille. Mme de Vaugiraud, elle, s’occupait de la graisse des porcs. Un jeune porc produisait 12 à 21 livres de graisse lors de son abatage, qu’elle vendait aux Herbiers à 4 sols la livre en 1592.   

L’abatage des animaux donnait lieu aussi au commerce des peaux, vendues à part de la viande et du suif. Ainsi Julien a-t-il vendu en janvier 1586 une peau de bœuf à un nommé Lorion, tanneur à la Brossière de Saint-Symphorien (la Bruffière) pour 6 £ 3 sols (7 £ 10 sols en 1596 pour une autre). Il a vendu une peau de vache pour 6 £ 6 deniers en 1593. Parfois il récupérait la peau pour avoir du cuir, et il demandait de la corroyer pour lui donner plus de fermeté, de poli et de souplesse.

Le foin constituait une exploitation particulière d’un pré réservé au propriétaire du logis, les prairies, uniquement naturelles à l’époque et dans la contrée, étaient limitées en surface. En 1590 il récolte « 5 grandes charrettes », en 1594 « 10 bonnes charrettes », et en 1597 « il y en a eu 11 bonnes charrettes ». Une charrette de foin a été négociée à 3 £ en 1585.

La vigne était aussi une réserve du propriétaire. À l’hiver 1585 il fait débroussailler une haie proche de l’entrée de son jardin pour y faire planter des ceps de vigne à la place. En 1590 il fait faire à nouveau une plantation d’un tiers de sa vigne, on suppose qu’il s’agit d’une replantation. On ne sait pas comment Julien de Vaugiraud exploitait sa vigne, par bail « à complant » ou « à pic » (régie directe) aux soins de ses métayers. En 1597 il fit un marché d’une année avec Pierre Billaud, métayer en la Grande Villeneuve, pour « accoustrer » (arranger) la vigne de ses neveux de ses 3 façons, écrit-il, pour le prix de 15 £. Les façons étaient définies par la coutume du Poitou, consacrant un usage ancestral (tailler, bêcher et biner). Pour sa vigne de Logerie il a « donné à Mathurin Gaucher sur ce que lui dois de l’année passée pour avoir gardé ma vigne : 3 écus (9 £) », le 16 septembre 1595, c’est-à-dire au jour des vendanges. De sa vigne il a récolté 3 pipes de vin en 1590, mais il a dû en acheter (pour 6 £) pour l’ouillage consistant à ajouter du vin afin de maintenir son niveau maximal dans le fût lors de son vieillissement. En 1593 il a récolté 6,5 pipes de vin et en 1594 6 pipes.

On sait qu’il avait un moulin, affermé à un meunier, et dont les comptes sont muets à son sujet. Et la première « somme » (unité de mesure) de blé nouveau a été boulangé dès le 20 juillet en 1590 à Logerie.

Comme souvent à cette époque la culture du lin constituait un appoint dans les métairies. C’était aussi le cas à Logerie. Parfois on le vendait sur pied au prix de 6 £ la boisselée, mais c’était à une cousine. Il était aussi récolté et vendu en graines au prix de 18 sols le boisseau. Mais le plus souvent il était vendu en fils aux Herbiers ou à des particuliers pour être filés, après l’avoir fait rouir et brayer ou pesseler sur place pour dégager le fil de sa gangue ligneuse. Les brins plus courts restant après le brayage s’appelaient de l’étoupe, vendus pour être eux aussi filés (21 livres en 1585). Le fil de lin à filer était vendu 5 sols, 7 sols 5 deniers et 8 sols le paquet en 1585, ou 10 deniers la livre en 1586. La laine des moutons était vendue 12 sols la livre en 1592.

La femme du seigneur de Logerie vendait des volailles aux Herbiers : 4 chapons en février 1585, et 9 chapons en décembre 1592 (3 sols 4 deniers le chapon). Et elle s’occupait d’en élever comme on le voit dans son achat en 1585 de 12 petits poulets à la borderie voisine de la Rancunelière. Elle en a donné un boisseau de seigle. On la voit aussi, sans doute en appoint de son mari, vendre une charrette de foin et participer à l’estimation d’animaux, en outre d’acheter des étoffes et autres travaux habituellement dévolus aux femmes. Elle n’est pas absente ou cantonnée dans les activités de Logerie, malgré le temps prit par les nombreuses grossesses. Une collaboration croit se deviner avec son mari, chacun dans son rôle, l’un de chef et l’autre devant obéissance, mais une fois de plus la portée limitée de ces écritures pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses étayées.  


Les travaux d’entretien du logis


Des travaux sur le logis et les alentours, parfois importants, jalonnent la période du livre de 1584 à 1597. Suivons-les dans l’ordre chronologique pour entr’apercevoir de quoi avait l’air ce logis à Bazoges. Le Poitou n’a pas eu comme en Flandre des peintres laissant des tableaux de paysages à la postérité, et le dessinateur-graveur Albrecht Dürer n’a pas voyagé jusqu’à Bazoges-en-Paillers. De plus, les guerres ont beaucoup détruit le patrimoine architectural bas-poitevin. Alors il ne nous reste plus que des parchemins pour se faire une idée des constructions de l’époque. À l’été 1584 Julien de Vaugiraud fait des travaux d’entretien dans la pièce principale de son logis, la salle, appelée ainsi traditionnellement dans les châteaux et les logis des nobles. Il regarnit le foyer de la cheminée et fait mettre de nouvelles croisées aux fenêtres. Il fait aussi « rapetasser » (raccommoder) son logis, sans donner plus de détails, sinon qu’il fait tirer des pierres à la « pierrière » (carrière) par Hyppolais et ses neveux. Ce sont des entrepreneurs en bâtiments qui extrayaient de la pierre à l’occasion comme faisant partie de leur travail. 

Bazoges-en-Paillers vers 1903

Il entreprend la construction d’un appentis pour y loger ses métayers. On est là dans des travaux neufs consistant à doubler un appentis existant. C’était un bâtiment d’un seul niveau généralement, adossé par l’un de ses côtés à une autre bâtisse, avec une toiture en une seule pente. Ses murs étaient en bousillage (torchis) dont il fait « bareller » (fortifier) aussi la partie ancienne. On appelait bousillage un mélange de terre détrempée et de chaume garnissant les espaces entre les poutres d’un mur. Ces maisons à pans de bois ont disparu dans la contrée, mais survivent en bien des régions françaises. L’abondance des pierres et la diminution des bois dans la contrée sont probablement à l’origine de cette évolution. Des genevelles et des coins pour la penne (ferrures), neuves, ont été posées sur les portes, fabriquées par un maréchal de Saint-Fulgent nommé Thomasseau. Il vendait ses produits au poids comme c’était alors l’usage, à 2 sols 6 deniers la livre, et pour 24 livres il fut payé de 3 £ au total.

En octobre il fit mettre (ou remettre) une porte dans la « muraille » de sa cour. Suivant l’architecture habituelle des logis, les bâtiments entouraient une cour fermée, et au besoin un mur complétait cet entourage sur quatre côtés.

En juillet 1585 la porte de devant de la salle du logis fut renforcée, notamment par de nouvelles genevelles. Puis en septembre/octobre c’est la charpente et la toiture du logis qui furent remplacées. Dès novembre 1584 il avait fait choisir à cet effet 8 chênes et avait conclu un marché pour leur abatage et sciage par un nommé Lanieau des Herbiers. Un charpentier de la Brossière (Landes-Genusson) prit le marché de la dépose de l’ancienne charpente et de la pose de la nouvelle pour le prix de 60 livres, 3 boisseaux seigle et 3 boisseaux de froment. On payait encore parfois en nature à cette époque, ici en partie. On a l’achat ensuite des tuiles pour recouvrir la toiture, y compris pour la tour du logis. Cette tour et le nom de salle donnent au logis de Logerie une allure de gentilhommière et une identité aristocratique. Dommage qu’on n’en sache pas assez pour le comparer au manoir de Puy Greffier construit vers 1550 par Charles du Bouchet, à l’architecture inspirée du château Renaissance du Puy du Fou (12). Puy Greffier étaient distants de 6 kms et le Puy du Fou de 15 kms. On recevait beaucoup à cette époque dans les logis, des amis, des connaissances, parfois des nobles de passage, suivant une traditionnelle pratique de l’hospitalité (13).

