jeudi 1 décembre 2016

Les nouveaux impôts à Saint-André-Goule-d’Oie en 1796

Au sortir des combats de la guerre de Vendée, terminés en mars 1796 dans la région de Saint-André-Goule-d’Oie avec la capture de Charette, le régime du Directoire a installé une administration civile locale centrée sur le canton. Les communes ont perdu leur autonomie, avec à leur tête un agent au lieu du maire, participant pour sa commune aux réunions de l’administration municipale cantonale. Celle-ci avait son président élu, mais le pouvoir réel était entre les mains d’un « commissaire du directoire exécutif près l’administration cantonale », nommé par le département.

Dans le domaine de la fiscalité, la Révolution avait opéré de profonds changements, lui donnant d’abord une nouvelle légitimité. Désormais elle reposait sur le consentement de la nation à travers le fonctionnement d’institutions démocratiques, du moins sur le papier. De plus, en supprimant les prélèvements ecclésiastiques et seigneuriaux, l’État était devenu le seul bénéficiaire des impôts. Néanmoins la suppression de la dîme ecclésiastique a été mal vue dans certaines communes, car elle privait l’Église de ressources, en plus de la nationalisation de ses biens (1). Ces ressources étaient essentielles pour l’aide aux pauvres, précieuse dans les campagnes. Pour Saint-André-Goule-d’Oie, nous n’avons pas trouvé de documentation sur ce point particulier avant la Révolution.

Avec les nouveaux principes, les mots changèrent : le Roi recevait des aides de ses sujets, l’État recevra des contributions des citoyens. Le mot impôt s’est imposé ensuite. Mais allons plus loin dans le changement instauré, avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : la contribution « … doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » (article 13). L’article 14 est ambitieux : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »

On passera sur les difficultés de mises en œuvre d’une réforme aussi révolutionnaire et de ses tâtonnements. Si trois nouvelles contributions sont décidées en 1790 et 1791, l'administration fiscale est réorganisée en 1795 par le Directoire, autour d'agents fiscaux nommés par le gouvernement, avec un receveur général des contributions directes pour diriger l'administration fiscale dans chaque département. La dette abyssale de l’État fut réduite des deux tiers en 1795 par simple décision gouvernementale (tant pis pour les créanciers, c’est-à-dire surtout les épargnants), et en 1797 on créa une nouvelle contribution (sur les portes et fenêtres) et on décida le retour des impôts indirects (péage, enregistrement, timbre, etc.)

La nouvelle administration cantonale de Saint-Fulgent avait tout à mettre en place quand elle fut installée en juillet 1796. Même les archives des communes avaient été brûlées, et on manquait de papier et d’encre. Elle fut en première ligne pour remettre en place les quatre contributions directes nouvelles dans un pays ruiné. L’abondant courrier reçu à l’administration du département à Fontenay, des deux commissaires cantonaux de Saint-Fulgent (Merlet, puis Martineau), de juillet 1796 à juillet 1799, nous apporte de nombreuses informations sur les difficultés rencontrées.
Voyons ce qu’il nous dit pour chacune des contributions

La contribution foncière


La contribution foncière, née de la loi du 23 novembre 1790, était un impôt pesant sur les revenus des propriétés foncières. En Vendée il n’y avait pas de cadastre à l’époque, et les initiatives parisiennes pour sa création mirent beaucoup de temps pour arriver jusqu’à Saint-André-Goule-d’Oie. Alors pour déterminer les revenus fonciers, on réalisa des sections et matrices des valeurs des propriétés et de leurs revenus, suivant leur nature. Les agents des communes (maires) devaient désigner des répartiteurs pour effectuer le travail. Le montant de contribution imposé au niveau de la commune était ensuite réparti entre les propriétaires sur la base de leurs revenus. C’était à cette époque un impôt de répartition comme l’ancienne taille royale. Et cette participation des citoyens à l’établissement de l’assiette fiscale reprenait la pratique de jadis au sein des paroisses. Elle ne signait pas une avancée démocratique, mais plutôt révélait l’insuffisance de l’administration comme sous l’Ancien régime.

La taxe foncière, qui avait remplacé les anciennes redevances seigneuriales, continuait d’être payée par les fermiers et métayers généralement, mais le fisc en réintégrait la valeur dans les revenus des propriétaires. Il reprenait, se faisant, l’argumentaire de ces derniers au moment de la Révolution. Quand certains métayers demandèrent à bénéficier de la suppression des droits féodaux, et à ne pas payer l’impôt foncier qui les avait remplacés, les propriétaires rétorquèrent que cette suppression revenait à eux et non pas aux fermiers. Sinon il leur faudrait augmenter le fermage.

Indiquons tout de suite que cet impôt foncier représentait de l’ordre de 6 % en moyenne du montant des fermages perçus par le propriétaire du domaine de Linières en 1830. Il est nettement moindre que le seul droit de terrage féodal d’autrefois, à 16% (la « sixte partie des fruits »), calculé après le prélèvement sur certaines terres seulement de la dîme ecclésiastique dans la région de Saint-André-Goule-d’Oie. Ce constat est particulier à la contrée, et les historiens modernes ont constaté que le droit de terrage, ou champart, était souvent bien plus faible ailleurs. Quant aux autres droits féodaux (cens, rentes, dîmes, etc.), sauf les lods et ventes en cas de mutations des biens, leurs montants étaient symboliques ou faibles. En revanche leur existence était passée de mode, sans que dans la contrée cela suscita, semble-t-il, un refus devenu violent comme on a pu le constater dans d’autres endroits du royaume. C’est que l’analyse de ce refus ne saurait se contenter des seules redevances. On imagine néanmoins que leur suppression fut bien accueillie.  

Ainsi, la situation fiscale des métayers et des propriétaires apparaît s’être améliorée dans la région en comparant l’après de la Révolution à l’avant. Quoique ce constat doive être repris en incluant les autres contributions créées par la Révolution, sans oublier la dîme ecclésiastique et les impôts royaux dans la comparaison, et surtout en mesurant l’impact du tout pour chaque catégorie de citoyens, et sans oublier le sort de l’épargne dans une inflation des prix exorbitante.

La contribution foncière est née en 1796 dans la douleur à Saint-André-Goule-d’Oie, éclipsant les autres dans la documentation étudiée. Cela tient essentiellement à la situation particulière de la contrée.

Dans une lettre du 30 juin 1796, Louis Merlet, qui sera installé officiellement dans quelques jours commissaire du canton de Saint-Fulgent, en décrit sa situation économique. Étant lui-même propriétaire de plusieurs métairies et exerçant le métier de marchand, il la connaît bien, mais on le soupçonne de la noircir un peu, sensible à son intérêt. Voici ce qu’il écrit au commissaire du département à Fontenay : « Les récoltes ne sont pas aussi belles que l’on aurait cru il y a trois mois. Les herbes, la pluie et le vent les ont beaucoup endommagées. Il y a bien des terres préparées pour l’automne, mais il y en a beaucoup moins qu’avant l’insurrection. Il y a au moins un tiers moins d’hommes à présent qu’avant les troubles.
Je vous observerai pour les bestiaux qu’il y en avait beaucoup (des fermes) qui avaient coutume d’avoir dix, douze bœufs, et se trouvent (maintenant) avec deux ou trois, même quelques-unes où il n’en est resté qu’un. Je peux parler pour moi-même. Un de mes métayers avait coutume d’avoir douze bœufs, il ne lui en est resté qu’un, et il a été obligé d’en emprunter un pour pouvoir faire travailler celui qui lui était resté. Il y a dans le canton un tiers en moins de bestiaux de toutes espèces.
Je vous observerai aussi que le commissaire des guerres de Montaigu nous donne des réquisitions pour fournir des 500 à 600 livres de viandes dans un pays aussi dévasté qu’il l’est de bestiaux. Si cela continue, il y aura bientôt la fin de l’agriculture.
L’ingénieur nous a donné des ordres pour faire réparer le pont de Girouard près de Saint-Fulgent. Mais il nous est impossible de trouver des ouvriers, à moins d’être autorisé à les payer en grains » (2).

Rappelons pour comprendre cette description apocalyptique que les colonnes de soldats chargées de l’extermination des biens et des personnes, ont dévasté le pays au premier semestre 1794, et que les combats ont cessé en partie à la fin de 1794 et définitivement au début de l’année 1796 dans la contrée.

