mardi 1 novembre 2016

Du rififi chez les seigneurs du Pin

Au village du Pin à Saint-André-Goule-d’Oie, les conflits ne manquèrent pas à la fin du 17e siècle entre les possesseurs des droits seigneuriaux, et entre eux et leur suzerain, le seigneur de Languiller.

En remontant le plus loin dans le temps que nous le permettent les archives, le seigneur du Pin était en 1550 le seigneur du Coin Foucaud. Ce dernier avait beaucoup de territoires de Saint-André dans sa mouvance, où il prélevait des redevances féodales sur les propriétaires. En ce milieu du 16e siècle la seigneurie du Coin Foucaud était une annexe de la seigneurie de Languiller, elle-même possédée alors par les seigneurs de Belleville.

Le seigneur de Languiller vend ses droits seigneuriaux au Pin à un bourgeois



Belleville 
En 1557, Jules de Belleville à vendu à René Bertrand, seigneur de la Vrignonnière (Essarts) toute proche du Pin, ses droits seigneuriaux sur ce dernier tènement. Pour cette transaction, il avait donné une procuration spéciale à son ami seigneur de Saint-Fulgent, Gilles Chasteigner, qui l’a représenté dans la passation de l’acte devant les notaires de Saint-Fulgent, Arnaudeau et Monneau. On a déjà vu en bien d’autres endroits de Saint-André et ailleurs que Jules de Belleville a fait la même chose. Il devait avoir besoin d’argent. Et comme d’habitude, il vend ses droits sur un tènement particulier en retenant le droit de fief de la seigneurie du Coin, pour lequel il continue de rendre hommage au baron des Essarts. Cette retenue est concrétisée sur le tènement du Pin par le service de 2 sols de devoir noble, à lui payer chaque année par l’acquéreur des droits et ses descendants (1).

Ce contrat comportait une faculté de retour du bien vendu, à la condition de rembourser l’acquéreur de la somme qu’il avait payée, augmentée d’éventuels autres frais liés à son acquisition. Cette faculté pouvait être mise en œuvre pendant un délai de 6 ans, appelé le temps de la grâce. On pense que le vendeur, espérant revenir à meilleure fortune dans ce délai, pourrait ainsi annuler la vente. À une époque où l’activité bancaire était bien ignorée dans les campagnes du Bas-Poitou, cela permettait de gérer une mauvaise passe financière espérée comme provisoire. Dans un contrat du 19 février 1562, Jules de Belleville, représenté par Pierre Drespeau, s’entend avec René Bertrand pour prolonger le délai de la grâce, qui allait bientôt expirer.

Mais ses affaires ne s’arrangeant pas, Jules de Belleville vendit sa faculté de retrait le 3 janvier 1564 à Louis Masson, par devant les notaires des Essarts, Rabreuil et Coutand. On aimerait connaître le prix versé par Masson, mais nous ne disposons que d’un résumé trop bref du texte (1). Louis Masson, sieur de la Martinière, avait épousé en 1562 Marie Mosnier, dont une proche parente, Madeleine Mosnier, était mariée à Jacques Bertrand seigneur de la Vrignonnière. Il fut aussi sénéchal des seigneuries de Boisreau et de Languiller à Chauché et en tint leurs assises. À la même époque le procureur fiscal des Essarts s’appelait Michel Masseau. C’est lui qui rendit aveu de la baronnie des Essarts à Thouars en 1597, comme procureur spécial du duc de Mercœur, aussi baron des Essarts (2). 

Usant de son droit de retrait, Louis Masson, acquit les droits seigneuriaux du Pin le 27 septembre 1567 du seigneur de la Vrignonnière. Et il fut confirmé dans sa possession entière et irrévocable de ces droits par Jules de Belleville le 5 septembre 1577. À cette occasion, Jules de Belleville, décidément très impliqué dans les combats des guerres de religion dans le camp protestant, se fit représenter par Anne Goulard, sa deuxième épouse (1).