Parmi les travaux payés et notés dans le livre de raison, on relève que le 28 novembre 1585 on fit « faire cette année de la barre, de laquelle j’ai fait faire un marteau pour moi et l’autre pour mon frère ». Faire de la barre, c’était produire du fer, la matière première des maréchaux. On en déduit que devait exister une activité métallurgique artisanale dans la contrée. Pour l’énergie on savait faire du charbon de bois. Pour le minerai on devait exploiter quelques mines ignorées par la postérité, mais possibles, malgré leur faible teneur, dans les sols du Bocage.

En avril de l’année 1586 Julien de Vaugiraud passa un marché pour la « maçonne » du logis, c’est-à-dire des travaux de maçonnerie non précisés. À cet effet on acheta une charge de chaux à Vendrennes. Les chauniers de ce lieu pouvaient s’approvisionner en pierres de calcaire de Sainte-Cécile voisine, pour la calciner dans leurs fours et produire la chaux.

En 1590 il fit refaire la cheminée de la « chambre haute » du corps de logis. On sait que le mot chambre avait un sens générique ne précisant pas l’usage de la pièce. Mais l’adjectif est important. Il signifie que le logis possédait un étage. Les briques pour refaire le foyer furent achetées à Vendrennes. Les fours y produisaient aussi des carreaux, des briques et des tuiles en terre cuite d’argile. Le manteau de la cheminée aussi fut refait, on posa une nouvelle porte à la pièce et des carreaux au sol provenant de Villeneuve (Boissière-de-Montaigu).

En même temps il fit construire ou reconstruire une pièce appelée « cul de lampe ». Dans les dictionnaires l’expression désigne un support, de colonne ou statue par exemple, ce qui n’est pas le cas ici. Il s’agit d’une pièce d’habitation, car on acheta des genevelles pour la porte d’entrée, celle-ci fabriquée par Louis Trotin, menuisier à Saint-Fulgent. On acheta aussi de la tuile à la Guierche de Vendrennes.

En mai 1592 on commença la construction d’une boulangerie, peut-être en remplacement d’une ancienne en ruine. De la pierrière de Belon (située au nord de Bazoges-en-Paillers) fut tirée les pierres des murs. La pièce mesurait 16 pieds de large (5,2 m), 18 pieds de long (5,9 m) et 12 pieds de haut (3,9 m). Le grand four était dimensionné pour cuire la pâte obtenue avec 16 boisseaux seigle à la mesure de Montaigu. Un petit four à côté pouvait cuire la pâte de 2 boisseaux froment.

Dans l’hiver 1594/1595, la « chambre de l’escalier » bénéficia de travaux d’entretien : réfection de la fenêtre près l’arcade de la chambre et de la petite fenêtre carrée qui est à côté de la cheminée, avec fournitures de ferrures pour mettre aux fenêtres et aux portes. Le menuisier refit aussi 2 placards à neuf. Et on acheta pour 12 sols de chaux.

Qu’était-il arrivé à la charpente du logis ? Refaite à neuf en 1585, on dû recommencer en 1595, 10 ans plus tard. Un accident est survenu à n’en pas douter, mais de quelle nature ? Le livre de raison n’en dit rien, et on pense à un incendie involontaire ou à une destruction en rapport avec la guerre civile en cours. Les écritures détaillent les paiements : chênes abattus, pierre à tailler, pipe de chaux de Vendrennes. Et on a un total : « Le susdit bâtiment me revient en tout à environ de 235 £ ou 240 £ ».

En août 1595 on cura le « gardoir » ou « gardre » (vivier) situé en dessous le jardin des métayers. Julien de Vaugiraud l’entretenait pour y élever des poissons. En 1585 il avait fait fossoyer le contour du jardin qui le touchait. En 1590 il fit construire un talus en pierres pour le protéger. En janvier 1596 il y mit 500 carpeaux. Il prévoyait de les transférer dans l’étang de la Grandinière (Boissière-de-Montaigu) où il avait fait faire des réparations.

En 1596 les maçons des Landes-Genusson ont mis 23 journées à tailler des pierres et 8 journées à « bousiller » l’appentis. Lui aussi avait été renforcé et doublé en 1584. Il paraît avoir connu le même sort funeste que le logis. On retourna encore à Vendrennes se fournir en chaux.

En 1597 Julien de Vaugiraud étendit la surface d’un pré, et paya pour cela un journalier sans indiquer les travaux réalisés. Il entreprit aussi de rénover les « faux » (talus) entourant sa garenne, « fendus » (troués) par endroits. Des « bessons » (terrassiers) de la Bruffière sont venus avec leurs outils en tracer de tout neufs, de 13 pieds de large (15,6 m) et 4,5 pieds de haut (5,4 m) sur des goulots (orifices d’écoulement des eaux). Il fit aussi construire une petite trappe. Il élevait des lapins à l’air libre dans sa garenne, activité réservée aux possesseurs de fiefs en tant que privilège, comme on le voit dans leurs aveux. Paul de Vendée, lui, fit creuser des clapiers dans sa garenne en 1618.


Les habits de noble de Julien de Vaugiraud


En juillet 1584 il récupère à Mortagne du tissu apporté pour lui d’Angers pour faire un pourpoint. Le pourpoint était un vêtement du haut porté par les hommes, court, ajusté et matelassée, qui couvrait le corps du cou à la ceinture. Il apparut à la cour dans la seconde moitié du 14e siècle, et remplaça la longue robe longue que les hommes portaient depuis le 11e siècle (14). En mars 1585 Julien de Vaugiraud acheta au Grand Jacquet, « contreporteur » (colporteur) de Beaurepaire, trois douzaines de boutons de soie rouge pour mettre à son habit de peau de chamois. Il ne nous dit pas la teinte de l’habit de peau, mais cet achat nous invite à imaginer un habit de cuir élégant. Le même mois il prit à Bonin de Tiffauges, aussi contreporteur, un chapeau double de taffetas (soie) et 20 aunes (1,2 m l’une) de passement noir. Il tenait à ce type de chapeau qu’on le voit acheter aussi en 1586 et 1592. En 1593 il le fait apporter de Nantes par le beau-frère du vicaire de Bazoges. Sa femme lui en achète un à la foire de Bazoges en 1594. Son prix tourne autour de 6 livres à chaque fois. Au mois de septembre 1585 suivant il acheta une
Pourbus le jeune : 
Henri IV en armure (vers 1610)
(Musée du Louvre)
paire de souliers pour lui au cordonnier des Landes-Genusson qui était passé par la Logerie en venant de la foire de Bazoges. En 1586 le tailleur de la Grandinière (Boissière-de-Montaigu) nommé Boudaud, lui confectionna un habit avec des étoffes qu’il avait ramenées de Nantes : 3 aunes (3,6 m) de « carise » (sorte d’étoffe en laine) à couleur de pourpre qui coûtent 3 livres 5 sols l’aune, plus du velours noir qui coûte 3 £ 3 sols 4 deniers, plus pour 15 sols de boutons. Il n’indique pas quel est cet habit en rouge et noir, mais là encore on l’imagine distingué et remarqué dans la campagne de Bazoges. Enfin un dernier relevé d’écriture confirme qu’il s’habillait comme un noble. Le 20 juin 1595, étant à Mortagne, il dit avoir « acheté 2 bas d’Angleterre qui me coûtèrent 11 £ les deux, je pensais donner un à mon fils de la Ferronnière, mais il n’en a voulu. ». Les dictionnaires sont passés à côté du bas d’Angleterre, mais soyons sûrs qu’un nom pareil n’était pas en usage chez les paysans. Et pendant ce temps on voit son domestique Mathurin Gauchier qu’il « accueille » (embauche) en 1592, et qu’il habille à ses frais suivant l’usage : « un chapeau, un haut de chausse, des chaussettes de toile mélisse (grosse étoffe de laine), des guêtres, une paire de souliers, 3 aunes (3,6 m) de toile pour ses chemises. » Les hauts de chausse couvraient le corps de la ceinture aux genoux chez les nobles et les roturiers, car on ignorait le pantalon. Des aiguillettes les fixaient au pourpoint ou autre habit du haut. Les nobles pouvaient porter en plus des culottes qui s’arrêtaient aux genoux (voir les portraits d’Henri IV), mais qu’on n’a pas vu dans les comptes du livre de raison de Julien de Vaugiraud, à la différence de ses bas. Les chausses ou chaussettes, couvraient le bas des membres inférieurs à partir du genou. Deux siècles plus tard les révolutionnaires parisiens lanceront la mode des pantalons et se proclameront « sans-culottes ».