Le 2 août 1796, Merlet poursuit la description du canton en réponse à un questionnaire reçu de Fontenay. Les artisans ont besoin de fer et d’acier pour fabriquer des outils. Les tisserands sont sans activité et il n’y a point de manufacture d’étoffes. L’état de la population est impossible à fournir faute de papier, de secrétaire, de local et de fonds. Il n’y a pas de garde champêtre dans les communes, faute de pouvoir les payer. Et il n’est pas possible de payer l’impôt (3).

Étienne Martineau, président élu de l’administration cantonale de Saint-Fulgent, recommande en décembre 1796 son secrétaire à Coyaud, commissaire du département. Il doit se rendre à Fontenay pour négocier l’approvisionnement de viandes, pains, bois et lumières.

Le 10 du même mois de décembre on ne sera pas étonné de lire sous la plume un peu gauche de Merlet le passage suivant, pourtant un révolutionnaire engagé contre les royalistes dès avant la guerre de Vendée : « citoyens, on parle de faire payer l’impôt, comment veut-on que l’on fasse pour payer ? Si on reportait tout ce qui a été pillé, volé, et que l’incendie, le pire de tout, n’eut pas eu lieu, on serait à même de payer. Ceux qui autrefois vendaient du grain, en cherchent à acheter dans ce moment pour leur nourriture, attendu que la gelée et la grêle ont totalement perdu mon canton et bien d’autres. Ceux qui peuvent avoir quelque argent cherchent les moyens de se faire arranger quelque masure pour se mettre à l’abri de l’hiver, vous le savez comme moi, je ne vous l’en impose pas. Il est de toute impossibilité que l’on paye un impôt pour cette année. Je croirais même que l’on devrait laisser le pays pendant quelque temps sans payer d’impôt, afin de donner l’aisance de faire rétablir ses chaumières » (4). Rappelons à cet égard, qu’il fallut attendre Napoléon pour que l’État débloque des crédits d’aide à la reconstruction en Vendée. Il faut aussi se rappeler qu’en cette année 1796, ce même État était lui-même au bord de la faillite. Quant à l’impôt dont parle Merlet dans ce texte, on pense qu’il s’agit de la taxe foncière, dépendant de la valeur des biens.

Il a beau presser ses administrateurs ou agents en mars 1797 à faire faire leurs « sections » (évaluation des biens par nature), il ne peut en venir à bout, avoue-t-il, et il demande que l’administration du département les menace, « ils vous craindront plus que moi » (5). Ces administrateurs des communes continuent de refuser ce travail au mois de juillet suivant, et s’attachent plutôt à présenter des pétitions pour obtenir des dégrèvements.

D’ailleurs le commissaire central du département de la Vendée, Coyaud, en est bien conscient. En témoigne la situation du canton de Saint-Fulgent, où il écrit à propos des impôts le 5 mai 1797 : « Ce canton jouit d’un calme qui parait parfait. Les lois commencent à y recevoir leur exécution, mais il a tellement souffert par l’effet des troubles qu’il sera difficile d’y percevoir même de faibles contributions pour l’an 5. » (6).

Le secrétaire de l’administration cantonale, en même temps juge de paix, Simon Gérard, écrit le 9 juin 1797 : « ….. Je ne sais qui souffle à ses membres (municipalité) que le pays ne doit pas payer d’impôts. Toujours est-il vrai que d’en parler aux agents (maires) c’est les martyriser, et qu’ils paraissent très éloignés de vouloir s’en occuper » (7). Le 8 juillet suivant les administrateurs refusent tout simplement le paiement de l’impôt foncier.

Conseil des Anciens
Ceux de cinq communes du canton (dont Saint-André-Goule-d’Oie) et leurs adjoints signent le 12 juillet 1797 une lettre rédigée par leur secrétaire, Gérard, envoyée au Conseil des Anciens à Paris. Ils affirment leur volonté de faire rentrer les impôts, mais constatent l’impossibilité de le faire dans le canton de Saint-Fulgent. Tout a été pillé et incendié, et les habitants sont accablés sous le poids du désastre de la guerre civile. Les propriétaires doivent avant tout reconstruire les bâtiments, et remplacer les bestiaux manquants nécessaires au trait pour les labours. Les habitants ne peuvent payer la contribution foncière, et les signataires « sollicitent de l’assemblée un acte de bienfaisance et de justice pour le canton ». Les signataires forcent seulement le trait, tout au moins par rapport à une situation moyenne que l’on pense connaître : « Représentez-vous une population jadis nombreuse et bien constituée, réduite à moins d’une moitié, et ce qui en reste exténuée des suites dévastatrices de la plus cruelle des guerres, et qui n’a plus d’autre asile, d’autre retraite que dans de tristes et insalubres huttes avec des branches d’arbres et de la bourrée. Représentez-vous ce peuple entièrement dépouillé … de tous ses effets les plus strictement indispensables, de ses lits, de son linge, de ses vêtements, de ses instruments aratoires, de son bétail … » (8). On n’a pas lu la réponse s’il y en eut, mais le 15 décembre 1797 on apprend qu’un dégrèvement de la taxe foncière pour l’an 5 (septembre 1796 - août 1797) a été accordé dans le canton. Macquigneau, percepteur de Saint-Fulgent, a versé en août 1798 dans la caisse du préposé de l’arrondissement de Montaigu la somme de 992 livres 14 sols 3 deniers sur la contribution foncière de l’an 5, ce qui fait bien peu (9).

Derrière ces phrases, signées des rescapés des luttes armées des deux camps, qu’elle est la réalité de la « dépopulation » ? En prenant les recensements des 6 communes d’alors du canton de Saint-Fulgent, le total de leurs nombres d’habitants passe de 7503 en 1791 à 6067 en 1800, soit une diminution de 19 %. C’est un peu moins que la part des 170 000 morts et disparus environ, côté insurgés, dans l’espace de la Vendée militaire (10). La commune la plus durement touchée relativement à sa population dans le canton de Saint-Fulgent est Chavagnes avec une diminution de 43 %, mais Saint-Fulgent a vu sa population augmenter de 13 % d’un recensement à l’autre. On a eu des déplacements de population, mal appréciés, peut-être aussi des épidémies, quoiqu’aucune documentation n’en fait état à notre connaissance. Ces chiffres comprennent les morts du camp républicain, en nombre très faible dans le canton, victimes eux-aussi. On a écrit que les recensements de 1790 et 1800 ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Une chose est sûre, la population de Saint-André était en croissance constante de 1770 à 1791 malgré les épidémies. Les seules années où le nombre des enterrements a dépassé le nombre des baptêmes ont été : 1779, 1784, 1785 et 1789 (11).

Les recherches dans les rares témoignages et états-civils conservés, comptabilisent une cinquantaine de morts d’habitants à Saint-Fulgent et autant à Saint-André, liés aux combats et aux exterminations. Les insurgés ont pillé et brûlé ce qu’ils pouvaient des papiers de l’administration républicaine. Les soldats républicains ont exécuté les ordres d’extermination par les armes et par le feu des habitants et des maisons du pays insurgé. À Chavagnes-en-Paillers, Amblard de Guerry et l’association "Présence du passé de Chavagnes-en-Paillers" ont pu retrouver les noms de 244 victimes, auxquelles s’ajoutent 200 victimes probables non identifiées (12). Cette inconnue sur le nombre de victimes fait penser aux travaux sur les morts de la commune de Paris en 1871, dont le nombre, là aussi, ne peut qu’être approché. Merlet force sans doute le trait dans sa description, mais le trait existe, épais déjà avec près de 25 % de « dépopulation » dans la Vendée militaire, plus de 10 fois plus élevé que le pourcentage appliqué à Paris en 1871.

Il n’empêche que l’assiette de cette taxe foncière doit être créée, ou recréée si on pense au travail qui a dû être fait en 1791/1792 et parti en fumée ensuite. Merlet dû nommer des répartiteurs pour effectuer le travail d’évaluation des biens. En décembre il constate que ceux de Chauché et de Saint-André refusent de s’exécuter. Les autres répartiteurs se plaignent d’instructions pas claires pour estimer les bois futaies, mais leur travail avance à Chavagnes et à la Rabatelière. Bazoges a terminé et Saint-Fulgent est sur le point de le faire. On apprendra plus tard que la matrice de la Rabatelière comporte des « erreurs et iniquités », mais qu’il est trop tard pour différer son recouvrement.

Alors le commissaire cantonal prend un arrêté le 6 janvier 1798, nommant des commissaires au frais des communes délinquantes de Chauché et Saint-André (13). Sur les agents municipaux de Saint-André, voir notre article publié en juillet 2010 : Les agents communaux Fluzeau (1796-1797) et Bordron (1797-1799).