Les Masson et Audouard possesseurs des droits seigneuriaux


Le 9 novembre 1607 est rendu à Languiller, à cause du fief du Coin Foucaud, une déclaration noble par Charles Masson pour ses droits seigneuriaux du Pin, à 2 sols de rente et devoir noble payable à la fête de noël. Nous n’avons pas repéré ce Charles Masson, probablement un fils de Louis. Les droits qu’il déclare sont les mêmes que ceux contenus dans l’aveu du Coin Foucaud en 1550 au baron des Essarts :
  • -        terrages à la sixième partie, sauf sur 10 % du tènement pour lequel est due une rente annuelle de 14 sols au temple de Mauléon (appelé Châtillon-sur-Sèvre de 1793 à 1965, et situé dans les Deux-Sèvres). Le temple de Mauléon était un lieu-dit où se trouvait une commanderie d’hospitaliers appartenant à l’ordre de Malte.
  • -        dîme d’agneaux, laine, gorons (cochons) et veaux, consistant à prélever un douzième de la valeur des animaux nés et élevés dans le village. S’agissant des veaux, on prélevait ce 1/12 pour un animal nouveau sur deux, mais pour chaque vêlée de tout animal on prélevait un denier.
Ces deux droits étaient répartis pour 2/3 à Charles Masson et pour 1/3 au prieur de Saint-André-Goule-d’Oie. Dans les autres tènements de la paroisse la part du prieur dans le terrage avait été confisquée à son profit après 1550 par le seigneur de Languiller. Nous avons là une exception au Pin. Les rentes étaient les mêmes qu’en 1550 à un tout petit détail près : la rente en argent se montait à 57 sols au lieu de 59 sols par an. Les rentes en nature étaient les mêmes, aussi à un autre petit détail près : au lieu de donner 5 poules et 3 chapons, la redevance est de 5 poules et 3 chapons. Pour le reste rien de changé :
  • -        14 boisseaux de seigle, 36 boisseaux d’avoine.

le Pin
Charles Masson déclare aussi une nouvelle rente foncière, mais qui n’est pas de nature féodale : 2 boisseaux de froment sur les domaines de Bertrand et Poissonnet. Elle trouve son origine dans une vente peut-être à ces deux personnes (3).

Les droits seigneuriaux du Pin passèrent ensuite à Jean Masson, fils de Sébastien. (On se souvient qu’une sœur de Jean Masson, Renée, épousa en 1625 Pierre de Vaugiraud). Et de Jean Masson, ils passèrent à une de ses filles, Catherine Masson. Celle-ci avait épousé Jacques Audouard, écuyer, seigneur de Metz (ou Maits), originaire de la région de Niort. On voit là un exemple de la fréquente perméabilité dans la contrée entre la noblesse de petite fortune et les bourgeois enrichis.

Nous avons une déclaration noble de Jacques Audouard, demeurant au bourg des Essarts en 1645, puis à Niort en 1651. Le texte est le même que la déclaration de Charles Masson ci-dessus en 1607. Néanmoins une précision intéressante apparaît. Le seigneur du Pin déclare avoir droit de justice et juridiction basse, et droit de tenir assise. De même il a droit de prendre les lods et ventes lors des mutations de biens dans l’étendue du fief.

Jacques Audouard déclare en plus 13 arpents de terre autrefois en bois, situés au tènement du Bois Pothé. Encore un espace défriché et transformé en culture. Pour lui, il doit à Languiller un sol par arpent chaque année (4). Ce montant de redevance exprimée en argent et proportionnel à la surface, est un raisonnement nouveau adopté à l’occasion des défrichements de nouveaux espaces fonciers. Nous avons rencontré le même phénomène quand le seigneur de Languiller a repris les droits sur le village voisin de la Crochardière tombé en ruines.

Dans un acte de partage de la succession de Catherine Masson et Jacques Audouard, le 14 octobre 1680,
  • -        leur fils puîné, René Audouard, écuyer sieur de la Veronnière, reçoit les terrages du Pin.
  • -       Son frère aîné, Jacques Audouard, reçoit notamment une rente noble foncière de 14 livres, due sur le village des Nouhes en la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie.
  • -      Son plus jeune frère, Jacques Audouard le jeune, écuyer sieur de la Pertelière, reçoit entre autres « la métairie de la Pertelière et ses appartenances sise en la paroisse des Essarts ainsi qu’elle se consiste et qu’elle est exploitée par Jean Libaud à moitié des fruits » (5).

La Boninière
La famille possédait une maison à la Boninière de Saint-André-Goule-d’Oie. Jacques Audouard le jeune y habita en 1680. En 1684, c’est son frère René Audouard qui y habita, venant de Niort. Il est vrai qu’ils possédaient des droits à la Baritaudière proche, achetés par le l'ancêtre Louis Masson, comme il avait fait pour le Pin. Les Masson avaient aussi été propriétaires à la Jaumarière proche au début du siècle. Au moins une partie de ces biens étaient passés dans la famille de Vaugiraud ensuite.

René Audouard s’endette et vend ses droits du Pin


Ils sont bien rares les tènements et fiefs de Saint-André-Goule-d’Oie relevant du Coin Foucaud, où le nouveau seigneur de Languiller à partir de 1674, n’a pas fait de procès. Il s’appelait Philippe Chitton. Le Pin fait partie de cette liste. Ainsi en 1681, le tribunal de Fontenay-le-Comte, « condamna les seigneurs et dames propriétaires du village du Pin », au respect de leurs devoirs envers le seigneur de Languiller (6). Ils ne sont pas nommés, malgré le partage que nous venons d’indiquer, peut-être à cause de sa date tardive. Ces devoirs consistaient pour les acheteurs à communiquer les contrats d’acquisition de leurs droits au seigneur suzerain du fief, à savoir le seigneur de Languiller. Ils doivent le faire sous huitaine, sous peine de voir leurs biens saisis.