Madame de Vaugiraud habillée à la mode de la Renaissance


Comme son mari, Jeanne de Vaugiraud faisait confectionner ses habits par les tailleurs de la contrée. En 1585, Guillaume, tailleur demeurant à la Grandinière, reçu 30 sols pour la façon d’une robe et 20 sols pour ses journées. Il fournit en même temps un vertugadin. C’était une armature passée sous la robe pour la faire bouffer. En 1593 elle acheta deux porte-fraises, l’un pour elle, l’autre pour sa fille Gabrielle (aînée), du fils du Grand Jacquet (colporteur de Beaurepaire). La fraise était un col de lingerie formé de plis et placé autour du cou pour le cacher et mettre en valeur le visage de celui qui le (la) porte. On la désigne également sous le terme de collerette. Les portraits des dames de cette époque sont nombreux sur les tableaux de peintures, les montrant avec leur robe bouffante et leur fraise. Qu’on pense à celui de la reine Marie de Médicis. Jeanne de Vaugiraud aussi fit venir, comme son mari, des étoffes de Nantes en 1586 pour la confection d’habits : une aune de camelot noir (laine avec des poils de chèvre), et passement noir (bordure ou dentelle). En 1590 elle s’adressa à un tailleur de Tiffauges, Jean Magnon, pour « sa façon d’une robe ».

Jeanne de Vaugiraud portait un collier de grains d’ambre assorti avec une bague portant de petits grains d’ambre aussi (18 deniers le grain en 1584 note le mari dans son livre). En 1592 celui-ci lui acheta une boucle d’or pour mettre à un pendant (21 sols). Pour sa mercerie elle faisait ses achats chez le barbier de Bazoges ou aux colporteurs de passage. On sait que sous l’Ancien Régime le terme de barbier désignait différents métiers, coiffeur, chirurgien, et à Bazoges-en-Paillers à la fin du 16e siècle : mercier. Au 14 novembre 1585 on lit : « ma femme a acheté de Barraud contreporteur des Landes-Genusson pour 30 sols de mercerie, un miroir, des épingles, une bourse de galée, des ciseaux, une paire de petites chausses de broche pour Jean (son fils âgé de 17 mois), une once d’épice (31,25 gr), une paire de gants pour elle ».

Cette femme, qui mit au monde 17 enfants, montait à cheval pour se déplacer à la foire de Bazoges ou à la métairie de la Grange près de Mortagne, par exemple. Son mari lui fit fabriquer une selle par le sellier de Montaigu en 1584. En 1595 elle fit réparer à neuf le harnais de son cheval à un sellier de Mouchamps nommé Boniface. C’est que le cheval était le seul moyen de déplacement. Signe de son importance, on relève en 1590 un voyage d’un de ses valets avec le fils du charpentier de la Roulière (Bazoges) pour mener ses chevaux à la mer à Saint-Michel-en-l’Herm (80 kms). On devine une sorte de thérapie recommandée pour une raison qu’on ignore. Le chariot médiéval existait toujours, le coche et le carrosse étaient des inventions récentes dans le royaume, mais apparemment encore inconnus à Bazoges-en-Paillers, car jamais dans les écritures l’existence d’un attelage est mentionnée. En revanche à la même époque la baronne des Essarts, Marie de Beaucaire, venant de Nantes, utilisait une coche pour ses déplacements dans le pays du Bas-Poitou (15). Il est vrai qu’elle était riche de tous ses titres et seigneuries, le roi, reconnaissant envers son mari, avait érigé le comté de Penthièvre en duché et la vicomté de Martigues en principauté, comptant parmi ses principales possessions.

À l’occasion d’un voyage à Angers du valet de Logerie, pour porter des papiers en 1596, on lui demanda de rapporter au retour des cordes de luth. Voilà qui lève le voile sur le type de divertissement pratiqué dans le logis de Logerie : on savait jouer de la musique.

On ne vivait pas cependant comme à la cour du roi. Les moyens étaient comptés et on était situé loin des grands centres urbains d’échanges et d’artisanats. Si nous avons relevé des achats d’étoffes à Nantes, il semble que la plupart du temps on fabriquait les tissus sur place comme tout le monde dans la contrée. Mme de Vaugiraud donnait d’abord de la laine provenant des moutons des métairies, à filer à 3 sols 6 deniers la livre en 1586. Puis les fils filés étaient confiés à un « texier » (tisserand) pour tisser des toiles. Il y avait aussi les « sergiers » ou sergetiers qui tissaient de la serge, une étoffe croisée de soie et de laine, semble-t-il. Ensuite on faisait teindre la serge, comme en 1595 à Mauléon (au sud de Cholet). On achetait la soie qui était plus rare évidemment. Ainsi le colporteur de Beaurepaire vendit une aune de soie pour faire des bas de chausses au prix de 3 £ (écriture du 7 avril 1592). Mais aussi on achetait des tissus plus ordinaires prêts à l’emploi. Par exemple à la foire de Bazoges en 1590 « ma femme acheta une aune ¼ de carise pour nous faire des bas de chausses à elle et à moi : 68 sols 6 deniers ». Non seulement on se faisait confectionner ses habits, mais on raccommodait ses souliers : « j’ai fait recoller 2 paires de souliers au cordonnier, il me les a que cousues, j’ai donné le cuir, je lui ai lui donné 5 sols » (31 janvier 1586). On appréciera cet important raccommodage, pas forcément signe de moyens insuffisants, mais plutôt révélateur d’une société qui plaçait la notion d’honneur à un niveau élevé et indépendant de la richesse. 

P. L. Mestrallet : 
Fileuse en Haute Maurienne

Comme pour la laine et le lin, le seigneur de Logerie s’occupait du travail des peaux d’animaux pour obtenir du cuir à son usage. Le capitalisme est une forme d’organisation économique née en Angleterre au 18e siècle, qui a accentué fortement dans le fonctionnement des sociétés la division du travail dans les tâches physiques. Autant dire qu’au temps de Julien de Vaugiraud on ignorait sa possibilité. Il faisait tanner des peaux de bœufs et de vaches dans une tannerie au village de la Brossière à Saint-Symphorien, paroisse depuis absorbée par celle de la Bruffière. Il les faisait teindre ensuite pour obtenir un cuir qu’il donnait au sellier ou au cordonnier pour lui fabriquer harnais, selles, chaussures, etc. Pour les peaux de moutons il s’est adressé à un pelletier (travaille les fourrures) de la Guyonnière, qui a consacré 3 journées à confectionner une grande et une petite couverte avec 18 peaux de moutons. Sa femme a fait confectionner un « pelisson » (vêtement de peau fourré) par un pelletier des Landes-Genusson pour sa fille Madeleine, un bébé de 7 mois. Les hivers étaient très froids à cette époque de l’hyper Petit Âge Glaciaire.

Dans ces écritures de dépenses d’habillements on a pu suivre le prix d’une paire de souliers pour hommes, comme un indice de l’évolution du prix d’un bien de consommation. De 15 à 18 sols en 1584, son prix a monté à 20 sols en 1590, 25 sols en 1592 et 30 sols en 1597. C’est un doublement du prix en 13 années. La paire à double semelles coûtait 35 sols, au lieu de 20 sols à semelle unique en 1592.


La nourriture d’un seigneur campagnard


À Logerie on se faisait livrer de la viande régulièrement par le boucher du bourg de Bazoges. La fréquence, 2 à 3 fois par mois, hors les saisons du poisson liées aux jeûnes religieux, s’explique au moins par les conditions précaires de conservation de la viande. On se servait du sel pour cela et des petits abris en terres (charniers) montés dans les celliers la protégeait un peu de la chaleur ambiante. Le relevé des livraisons de l’année 1585 montre que la viande de mouton représentait la moitié d’entre elles et le veau un tiers. Le reste se rapportait à la viande de vache et de chevreau. La viande de bœuf était donc absente de la table du seigneur de Logerie. Et pourtant il vendait des bœufs engraissés pour la boucherie, peut-être destinés à l’approvisionnement des centres urbains en plus du débouché local. Les historiens nous apprennent qu’au Moyen Âge les nobles se nourrissaient de volailles et gibiers principalement. Les viandes de boucherie n’étaient guère utilisées que pour les bouillons (en particulier avec le bœuf) ou les hachis, longuement cuits. La viande de boucherie a ensuite été, à partir du 15e siècle, de plus en plus utilisée souvent pour les rôtis braisés notamment (16). Il faut croire que dans la contrée cette évolution fut plus tardive et (ou) plus lente.

