mercredi 1 mai 2019

L’inventaire des biens d’Église en 1906 à Saint-André-Goule-d’Oie

Pourquoi l'inventaire ?


La loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905 met fin unilatéralement au concordat de 1801, accord diplomatique entre le Vatican et l’État français. Désormais le gouvernement français ne rémunère plus le clergé et ne subventionne plus les cultes. Les fabriques, organismes publics, sont supprimées. Leurs objets du culte sont transférés à des associations cultuelles qui les remplacent. Les autres biens mobiliers et immobiliers, les fondations aux œuvres et aux messes, l’église paroissiale elle-même, sont transférées aux communes. Avant les transferts on a prévu d’effectuer un inventaire par l’administration des Domaines. L’inventaire est prévu « descriptif et estimatif », et « les agents chargés de l'inventaire demanderont l'ouverture des tabernacles » précise même une circulaire. Mais on n’osa pas interdire les cérémonies du culte dans les rues, ni l’implantation des croix au bord des chemins, ni les soutanes ou les coiffes dans l’espace public. L’idée de laïcité a été d’application  complexe en pratique, exigeant une dose de tolérance. Au temps du concordat le chef de l’État n’était plus de droit divin comme l’avait été le roi de France, mais l’administration contrôlait de près l’activité temporelle de l’Église catholique. En mettant fin à cette tutelle voulue par Bonaparte, les républicains libérèrent l’Église d’une sujétion politique, au prix d’un appauvrissement matériel. Rares furent ceux qui à l’époque virent les choses ainsi. Et c’est en toute liberté que l’Église investit au cours du 20e siècle des espaces sociaux nouveaux (enseignement, œuvres culturelles, sportives, sociales, techniques, etc.).

Les fidèles virent dans cet inventaire le début d’une spoliation. À Saint-André-Goule-d’Oie un groupe de paroissiens avaient racheté en 1801 l’église et le presbytère à l’acquéreur des biens nationaux, et la fabrique en avait assuré l’entretien ensuite. Les fidèles finançaient intégralement la fabrique, établissement public sous contrôle de l’État depuis le concordat de 1801. La fabrique avait pris à sa charge la construction de la nouvelle église en 1875/1876, ne recevant que 10 000 F de subvention de l’État (10 % du coût) et rien de la commune et du département. Il en était de même pour les écoles privées.

Ce transfert de la propriété des biens d’Église en 1905 faisait suite aux lois d’expulsion des congrégations religieuses en 1880 et 1903 et à la confiscation de leurs biens. Quand on décrocha en 1904 un christ dans le tribunal de la justice de paix aux Essarts, toute la paroisse, le maire en tête, avait protesté (1). Une loi de juillet 1904 avait interdit aux congrégations religieuses d’enseigner, dans un esprit anticlérical des plus militant : « l’anticléricalisme est l’œuvre la plus considérable et la plus importante pour l’émancipation de l’esprit humain », déclarait alors Émile Combes, chef du gouvernement. Pour lui et ses partisans, la notion de vérité révélée, qui caractérise la foi chrétienne, est une aliénation de l’esprit humain et une atteinte à sa liberté de pensée. C’était une guerre idéologique, une passion française, mais sans les armes cette fois-ci. Il faudrait un livre pour exposer l’ambiance et les motivations affichées et réelles des acteurs de l’époque.

C’est dire si les inventaires se passèrent mal dans les communes très catholiques comme celle de Saint-André-Goule-d’Oie. À la Rabatelière voisine les fonctionnaires brisèrent une porte de l’église pour y entrer par la force, celle-ci ayant été barricadée. D’autant que si les Vendéens étaient de fait ralliés à la République, ils en rejetaient certains symboles rappelant les violences de la 1e République lors de la Révolution Française. Ne voulait-on pas recommencer ?