Cette sentence resta sans effet puisque ces propriétaires n’avaient affaire qu’à leur seigneur René Audouard. Le 25 mai 1683, le lieutenant particulier et assesseur civil au siège royal de Fontenay-le-Comte, en a fait le constat. René Audouard était aussi concerné par l’instance et il a fait défaut (7).

Mais il avait des dettes. Entre autres il devait une somme de 498 livres à Pierre Moreau, bourgeois demeurant au Coudray (Saint-André). Alors il vendit le 26 septembre 1683 à Jean Masson les terrages du Pin, moyennant le versement d’une rente foncière annuelle et perpétuelle de 45 livres. Et Jean Masson acheta avec son accord, la créance de Pierre Moreau, limitée à 440 livres en capital, moyennant une rente de 22 livres annuelle et perpétuelle (8). La rente de 45 livres comprenait aussi les droits seigneuriaux prélevés par René Audouard sur la Baritaudière. Le registre paroissial des Essarts ne commence que tard en 1737, et nous n’avons pas pu repérer ce Jean Masson dans sa généalogie, autre bourgeois et sénéchal des Essarts. Il y a fort à parier qu’il partageait des ancêtres communs, peu de générations auparavant, avec René Audouard.

Le Coudray
Mais ce dernier avait encore d’autres dettes, et il vendit le 18 octobre 1683 les rentes (autres que le terrage) prélevées au Pin à Pierre Moreau, sieur du Coudray, moyennant la somme de 584 livres. Il fut spécifié que ces rentes de nature féodale étaient vendues roturièrement. Était-ce pour éviter de payer un impôt appelé franc-fief, imposé sur les roturiers possédant des biens nobles ? Le paiement fut réalisé par la retenue de 58 livres que le vendeur devait encore à l’acquéreur en reliquat du montant total de 498 livres indiqué plus haut. Il fut convenu en plus que l’acquéreur paierait une dette du vendeur à un procureur de Poitiers. Le 24 janvier 1684, il est passé devant les mêmes notaires de Bazoges-en-Paillers, un nouveau contrat (copié à la suite du contrat de vente), reconnaissant le paiement de la dette au procureur pour un montant de 350 livres. Le reste, soit 176 livres, est réglé comptant par l’acquéreur au vendeur (9).

Le seigneur de Languiller évince Pierre Moreau et attaque Jean Masson


Pierre Moreau est mort en 1687. Philippe Chitton délégua sa femme, Anne de la Bussière, pour exercer son droit de retrait féodal sur les rentes du Pin. Les notaires des Essarts se sont rendus au Coudray le 26 juin 1690, au domicile de Marie Hullin, veuve de Pierre Moreau, pour dresser le constat de ce retrait, accepté par elle. Elle est remboursée du montant des 584 livres, qu’avait payé son mari 7 ans auparavant (10).

Philippe Chitton concentra ensuite ses actions au tribunal de Fontenay contre Jean Masson. Il faut dire qu’il dû probablement avoir l’impression qu’on se moquait de lui. En effet, Le 28 décembre 1683, René Audouard, sieur de la Véronnière (Essarts) et du Pin, lui avait rendu une déclaration noble pour ses droits seigneuriaux du Pin. Elle était, en tous points, conforme à celle de son père en 1651 (11). C’est à dire qu’elle ne tenait pas compte des ventes des rentes à Pierre Moreau et du terrage à Jean Masson, comme si elles n’avaient pas eu lieu. Le seigneur de Languiller ne s’en contenta pas. Sans doute savait-il que cette déclaration était fausse.   

René Audouard reçut en conséquence le 1e mars 1684, une nouvelle signification de l’huissier résident à la Brossière (Saint-André), Benoist, d’avoir à se présenter au tribunal de Fontenay-le-Comte (12), ne répondant pas aux injonctions reçues. Alors le 5 mars 1684, il rendit à Languiller une nouvelle déclaration noble pour les terrages et la dîme du Pin qu’il avait pourtant vendus (13). Ces ventes s’étaient faites par arrentement, et Jean Masson ne tenait pas à rencontrer Philippe Chitton, avec qui il avait plusieurs contentieux. C’est l’explication qui nous vient à l’esprit pour comprendre une attitude apparemment étrange. Il y indique quand même l’autre vente des rentes en argent et en nature, et ne déclare plus son droit à la justice seigneuriale et à prendre les lods et ventes. On sait que sur ce dernier point Philippe Chitton était sourcilleux, et René Audouard a dû chercher à le ménager, étant sur le point d’abandonner la partie.