On achetait du poisson et des crustacés surtout pendant le carême, mais pas seulement. Ainsi voit-on des achats d’huîtres en septembre et décembre. Et lors d’un repas en mai 1585 avec son frère Charles, les huîtres figuraient au menu. À l’occasion de voyages dans les gros bourgs des environs on revenait avec du poisson frais, ou bien on allait exprès en chercher à Tiffauges, Mortagne, Saint-Symphorien (La Bruffière), Bazoges, les Essarts, les Herbiers. Le boucher de Bazoges en vendait, mais il était peu sollicité pour le poisson à Logerie. Saint-Fulgent n’est pas cité dans cette liste, et il ne serait pas étonnant que le commerce de son bourg souffrît alors des guerres de religion, car la population y était divisée entre catholiques et protestants. On remarque une certaine diversité des achats de poisson : hareng, morue fraîche ou « parée » (en filet), sardine, lamproie, « alouze » (alose). La consommation de poissons était une obligation religieuse et ne marque pas à l’époque un train de vie pour gens aisés. C’est la diversité des achats dans les bourgs des environs qui informe du niveau de vie élevé à Logerie par rapport aux paysans des alentours. Les poissons d’eau douce ne manquaient pas, mais échappent aux comptes du livre de raison, car Julien de Vaugiraud exploitait l’étang de la Grandinière (Boissière-de-Montaigu) et avait un vivier d’élevage à la Logerie. Il a ainsi vendu le 24 février 1592 à Louis de la Folliette 4 carpes (3 sols l’une), et le mois suivant il a vendu une douzaine de quarterons de carpes provenant de l’étang de la Grandinière.

Pour faire des confitures on achetait de la cassonnade, un produit peu courant à Bazoges. Il fallut envoyer un valet chez le colporteur de Beaurepaire en acheter 2 livres (12 sols/livre) en 1590. En 1595 un voisin en rapporta de Luçon 3 livres au même prix. On se faisait livrer les « épices » du bourg de Bazoges, mais le mot a un sens générique désignant les ingrédients utilisés en cuisine (nos plantes aromatiques, et pas forcément que des plantes exotiques). Le litre d’huile coûtait 7 sols 6 deniers en 1592. Le sel était acheté en boisseau, 10 sols l’un en 1595. Son prix n’était pas grevé du fameux impôt de la gabelle à Bazoges. Malgré la métairie des lieux à partage de fruits et l’apport des menus suffrages des autres métairies, on achetait du beurre de temps à autre, preuve de l’importance des tablées de domestiques et de journaliers nourris sur place. Une livre de beurre coûtait de 3 à 4 sols dans les années 1594/1597, ayant subi une hausse d’environ 33 % à partir de 1592.

Puisqu’on parle de cuisine, indiquons la fabrication d’un garde-manger en 1590 par Louis Trotin, menuisier à Saint-Fulgent pour 30 £. En 1594 Julien de Vaugiraud fit mettre une barre de fer à sa « huge » (huche) « pannetière ».


La médecine de la fin du 16e siècle


En mai 1593 Julien de Vaugiraud eut un apostume (gonflement ou abcès) à l’épaule gauche pour lequel il fit venir un chirurgien des Herbiers. Il en fut malade pendant un mois et donna une pistole (6 £) au chirurgien, et aussi 20 sols (1 £) à un rebouteux de village. On sait que le chirurgien pratiquait toutes sortes d’interventions sur le corps, à la différence des médecins qui diagnostiquaient des maladies et prescrivaient des médecines, en récitant des formules en latin des auteurs anciens si l’on en croit Molière près d’un siècle plus tard (comédie du Malade imaginaire). Le chirurgien de cette époque faisait son apprentissage sur le tas auprès d’un maître chirurgien, à l’instar d’un charpentier, tandis que le médecin était diplômé de la faculté. Dans les 6 £ au chirurgien était comprise la pose de ventouses sur le corps de la maîtresse de maison. Le remède traitait aussi bien les douleurs musculaires, articulaires que rhumatismales, et nous ne connaissons pas son mal. Le frère de Julien, Charles, qui habitait à la Grange près de Mortagne, préféra aller se faire arracher une dent aux Landes-Genusson en 1585, signe probable que la réputation des arracheurs de dents devait compter. Le livre de raison reste muet le plus souvent sur le nom des maladies, pourtant si présentes dans la vie des gens de toutes conditions. On sait que le manque d’hygiène a beaucoup contribué aux épidémies, aussi l’état arriéré de la médecine de l’époque.


La vie avant la poste

F. Flameng : Le messager

                                  
La poste n’existait pas encore à cette époque dans la région. Celle-ci se trouvait à l’écart des 9 lignes de la poste royale mises en place depuis un siècle. D’ailleurs Henri IV, roi de 1589 à 1610, fit beaucoup pour augmenter le nombre de territoires desservis par la poste (17). Des particuliers pratiquaient alors ce service qu’on appelait des messagers, mais le plus souvent on envoyait un valet faire des voyages, jusqu’à Angers par exemple. On le voit le 2 juillet 1597 payer la pension du neveu Jean à Angers, et pour cela il a envoyé un homme exprès, qui mit 5 jours aller et retour à faire le parcours, dépensant 15 sols par jour. C’est beaucoup de temps pour une centaine de kilomètres, mais les gendarmes l’ont empêché de passer à Cholet, ce qui coûta une journée supplémentaire. On ne sait pas ce qui s’est passé mais on se rappelle qu’on était toujours en guerre civile. Pour faire une course aux Essarts, distant d’une vingtaine de kilomètres, le valet mettait une journée aller et retour. Dans le journal de Paul de Vendée on peut calculer qu’une journée de voyage à cheval permettait de parcourir en moyenne environ 60 kms en 1618 et dans les longues journées d’été. On se rendait aussi service entre amis, voisins et parents, le voyageur prenait le courrier de chacun. Si le pays manquait de relais de postes, il ne manquait pas d’auberges dans les gros bourgs et les villes. Étant à Tiffauges, Julien de Vaugiraud note : « j’ai donné à l’hôtesse où nous avons mis nos chevaux 1 sol, au vacher d’écurie 3 deniers ». Le 20 janvier 1597 Julien de Vaugiraud fit un marché avec le messager des Herbiers pour aller à Poitiers lui porter ses lettres et argent qu’il prévoyait d’envoyer dans l’année à cause d’un procès en cours au présidial de la sénéchaussée (de création récente). Et pour recevoir des lettres envoyées par son procureur à Paris, il envoya les chercher chez le messager de Montaigu en mai 1597. Ce dernier avait dû les récupérer à un relais de poste ayant une liaison avec Paris (Blois peut-être, il n’y en avait pas à Nantes à cette époque).

Le troc et la monnaie dans les échanges


Comme il était d’usage sous l’Ancien Régime l’unité de compte utilisé pour fixer le prix des choses n’était pas liée aux monnaies utilisées. Pour payer la valeur d’un produit de 10 £ par exemple, on utilisait les monnaies ayant cours, émanées du roi de France comme la livre, l’écu et le franc, ou de princes étrangers. On voit ainsi, même si c’est rare, Julien de Vaugiraud utiliser des réaux (monnaie espagnole) valant une livre ou deux livres. Son frère Charles, sieur de Villeneuve, reçut à la Grange où il demeurait, un real valant 2 £ d’un gentilhomme normand. Ce dernier « lors étant à la Grange passant par ce pays et courant la fortune » (26 juin 1584). Une fois on voit l’usage en 1590 d’un franc, et plusieurs fois d’une pistole qui valait 2 écus, et d’un ducat qui valait 65 sols. Le franc était une pièce d’or valant 1 livre, que les révolutionnaires choisirent en 1795 comme monnaie officielle pour remplacer les louis, symboles de la monarchie. Cette monnaie devint ensuite l’unité de compte officielle en adoptant le système décimal aussi nouvellement créé. La pistole était une monnaie espagnole et le ducat une monnaie italienne, mais l’Espagne émettait aussi des pièces appelées ducats. Elles avaient leurs cours fixés pour leur poids en métal précieux.