En avril 1798 Martineau remplace Merlet comme commissaire cantonal, et constate que rien n’a changé dans ces deux communes. Il annonce qu’il va faire faire la création des sections par des répartiteurs étrangers à ces deux communes, et à leur charge (à raison de trois livres par jour de travail).

Procéder à l’établissement des sections et matrices de la contribution est une chose, accepter de la payer en est une autre. On s’y oppose généralement.  Et en signe de protestation tout le monde avait refusé au 3 juin 1798 dans le canton le poste de commissaire répartiteur pour l’année suivante, sauf le juge de paix Gérard. Deux autres commissaires étrangers au canton avaient aussi refusé. Alors on nomma Merlet pour aider Gérard le 30 juin. Et le même jour on nomma aussi les membres du jury d’équité chargé d’examiner les sections déjà réalisées.

Mais le front du refus se fissura. Martineau annonce le 12 août 1798 que le rôle de la contribution foncière est en recouvrement à Saint-Fulgent (pour l’an 6 en cours). Dans son style bien à lui, il écrit à son chef : « j’ai vu avec la satisfaction la plus vivement sentie, le peuple de cette commune accourir chez le percepteur, et je suis dans l’intime persuasion qu’il ne faut pas lâcher une seule contrainte. Ah ! Puisse le peuple sentant la nécessité d’aimer la République, faire bannir du sein des autorités la rigueur que l’homme sensible n’emploie jamais qu’avec rigueur » (14). Jean Jacques Rousseau, percepteur, aurait-il osé la phrase ?

Malheureusement à Saint-André-Goule-d’Oie, les répartiteurs nommés à l’établissement des sections, Gérard et Merlet, « seront forcés d’épier » (14). Et les sections de cette commune sont enfin prêtes pour début octobre 1798.

Néanmoins Martineau s’était fait l’écho le 28 août précédent, des nouvelles réticences sur le paiement de la contribution : « je crains que le peuple ne soit pas à même de payer l’an 6, les métayers n’ont pas le sol. La contribution de l’an 5 a absorbé presque tous leurs moyens … il est prudent d’être exigeant avec circonspection » (15). Il reçut d’ailleurs en octobre une lettre de protestation en ce sens de l’agent de Chavagnes, Rechin.

Mais il reçut aussi un blâme de l’administration le 17 décembre 1798 pour l’état de la commune de Chavagnes, où manqueraient plusieurs métairies, exonérées ainsi de contribution.

Il critique les initiatives des percepteurs pour faire payer les impôts par l’envoie d’huissiers, « porteurs de contraintes aux frais vexatoires et abusifs ». Il leur a demandé d’agir avec ménagement. Non pas qu’il ait des états d’âme : « j’ai l’expérience que les garnisaires (soldats logés chez l’habitant récalcitrant) suffisent pour obtenir des acomptes proportionnés à leurs facultés. C’est surtout dans un pays qui sort des fureurs d’une guerre dépopulatrice et ruineuse qu’il faut être avare de ces moyens coercitifs », écrit-il le 22 mars 1799 (16).

Le 13 juin suivant, juste avant de démissionner de son poste, il réitère ses critiques contre l’emploi des huissiers pour faire rentrer les impôts, qui risque de provoquer la révolte. Après avoir évoqué les troubles à l’ordre public dus au brigandage et à des bandes royalistes, il écrit : « Je dois le dire parce que je veux le bien de mon pays, si l’on exige toutes les contributions de l’an 6, de l’an 7, et bientôt de celles de l’an 8, la malveillance parviendra peut-être à ranimer les feux de la révolte. Le moment ne permet guère au peuple de reprendre les armes, mais la saison qui suit immédiatement les récoltes et l’ensemencement amènera peut-être des catastrophes si l’on ne relâche pas de ses prétentions » (17).

On l’aura compris, même d’un montant nettement plus faible que l’ancien droit de terrage, la taxe foncière a été très difficile à faire payer dans ce pays en ruine. En ne l’allégeant pas à partir de 1815, même le roi Louis XVIII a déçu dans la contrée.

La contribution personnelle et mobilière


La contribution personnelle et mobilière, créée par la loi du 13 janvier 1791, était divisée à cette époque en plusieurs taxes pesant sur les signes extérieurs de richesse : l’habitation principalement et les revenus. Dans les grandes villes s’ajoutaient d’autres éléments dits somptuaires : les domestiques, les chevaux. Les rôles étaient normalement arrêtés et signés par les membres de la municipalité. Ensuite ils étaient remis au percepteur de la commune chargé de son recouvrement. Notre documentation n’en fait qu’une très brève allusion.

La patente


La contribution des patentes, créée le 2 mars 1791, dans le principe en contrepartie de la suppression des corporations, imposait aux commerçants et aux artisans de se faire délivrer une patente pour pouvoir exercer leur métier. À cette occasion on prélevait une nouvelle taxe. Dans les campagnes de la contrée on rencontrait quelques métiers particuliers (chirurgien, arpenteur) gérés dans des jurandes appelées ensuite corporations. Le roi prélevait des taxes sur elles. Mais les commerçants et artisans des villages et des bourgs des campagnes exerçaient leurs métiers librement, sans faire partie de jurandes et à l’abri des taxes du roi.

A leurs yeux, la Révolution avait eu grand tort d’imiter sur ce point la législation d’Ancien Régime. Et ils étaient très nombreux, souvent exerçant leur métier en plus de l’exploitation agricole de quelques lopins de terre. Si la révolution industrielle a inventé les ouvriers paysans, leurs prédécesseurs d’avant les usines avaient été des artisans-paysans. Le montant de leur patente était fixé en fonction de la valeur locative des locaux utilisés, que l’activité soit bénéficiaire ou déficitaire. Et quel que soit son niveau, la contribution portait les stigmates de la nouveauté.  

Dans le courrier des commissaires cantonaux on voit bien que sa réinstauration connut des difficultés. Ainsi Merlet écrit à Fontenay le 27 mars 1797 : « le droit de patente s’établit insensiblement dans le canton ». Il pense que bientôt il sera généralisé (18). Le 8 juillet suivant il affirme y être arrivé avec l’aide de la garde nationale ! Il ajoute : « Je crois qu’il ne serait pas bon de leur parler de cela d’ici quelque temps ».

Son successeur Martineau est du style des militants politiques qui aiment s’abuser de rhétorique. Il écrit le 28 août 1798 : « les patentes sont toutes prises et le zèle des administrés de ce canton à s’acquitter de cette dette envers la patrie est édifiant » (19).

Le 17 février 1799 il doit se justifier que les valeurs de la patente n’augmentent pas assez. Il adresse l’état général des patentes du canton et ajoute : « Il m’a été impossible d’obtenir des agents une évaluation plus forte des loyers. Tous ont déclaré consciencieusement qu’ils ne voyaient que les auberges de Recotillon et de la veuve Sapin (dans le bourg de Saint-Fulgent) qui put supporter l’augmentation » (20). Sophie Savaton, veuve de l’aubergiste Lusson, un des meneurs de la révolte vendéenne à Saint-Fulgent en mars 1793, vécu à partir de 1795 avec François Recotillon. Tous deux, d’obédience royaliste, tenaient l’auberge du Lion d’Or (21). En 1799 l’hôtel du Chêne-Vert tenue par la veuve Sapin périclitait et celle-ci dû vendre en 1803 le mobilier de l’hôtel (22).

La contribution des portes et fenêtres


La contributionn des Portes et Fenêtres a été instaurée par la loi du 24 novembre 1798, comme si dans le canton de Saint-Fulgent cela ne suffisait pas. Mais les difficultés financières du Directoire sont connues, et on ne saurait s’en étonner. Alors nécessité fait loi. Cette taxe était fondée sur le nombre et la taille des fenêtres et autres ouvertures des immeubles. 

Encore un nouvel impôt ! Dans le domaine fiscal, les révoltes suscitées par les initiatives des gouvernements, ne sont-elles pas plus sensibles à la nouveauté qu’à l’injustice à laquelle on s’habitue ? Alors on devine comment ce nouvel impôt fut accueilli dans le canton de Saint-Fulgent ! Gardons à l’esprit que certaines habitations relevaient encore de la cabane, d’autres du rafistolage de bâtiments détruits par les « bleus ».