Malheureusement les archives conservées dans un état suffisant d’accessibilité manquent sur une période de 10 années entre 1684 et 1694. Quand elles reprennent à cette dernière date, nous découvrons que Philippe Chitton attaque Jean Masson pour plusieurs domaines, et pas seulement les terrages du Pin. C’est l’attaque tous azimuts.

La Pertelière
Il y a la moitié de la métairie de la Pertelière (Essarts), que Masson avait achetée à un nommé Renou, mais dont la vente aurait été annulée, prétend-il. Chitton lui répond qu’il ment et qu’il lui doit des droits, suite à cet achat relevant de la seigneurie du Coin Foucaud.

Il y a la maison de la Bujanderie, achetée par Jean Masson le 12 avril 1693. Mouvante du fief du Bois Saint-Martin, elle était située au Essarts, au sud du bourg et au sud de la Véronnière. Pour cet achat, Jean Masson devait payer les droits de lods et ventes à Julie Anne des Villates, possédant les droits de cette seigneurie. Elle était la veuve de René Gazeau, seigneur de la Brandasnière. Celui-ci était le fils de David Gazeau, seigneur de Saint-André-Goule-d’Oie (le seul qui porta ce titre à notre connaissance se raportant au fief du bourg) et frère puiné du seigneur de la Boutarlière, René Gazeau (marié à Renée Bonnevin). Julie Anne des Villates vendit pour 200 livres ses droits de lods et ventes à Philippe Chitton le 11 août 1694 avec ses arrérages, subrogeant ce dernier dans ses prérogatives pour obtenir le paiement des droits de fiefs (14). Jean Masson refuse de reconnaître comme valable cette vente des droits à Philippe Chitton.

Le problème est le même pour un droit de terrage perçu par la métairie des Landes Gâteaux (Essarts), appartenant à Hélène Maillard, épouse de Jean Masson, et achetée par son grand-père. Les terrages relevaient à moitié de la baronne des Essarts, et de Julie des Villates pour l’autre moitié, celle-ci ayant vendu sa part, là aussi, à Philippe Chitton.

Jean Masson et Hélène Maillard étaient déjà passés en jugement devant la cour seigneuriale des Essarts le 26 avril 1694. Mais en appel devant le tribunal de Fontenay, ils furent absents et condamnés par défaut le 29 juillet 1694 (15). Ainsi devaient-ils à l’égard de Languiller :
  • -      Communiquer les contrats d’acquisition des biens concernés dans l’étendue de Languiller et de ses fiefs, depuis 30 ans auparavant, que ce soit par forme d’exhibition, sous huitaine, ou d’édition.
  •   Payer ou montrer quittance des 29 années d’arrérages des cens et rentes, devoirs nobles, seigneuriaux et féodaux et fonciers qui sont dus sur les domaines.
  •     Faire les fois et hommages, fournir les aveux et dénombrement, déclarations nobles et roturières.
On passera sur l’escalade judiciaire qui suivit entre Jean Masson et Philippe Chitton dans cette bataille sur plusieurs fronts. Ce dernier obtint du tribunal notamment la saisie des revenus des domaines concernés. Le commissaire nommé lors de la saisie fut un certain François Auvinet, habitant Languiller, et bordier sur les lieux. C’est dire si les mœurs judiciaires de l’époque méritaient de progresser vers plus de neutralité à l’égard des parties en conflit dans un procès.  

Jean Masson se dégonfle et met le seigneur de la Vrignonnière dans l’embarras


Face à une telle pugnacité de la part de son adversaire, Jean Masson tenta une sortie. Il vendit le 24 octobre 1694 les terrages sur le Pin et la Baritaudière à David Léon de la Bussière, seigneur de la Vrignonnière (Essarts), fils de Pierre de la Bussière et de Jeanne de Goulaine. Depuis le mariage le 11 novembre 1602 de Lucrèce Bertrand avec Pierre de la Bussière, les seigneurs de la Vrignonnière avaient changé de patronyme (16). Cette seigneurie voisine saisit l’occasion de revenir au Pin, dans la continuité de ce qu’avait tenté leur ancêtre plus d’un siècle auparavant. Et comme lui non sans difficulté, car Masson vendait une situation compliquée.

La Vrignonnière
La vente comprenait la rente de 45 livres due à Audouard, donnant droit à percevoir les terrages du Pin, mais en faisant jouer la clause de son amortissement ou rachat. Il y avait aussi compris dans la vente, la créance achetée à Moreau pour 440 livres, transformée en rente de 22 livres que devait payer Audouard, mais qu’il ne payait pas. Les arrérages se montaient à 120  livres. Pour cette vente Masson reçu 840 livres.