Malgré les diverses monnaies en circulation, il semble qu’on en manquait en cette fin du 16e siècle à Bazoges-en-Paillers, mais aussi certaines personnes pratiquaient le troc, au moins par habitude à cette époque, et peut-être par manque de confiance suivant les impressions suggérées par les cas rencontrés. Certaines transactions se réglaient en effet toujours en nature, même si c’était rare. Ainsi le 23 décembre 1585, Julien de Vaugiraud « harda » (échangea) un tonneau de vin, une pipe de vin vieux, une de vin nouveau avec un paysan, Mathurin de la Foliette, « pour du « blé » (céréale), il n’en a voulu prendre de l’argent, je lui dois donner 45 boisseaux seigle ». Pour régler le marché fait pour un an avec un messager des Herbiers (transport du courrier) au début de l’année 1597, il s’engagea à le régler par 3 boisseaux de seigle comptant en janvier et 3 autres en décembre. Il fit porter ces 3 boisseaux au meunier de la Templerie à Bazoges, lequel devait livrer la farine au messager. Et d’autres exemples de troc ne manquent pas.

Un autre phénomène était la pratique du prêt de courte durée. Les banques n’existaient pas dans la campagne et la monnaie numéraire manquait parfois. On rencontre ainsi des prêts de dépannages sans intérêts. Le 12 mai 1597 Julien de Vaugiraud prête 43 £ 5 sols à son cousin monsieur de Rochebonne. Ce dernier lui en rend 15 £ le 15 mai et le reste le 22. En 1584 il prêta 8 écus en pièces à un paysan voisin et autant à un autre du même village, remboursé pour le premier 6 mois après. Une autre fois, la femme du seigneur de Vaugiraud étant à la foire à Bazoges, a emprunté au boucher du bourg 15 sols, remboursé ensuite. Pour payer un maçon en janvier 1597 il emprunta à son voisin le seigneur de la Rairie à Bazoges, 4 £, rendues peu après. Le 12 mai suivant c’est à l’inverse monsieur de la Rairie qui lui emprunta 4 écus « qu’il m’a envoyé demander par Collas (valet), rendus du 27e de ce mois ». 

Q. Metsys : Le prêteur et sa femme (1514)
(Musée du Louvre)
Si ces prêts de courte durée révèlent un manque de monnaie numéraire en circulation, les prêts de longue durée avec intérêts sont d’un autre ordre. Pour payer ses frais de fiançailles d’un parent, Julien de Vaugiraud emprunte à son notaire des Landes-Genusson 20 écus (60 £). Ce dernier tient un rôle de banquier pour des prêts de plus longue durée avec un intérêt, ici à 20 deniers par livre, soit 8,3 % par an. L’inflation des prix à cette époque dans la région était réelle, mais difficile à appréhender avec précision, et on ne saurait apprécier en conséquence le taux d’intérêt de ce prêt. On remarquera dans cet exemple, qui n’est pas le seul dans le livre de raison, que le notaire passe outre aux réserves de l’Eglise sur le prêt rémunéré d’argent, et on n’a pas rencontré de constitutions de rentes à la place, comme l’usage en était presque systématique à Saint-André-Goule-d’Oie au 18e siècle. L’absence d’activité financière dans les campagnes empêchait à cette époque l’émergence de la monnaie scripturale et accentuait l’insuffisance des monnaies en numéraires. Cette insuffisance constatée dans notre cas n’est pas cohérente avec les travaux des historiens, qui expliquent la forte inflation des prix en France dans tout le 16e siècle par l’abondance générale de la monnaie en circulation. C’est là où l’histoire locale trouve ses limites quand on la confronte avec l’histoire générale. Cette abondance de monnaie avait sa source connue : sa création par les monarchies portugaises et surtout espagnoles, suite à la découverte des trésors de métaux précieux en Amérique du sud (Christophe Colomb découvre celle-ci en 1492). Les historiens modernes avancent d’autres causes diverses à l'inflation des prix, et surtout celle de la poussée démographique (18). 

Les domaines et les redevances de Julien de Vaugiraud


Sa richesse reposait sur ses domaines et ses droits seigneuriaux. Ces derniers n’étaient pas importants pour une raison essentielle : ils étaient pour la majorité d’entre eux en valeurs fixes depuis des siècles, et l’inflation des prix les avait réduits à peu de chose. Par exemple, en 1342 le boisseau de seigle valait 7,5 deniers à la Boutarlière (Chauché) (19), et au même endroit il valait 7 sols 6 deniers en 1571, soit 12 fois plus. En 1584 il valait 8 sols 14 deniers à Bazoges-en-Paillers, mais dans une unité de mesure différente. Certes il y avait le droit de terrage, fixé au 1/6 des récoltes dans la région de Saint-André-Goule-d’Oie, qui pesait sur les paysans. Nous ne le connaissons pas à Bazoges, mais en tout état de causes il peinait à maintenir le train de vie d’un noble à l’époque du livre de raison. Dans ce dernier on a rencontré des droits seigneuriaux prélevés dans la région de Mortagne, berceau de la famille. Ce fut le cas en Anjou sur l’abbaye de La Haye (Saint-Christophe-du Bois), au tènement de la Proutière dans la même paroisse, et aux Noyers près de Mortagne, à la Crépelière (Séguinière), aux Roussières (Nueil-les-Aubiers en Deux-Sèvres). En Bas-Poitou on note des prélèvements à Saint-Aubin-des-Ormeaux sur les teneurs de la Jaubretière et à Evrunes sur la Brangerie. Les montants, quand ils sont indiqués, sont faibles car ils ne représentent qu’une part d’indivision.

Les métairies, qui furent souvent à l’origine des fiefs réservés par le seigneur pour lui-même, et affermées à des métayers, rapportaient davantage. Elles étaient devenues la vraie source de richesse des gentilshommes campagnards. Le seigneur recevait tous les fruits de l’exploitation agricole après paiement des métayers. Dans cette famille de Vaugiraud leurs possessions trouvent comme souvent leurs origines dans les alliances matrimoniales. Mais leurs exploitations étaient contraintes par les naissances nombreuses et les aléas de la mortalité. Alors on les gérait le plus souvent en indivision, soit en attente du partage d’une succession, soit en exécution de celle-ci.  

Commençons là aussi par les domaines en Anjou et par la seigneurie dont sont issus depuis deux siècles les membres de cette famille de Vaugiraud : la Grange (Saint-Christophe-du-Bois). Au-dessus de la porte d'entrée figurait en 1876 encore un aigle à deux têtes, le vol abaissé, inscrit dans un ovale, écusson des Vaugirault, dont une tombe existait dans le cimetière de Mortagne. Dans le mur à gauche de la principale porte, était sculptée une tête grossière et d'apparence très antique. La principale tour, grosse et ronde portait trois étages à fenêtres en plein cintre, et dominait encore le logis moderne dans lequel elle était engagée. La chapelle n'était pas non plus entièrement détruite ; sur la porte se lisait la date 1737, et sur la façade : 1764 (20). Le fief relevait de la seigneurie du Langeron (Maine-et-Loire) pour une moitié soumise à la coutume du Poitou (aveu de 1597), l’autre moitié relevait de la coutume de l’Anjou. Dépendait de la Grange la métairie du Chêne (ferme indivis au moins entre Julien et son frère Charles). En 1595 Julien a récolté sa part de céréales : 85 boisseaux seigle et 7 boisseaux froment. Une partie fournissait en 1595 le meunier des Brognes (Saint-Pierre-des-Echaubrogne en Deux-Sèvres)Au 6 mai 1597 le bétail de la ferme fut estimé à 309 £ au total. C’est une somme importante, si on la compare à la valeur de 100 livres de valeur du bétail estimée à la métairie de la Menantonnière (Rabatelière) en 1568 (21). Les propriétaires s’en partageaient aussi le profit, et disposaient d’un étang pour l’élevage de poissons. Ils y avaient leur propre vigne.