Le procès-verbal du 1er février 1906


Selon le procès-verbal de cet inventaire réalisé dans l’église de Saint-André le 1e février 1906, l’opération commença à 10 heures du matin, conduite par Gaston Chardonneau, receveur des Domaines à Saint-Fulgent, en présence d’Émile Morandeau, curé, Marie Soulard président du bureau de la fabrique, et Eugène Grolleau, maire de la commune. Ces derniers ont remis au receveur au début des opérations une protestation et une revendication qui « sont demeurées annexées au présent procès-verbal ». Malheureusement elle n’a pas été conservée. Suit l’inventaire dans l’église en commençant par la tribune : « 2 bancs noirs et agenouilloirs estimés 2 F ». Plus loin on lit « 2 confessionnaux en chêne sculpté à 3 compartiments, non scellés au mur, revendiqués par Monique Moreau, épouse Rochereau, et par Mme Adeline Fonteneau, à 600 F chacun ». La revendication reposait sur une réalité : les paroissiens aisés avaient payé bien des choses. De là à en rester propriétaire, ce n’était plus cas à l’égard de l’Église, mais à l’égard des « voleurs », sait-on jamais ? Plus loin on relève : " une croix d'argent sur l'autel, hauteur 0,40 m, estimée 10 F". C’est la croix de Charette, dont le métal en argent contenu fut ignoré par le fonctionnaire des Domaines dans son estimation. Que faut-il penser de cette discrétion ? Elle était volontaire car il donna en revanche 120 F d’estimation au ciboire dans le tabernacle. À la fin du procès-verbal une phrase indique : « la présente estimation a été faite par le receveur des Domaines seul. »

Croix de Charette en argent
On s’interrompit à 11 h 30. Le curé, le maire et le président de la fabrique refusèrent de signer l’inventaire, signé du receveur seul. Néanmoins ils s’entendirent pour se retrouver à 13 h pour continuer. Et l’inventaire reprit dans la sacristie sous la rubrique suivante : " Biens de l'État, du département et des communes, dont la fabrique n'a que la jouissance". Et comme dans l’église le matin, tout y passe : un banc, un prie-Dieu (en très mauvais état), une grande armoire, un christ en plâtre, une glace dorée, un tapis rouge en laine, une petite table, 7 ornements complets, linge d’autel, lot de surplis, 2 calices en vermeil (250 F), etc. Suivent ensuite les immeubles par destination : 4 cloches, horloge, autels, fonds baptismaux, chaire, chemin de croix, grille, vitraux de couleurs portant les noms des donateurs. Pour eux le receveur n’a pas fait d’estimation. Il en a seulement fait la liste pour mémoire. C’eut été difficile.


Viennent ensuite les biens immeubles :
-        L’église construite sur un terrain de 8 ares environ d’une valeur de terrain de (blanc)
-        Le presbytère comprenant maison, servitudes, dépendances et jardin d’une superficie d’environ 21 ares. Il s’agissait de l’ancien presbytère attenant à l’église, en état d’abandon et inhabité.
-        Une maison dans le bourg d’une superficie de 8 ares 90 ca, affermée 175 F par an. C’est l’ancien bâtiment de l’école des filles construit aux frais de la fabrique en 1849. La nouvelle école des filles n’est pas comprise dans l’inventaire, car n’appartenant pas à la fabrique, mais officiellement à un ancien curé de Saint-André.
-        La borderie de la Gandouinière affermée 320 F par an et les terres et maison à la Ridolière (legs testamentaire de Marie You). La surface totale indiquée est de 43 boisselées 47 ares 32 ca au total, soit près de 5 ha de l’époque, ce qui est sous-estimé.
Enfin le receveur note qu’il n’y a rien dans la caisse de la fabrique. Puis il relève les titres trouvés : deux actes d’achat notarié en 1801 de l’ancienne église et de l’ancien presbytère par divers acquéreurs, un bail de 1902 de la borderie de la Gandouinière, et deux baux en 1904 et 1905 de la maison dans le bourg louée en deux portions. Mais les titres pour les fondations de messes ne figurent pas dans l’inventaire. Avant de terminer le receveur demanda à ses accompagnateurs s’il existait à leur connaissance d’autres biens susceptibles d’être inventoriés. Ils ont refusé de répondre. Point final : « Nous avons signé seul, les comparants ayant refusé de le revêtir de leurs signatures » (1).