Le même jour, David de la Bussière fit un autre contrat avec René Audouard, où il lui versa 900 livres pour amortir la rente de 45 livres. Cela correspondait à 20 annuités, dispositif obligatoire selon une ordonnance royale. Mais il gardait pour lui la rente de 22 livres due par Audouard, à laquelle s’est ajoutée une deuxième rente de 21 livres, par arrentement des droits de la Baritaudière qu’il rétrocédait au même Audouard.

Jean Masson ne s’en tira pas à si bon compte. Philippe Chitton considéra que son contrat d’arrentement des droits de terrages avec Audouard, l’obligeait à payer au seigneur suzerain les droits de lods et ventes. Masson refusait, considérant que le transport de la propriété de ces droits ne s’était effectué qu’au moment de l’amortissement de l’arrentement. Il renvoyait donc Philippe Chitton vers David de la Bussière pour ce paiement. Ce dernier refusa d’abord de payer ce droit de lods et ventes, considérant que c’était à l’arrenteur, c’est-à-dire à Jean Masson, de le payer. Sauf que Philippe Chitton voulait qu’on paye deux fois : au jour de l’arrentement, et au jour de son amortissement. David de la Bussière finit par céder, paya ses droits au seigneur de Languiller, puis se retourna vers Jean Masson pour réclamer le remboursement de son paiement.

Le seigneur de Languiller attaque sa nièce


Philippe Chitton alla plus loin encore, il refusa l’offre de foi et hommage de David de la Bussière pour les droits de terrage du Pin. Selon lui, ces droits étaient roturiers et non nobles, comme cela avait été déclaré par Audouard et Masson dans leur arrentement. Derrière la querelle, il y avait la perception des droits de mutations des biens dans le périmètre du fief ou tènement. On plaint le seigneur de la Bussière qui a sans doute cru faire une bonne affaire. D’autant que Philippe Chitton était le mari d’une de ses tantes. Mais le connaissait-il vraiment ?

Étienne O. de Rochebrune : Anciens remparts
de Fontenay en 1861
La sortie de Jean Masson en vendant ses droits à David de la Bussière n’avait fait qu’ajouter ce dernier dans les actions judiciaires au tribunal de Fontenay. David de la Bussière fit requête le 15 décembre 1694 au sénéchal de Fontenay-le-Comte, pour obliger Philippe Chitton à le recevoir en son offre de foi et hommage (17). Un nouvel acte est produit par son procureur dans le même sens, au procureur de Philippe Chitton, le 16 août 1695.

Le procès à Fontenay va être suspendu jusqu’à la fin de l’année 1695 à cause du décès de David de la Bussière en septembre 1695. Il reprendra avec une signification d’huissier de Philippe Chitton à Marie Gazeau, sa veuve, le 9 janvier 1696. Il l’assigne à comparaître au tribunal de Fontenay, ainsi que Louise de la Bussière, sœur et héritière du défunt (18). Celle-ci habitait alors chez lui à Languiller avec Anne Bénigne de la Bussière, sa tante, par ailleurs épouse de Philippe Chitton. On sait que ce dernier fit une saisie sur les biens de ses neveux, enfants de Jacques Chitton son frère, entre les mains de sa belle-sœur, veuve de son autre frère François. Alors pourquoi s’attendrir sur la jeune nièce de son épouse, habitant chez lui, dès lors qu’il s’agit de défendre un patrimoine ?

On voit là bien sûr quelques dispositions naturelles du personnage à la chicane et une certaine avidité de possédant, mais il faut interroger aussi les mœurs de l’époque. Par exemple, celles-ci mettaient fréquemment l’intérêt des patrimoines en avant dans la formation des couples. Mme de Maintenon expliquait à « ses filles » de Saint-Cyr qu’un patrimoine, quelle que soit la liberté légale de dispositions qu’on en ait, n’est pas à la discrétion de son propriétaire qui est engagé à des devoirs de gestion, de conservation et de dévolution (19). C’était une norme sociale, et on connaît l’habitude des hommes à mettre la morale et la religion au service de la norme en vigueur pour n’en faire qu’un tout. Celle-ci s’imposait donc aux individus de manière moins exorbitante que ce le serait de nos jours, quels que soient les drames qui ont dû exister, couverts par le secret de l’intimité des familles et la chape de plomb des mœurs du temps. Était-ce plus acceptable que de traîner ses neveux et nièces devant les tribunaux au nom des intérêts de son patrimoine ? Quoiqu’on ne soit pas sûr que ces justiciables ne se trouvaient pas entre les mains de leurs avocats et procureurs, dans une relation aux allures de dépendance. Rudes mœurs quand même, vu d’aujourd’hui ! Il faut aussi rappeler que l’idée du bonheur personnel est une invention en France du 18e siècle. Avant on ne concevait le bonheur qu’en Dieu, fait des idéaux de gloire et de sainteté. R. Mauzi a recensé 191 traités sur le bonheur terrestre au cours du 18e siècle, et le thème se répète dans la littérature. C’est un bonheur sage, naïf, plutôt rêvé comme le fera J. J. Rousseau : un corps sain, une nature belle, une éducation heureuse, une sociabilité riche. Le mérite individuel doit être récompensé, prenant le pas sur la naissance suivant la maxime de Beaumarchais (20).