Julien possédait seul la métairie de la Papotière (peut-être Papaudière au nord de Longeron), qu'il affermait à 100 £ par an en 1593. C’était aussi un fief dépendant de la seigneurie de Cholet. En 1584 Julien fut poursuivi par son procureur pour hommage non fait de ce fief. Il avait la particularité que ses droits de rachat relevaient de la coutume du Poitou et ses droits de lods et ventes de la coutume d’Anjou. En 1597 Julien eut encore des ennuis avec son suzerain, qui fit saisir les fruits du domaine, pour un cens de la valeur d’une poule, réclamé contrairement à l’habitude selon lui. Pour arrêter la saisie, l’homme de loi envoyé à Cholet lui coûta 3 £ 10 sols de frais de voyage. Le cens portait d’autres droits comme les redevances lors des mutations de biens, mais on n’est pas sûr ici qu’il ne valait qu’une poule.

La métairie de la Marche (Saint-Christophe-du-Bois) avait été achetée en 1586 en indivision (un tiers pour Julien), valant au total 3 537 £. C’était une seigneurie dépendant de la Séguinière (proche de Cholet), dont son frère fit l’hommage en 1594 pour lui et ses co-indivisaires. La métairie fut affermée 1593 pour 5 ans à 100 £ par an. 


Le Courtison (Saint-Christophe-du-Bois) était un fief dont la demeure est appelée « château » en 1595. Là aussi Julien est indivis dans la propriété du domaine avec sa métairie, probablement avec des proches de la famille. Les métairies de la Pommeraie, de la Bedasserie, des Noues, de la Chaignaie et de la Haye en relevaient féodalement.

En 1577 un frère de Julien avait vendu le quart du village et métairie de la Pommeraie (Saint-Christophe-du-Bois) à un particulier étranger à la famille pour le prix de 300 livres. En avril 1595 Julien et son frère Charles rachetèrent cette part. Elle avait fait l’objet d’une clause de réméré (appelée « rétentions de grâce ») permettant à la famille de reprendre le bien vendu en dédommageant l’acheteur. Julien possédait une part dans la ferme de la métairie en 1597, année où il dut trouver un autre laboureur pour remplacer le métayer pendant les 3 années à finir du bail initial de 5 ans. La ferme fut fixée en nature : par an la valeur de 96 boisseaux de seigle. Les menus suffrages furent : un pourceau d’un an, 10 livres de beurre, 4 chapons, 6 poules, 6 oisons. Deux clauses sont rappelées dans le livre de Julien : l’une habituelle, les bians (corvées) à la « semonce » (demande), l’autre moins courante, la promesse d’un pleige (caution). À cette ferme s’ajoutait un bail à cheptel où on voit le métayer et les propriétaires acheter et vendre à moitié entre eux le bétail, étant possesseurs à moitié de sa valeur.

En Bas-Poitou on trouve, outre la Logerie, la métairie du Carteron située à Evrunes, proche de Mortagne. Une écriture de 1584 concerne l’entrée d’un métayer sur la métairie dans des conditions particulières. Les propriétaires (Julien est en indivision avec son frère) ont perdu les fruits de la présente année et une partie de la précédente. L’écriture ne dit rien sur la raison malheureusement. On est en période climatique glaciaire, mais on ne peut pas sans indice imputer cette calamité au climat. Pour finir l’année en cours (avril 1584-avril 1585), le métayer sera fourni de semences et pourvu de 2 bœufs pour ensemencer les terres, étant payé à cet effet. Et le bail commencera à la Saint-Georges 1585 (23 avril).

En 1594 la part de Julien dans la ferme de Saint-Aubin aux Epesses se monte à 64 boisseaux de seigle, et autant de froment, et 100 boisseaux d’avoine. Il fit y fit des réparations aux bâtiments en 1584 et 1594. Cette terre devait une rente en blé à la chapelle de Pinsonneau, dite chapelle de Saint-Aubin, aux Epesses. 

La métairie de la Grandinière à la Boissière-de-Montaigu est bien documentée dans le livre de raison. La part des récoltes de la métairie revenant à Julien en août 1590 est le tiers du propriétaire (il était en indivision avec ses deux frères), soit le sixième du total dont les métayers gardaient la moitié (« ma partie et tierce partie en la moitié du maître »). Sa part se monte à 146 boisseaux de seigle, 30 boisseaux d’avoine, le tout à la mesure de Montaigu. En pois il eut 2 boisseaux, et en fèves 1 boisseau, reçus au mois de septembre suivant. En conséquence le total produit dans l’année sur la métairie est en seigle de 876 boisseaux, et en avoine 180 boisseaux. On produisait du lin à la Grandinière dans le jardin. En 1590 Julien en a reçu sa part en argent, se montant à 3 £.

En 1593 la part de Julien est de 144 boisseaux de seigle, 30 boisseaux de froment, 13 boisseaux d’avoine et 2 boisseaux de pois. L’écriture ne dit pas ce que représente cette part dans le total récolté, peut-être un quart.

En 1594 la part de Julien est de 52 boisseaux de seigle, en froment 3 boisseaux à la mesure de Montaigu, 1 boisseau mesure de Mortagne de froment blanc, 16 boisseaux mesure de Montaigu de froment Saint-Michel, en avoine 10 boisseaux mesure de Mortagne et 1,5 boisseau mesure de Montaigu, et du lin mesuré en 57 douzaines de « fray » (charge). C’est une mauvaise année. Les deux qualités mentionnées de froments, en utilisant les deux mesures de Montaigu et Mortagne constitue un défi pour le chercheur, et une défaite en ce qui nous concerne. Au mois de juin de cette année-là, julien a touché 20 livres de laine provenant des moutons. Le fief de Logerie relevait de la seigneurie de Boulerot (Boissière-de-Montaigu), ce qui explique sans doute l’usage de la mesure de Montaigu. Celle de Mortagne ne nous étonne pas puisque la seigneurie de Saint-Fulgent voisine relevait de Tiffauges. Les champs d’application des mesures s’interpénétraient sur certains territoires comme à Bazoges-en-Paillers.

En août 1595 on lit dans le journal : « Je n’ai eu cette année à la Grandinière à cause de la grêle qui a tout gâté, que 25 boisseaux de seigle, 8 boisseaux de froment de Saint-Michel, 4 boisseaux de froment blanc et 4 boisseaux d’avoine ».

En 1596 les propriétaires ne sont plus que deux et ils possèdent chacun le quart du total comme il est écrit, dont les métayers gardaient la moitié. La part de Julien est de 250 boisseaux de seigle, 26 boisseaux de froment, 84 boisseaux d’avoine, et 3 boisseaux de fèves et pois. En conséquence le total produit dans l’année sur la métairie est de 1000 boisseaux de seigle, 104 boisseaux de froment, 336 boisseaux d’avoine et 12 boisseaux de fèves et pois. Cette année semble meilleure que 1590 avec une récolte plus diversifiée. Les écritures évoquent surtout les céréales et moins le bétail, dont ils se partageaient le profit dans les mêmes proportions. Un siècle et demi plus tard (1743) il y avait 12 bœufs à la Grandinière, pour 2 bœufs seulement sur la métairie de la Jaumarière (Saint-André) (22). C’était une grande métairie à 6 bœufs de trait correspondant à environ 60 hectares de surface au 18e siècle.

Au mois de janvier 1596 Julien est seul pour exploiter la Grandinère, après la mort de son deuxième frère, Charles, en mai 1595, même si les revenus continuent à être partagés entre lui et les enfants de son frère dont il est le curateur. Il a achevé de faire réparer l’étang des lieux, le renfort d’un talus lui a coûté 18 £ et le « bardeau » 6 £ (construction en bois, ici probablement servant d’écluse). Il a mis 800 carpeaux pris en son « gardoir » (vivier) de Logerie, 180 carpes « assez grands », et encore 140 brèmes. 