La première commune à fournir un état des portes et fenêtres fut la Rabatelière le 28 février 1799. On aimerait savoir comment les agents chargés de dresser les états ont travaillé pour compter les fenêtres surtout. Ont-ils compté les ouvertures fermées par des planches ? On détecte une difficulté de ce genre dans une lettre de Martineau en juin 1799, quand il envoya un autre état des portes et fenêtres « qui m’a valu tant de reproches de votre part, et de la part du ministre des finances une lettre de mécontentement. Il faut avouer qu’on sent bien peu la position difficile d’un agent particulier des contributions dans un pays où il y a tant à faire… » (23). On connaît son âme sensible …

Le droit d’enregistrement


Louis XIV avait inventé au début du 18e siècle le centième denier, payé par tous, ainsi appelé car l’impôt était fixé à 1% de leur valeur dans certains cas de mutation des biens. La Révolution élargit le nombre de cas du paiement de la taxe. En 1830 et 1857 la taxe était toujours de 1% de la valeur des biens en cas de succession directe. C’est au 20e siècle que les taux pour les droits de succession ont atteint des niveaux mettant en cause la conception même de la propriété héritée de la Révolution, exclusive et sacrée. Mais non sans une certaine gêne à voir la législation alambiquée les concernant.
Les lods et ventes pour les biens censifs, les droits de franc-fief et le rachat pour les biens nobles, demeuraient supprimés. Leurs montants n’étaient pas négligeables.

Au terme de la documentation étudiée concernant le canton de Saint-Fulgent, il nous faut constater les lacunes documentaires. La charge fiscale est d’abord affaire de mesure, même si les visions qu’elle suscite relèvent parfois de fantasmes divers dans la société politique française. Nous avons pu le faire pour la contribution foncière, mais ce n’est pas suffisant. Et puis il serait intéressant de connaître les réactions des habitants avant la guerre de Vendée, en 1791 et 1792. Nous n’avons pas trouvé de documentation se rapportant à Saint-André-Goule-d’Oie et ses alentours pour ces deux années.

Abbé Louis Delhommeau (1937)
(d’après une photo conservée aux 
Archives historiques du diocèse de Luçon)
Pour terminer, il nous faut indiquer que la rédaction de cet article s’est appuyée en presque totalité sur les recherches de l’abbé Paul Boisson (1912-1979), comme en témoignent les sources indiquées ci-après. Professeur d’Histoire au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, et aumônier à l’hospice de Saint-Fulgent, ses travaux historiques sur le canton de Saint-Fulgent sont précieux. Il avait lu ce qui s’était écrit sur la guerre de Vendée, mais il ne s’en est pas contenté. Il est allé à la source des documents originaux pour les confronter entre eux. En vrai historien, il a mis son sens critique au service de la recherche des faits. En plus de la foi catholique, il eut la religion de la vérification des faits. C’est sur eux que notre récit s’appuie, et nous y avons ajouté nos explications les concernant. Il a légué ses papiers au diocèse de Luçon, classés ensuite par l’abbé Delhommeau, archiviste du diocèse. Les originaux des lettres de Merlet et Martineau au commissaire du département à Fontenay-le-Comte, sont conservées aux Archives départementales de la Vendée sous la cote L 237. Article à suivre : « Les persécutions antireligieuses dans le canton de St Fulgent (1796-1799) ».


(1) R. Secher, La Vendée – Vengé, Perrin, 2006, page 237.
(2) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 30 messidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(3) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 15 thermidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(4) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 20 frimaire an 5 de Merlet au commissaire du département.
(5) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 13 prairial an 5 signée de Merlet au commissaire du département.
(6) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 109-4, tableau de l’organisation des administrations municipales du département de la Vendée, avec les observations propres à faire connaître la véritable situation de chaque canton au 1e prairial an 5. Voir aussi aux Archives de la Vendée : L 182.
(7) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 21 prairial an 5 de Gérard au commissaire du département.
(8) Médiathèque de Nantes, collection Dugast-Matifeux : 1e série vol 25, lettre du 24 messidor an 5 des administrateurs du canton de Saint-Fulgent au Conseil des Anciens.
(9) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 11 fructidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(10) Jacques Hussenet, « Détruisez la Vendée ! », Éditions du CVRH, 2007.
(11) Patrick Molé, François Cougnon un capitaine de paroisse dans la guerre de Vendée, 1990, mémoire de maîtrise d’Histoire, Paris Sorbonne IV, Archives du diocèse de Vendée, bibliothèque.
(12) A. de Guerry, Les chavagnais tués pendant la Révolution dans « Vendée 1793 La mémoire retrouvée autour de l’œuvre d’Amblard de Guerry », Recherches vendéennes no 25 (2020), pages 67 et s.
(13) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 17 nivôse an 6 de Merlet au commissaire du département.
(14) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 25 thermidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(15) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 11 fructidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(16) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 2 germinal an 7 de Martineau au commissaire du département.
(17) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 25 prairial an 7 de Martineau au commissaire du département.
(18) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 13 prairial an 5 de Merlet au commissaire du département.
(19) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 11 fructidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(20) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 29 pluviôse an 7 de Martineau au commissaire du département.
(21) Archives de Vendée, notaires de Chavagnes, Bouron : 3 E 31/18, convention de société du 20 ventôse an 6 entre Sophie Savaton et François Recotillon.
(22) Archives de Vendée, notaires de Montaigu étude F, J.-M. Brethé, achats du mobilier et meubles par les frères Guyet à la veuve Sapin le 3 frimaire an 12 (25-11-1803), vue 81.
(23) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 25 prairial an 7 de Martineau au commissaire du département.

Emmanuel François, tous droits réservés 
Décembre 2016, complété en juillet 2021




mardi 1 novembre 2016

Du rififi chez les seigneurs du Pin

Au village du Pin à Saint-André-Goule-d’Oie, les conflits ne manquèrent pas à la fin du 17e siècle entre les possesseurs des droits seigneuriaux, et entre eux et leur suzerain, le seigneur de Languiller.

En remontant le plus loin dans le temps que nous le permettent les archives, le seigneur du Pin était en 1550 le seigneur du Coin Foucaud. Ce dernier avait beaucoup de territoires de Saint-André dans sa mouvance, où il prélevait des redevances féodales sur les propriétaires. En ce milieu du 16e siècle la seigneurie du Coin Foucaud était une annexe de la seigneurie de Languiller, elle-même possédée alors par les seigneurs de Belleville.

Le seigneur de Languiller vend ses droits seigneuriaux au Pin à un bourgeois



Belleville 
En 1557, Jules de Belleville à vendu à René Bertrand, seigneur de la Vrignonnière (Essarts) toute proche du Pin, ses droits seigneuriaux sur ce dernier tènement. Pour cette transaction, il avait donné une procuration spéciale à son ami seigneur de Saint-Fulgent, Gilles Chasteigner, qui l’a représenté dans la passation de l’acte devant les notaires de Saint-Fulgent, Arnaudeau et Monneau. On a déjà vu en bien d’autres endroits de Saint-André et ailleurs que Jules de Belleville a fait la même chose. Il devait avoir besoin d’argent. Et comme d’habitude, il vend ses droits sur un tènement particulier en retenant le droit de fief de la seigneurie du Coin, pour lequel il continue de rendre hommage au baron des Essarts. Cette retenue est concrétisée sur le tènement du Pin par le service de 2 sols de devoir noble, à lui payer chaque année par l’acquéreur des droits et ses descendants (1).

Ce contrat comportait une faculté de retour du bien vendu, à la condition de rembourser l’acquéreur de la somme qu’il avait payée, augmentée d’éventuels autres frais liés à son acquisition. Cette faculté pouvait être mise en œuvre pendant un délai de 6 ans, appelé le temps de la grâce. On pense que le vendeur, espérant revenir à meilleure fortune dans ce délai, pourrait ainsi annuler la vente. À une époque où l’activité bancaire était bien ignorée dans les campagnes du Bas-Poitou, cela permettait de gérer une mauvaise passe financière espérée comme provisoire. Dans un contrat du 19 février 1562, Jules de Belleville, représenté par Pierre Drespeau, s’entend avec René Bertrand pour prolonger le délai de la grâce, qui allait bientôt expirer.

Mais ses affaires ne s’arrangeant pas, Jules de Belleville vendit sa faculté de retrait le 3 janvier 1564 à Louis Masson, par devant les notaires des Essarts, Rabreuil et Coutand. On aimerait connaître le prix versé par Masson, mais nous ne disposons que d’un résumé trop bref du texte (1). Louis Masson, sieur de la Martinière, avait épousé en 1562 Marie Mosnier, dont une proche parente, Madeleine Mosnier, était mariée à Jacques Bertrand seigneur de la Vrignonnière. Il fut aussi sénéchal des seigneuries de Boisreau et de Languiller à Chauché et en tint leurs assises. À la même époque le procureur fiscal des Essarts s’appelait Michel Masseau. C’est lui qui rendit aveu de la baronnie des Essarts à Thouars en 1597, comme procureur spécial du duc de Mercœur, aussi baron des Essarts (2). 