Klimt : Le baiser
Mais profitons de l’occasion pour pénétrer plus avant dans les mentalités de l’époque. La deuxième partie du 17e siècle installa une nouvelle conception de l’amour, avec la reconnaissance de la notion de tendresse, signe d’une montée des valeurs « féminines ». Le mouvement conduisit au siècle suivant à la légitimation sociale du mariage d’amour. Les historiens analysent ainsi les mœurs affichées dans la société officielle de la cour et des arts (21).

On peut penser que dans la campagne de Chauché cette évolution connu quelque retard. On devait encore vivre des préceptes du siècle précédent : « Qui se marie par amour a de belles nuits et de mauvais jours », ou encore « La beauté ne sale pas la marmite ». L’amour se trouvait alors, derrière ces dictons, avec l’amitié dans le rapport du vice et de la vertu. Le dogme de l’infériorité naturelle des femmes les écartait, en effet, du culte masculin de l’amitié. L’idéal d'amour dans le couple enseigné alors par l’église prônait la pudeur et condamnait l’excès d’affection et d’attachement. On voit ainsi à quel point notre questionnement sur l’attitude du seigneur de Languiller à l’égard de sa nièce nous amène à entrapercevoir ce monde étrange du passé.

Louise de la Bussière demanda au tribunal un délai supplémentaire dans la procédure judiciaire, pour examiner la succession de son frère. La veuve en fit autant. Philippe Chitton demanda aussitôt au tribunal de refuser ces demandes, les jugeant dilatoires. Le tribunal de Fontenay donna raison à Philippe Chitton deux mois après, le 7 mai 1696, ordonnant la reprise du procès. Les actes de procédure et échanges de mémoires des parties continuèrent auprès du tribunal de Fontenay jusqu’au 7 mars 1697. Ensuite les archives nous offrent une longue interruption jusqu’à la fin de l’année 1707. Nous ne connaissons pas bien la fin de l’histoire.

Jean Masson a-t-il pu échapper à toutes les poursuites de son ennemi Philippe Chitton ? Restait-il un peu de patrimoine à René Audouard au jour de son décès ? Nous ne pouvons pas répondre à ces questions en ce début d’année 1697.

Le seigneur de Languiller achète les droits seigneuriaux du Pin


Louise de la Bussière a épousé le 30 juillet 1696, Samuel de Lespinay, lui apportant la Vrignonnière en dot (22). Son petit-fils, Alexis Samuel de Lespinay, épousa en 1750 Marie Félicité Cicoteau, dame de Linières. Mais ceci est une autre histoire.

Le moulin de l’Ansonnière
Elle a vendu au seigneur voisin de l’Ansonnière (Essarts), les terrages du Pin. Et en 1705, Pierre Aymond, seigneur de l’Ansonnière, les revend à Charles Auguste Chitton, nouveau seigneur de Languiller, fils de Philippe Chitton (23). Ce dernier vécut jusqu’en 1712, mais à partir de 1700 il avait passé la main à son fils.

Plus précisément celui-ci acheta, pour 1 200 livres, les deux tiers du terrage du Pin avec les autres émoluments de fiefs qu’ils ne possédaient pas encore, plus la moitié du fief et terrage sur la Pertelière, et enfin une rente noble et foncière de 22 livres par an sur la Baritaudière. L’acte d’acquisition affirme que les biens achetés sont désormais « confus » en la seigneurie de Languiller, c’est-à-dire mouvants d’elle directement, et non plus mouvant de la seigneurie annexe du Coin Foucaud.

Charles Auguste Chitton avait fait assigner en 1701 six teneurs du Pin à l’assise de Languiller (tribunal du seigneur) pour communiquer leurs contrats d’acquisition de leurs domaines, faire leurs déclarations et payer les droits (24). Il les poursuivait pour le paiement des lods et ventes La situation dura plusieurs années et la procédure fut portée devant le présidial de Poitiers, cette fois-ci.