Un inventaire incomplet


Caricature de Clemenceau
Derrière ce texte où le refus de la population est fermement exprimé, quelle était l’ambiance ? À la limite de l’émeute selon les dires rapportés par la tradition orale, mais sans plus de détails. Dans une lettre encyclique publiée le 11 février 1906 (« Vehementer nos ») le pape Pie X condamna énergiquement la loi de séparation des Eglises et de l'Etat français du 9 décembre 1905. Le 14 mars 1906 un nouveau gouvernement fut investi par la chambre, comprenant un nouveau ministre de l’Intérieur, Georges Clemenceau. Anticlérical notoire, et descendant d’une vieille famille vendéenne, il décida, après un incident où il y eut un mort, de renoncer aux opérations d'inventaire dans les cas où elles rencontreraient une résistance. Mais elles étaient alors presque terminées. Il déclara : « Nous trouvons que la question de savoir si l'on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine ».

Y-a-t-il eu spoliation ? Pour la fabrique bien sûr, mais pour les fidèles on en doute car les immeubles allèrent à la commune. La fabrique possédait des biens financés par les fidèles, mais ces biens étaient ceux d’un établissement public administratif avant la lettre. Qu’ils soient transférés à une collectivité publique territoriale (la commune) relevait d’une certaine logique. De toute manière la hiérarchie catholique avait caché des biens pour conserver leur destination initiale. Voyons cela de plus près (2) :
-        Les revenus des terres de la Ridolière finançaient les honoraires de 12 messes chantées par an à l’intention des familles You et Robin suivant les dispositions de la donatrice. Les messes cessèrent en 1906, car l’argent fut détourné vers le bureau de bienfaisance de la commune. Vers 1927/1928 parut une note ministérielle sur les fondations religieuses, disant que les associations diocésaines pouvaient réclamer les fondations de messes supprimées par la loi de 1905. En conséquence l’évêque de Luçon demanda au préfet de la Vendée de faire acquitter les messes devant être dites pour les familles You et Robin. La préfecture demanda au maire de Saint-André de constituer un capital de 72 F de rente annuelle sur l’État. « De très bonne grâce le maire Eugène Grolleau du Coudray s’exécuta », écrivit le curé. Et les titres ont été envoyés à l’association diocésaine de Luçon. Après 1931 celle-ci envoya ensuite chaque année au curé de Saint-André 72 F pour acquitter les messes. L’interruption des messes avait duré 25 ans.
-        La borderie de la Gandouinière et ses revenus furent attribués à la commune, qui dût créer pour cela un bureau de bienfaisance en 1910. Ce bien avait été donné en 1855 à la fabrique dans un legs testamentaire de Marie You, à la charge de consacrer la moitié des revenus aux pauvres et l’autre moitié à payer une institutrice pour l’école des filles, à condition que celle-ci fût religieuse. Le vœu de la donatrice continua donc d’être réalisé dans la nouvelle structure pour une moitié seulement (les pauvres), l’autre moitié étant détourné vers un autre œuvre au mépris du vœu de la donatrice et de la volonté des édiles de la commune.
-        La maison dans le bourg devint le bureau de bienfaisance officiellement. En réalité elle continua d’être louée à des particuliers, Chatry et Piveteau (vue 86 des délibérations municipales numérisées aux Archives de la Vendée, 28 mai 1911). La préfecture laissa faire.

-        Le presbytère ou vieille cure abandonnée appartenant à la commune, n’était d’aucune utilité. On l’assurait contre l’incendie néanmoins, puis on loua la cuisine à un particulier pour 25 F/an (vue 66 en 1909 des délibérations municipales), puis une chambre à un autre en 1911 (vue 83), et en 1930 (vue 46), et les écuries à un autre particulier. On démolit ce qui menaçait de tomber et on vendit le bois récupéré (vue 39 en novembre 1914). L’ensemble se trouvait en ruine en 1934. Le maire laissait le curé y cultiver un bout de jardin gratuitement. On s’était arrangé pour que le nouveau presbytère ne fût pas la propriété officiellement de la fabrique. C’est pourquoi il est absent de l’inventaire. Il en fut de même pour les deux écoles privées des garçons et des filles. On pense à ce qui s’est passé au moment de la vente des biens du clergé en 1796, où François Fluzeau de la Brossière acheta l’église de Saint-André pour lui conserver sa destination au culte.