Usant de son droit de retrait, Louis Masson, acquit les droits seigneuriaux du Pin le 27 septembre 1567 du seigneur de la Vrignonnière. Et il fut confirmé dans sa possession entière et irrévocable de ces droits par Jules de Belleville le 5 septembre 1577. À cette occasion, Jules de Belleville, décidément très impliqué dans les combats des guerres de religion dans le camp protestant, se fit représenter par Anne Goulard, sa deuxième épouse (1).

Les Masson et Audouard possesseurs des droits seigneuriaux


Le 9 novembre 1607 est rendu à Languiller, à cause du fief du Coin Foucaud, une déclaration noble par Charles Masson pour ses droits seigneuriaux du Pin, à 2 sols de rente et devoir noble payable à la fête de noël. Nous n’avons pas repéré ce Charles Masson, probablement un fils de Louis. Les droits qu’il déclare sont les mêmes que ceux contenus dans l’aveu du Coin Foucaud en 1550 au baron des Essarts :
  • -        terrages à la sixième partie, sauf sur 10 % du tènement pour lequel est due une rente annuelle de 14 sols au temple de Mauléon (appelé Châtillon-sur-Sèvre de 1793 à 1965, et situé dans les Deux-Sèvres). Le temple de Mauléon était un lieu-dit où se trouvait une commanderie d’hospitaliers appartenant à l’ordre de Malte.
  • -        dîme d’agneaux, laine, gorons (cochons) et veaux, consistant à prélever un douzième de la valeur des animaux nés et élevés dans le village. S’agissant des veaux, on prélevait ce 1/12 pour un animal nouveau sur deux, mais pour chaque vêlée de tout animal on prélevait un denier.
Ces deux droits étaient répartis pour 2/3 à Charles Masson et pour 1/3 au prieur de Saint-André-Goule-d’Oie. Dans les autres tènements de la paroisse la part du prieur dans le terrage avait été confisquée à son profit après 1550 par le seigneur de Languiller. Nous avons là une exception au Pin. Les rentes étaient les mêmes qu’en 1550 à un tout petit détail près : la rente en argent se montait à 57 sols au lieu de 59 sols par an. Les rentes en nature étaient les mêmes, aussi à un autre petit détail près : au lieu de donner 5 poules et 3 chapons, la redevance est de 5 poules et 3 chapons. Pour le reste rien de changé :
  • -        14 boisseaux de seigle, 36 boisseaux d’avoine.

le Pin
Charles Masson déclare aussi une nouvelle rente foncière, mais qui n’est pas de nature féodale : 2 boisseaux de froment sur les domaines de Bertrand et Poissonnet. Elle trouve son origine dans une vente peut-être à ces deux personnes (3).

Les droits seigneuriaux du Pin passèrent ensuite à Jean Masson, fils de Sébastien. (On se souvient qu’une sœur de Jean Masson, Renée, épousa en 1625 Pierre de Vaugiraud). Et de Jean Masson, ils passèrent à une de ses filles, Catherine Masson. Celle-ci avait épousé Jacques Audouard, écuyer, seigneur de Metz (ou Maits), originaire de la région de Niort. On voit là un exemple de la fréquente perméabilité dans la contrée entre la noblesse de petite fortune et les bourgeois enrichis.

Nous avons une déclaration noble de Jacques Audouard, demeurant au bourg des Essarts en 1645, puis à Niort en 1651. Le texte est le même que la déclaration de Charles Masson ci-dessus en 1607. Néanmoins une précision intéressante apparaît. Le seigneur du Pin déclare avoir droit de justice et juridiction basse, et droit de tenir assise. De même il a droit de prendre les lods et ventes lors des mutations de biens dans l’étendue du fief.

Jacques Audouard déclare en plus 13 arpents de terre autrefois en bois, situés au tènement du Bois Pothé. Encore un espace défriché et transformé en culture. Pour lui, il doit à Languiller un sol par arpent chaque année (4). Ce montant de redevance exprimée en argent et proportionnel à la surface, est un raisonnement nouveau adopté à l’occasion des défrichements de nouveaux espaces fonciers. Nous avons rencontré le même phénomène quand le seigneur de Languiller a repris les droits sur le village voisin de la Crochardière tombé en ruines.

Dans un acte de partage de la succession de Catherine Masson et Jacques Audouard, le 14 octobre 1680,
  • -        leur fils puîné, René Audouard, écuyer sieur de la Veronnière, reçoit les terrages du Pin.
  • -       Son frère aîné, Jacques Audouard, reçoit notamment une rente noble foncière de 14 livres, due sur le village des Nouhes en la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie.
  • -      Son plus jeune frère, Jacques Audouard le jeune, écuyer sieur de la Pertelière, reçoit entre autres « la métairie de la Pertelière et ses appartenances sise en la paroisse des Essarts ainsi qu’elle se consiste et qu’elle est exploitée par Jean Libaud à moitié des fruits » (5).

La Boninière
La famille possédait une maison à la Boninière de Saint-André-Goule-d’Oie. Jacques Audouard le jeune y habita en 1680. En 1684, c’est son frère René Audouard qui y habita, venant de Niort. Il est vrai qu’ils possédaient des droits à la Baritaudière proche, achetés par le l'ancêtre Louis Masson, comme il avait fait pour le Pin. Les Masson avaient aussi été propriétaires à la Jaumarière proche au début du siècle. Au moins une partie de ces biens étaient passés dans la famille de Vaugiraud ensuite.

René Audouard s’endette et vend ses droits du Pin


Ils sont bien rares les tènements et fiefs de Saint-André-Goule-d’Oie relevant du Coin Foucaud, où le nouveau seigneur de Languiller à partir de 1674, n’a pas fait de procès. Il s’appelait Philippe Chitton. Le Pin fait partie de cette liste. Ainsi en 1681, le tribunal de Fontenay-le-Comte, « condamna les seigneurs et dames propriétaires du village du Pin », au respect de leurs devoirs envers le seigneur de Languiller (6). Ils ne sont pas nommés, malgré le partage que nous venons d’indiquer, peut-être à cause de sa date tardive. Ces devoirs consistaient pour les acheteurs à communiquer les contrats d’acquisition de leurs droits au seigneur suzerain du fief, à savoir le seigneur de Languiller. Ils doivent le faire sous huitaine, sous peine de voir leurs biens saisis.

Cette sentence resta sans effet puisque ces propriétaires n’avaient affaire qu’à leur seigneur René Audouard. Le 25 mai 1683, le lieutenant particulier et assesseur civil au siège royal de Fontenay-le-Comte, en a fait le constat. René Audouard était aussi concerné par l’instance et il a fait défaut (7).

Mais il avait des dettes. Entre autres il devait une somme de 498 livres à Pierre Moreau, bourgeois demeurant au Coudray (Saint-André). Alors il vendit le 26 septembre 1683 à Jean Masson les terrages du Pin, moyennant le versement d’une rente foncière annuelle et perpétuelle de 45 livres. Et Jean Masson acheta avec son accord, la créance de Pierre Moreau, limitée à 440 livres en capital, moyennant une rente de 22 livres annuelle et perpétuelle (8). La rente de 45 livres comprenait aussi les droits seigneuriaux prélevés par René Audouard sur la Baritaudière. Le registre paroissial des Essarts ne commence que tard en 1737, et nous n’avons pas pu repérer ce Jean Masson dans sa généalogie, autre bourgeois et sénéchal des Essarts. Il y a fort à parier qu’il partageait des ancêtres communs, peu de générations auparavant, avec René Audouard.

Le Coudray
Mais ce dernier avait encore d’autres dettes, et il vendit le 18 octobre 1683 les rentes (autres que le terrage) prélevées au Pin à Pierre Moreau, sieur du Coudray, moyennant la somme de 584 livres. Il fut spécifié que ces rentes de nature féodale étaient vendues roturièrement. Était-ce pour éviter de payer un impôt appelé franc-fief, imposé sur les roturiers possédant des biens nobles ? Le paiement fut réalisé par la retenue de 58 livres que le vendeur devait encore à l’acquéreur en reliquat du montant total de 498 livres indiqué plus haut. Il fut convenu en plus que l’acquéreur paierait une dette du vendeur à un procureur de Poitiers. Le 24 janvier 1684, il est passé devant les mêmes notaires de Bazoges-en-Paillers, un nouveau contrat (copié à la suite du contrat de vente), reconnaissant le paiement de la dette au procureur pour un montant de 350 livres. Le reste, soit 176 livres, est réglé comptant par l’acquéreur au vendeur (9).