Le 31 janvier 1597 il a donné la Grandinière à ferme à Jean Le Roy et ses enfants, demeurant à la ferme voisine de Logerie à Bazoges, la Rancunelière. Il les juge « gens de biens et paisibles ». Les fermiers actuels avaient décidé de partir prendre en avril prochain la métairie de la Bernerie, paroisse des Landes-Genusson. Le bail doit commencer à la Saint-Georges prochaine pour une durée de 7 ans. Il est à partage de fruits à moitié, sauf le bois de branchage réservé aux propriétaires. Le jardin de la cour n’est donné qu’à moitié aux métayers, ce qui est inhabituel, peut-être parce que la surface totale des jardins était importante. Les menus suffrages sont par an : 2 pourceaux d’un an, l’un à la Saint-Georges, l’autre à la mi-août, 60 livres de beurre net à la pentecôte, 6 poules et 6 oisons à noël, 4 chapons et 2 oies. La clause des bians (corvées) d’hommes et de bœufs à la demande est rappelée. S’y ajoute l’obligation de faucher et faner le pré du Quart, dont une moitié sera donnée au propriétaire et l’autre moitié demeurera sur le lieu pour nourrir « notre bétail ». Celui-ci est possédé aussi par moitié entre le propriétaire et les métayers, qui se partagent aussi par moitié les pertes et le croît, gérant les ventes et les achats d’un commun accord. Le bois taillis situé sur la métairie est uniquement réservé au propriétaire comme il est d’usage, mais les métayers devront le tenir bien fermé (à cause des animaux). En rappelant ici les principales clauses du bail, Julien de Vaugiraud comble un vide documentaire sur les baux à ferme dans la région. Il faudra attendre en effet le 18e siècle pour en lire dans les archives des notaires et le chartrier de la Rabatelière. Cette écriture de 1597 nous informe que l’économie des baux dans la région sous l’Ancien Régime était déjà en place à cette date. Et elle remontait probablement plus avant, dépendant avant tout des techniques utilisées, qui resteront stables jusqu’au 19e siècle. 

Bazoges-en-Paillers : le petit musée

Le 26 août 1593 il écrit : « j’ai reçu la ferme de la Gaultrie, à savoir 162 boisseaux seigle, et 240 boisseaux » amenés en farine sans indication de la nature des blés. Elle était située aux Herbiers dans le nord de la paroisse. Julien de Vaugiraud avait le tiers en indivision de la ferme de la Gautrie louée à partage de récoltes avec les métayers. Il percevait des métayers une redevance fixe pour le croît du bétail, en argent pour le gros bétail et en nature pour les moutons. 

Le bail de la métairie de la Fontaine (Landes-Genusson), en indivision dans la famille (Julien en a les deux tiers), est à partage de fruits avec les métayers, avec en plus un bail à cheptel où le croît du bétail était partagé, mais comportant une redevance minimale de 6 £. Certains menus suffrages comme les chapons étaient perçus en nature et en argent.

À Villeneuve (Boissière-de-Montaigu) il y avait deux borderies possédées par Julien, sa sœur mademoiselle de la Grange, et son frère Charles, ce dernier en ayant pris le nom : la Petite Villeneuve et la Grande Villeneuve. Après la mort de son frère Charles, Julien gère seul les borderies pour le compte de sa sœur et de ses neveux. La vigne était exploitée « à pic » (régie directe), car on le voit en 1597 faire un marché d’un an avec Pierre Billaud, métayer en la Grande Villeneuve, pour la cultiver au prix de 15 £.  

À la Bedasserie, à partir de 1590, les revenus de la métairie étaient pour l’entretien d’un neveu, Léonard Richelot, devenu orphelin. La métairie des Noirs (Verrie) était en indivision entre Julien et son frère Charles en 1595. Elle devait une rente à Courtison et à la Haye (les deux à Saint-Christophe-du-Bois). La métairie du Verger (Bruffière) était en indivision entre Julien et au moins un de ses frères. De la même façon on le voit une fois recevoir des fermes de faibles montants (soit parce qu’il est en indivision, soit que le domaine est petit, soit que la récolte est mauvaise) sur des lieux non situés : la Veronnière en 1585, et la Bardonnerie en 1590, et la Rivière en 1594.


Quelques prix agricoles à la fin du 16e siècle


Dans la période 1584/1597 que couvre le livre de raison, les prix sont à la hausse. C’est net pour le bétail et le vin, moins pour les blés (céréales). Mais ce constat est insuffisant à cause des données parcellaires notées dans le livre, et sa portée en est limitée sur ce point. Voyons cela de plus près.  

Le prix d’un bœuf sur pieds s’appréhende difficilement. Son prix varie suivant son âge, lequel est rarement indiqué dans les écritures. On en trouve de 25 £ à 33 £ dans les années 1584 à 1592. Les prix montent ensuite d’environ 80 % de 1593 à 1596. En 1596 1 bœuf gras est vendu 53 £. En 1597 deux jeunes bœufs apprêtés sont vendus ensemble 66 £, un bœuf de 3 ans est vendu 20 £, de 4 ans 30 £ et un bœuf de 7 ans 42 £ et 50 £.

Le prix des vaches parait connaître une légère hausse sur la période 1584/1592, avec des variations pouvant dépendre, tant de la qualité de l’animal dont le prix est négocié, que de l’influence du marché. On a un prix de 15 £ en 1590 et de 19 £ 15 sols en 1592, avec une moyenne de 17 £ 6 sols entre ces deux dates. En 1593 les prix montent de 25 % à 25 £. Puis de 1594 à 1597 ils retrouvent le niveau de la période 1584/1592Une torre (jeune vache qui n’a pas vêlé) est vendue 12 £ en 1597, et une autre de 2 ans est vendue 21 £ en 1594.

Les noges (veaux d’un an) se vendent de 3 £ 6 deniers à 10 £, voire 13 £, en 1584 et 1585. Les veaux de 2 ans se vendent de 15 £ 15 sols à 18 £ dans la période 1584/1594. On trouve un prix de 22 £ en 1595. En 1596 un jeune taureau est vendu 20 £.  

En 1593 une jument haquenée est achetée 36 £. En 1590 un cheval est vendu 84 £

Le prix des moutons augmente dans la période 1584/1597. En 1584 un agneau d’un an vaut 12 sols, une agnelle de 2 ans 16 sols, et un mouton de 3 ans de 16 sols à 19 sols. Le mouton monte à 2 £ en 1590, 2 £ 15 sols et 3 £ en 1593. En 1597 on trouve un prix plus bas à 2 £ 3 sols.

On ne détecte pas d’évolution du prix des chapons dans la période 1584/1597, allant de 6 sols pièce à 10 sols, avec une moyenne de 7 sols 6 deniers.

La pipe de vin parait sujette à une variation plus forte des prix. En 1584 et 1585 on trouve les prix de 5 £. Ceux-ci subissent ensuite des variations erratiques de 1586 à 1593. Ensuite on a 15 £ et 27 £ en 1594, puis 28 £ et 36 £ en 1595, et 27 £ en 1597On sait que les vins d’Anjou ont connu une baisse de la production de 1586 à 1599 à cause des guerres de la ligue qui ont pu jouer à l’occasion. Mais surtout le climat a sévi, diminuant l’offre de vins et enchérissant les prix (hivers rudes, printemps gelés, étés pourris) (23).

Le prix du boisseau de seigle monte de 8 sols en juin à 30 sols en septembre 1584, pour redescendre à 14 sols en décembre, révélateur d’une pression spéculative. En 1585 il se fixe autour de 14 sols, sauf une exception à 8 sols 9 deniers, peut-être un cas particulier. On le trouve à 15 sols en février 1786. Puis de 1590 à 1592 il varie de 9 sols à 16 sols. En octobre 1594 il est à 15 sols 9 deniers. Enfin à partir de mai 1595 le prix s’envole à 1 £ 10 sols jusqu’en septembre. En juin 1597 il est encore à 1 £ 5 sols. On sait qu’à cette dernière date il y a une hausse du prix en France à cause du climat (24).

Le prix du boisseau de froment est trois fois moins renseigné que celui du seigle, et parait plus stable de 17 à 18 sols en 1985 et 1986, descendant à 12 sols 5 deniers en 1592 et 13 sols en 1593. Il remonte ensuite en 1594 à 1 £ 11 sols, et en 1597 à 1 £ 16 sols. Il est plus élevé que le seigle, mais de peu, et on retient une fourchette de 12 sols 5 deniers à 1 £ 16 sols dans la période 1584/1597. 

Le prix du boisseau d’avoine, la moitié environ de celui du froment, est stable autour de 5 à 6 sols dans la période 1584/1592, puis monte à 8 sols en 1594 et 15 sols en 1597.


Les salaires et les gages à Logerie en 1584/1597


Julien de Vaugiraud n’avait pas de régisseur, il dirigeait toute l’activité de Logerie et de ses domaines lui-même. À la différence du duc de Thouars à la même époque, on ne trouve pas dans sa maison d’officier, secrétaire, aumônier, médecin, fauconnier, etc. (25). Julien confiait lui-même les travaux à faire à des artisans et à des domestiques (valets et chambrières). Il les appelait par leurs noms et sous sa plume les surnoms sont très rares : le Grand Jacquet, ou « Vincent Grolleau autrement appelé Santa Maria ».