Église de Saint-André-Goule-d’Oie
-    L’église serait désormais entretenue par les impôts obligatoires des citoyens de la commune, au lieu des contributions volontaires des paroissiens. En 1906 c’était les mêmes personnes, tout le monde étant catholique. Pour la bonne forme le conseil municipal vota une délibération pour louer l’église au desservant de la paroisse en février 1907, à la charge pour ce dernier de payer les impôts, l’assurance et l’entretien (vue 39 des délibérations municipales). Mais le paiement de la personne chargée d’entretenir et de remonter l’horloge était désormais assuré par la commune, un nommé Menard en 1919 (vue 35).

Le cimetière était entretenu par la commune habituellement et lui appartenait, vendant chaque année le foin qu’on y récoltait.

Les réactions en retour des habitants


Cette situation de non spoliation pour la population de Saint-André, à quelques détails près, derrière lesquels certes on a méprisé des croyances, mais telle que nous pouvons l’apprécier avec plus d’un siècle de recul, n’était pas vécue ainsi par les habitants à l’époque. En témoigne la délibération unanime du conseil municipal dont voici le texte : « Le président donne connaissance au conseil d’un décret attribuant à la commune les biens de l’ancienne fabrique de Saint-André-Goule-d’Oie et une lettre de M. le préfet demandant l’avis du conseil pour la création d’un bureau de bienfaisance chargé de gérer lesdits biens. Le conseil regrette que la fabrique soit privée de ressources qui lui avaient été bien valablement données.
Considérant que le meilleur moyen de respecter la volonté des donateurs est de secourir les pauvres de la commune, accepte la dévolution et vote la création d’un bureau de bienfaisance chargé de gérer, d’accord avec le conseil municipal, les biens attribués à la commune » (3). Dans la même séance le conseil désigna à l’unanimité les deux membres du bureau de bienfaisance : un conseiller municipal, Jean Moreau, et le curé de la paroisse, Émile Morandeau !

Ils attendirent combien de temps avant d’admettre que la loi ne changerait pas ? Les générations se sont succédé ensuite et l’affaire tomba dans l’oubli sur place. En revanche la loi de 1905, présentée comme référence de la laïcité à la française, a vu sa notoriété renouvelée près d’un siècle après. À voir ses nouveaux soutiens, et l'aura dont on l'entoure désormais, bien des remarques viennent à l’esprit, mais qui relèvent plus du commentaire de l’actualité que de celui de l’Histoire.  

On voit dans ce texte de la délibération municipale la cohésion de la communauté des habitants de Saint-André-Goule-d’Oie, forgée au fil des siècles. Elle avait traversé sans périr les épreuves de la Révolution et de la guerre de Vendée, et les querelles politiques entre légitimistes et orléanistes plus tard. Qu’elle s’exprime dans le cadre de la commune ou de la paroisse au tournant des 19e et 20e siècles est de peu d’importance pour les intéressés. Quand il avait fallu décider d’un nouveau presbytère quelques années plus tôt, c’est une « commission municipale et fabricienne » qui l’avait fait.

En 1910 Ferdinand Rochereau de la Boninière fit un don en argent au curé de Saint-André, et non pas à la fabrique, supprimée par la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 : 800 F pour les « bonnes œuvres à la volonté du curé » (4). Celui-ci avait toujours géré les dons aux pauvres avant 1905 au temps de la fabrique, quand celle-ci lui reversait les revenus des fondations destinés à cet effet. Il continuait donc de le faire, à côté et dans le bureau municipal de bienfaisance qui avait été créé pour recueillir les fondations de la fabrique dédiés à l’aide aux pauvres.