Le seigneur de Languiller évince Pierre Moreau et attaque Jean Masson


Pierre Moreau est mort en 1687. Philippe Chitton délégua sa femme, Anne de la Bussière, pour exercer son droit de retrait féodal sur les rentes du Pin. Les notaires des Essarts se sont rendus au Coudray le 26 juin 1690, au domicile de Marie Hullin, veuve de Pierre Moreau, pour dresser le constat de ce retrait, accepté par elle. Elle est remboursée du montant des 584 livres, qu’avait payé son mari 7 ans auparavant (10).

Philippe Chitton concentra ensuite ses actions au tribunal de Fontenay contre Jean Masson. Il faut dire qu’il dû probablement avoir l’impression qu’on se moquait de lui. En effet, Le 28 décembre 1683, René Audouard, sieur de la Véronnière (Essarts) et du Pin, lui avait rendu une déclaration noble pour ses droits seigneuriaux du Pin. Elle était, en tous points, conforme à celle de son père en 1651 (11). C’est à dire qu’elle ne tenait pas compte des ventes des rentes à Pierre Moreau et du terrage à Jean Masson, comme si elles n’avaient pas eu lieu. Le seigneur de Languiller ne s’en contenta pas. Sans doute savait-il que cette déclaration était fausse.   

René Audouard reçut en conséquence le 1e mars 1684, une nouvelle signification de l’huissier résident à la Brossière (Saint-André), Benoist, d’avoir à se présenter au tribunal de Fontenay-le-Comte (12), ne répondant pas aux injonctions reçues. Alors le 5 mars 1684, il rendit à Languiller une nouvelle déclaration noble pour les terrages et la dîme du Pin qu’il avait pourtant vendus (13). Ces ventes s’étaient faites par arrentement, et Jean Masson ne tenait pas à rencontrer Philippe Chitton, avec qui il avait plusieurs contentieux. C’est l’explication qui nous vient à l’esprit pour comprendre une attitude apparemment étrange. Il y indique quand même l’autre vente des rentes en argent et en nature, et ne déclare plus son droit à la justice seigneuriale et à prendre les lods et ventes. On sait que sur ce dernier point Philippe Chitton était sourcilleux, et René Audouard a dû chercher à le ménager, étant sur le point d’abandonner la partie.

Malheureusement les archives conservées dans un état suffisant d’accessibilité manquent sur une période de 10 années entre 1684 et 1694. Quand elles reprennent à cette dernière date, nous découvrons que Philippe Chitton attaque Jean Masson pour plusieurs domaines, et pas seulement les terrages du Pin. C’est l’attaque tous azimuts.

La Pertelière
Il y a la moitié de la métairie de la Pertelière (Essarts), que Masson avait achetée à un nommé Renou, mais dont la vente aurait été annulée, prétend-il. Chitton lui répond qu’il ment et qu’il lui doit des droits, suite à cet achat relevant de la seigneurie du Coin Foucaud.

Il y a la maison de la Bujanderie, achetée par Jean Masson le 12 avril 1693. Mouvante du fief du Bois Saint-Martin, elle était située au Essarts, au sud du bourg et au sud de la Véronnière. Pour cet achat, Jean Masson devait payer les droits de lods et ventes à Julie Anne des Villates, possédant les droits de cette seigneurie. Elle était la veuve de René Gazeau, seigneur de la Brandasnière. Celui-ci était le fils de David Gazeau, seigneur de Saint-André-Goule-d’Oie (le seul qui porta ce titre à notre connaissance se raportant au fief du bourg) et frère puiné du seigneur de la Boutarlière, René Gazeau (marié à Renée Bonnevin). Julie Anne des Villates vendit pour 200 livres ses droits de lods et ventes à Philippe Chitton le 11 août 1694 avec ses arrérages, subrogeant ce dernier dans ses prérogatives pour obtenir le paiement des droits de fiefs (14). Jean Masson refuse de reconnaître comme valable cette vente des droits à Philippe Chitton.

Le problème est le même pour un droit de terrage perçu par la métairie des Landes Gâteaux (Essarts), appartenant à Hélène Maillard, épouse de Jean Masson, et achetée par son grand-père. Les terrages relevaient à moitié de la baronne des Essarts, et de Julie des Villates pour l’autre moitié, celle-ci ayant vendu sa part, là aussi, à Philippe Chitton.

Jean Masson et Hélène Maillard étaient déjà passés en jugement devant la cour seigneuriale des Essarts le 26 avril 1694. Mais en appel devant le tribunal de Fontenay, ils furent absents et condamnés par défaut le 29 juillet 1694 (15). Ainsi devaient-ils à l’égard de Languiller :
  • -      Communiquer les contrats d’acquisition des biens concernés dans l’étendue de Languiller et de ses fiefs, depuis 30 ans auparavant, que ce soit par forme d’exhibition, sous huitaine, ou d’édition.
  •   Payer ou montrer quittance des 29 années d’arrérages des cens et rentes, devoirs nobles, seigneuriaux et féodaux et fonciers qui sont dus sur les domaines.
  •     Faire les fois et hommages, fournir les aveux et dénombrement, déclarations nobles et roturières.
On passera sur l’escalade judiciaire qui suivit entre Jean Masson et Philippe Chitton dans cette bataille sur plusieurs fronts. Ce dernier obtint du tribunal notamment la saisie des revenus des domaines concernés. Le commissaire nommé lors de la saisie fut un certain François Auvinet, habitant Languiller, et bordier sur les lieux. C’est dire si les mœurs judiciaires de l’époque méritaient de progresser vers plus de neutralité à l’égard des parties en conflit dans un procès.  

Jean Masson se dégonfle et met le seigneur de la Vrignonnière dans l’embarras


Face à une telle pugnacité de la part de son adversaire, Jean Masson tenta une sortie. Il vendit le 24 octobre 1694 les terrages sur le Pin et la Baritaudière à David Léon de la Bussière, seigneur de la Vrignonnière (Essarts), fils de Pierre de la Bussière et de Jeanne de Goulaine. Depuis le mariage le 11 novembre 1602 de Lucrèce Bertrand avec Pierre de la Bussière, les seigneurs de la Vrignonnière avaient changé de patronyme (16). Cette seigneurie voisine saisit l’occasion de revenir au Pin, dans la continuité de ce qu’avait tenté leur ancêtre plus d’un siècle auparavant. Et comme lui non sans difficulté, car Masson vendait une situation compliquée.

La Vrignonnière
La vente comprenait la rente de 45 livres due à Audouard, donnant droit à percevoir les terrages du Pin, mais en faisant jouer la clause de son amortissement ou rachat. Il y avait aussi compris dans la vente, la créance achetée à Moreau pour 440 livres, transformée en rente de 22 livres que devait payer Audouard, mais qu’il ne payait pas. Les arrérages se montaient à 120  livres. Pour cette vente Masson reçu 840 livres.

Le même jour, David de la Bussière fit un autre contrat avec René Audouard, où il lui versa 900 livres pour amortir la rente de 45 livres. Cela correspondait à 20 annuités, dispositif obligatoire selon une ordonnance royale. Mais il gardait pour lui la rente de 22 livres due par Audouard, à laquelle s’est ajoutée une deuxième rente de 21 livres, par arrentement des droits de la Baritaudière qu’il rétrocédait au même Audouard.

Jean Masson ne s’en tira pas à si bon compte. Philippe Chitton considéra que son contrat d’arrentement des droits de terrages avec Audouard, l’obligeait à payer au seigneur suzerain les droits de lods et ventes. Masson refusait, considérant que le transport de la propriété de ces droits ne s’était effectué qu’au moment de l’amortissement de l’arrentement. Il renvoyait donc Philippe Chitton vers David de la Bussière pour ce paiement. Ce dernier refusa d’abord de payer ce droit de lods et ventes, considérant que c’était à l’arrenteur, c’est-à-dire à Jean Masson, de le payer. Sauf que Philippe Chitton voulait qu’on paye deux fois : au jour de l’arrentement, et au jour de son amortissement. David de la Bussière finit par céder, paya ses droits au seigneur de Languiller, puis se retourna vers Jean Masson pour réclamer le remboursement de son paiement.

Le seigneur de Languiller attaque sa nièce


Philippe Chitton alla plus loin encore, il refusa l’offre de foi et hommage de David de la Bussière pour les droits de terrage du Pin. Selon lui, ces droits étaient roturiers et non nobles, comme cela avait été déclaré par Audouard et Masson dans leur arrentement. Derrière la querelle, il y avait la perception des droits de mutations des biens dans le périmètre du fief ou tènement. On plaint le seigneur de la Bussière qui a sans doute cru faire une bonne affaire. D’autant que Philippe Chitton était le mari d’une de ses tantes. Mais le connaissait-il vraiment ?