Palais logeant le présidial de Poitiers

Le 9 janvier 1708, le présidial condamna les « seigneurs et dames propriétaires et détenteurs du village et tènement du Pin » à communiquer tous les contrats d’acquêts faits depuis trente ans dans l’étendue des fiefs de Languiller, à lui fournir tous types de déclarations et aveux et à lui payer tous droits seigneuriaux. Ce jugement a été signifié le 22 mars 1708 à « Michel Barbot, l’un des dits seigneurs propriétaires dudit village et tènement du Pin, tant pour lui que pour tous les autres seigneurs et dames propriétaires dudit village et tènement du Pin, en parlant à sa personne et injonction requise de leur faire savoir, ce qu’il m’a promis » (25). Les personnes condamnées sont les teneurs, simples paysans qualifiés de seigneurs et dames dans les significations d’huissier, car dans l’ancien français le sens du mot seigneur était double. Il y avait bien sûr celui qui est resté dans les esprits, désignant le propriétaire d’une terre seigneuriale, avec des pouvoirs de justice. Il y avait aussi celui appliqué dans le texte ci-dessus, signifiant tout droit de propriété, vue comme une puissance en propriété.

Un détail est à relever dans les significations d’huissier en 1701 et 1708. Elles ont été faites par Monnereau, qui s’est « transporté de marche une demie lieue de ma demeure ». Dans son acte de 1708 il s’est présenté ainsi : « sergent royal soussigné demeurant à la Boutarlière paroisse de Chauché ». On sait qu’un Pierre Monnereau a été fermier de la seigneurie de la Boutarlière au moins dans les années 1730, et qu’il aura un fils, prénommé Pierre, qui sera désigné syndic (maire) de Saint-André-Goule-d’Oie.

En 1740, trois déclarations roturières faites au seigneur de Languiller, alors Charles Louis Chitton, fils de Charles Auguste, confirment qu'il possède tout : terrage, dîme, rentes, lods et ventes (26). Mais le seigneur de Languiller a opéré quelques aménagements que nous relevons dans une déclaration de 1751 (27).

Il perçoit presque l’intégralité des terrages et des dîmes, sans en donner une partie au temple de Mauléon et au prieur de Saint-André. À la place il donne des rentes à la cure de Chauché : 2 boisseaux de seigle, 3 boisseaux de froment et 12 deniers. Tant pis pour le prieur de Saint-André !

Chose intéressante à relever il donne aussi 2 boisseaux de seigle par an à la fabrique de la Chapelle de Chauché. Pour une paroisse qui n’existe pas officiellement, voilà bien une curiosité ! On comprendra en se reportant à notre article publié sur ce site en décembre 2011 : Retour sur la paroisse de la Chapelle de Chauché.

Un autre changement réside dans le montant de la redevance en argent. Elle passe de 57 sols par an à 49 sols et 9 deniers, peut-être en lien avec les changements précédents.

Les Essarts, la Boutarlière et la Guiffardière perçoivent aussi des redevances au Pin


Au terme de ce récit sur les droits seigneuriaux du Pin et de leurs possesseurs, on a d’eux une vision précise, mais légèrement incomplète. En effet, il existait des droits échappant à la relation vassalique principale, par exemple les rentes entièrement données à l’Église et non partagées, ou des rentes foncières non seigneuriales, ou des rentes seigneuriales isolées. L’Ancien Régime a été le règne des exceptions, ce qui explique en partie qu’on ait voulu en réaction une République une et indivisible. Ces dernières rentes isolées n’apparaissent pas dans les aveux et déclarations du principal vassal généralement. Fait nouveau, les notaires de St Fulgent de la fin du 18e siècle ont pris soin de tout déclarer.

C’est ainsi qu’on apprend que la baronnie des Essarts percevait une rente annuelle de 32 ras d’avoine. Et pour le droit d’abreuvage de l’étang du Pin, le seigneur de la Boutarlière percevait 8 ras d’avoine. Cette dernière redevance avait été donnée dans un partage successoral de 1342 par Maurice Drouelin à son frère puîné Jean Drouelin. À cette date ces 8 ras d’avoine étaient valorisés à 5 sols (28). En 1786, un seul de ces ras valait 18 sols.

La Guiffardière
Et puis il y existait une autre rente de 7 sols par an, déclarée en 1751 et due alors à la seigneurie de la Vrignonnière. Nous la rencontrons pour la première fois dans un aveu du 12 août 1606 d’Hélie de Saint-Hilaire, seigneur du Retail (Legé en Loire-Atlantique), à Languiller. Le texte concerne la petite seigneurie de la Guiffardière (Essarts près du Clouin) et divers droits seigneuriaux (terrages, taille seigneuriale, rentes, etc.) en 11 endroits différents de Saint-André-Goule-d’Oie. La Guiffardière était un bien de son épouse Anne de Puytesson, et Hélie de Saint-Hilaire fit son aveu au nom de son fils et héritier. Parmi les lieux de Saint-André on trouve que les teneurs du Pin devaient au seigneur de la Guiffardière « 4 ras d’avoine mesure dudit lieu des Essarts et 7 sols de rente payables en chacune fête de Saint-Jean-Baptiste » (29). On suppose que les 7 sols de rente avaient été acquis plus tard par le seigneur de la Vrignonnière. On ne sait pas ce que sont devenus les 4 ras d’avoine.