Les biens restés à l'Eglise


L’inventaire de 1906 était sincère, sauf peut-être pour la caisse de la fabrique. On n’imagine pas Marie Soulard, propriétaire au Coudray, assez sot pour y laisser de l’argent liquide. Il dû le donner au curé. Mais, averti par les persécutions anti religieuses des années précédentes, une action préventive du clergé avait organisé le portage d’une partie de la propriété des biens d’Église hors de la fabrique. Cela contribua de manière décisive à éviter leur confiscation. Entrons dans les détails :
-        Il y a d’abord deux champs dans le bourg d’une surface d’un ha 42 ares, donnés en 1864 par les époux Gautron à la fabrique pour faire dire des messes pendant 20 ans. N’apparaissant pas dans l’inventaire de 1906, on en déduit que la fabrique les avait vendus, ne serait-ce que pour aider à rembourser les emprunts de la construction de la nouvelle église. Mais nous n’en sommes pas sûrs.
Il y a ensuite la surface déclarée de 5 ha pour les terres de la Gandouinière et de la Ridolière en 1906, alors que dans le legs la surface totale était de 10 ha. On a divisé par deux la surface déclarée dans l’inventaire mais les 10 ha étaient toujours là en réalité. Ainsi le bail de la borderie de la Gandouinière (contenant toujours 7 ha) fut renouvelé en 1912 à Gaborieau pour 375 F /an. Cette fausse déclaration de surface était sans effet.
-        La nouvelle cure achetée en 1897 par le curé Verdon de Saint-André, l’ancien logis du bourg, fut vendue à une date non connue au jeune fils du maire de Saint-André, Bernard Grolleau. Et en 1924 ce dernier fit une attestation sous seing privé : « Je soussigné Grolleau Bernard, demeurant au Coudray, commune de Saint-André-Goule-d’Oie, reconnaît que la propriété du Vieux Logis, que j’ai acquise par acte de vente de M. l’abbé Alphonse Verdon, qui sert de presbytère, en réalité ne m’appartient pas. Je n’en suis que le propriétaire légal. Elle appartient à l’église de Saint-André-Goule-d’Oie et aux prêtres qui desservent la paroisse. Fait à Saint-André-Goule-d’Oie le 3 janvier 1924 » (5). Bernard Grolleau fit apport de la cure à une association diocésaine le 15 décembre 1941 (6).

-        Le même Bernard Grolleau fit un nouvel apport en 1954 à une autre association diocésaine à vocation de gestion immobilière, appelée l’Abeille de l’Ouest, de l’école des garçons, de l’école des filles et d’une maison dans le bourg, tous en réalité des biens d’Église (7). Chacun d’eux avaient appartenu avant lui, suivant des actes sous seing privé, à des prêtres desservant à Saint-André, ou une religieuse institutrice à l’école des filles, ou un prêtre originaire de la paroisse, Ferdinand Rochereau (fils de Ferdinand Rochereau et Zélie Grolleau), ou un notable de la commune, Maixent Girard (géomètre) et à son fils Gustave Girard. 

Cathédrale de Metz
     Le propriétaire « légal » devant payer les impôts fonciers, l’Église sollicitait une personne qui en avait les moyens, outre les garanties de confiance en l’homme et de dévouement chrétien qu’il devait inspirer.

   Les jésuites eurent moins de chances face au gouvernement de Combes dans l’application d’une loi du 1e juillet 1901 prévoyant la liquidation de tous les biens détenus par les congrégations. Une étrange jurisprudence avait décidé que quiconque revendiquait la propriété des immeubles de la Compagnie de Jésus serait réputé prête-nom. Les établissements des jésuites furent ainsi presque tous confisqués par l’État (9). Il est vrai que ces religieux étaient alors aussi honnis que les juifs et les francs-maçons, chacun servant de boucs émissaires à divers camps politiques. Les prête-noms de Vendée étaient des ecclésiastiques protégés par la population. Les dépouiller aurait déclenché une grave crise politique.  