Étienne O. de Rochebrune : Anciens remparts
de Fontenay en 1861
La sortie de Jean Masson en vendant ses droits à David de la Bussière n’avait fait qu’ajouter ce dernier dans les actions judiciaires au tribunal de Fontenay. David de la Bussière fit requête le 15 décembre 1694 au sénéchal de Fontenay-le-Comte, pour obliger Philippe Chitton à le recevoir en son offre de foi et hommage (17). Un nouvel acte est produit par son procureur dans le même sens, au procureur de Philippe Chitton, le 16 août 1695.

Le procès à Fontenay va être suspendu jusqu’à la fin de l’année 1695 à cause du décès de David de la Bussière en septembre 1695. Il reprendra avec une signification d’huissier de Philippe Chitton à Marie Gazeau, sa veuve, le 9 janvier 1696. Il l’assigne à comparaître au tribunal de Fontenay, ainsi que Louise de la Bussière, sœur et héritière du défunt (18). Celle-ci habitait alors chez lui à Languiller avec Anne Bénigne de la Bussière, sa tante, par ailleurs épouse de Philippe Chitton. On sait que ce dernier fit une saisie sur les biens de ses neveux, enfants de Jacques Chitton son frère, entre les mains de sa belle-sœur, veuve de son autre frère François. Alors pourquoi s’attendrir sur la jeune nièce de son épouse, habitant chez lui, dès lors qu’il s’agit de défendre un patrimoine ?

On voit là bien sûr quelques dispositions naturelles du personnage à la chicane et une certaine avidité de possédant, mais il faut interroger aussi les mœurs de l’époque. Par exemple, celles-ci mettaient fréquemment l’intérêt des patrimoines en avant dans la formation des couples. Mme de Maintenon expliquait à « ses filles » de Saint-Cyr qu’un patrimoine, quelle que soit la liberté légale de dispositions qu’on en ait, n’est pas à la discrétion de son propriétaire qui est engagé à des devoirs de gestion, de conservation et de dévolution (19). C’était une norme sociale, et on connaît l’habitude des hommes à mettre la morale et la religion au service de la norme en vigueur pour n’en faire qu’un tout. Celle-ci s’imposait donc aux individus de manière moins exorbitante que ce le serait de nos jours, quels que soient les drames qui ont dû exister, couverts par le secret de l’intimité des familles et la chape de plomb des mœurs du temps. Était-ce plus acceptable que de traîner ses neveux et nièces devant les tribunaux au nom des intérêts de son patrimoine ? Quoiqu’on ne soit pas sûr que ces justiciables ne se trouvaient pas entre les mains de leurs avocats et procureurs, dans une relation aux allures de dépendance. Rudes mœurs quand même, vu d’aujourd’hui ! Il faut aussi rappeler que l’idée du bonheur personnel est une invention en France du 18e siècle. Avant on ne concevait le bonheur qu’en Dieu, fait des idéaux de gloire et de sainteté. R. Mauzi a recensé 191 traités sur le bonheur terrestre au cours du 18e siècle, et le thème se répète dans la littérature. C’est un bonheur sage, naïf, plutôt rêvé comme le fera J. J. Rousseau : un corps sain, une nature belle, une éducation heureuse, une sociabilité riche. Le mérite individuel doit être récompensé, prenant le pas sur la naissance suivant la maxime de Beaumarchais (20).

Klimt : Le baiser
Mais profitons de l’occasion pour pénétrer plus avant dans les mentalités de l’époque. La deuxième partie du 17e siècle installa une nouvelle conception de l’amour, avec la reconnaissance de la notion de tendresse, signe d’une montée des valeurs « féminines ». Le mouvement conduisit au siècle suivant à la légitimation sociale du mariage d’amour. Les historiens analysent ainsi les mœurs affichées dans la société officielle de la cour et des arts (21).

On peut penser que dans la campagne de Chauché cette évolution connu quelque retard. On devait encore vivre des préceptes du siècle précédent : « Qui se marie par amour a de belles nuits et de mauvais jours », ou encore « La beauté ne sale pas la marmite ». L’amour se trouvait alors, derrière ces dictons, avec l’amitié dans le rapport du vice et de la vertu. Le dogme de l’infériorité naturelle des femmes les écartait, en effet, du culte masculin de l’amitié. L’idéal d'amour dans le couple enseigné alors par l’église prônait la pudeur et condamnait l’excès d’affection et d’attachement. On voit ainsi à quel point notre questionnement sur l’attitude du seigneur de Languiller à l’égard de sa nièce nous amène à entrapercevoir ce monde étrange du passé.

Louise de la Bussière demanda au tribunal un délai supplémentaire dans la procédure judiciaire, pour examiner la succession de son frère. La veuve en fit autant. Philippe Chitton demanda aussitôt au tribunal de refuser ces demandes, les jugeant dilatoires. Le tribunal de Fontenay donna raison à Philippe Chitton deux mois après, le 7 mai 1696, ordonnant la reprise du procès. Les actes de procédure et échanges de mémoires des parties continuèrent auprès du tribunal de Fontenay jusqu’au 7 mars 1697. Ensuite les archives nous offrent une longue interruption jusqu’à la fin de l’année 1707. Nous ne connaissons pas bien la fin de l’histoire.

Jean Masson a-t-il pu échapper à toutes les poursuites de son ennemi Philippe Chitton ? Restait-il un peu de patrimoine à René Audouard au jour de son décès ? Nous ne pouvons pas répondre à ces questions en ce début d’année 1697.

Le seigneur de Languiller achète les droits seigneuriaux du Pin


Louise de la Bussière a épousé le 30 juillet 1696, Samuel de Lespinay, lui apportant la Vrignonnière en dot (22). Son petit-fils, Alexis Samuel de Lespinay, épousa en 1750 Marie Félicité Cicoteau, dame de Linières. Mais ceci est une autre histoire.

Le moulin de l’Ansonnière
Elle a vendu au seigneur voisin de l’Ansonnière (Essarts), les terrages du Pin. Et en 1705, Pierre Aymond, seigneur de l’Ansonnière, les revend à Charles Auguste Chitton, nouveau seigneur de Languiller, fils de Philippe Chitton (23). Ce dernier vécut jusqu’en 1712, mais à partir de 1700 il avait passé la main à son fils.

Plus précisément celui-ci acheta, pour 1 200 livres, les deux tiers du terrage du Pin avec les autres émoluments de fiefs qu’ils ne possédaient pas encore, plus la moitié du fief et terrage sur la Pertelière, et enfin une rente noble et foncière de 22 livres par an sur la Baritaudière. L’acte d’acquisition affirme que les biens achetés sont désormais « confus » en la seigneurie de Languiller, c’est-à-dire mouvants d’elle directement, et non plus mouvant de la seigneurie annexe du Coin Foucaud.

Charles Auguste Chitton avait fait assigner en 1701 six teneurs du Pin à l’assise de Languiller (tribunal du seigneur) pour communiquer leurs contrats d’acquisition de leurs domaines, faire leurs déclarations et payer les droits (24). Il les poursuivait pour le paiement des lods et ventes La situation dura plusieurs années et la procédure fut portée devant le présidial de Poitiers, cette fois-ci.

Palais logeant le présidial de Poitiers

Le 9 janvier 1708, le présidial condamna les « seigneurs et dames propriétaires et détenteurs du village et tènement du Pin » à communiquer tous les contrats d’acquêts faits depuis trente ans dans l’étendue des fiefs de Languiller, à lui fournir tous types de déclarations et aveux et à lui payer tous droits seigneuriaux. Ce jugement a été signifié le 22 mars 1708 à « Michel Barbot, l’un des dits seigneurs propriétaires dudit village et tènement du Pin, tant pour lui que pour tous les autres seigneurs et dames propriétaires dudit village et tènement du Pin, en parlant à sa personne et injonction requise de leur faire savoir, ce qu’il m’a promis » (25). Les personnes condamnées sont les teneurs, simples paysans qualifiés de seigneurs et dames dans les significations d’huissier, car dans l’ancien français le sens du mot seigneur était double. Il y avait bien sûr celui qui est resté dans les esprits, désignant le propriétaire d’une terre seigneuriale, avec des pouvoirs de justice. Il y avait aussi celui appliqué dans le texte ci-dessus, signifiant tout droit de propriété, vue comme une puissance en propriété.