On ne connaît pas l’origine de la rente de 7 sols, mais elle doit remonter loin dans le temps, au Moyen Âge probablement. C’est en effet le seul texte où l’on voit subsister en 1606 un droit de corvée seigneuriale au Plessis-le-Tiers. Or dès 1550, dans les tènements de Saint-André, ces corvées ont disparu et ont été transformées en rente, majorant celles déjà existantes.

Cet aveu de la Guiffardière révèle à quel point les droits seigneuriaux prélevés dans la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie ont été dispersés après le Moyen Âge.    


(1) Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 15, requête du 7-2-1697 de Marie Gazeau au tribunal de Fontenay, concernant le droit de fief du Pin, page 3.
(2) Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135, hommage des Essarts du 25 avril 1597 à Thouars.
(3) 150 J/G 10, déclaration noble du 9-11-1607 de Charles Masson à Languiller pour les droits seigneuriaux du Pin.
(4) 150 J/G 10, déclaration noble du 1-9-1645 de Jacques Audouard à Languiller pour les droits seigneuriaux du Pin (papier).
(5) 150 J/G 14, partage de la succession Audouard/Masson en 1680 concernant le Pin et la Baritaudière.
(6) 150 J/G 15, sentence du 26-6-1681 du tribunal de Fontenay condamnant les propriétaires du Pin.
(7) 150 J/G 15, reconnaissance de défaut du 25-5-1683 contre les propriétaires du Pin, par le tribunal de Fontenay.
(8) 150 J/G 14, mémoire du 4-12-1694 de Masson concernant les saisies de Chitton avec copie de contrats.
(9) 150 J/G 11, vente du 18-10-1683 de rentes prélevées au Pin de René Audouard à Pierre Moreau.
(10) 150 J/G 11, retrait féodal du 26-6-1690 d’une rente due par les teneurs du Pin.
(11) 150 J/G 10, déclaration noble du 28-12-1683 de René Audouard à Languiller pour les droits seigneuriaux du Pin.
(12) 150 J/G 15, signification du 1-3-1684 du jugement du 26-6-1681 contre les propriétaires du Pin.
(13) 150 J/G 11, déclaration noble du 5-3-1684 de René Audouard à Languiller pour les terrages et dîmes du Pin.
(14) 150 J/G 14, cession du 11-8-1694 des droits de lods et vente pour la Bujanderie de Julie des Villates à Chitton.
(15) 150 J/G 14, jugement du tribunal de Fontenay le comte du 29-7-1694 condamnant Jean Masson à la demande Chitton.
(16) Contrat de mariage du 11-11-1602 de Pierre de la Bussière avec Lucrèce Bertrand, Archives de Vendée, Fonds Mignen : 36 J 357.
(17) 150 J/G 14, requête du 15-12-1694 au tribunal de David de la Bussière contre Chitton pour les droits du Pin et Baritaudière.
(18) 150 J/G 15, assignation du 9-1-1696 à comparaître au tribunal, de Chitton à Marie Gazeau et à Louise de la Bussière.
(19) Yvan Castan, Politique et vie privée, dans « Histoire de la vie privée de la Renaissance aux Lumières », Seuil, 1986, page 62.
(20) Guy Cabourdin et Georges Viard, Lexique historique de la France d’Ancien Régime, 3e édition, Armand Colin, 1998, Archives de Vendée : BIB 1200 (J 8), pages 40 et 41.
(21) Maurice Daumas, L’amitié et l’amour à l’époque moderne, dans « Histoire des Émotions », Seuil, 2016, T 1, page 340 et s.
(22) Idem (16).
(23) 150 J/A 12-7, acquêt du 28-5-1705 de terrages et rente sur la Pertelière, Pin et Baritaudière par Languiller.
(24) 150 J/G 11, assignation du 6-7-1701 à comparaître à l’assise de Languiller faite à 6 teneurs du Pin.
(25) 150 J/G 15, signification le 22-3-1708 du jugement du 9-1-1708 condamnant les propriétaires du Pin.
(26) 150 J/G 56, déclaration roturière du 2-9-1740 de François Mandin pour domaines au Pin.
(27) 150 J/G 56, déclaration roturière du 27-5-1751 d’André Metereau pour domaines au Pin.
(28) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 29-2, la Boutarlière.
(29) 150 J/A 12-3, aveu du 12-8-1606 d’Hélie de Saint Hilaire à Languiller pour la Guiffardière et 11 lieux différents à Saint-André-Goule-d’Oie.

Emmanuel François, tous droits réservés 
Novembre 2016, complété en août 2020