Mais s’il y a un domaine où la loi de séparation de 1905 eut d’autres répercussions, ce fut celui de la suppression de la rémunération du clergé par l’État, sauf en Alsace-Moselle quand la région réintégra la France en 1918, en conservant à la demande de ses habitants le régime du concordat qui était le sien en 1870. Cela confirme bien le caractère complexe de la loi de 1905, à la fois de principes et de circonstances ou de pragmatisme. Par exemple elle n’interdit pas le port de la soutane dans les lieux publics ni les processions dans les rues. Comment peut-elle constituer un « fondement » de la République à Nancy, tout en étant tout à fait ignorée à Metz ? Et comment peut-elle faire oublier l’expulsion en 1902/1903 hors de France des membres des congrégations religieuses ? 

S’il fallait se convaincre de l’opportunisme politique contenu dans les grands principes de laïcité fixés dans la loi de 1905, il suffirait d’aller voir dans les colonies en voie de constitution ou de consolidation à cette époque. Ainsi Jules Ferry a financé les œuvres de Mgr Augouard au Congo. Le radical gouverneur de l’AEF, Augagneur, a financé les écoles religieuses de Brazzaville. Sous le ministère Combes, les instituts missionnaires émargeaient au budget de l'État (10). C’est que les éducateurs catholiques formaient des cadres pour les colonies. Très loin des luttes électorales de la métropole, s'entraidaient les barbus du parti radical et les barbus missionnaires.

La conséquence imprévue par les protagonistes de la querelle, tout à fait paradoxale et largement inconsiente, est qu’en libérant l’Église du carcan du concordat de 1801, les républicains durent lui laisser le champ libre pour investir des champs nouveaux d’action dans le domaine social et éducatif. C'est ainsi que les écoles libres, les mouvements de jeunesse et les orientations modernistes des jeunes vicaires, dans la Jeunesse Agricole Chrétienne notamment, ont été des moyens d’étendre son influence et un des moteurs de l’évolution de la société rurale vendéenne au 20e siècle. Ce fut l’ère nouvelle d’une Église libre dans un État libre (11). Sauf que cette Église libre a gouverné longtemps ses biens et ses revenus dans la crainte et l’adversité depuis la séparation de l’Église et de l’État, et sous une loi du secret peu glorieuse ni pour le clergé ni pour la classe politique, comme on le voit à Saint-André. Il faudra attendre Mgr Paty, évêque de Luçon de 1967 à 1991, pour mettre de l’ordre dans les affaires administratives et financières de l’Église en Vendée. L’action du trésorier de l’évêché en ce domaine, l’abbé Auguin, en fut facilité par l’évolution voulue par le concile Vatican II.


(1) Jérôme Biteau, Mémoire en images, le canton des Essarts, éditions Sutton, 2010, page 94.

(2) Inventaire de la fabrique le 1-2-1906, Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 29, chemise VII.
(3) État en 1934 des biens confisqués, ibidem : carton no 29, chemise VII.
(4) Vue 71 des délibérations municipales numérisées aux Archives de la Vendée, 1er mai 1910.
(5) Testament du 5-8-1910 de Ferdinand Rochereau au curé de Saint-André, ibidem : carton no 29, chemise VI.
(6) Attestation du 22-7-1924 sur le propriétaire de la cure de Saint-André, ibidem : carton no 28, chemise IV.
(7) Vente du 31-10-1972 du jardin de la cure à la commune de Saint-André, ibidem : carton no 28, chemise IV.
(8) Apport d’immeubles à Saint-André le 7-8-1954 par M. Grolleau à l’Abeille de l’Ouest, ibidem : carton no 29, chemise VIII.
(9) Jean Lacouture, Jésuites une multi biographie, Le club Express, 1992, Tome 2, page 236.
(10) Ibidem, page 301.
(11) Formule de Charles de Montalembert (1810-1870), homme politique théoricien du catholicisme libéral. 

Emmanuel François, tous droits réservés
Mai 2019, complété en juillet 2021

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