Un détail est à relever dans les significations d’huissier en 1701 et 1708. Elles ont été faites par Monnereau, qui s’est « transporté de marche une demie lieue de ma demeure ». Dans son acte de 1708 il s’est présenté ainsi : « sergent royal soussigné demeurant à la Boutarlière paroisse de Chauché ». On sait qu’un Pierre Monnereau a été fermier de la seigneurie de la Boutarlière au moins dans les années 1730, et qu’il aura un fils, prénommé Pierre, qui sera désigné syndic (maire) de Saint-André-Goule-d’Oie.

En 1740, trois déclarations roturières faites au seigneur de Languiller, alors Charles Louis Chitton, fils de Charles Auguste, confirment qu'il possède tout : terrage, dîme, rentes, lods et ventes (26). Mais le seigneur de Languiller a opéré quelques aménagements que nous relevons dans une déclaration de 1751 (27).

Il perçoit presque l’intégralité des terrages et des dîmes, sans en donner une partie au temple de Mauléon et au prieur de Saint-André. À la place il donne des rentes à la cure de Chauché : 2 boisseaux de seigle, 3 boisseaux de froment et 12 deniers. Tant pis pour le prieur de Saint-André !

Chose intéressante à relever il donne aussi 2 boisseaux de seigle par an à la fabrique de la Chapelle de Chauché. Pour une paroisse qui n’existe pas officiellement, voilà bien une curiosité ! On comprendra en se reportant à notre article publié sur ce site en décembre 2011 : Retour sur la paroisse de la Chapelle de Chauché.

Un autre changement réside dans le montant de la redevance en argent. Elle passe de 57 sols par an à 49 sols et 9 deniers, peut-être en lien avec les changements précédents.

Les Essarts, la Boutarlière et la Guiffardière perçoivent aussi des redevances au Pin


Au terme de ce récit sur les droits seigneuriaux du Pin et de leurs possesseurs, on a d’eux une vision précise, mais légèrement incomplète. En effet, il existait des droits échappant à la relation vassalique principale, par exemple les rentes entièrement données à l’Église et non partagées, ou des rentes foncières non seigneuriales, ou des rentes seigneuriales isolées. L’Ancien Régime a été le règne des exceptions, ce qui explique en partie qu’on ait voulu en réaction une République une et indivisible. Ces dernières rentes isolées n’apparaissent pas dans les aveux et déclarations du principal vassal généralement. Fait nouveau, les notaires de St Fulgent de la fin du 18e siècle ont pris soin de tout déclarer.

C’est ainsi qu’on apprend que la baronnie des Essarts percevait une rente annuelle de 32 ras d’avoine. Et pour le droit d’abreuvage de l’étang du Pin, le seigneur de la Boutarlière percevait 8 ras d’avoine. Cette dernière redevance avait été donnée dans un partage successoral de 1342 par Maurice Drouelin à son frère puîné Jean Drouelin. À cette date ces 8 ras d’avoine étaient valorisés à 5 sols (28). En 1786, un seul de ces ras valait 18 sols.

La Guiffardière
Et puis il y existait une autre rente de 7 sols par an, déclarée en 1751 et due alors à la seigneurie de la Vrignonnière. Nous la rencontrons pour la première fois dans un aveu du 12 août 1606 d’Hélie de Saint-Hilaire, seigneur du Retail (Legé en Loire-Atlantique), à Languiller. Le texte concerne la petite seigneurie de la Guiffardière (Essarts près du Clouin) et divers droits seigneuriaux (terrages, taille seigneuriale, rentes, etc.) en 11 endroits différents de Saint-André-Goule-d’Oie. La Guiffardière était un bien de son épouse Anne de Puytesson, et Hélie de Saint-Hilaire fit son aveu au nom de son fils et héritier. Parmi les lieux de Saint-André on trouve que les teneurs du Pin devaient au seigneur de la Guiffardière « 4 ras d’avoine mesure dudit lieu des Essarts et 7 sols de rente payables en chacune fête de Saint-Jean-Baptiste » (29). On suppose que les 7 sols de rente avaient été acquis plus tard par le seigneur de la Vrignonnière. On ne sait pas ce que sont devenus les 4 ras d’avoine.

On ne connaît pas l’origine de la rente de 7 sols, mais elle doit remonter loin dans le temps, au Moyen Âge probablement. C’est en effet le seul texte où l’on voit subsister en 1606 un droit de corvée seigneuriale au Plessis-le-Tiers. Or dès 1550, dans les tènements de Saint-André, ces corvées ont disparu et ont été transformées en rente, majorant celles déjà existantes.

Cet aveu de la Guiffardière révèle à quel point les droits seigneuriaux prélevés dans la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie ont été dispersés après le Moyen Âge.    


(1) Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 15, requête du 7-2-1697 de Marie Gazeau au tribunal de Fontenay, concernant le droit de fief du Pin, page 3.
(2) Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135, hommage des Essarts du 25 avril 1597 à Thouars.
(3) 150 J/G 10, déclaration noble du 9-11-1607 de Charles Masson à Languiller pour les droits seigneuriaux du Pin.
(4) 150 J/G 10, déclaration noble du 1-9-1645 de Jacques Audouard à Languiller pour les droits seigneuriaux du Pin (papier).
(5) 150 J/G 14, partage de la succession Audouard/Masson en 1680 concernant le Pin et la Baritaudière.
(6) 150 J/G 15, sentence du 26-6-1681 du tribunal de Fontenay condamnant les propriétaires du Pin.
(7) 150 J/G 15, reconnaissance de défaut du 25-5-1683 contre les propriétaires du Pin, par le tribunal de Fontenay.
(8) 150 J/G 14, mémoire du 4-12-1694 de Masson concernant les saisies de Chitton avec copie de contrats.
(9) 150 J/G 11, vente du 18-10-1683 de rentes prélevées au Pin de René Audouard à Pierre Moreau.
(10) 150 J/G 11, retrait féodal du 26-6-1690 d’une rente due par les teneurs du Pin.
(11) 150 J/G 10, déclaration noble du 28-12-1683 de René Audouard à Languiller pour les droits seigneuriaux du Pin.
(12) 150 J/G 15, signification du 1-3-1684 du jugement du 26-6-1681 contre les propriétaires du Pin.
(13) 150 J/G 11, déclaration noble du 5-3-1684 de René Audouard à Languiller pour les terrages et dîmes du Pin.
(14) 150 J/G 14, cession du 11-8-1694 des droits de lods et vente pour la Bujanderie de Julie des Villates à Chitton.
(15) 150 J/G 14, jugement du tribunal de Fontenay le comte du 29-7-1694 condamnant Jean Masson à la demande Chitton.
(16) Contrat de mariage du 11-11-1602 de Pierre de la Bussière avec Lucrèce Bertrand, Archives de Vendée, Fonds Mignen : 36 J 357.
(17) 150 J/G 14, requête du 15-12-1694 au tribunal de David de la Bussière contre Chitton pour les droits du Pin et Baritaudière.
(18) 150 J/G 15, assignation du 9-1-1696 à comparaître au tribunal, de Chitton à Marie Gazeau et à Louise de la Bussière.
(19) Yvan Castan, Politique et vie privée, dans « Histoire de la vie privée de la Renaissance aux Lumières », Seuil, 1986, page 62.
(20) Guy Cabourdin et Georges Viard, Lexique historique de la France d’Ancien Régime, 3e édition, Armand Colin, 1998, Archives de Vendée : BIB 1200 (J 8), pages 40 et 41.
(21) Maurice Daumas, L’amitié et l’amour à l’époque moderne, dans « Histoire des Émotions », Seuil, 2016, T 1, page 340 et s.
(22) Idem (16).
(23) 150 J/A 12-7, acquêt du 28-5-1705 de terrages et rente sur la Pertelière, Pin et Baritaudière par Languiller.
(24) 150 J/G 11, assignation du 6-7-1701 à comparaître à l’assise de Languiller faite à 6 teneurs du Pin.
(25) 150 J/G 15, signification le 22-3-1708 du jugement du 9-1-1708 condamnant les propriétaires du Pin.
(26) 150 J/G 56, déclaration roturière du 2-9-1740 de François Mandin pour domaines au Pin.
(27) 150 J/G 56, déclaration roturière du 27-5-1751 d’André Metereau pour domaines au Pin.
(28) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 29-2, la Boutarlière.
(29) 150 J/A 12-3, aveu du 12-8-1606 d’Hélie de Saint Hilaire à Languiller pour la Guiffardière et 11 lieux différents à Saint-André-Goule-d’Oie.

Emmanuel François, tous droits réservés 
Novembre 2016, complété en août 2020