Les journaliers paraissent assimilables aux artisans dans leur statut, faisant des travaux agricoles divers. Les artisans étaient embauchés soit par marché (pose d’une charpente), ou, ce qui est la même chose, à la façon (confection d’une robe), soit à la journée. Leur salaire à la journée était net de nourriture ou au contraire tenait compte du fait qu’on les nourrissait. Cette précision est rarement mentionnée et laisse une marge dans l’appréciation du prix payé d’une journée de travail (1sol de différence environ).  

On voit dans le livre le salaire des tailleurs d’habits et des journaliers augmenter d’environ 1/3 entre 1585/1586 et 1590/1597. Pour les autres métiers, l’insuffisance des données nous prive de tout constat sur ce point. Chez les bessons (terrassiers), charpentiers et journaliers, les prix sont différents dans une même année. Cette individualisation des salaires est difficile à analyser. Peut-être une concurrence entre artisans, car on les voit demeurer dans les paroisses environnantes, sans monopole de l’un d’entre eux. Peut-être aussi que la prise en compte de la qualité personnelle et des conditions du travail réalisé y a contribué.  

Si on prend le salaire du journalier faisant divers travaux agricoles comme pivot, on voit que les artisans sont mieux payés, sauf le tailleur d’habit payé au même prix. Mais certains d’entre eux recevaient un salaire par jour plus un forfait pour la façon d’un habit. Dès lors la comparaison avec d’autres artisans devient impossible. Dans la hiérarchie des salaires en 1597 les mieux payés sont les maçons à 7 sols, les charpentiers et les bessons le sont aussi probablement à un niveau approchant (les chiffres les concernant à cette époque sont peu nombreux). Les tailleurs d’habits sont en dessous à 4 sols nourris et 5 sols non nourris (mais sans la façon qui pouvait s’ajouter parfois). Les femmes sont comparativement mal payées même si on manque de chiffres, environ de moitié pour une journalière. 

M. Gateau : Les foins (coll. part.)

Le statut d’alors des domestiques était de ne pas en avoir comme nous l’entendons aujourd’hui. Ils étaient embauchés dans des conditions fixées par la volonté du maître, qui mettait fin à leurs engagements aussi à sa volonté. On n’imaginait pas alors une légalité politique au-dessus du pouvoir du maître. Les écritures du livre sont trop succinctes pour comporter même des notions de contrat de droit civil. Les embauches avaient lieu d’ordinaire autour de la Saint-Jean en juin. En 1590 la hiérarchie des gages des domestiques à Logerie va de 10 £ par an à 21 £. On n’a pas assez de données pour constater leur évolution dans la période 1584/1597. On voit que ces gages étaient payés à l’année échue, voire un peu plus, ce qui veut dire que les domestiques étaient nourris et couchés. Dans cette époque où l’économie restait marquée par le troc, les gages ne représentaient qu’une partie des revenus des domestiques. Nourris et couchés ils étaient aussi habillés. En même temps que le maître fixait les gages annuels, il habillait en effet ses domestiques, notant pour chacun d’eux ce dont ils étaient pourvus. On a vu plus haut l’exemple de Mathurin Gauchier. On peut ajouter celui du fils de Jean Moné qui eut « un habillement de toile, deux chemises, une aune (1,2 m) de grosse toile, une petite mandille (manteau) de grosse toile mélisse, et entretenu de chaussures. » Enfin nous avons rencontré un cas d’épingles données à des chambrières (femmes de chambre) de 7 sols en mars 1585. Les épingles pour les femmes correspondaient aux pots de vin pour les hommes : des libéralités. Si on veut avoir une vision plus complète sur les domestiques, on a trouvé plus d’informations dans les comptes du château de la Rabatelière 1,5 siècle plus tard, où la situation n’avait guère évolué. Voir l’article publié sur ce site en juillet 2020 : La vie au château de la Rabatelière en 1760. On y trouvera en plus un développement sur le temps de travail dont la situation était proche de celle de la fin du 16e siècle, sauf sur un point. Le nombre de jours de fêtes chômées fixés par l’Eglise avait diminué au fil du temps et le temps de travail annuel s’en trouva augmenté.

Enfin on ne peut pas passer sous silence la question du pouvoir d’achat de ces salaires en cette fin du 16e siècle. Les salaires et les gages ont augmenté certes, mais sans doute moins que les prix, d’où une détérioration du niveau de vie. F. Braudel cite sur ce point dans ses travaux un autre livre de raison de 1560, connu des historiens car son auteur, le sieur de Gouberville, est plus disert que Julien de Vaugiraud. Voici un extrait significatif : « Du temps de mon père, on avait tous les jours de la viande, les mets étaient abondants, on engouffrait le vin comme si c’eût été de l’eau. Mais aujourd’hui tout a bien changé : tout est coûteux ... la nourriture des paysans les plus à leur aise est bien inférieure à celle des serviteurs d’autrefois » (26). On comprend après cela la formule mythique du roi Henri IV vers 1600 : « Si Dieu me donne encore de la vie, je ferai qu'il n'y a pas de laboureur en mon royaume qui n'ait moyen d'avoir une poule dans son pot. » 


(1) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille de Vaugiraud : 22 J 1, état des titres concernant la maison de Vaugiraud. 
(2) Notes de lecture : M. Foisil, L’écriture du for privé, dans « Histoire de la vie privée », Tome 3, Seuil, 1986, page 331 et s. 
(3) Journal d’un capitaine huguenot (1611-1623), Paul de Vendée, Archives de Vendée : BIB 865 et BIB 6471. Éditions Ampelos 2013 reprenant l’édition originale de 1880. 
(4) Livre de raison de Julien de Vaugiraud (06-1584-08-1597), Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille de Vaugiraud : 22 J 9. 
(5) Partage du 28 août 1581 entre Charles et Julien de Vaugiraud, Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, inventaire d'actes du 16e siècle : 22 J 1. [Transcrit par T. Heckmann].
(6) Louis Raimbault, Le chemin de fer d’Angers à Niort, « dans la Revue des races latines », Paris, 24e volume, 55e livraison de janvier 1861, page 231. 
(7) Idem (1). 
(8) E. Le Roy Ladurie, Histoire humaine et comparée du climat, Fayard 2004, tome I, page 241 et s. 
(9) Transcription et traduction de T. Heckmann qui a trouvé l’origine de ce chant grégorien qu'on trouve aussi dans le manuscrit de Saint-Gall
(10) Transcription et traduction de T. Heckmann qui a trouvé l’origine de ce chant grégorien, avec sa 
(11) Transcription et traduction de T. Heckmann qui a trouvé l’origine de ce chant grégorien avec sa 
(12) Guy de Raignac, Histoire des châteaux de Vendée de l’époque féodale au 19e siècle, Ed. Bonnefonds, 2000, page 107. 
(13) Idem (3). 
(14) Boris Bove, Le temps de la guerre de Cent Ans 1328-1453, Gallimard, Folio histoire, 2020, page 243.
(16) J. L. Flandrin, La distinction par le goût, dans « Histoire de la vie privée », T. 3, Seuil, 1986, page 275. 
(17) Camille Allaz, Histoire de la poste dans le Monde, Flammarion, 2013. 
(18) Jean Delumeau, Renaissances et discordes religieuses 1515-1589, dans "Histoire de la France des origines à nos jours", dirigée par G. Duby, Larousse, 1995, page 389.
(19) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 29-2, lieux-dits de Chauché, la Boutarlière. 
(20) Célestin Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, T. 2, 1876, page 294. 
(21) Prix des bestiaux à la Benastonnière en 1568, Archives d’Amblard de Guerry, classeur Prix et mesures. 
(22) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille de Vaugiraud : 22 J 31, inventaire des bestiaux du seigneur de Logerie en 1743. 
(23) E. Le Roy Ladurie, Histoire humaine et comparée du climat, Fayard 2004, tome I, page 279 et s. 
(24) Ibidem, page 254. 
(25) Laurent Vissière, Louis II de la Tremoïlle (1460-1525), Paris, Honoré Champion Éditeur, 2008, Archives de Vendée : BIB B 3860, page 405. 
(26) Fernand Braudel, Écrits sur l’Histoire, tome II, Arthaud,1990, page 97. 


Emmanuel François 
Décembre 2020, complété en mars 2024

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