lundi 1 septembre 2014

L'ancien logis du Coudray au 18e siècle à Saint-André-Goule d’Oie


L’actuel logis du Coudray a été restauré au 19e siècle, pour remplacer le précédent, incendié par les révolutionnaires pendant la guerre de Vendée. Sans dessin représentant celui d’avant, il parait difficile de se faire une idée de son architecture avant sa destruction par les bleus.

L’inventaire après-décès de 1762


Cependant, l’inventaire après-décès de son propriétaire, Louis Corbier, sieur de Beauvais, effectué du 8 au 13 février 1762, nous permet d’esquisser une description (1). Elle est représentative des riches habitations de l’époque dans le bocage vendéen, bien éloignées néanmoins de nos standards de conforts modernes comme on va le voir.

Le propriétaire était un bourgeois, possédant la métairie attenante à son logis au Coudray et une borderie au village du Gast, toutes deux à Saint-André-Goule d’Oie. Il possédait aussi une borderie à Villeneuve (Chauché), une métairie à Saule (la Verrie) et la métairie des Piots en la paroisse de Saint-Pierre de Cholet. Son logis constituait autrefois la maison noble du fief du Coudray, à l’origine vassal de la seigneurie du Coin (Saint-André). En 1762, celle-ci, ainsi que sa propre seigneurie suzeraine, Languiller (Chauché), appartenaient au seigneur de la Rabatelière, Montaudouin.

La notion de « maison noble », qui lui avait été attachée, désignait un bien noble ne préjugeant pas de son architecture. C’était l’habitation principale du seigneur du fief, ou parfois celle de son fermier ou régisseur, quand le propriétaire accumulait les propriétés de fiefs. Mais en tant que bien noble il était exonéré de certains impôts pour les nobles. C’est dire si on a conservé avec intérêt, quel que soit l’importance et l’état des bâtiments, l’appellation de maison noble au fil des siècles de l’Ancien Régime.

L’architecture du logis


Logis actuel
Le bâtiment de la maison noble du Coudray comprenait deux niveaux en rectangle, sans forme originale. Le corps central du logis actuel restauré au 19e siècle, avec ses trois niveaux, est plus haut et moins long que le bâtiment du 18e siècle. Et on sait que les deux ailes ont été ajoutées lors de la restauration. Nous n’en savons pas plus sur le bâti des murs et sur la toiture. Mais avec une bonne probabilité de ne pas se tromper, on peut reprendre ce que des photographies de maisons semblables, ayant traversé les siècles, nous apprennent. Les pierres étaient apparentes, et souvent l’encadrement des portes et fenêtres bénéficiait d’une esthétique propre par sa forme en arrondi au-dessus, ou par ses matériaux, où le granit remplaçait le schiste. La tuile rouge était alors le matériau noble qu’on savait fabriquer dans les tuileries des environs. Elle recouvrait les toitures des riches maisons, alors que les autres étaient recouvertes de chaume. 

Néanmoins un pigeonnier dépassait le toit au logis du Coudray, auquel on accédait à l’intérieur par le grenier. À lui seul il donnait au bâtiment une rare distinction dans la région. Sa longueur aussi dénotait, et pouvait en imposer, comprenant au rez-de-chaussée six pièces en enfilade, où l’on passait d’une pièce à l’autre, sans couloir. A l’étage, il n’y avait que deux chambres, mais prolongées par un grand grenier servant à entreposer les récoltes de céréales et de fruits. En comparaison rappelons-nous que les maisons des métayers ne comprenaient que deux pièces au rez-de-chaussée avec le grenier au-dessus. Pour les plus importantes, dans les grandes métairies, on comptait trois pièces.




Le salon


Dans le langage de l’époque, une pièce dans une maison s’appelait généralement une chambre. Sa destination était toujours multiple, à la fois cuisine, chambre à coucher, etc. Mais chez Louis Corbier il y avait beaucoup de chambres et certaines avaient une destination particulière.

C’était le cas de « la chambre d’entrée, appelée le salon » dit le texte de 1762. Pas de vestibule ni de couloir, on entrait directement dans ce qu’on a appelé un salon, mais le mot nous apparaît un peu abusif ici. S’y trouvaient une met ou huche à pétrir le pain, reposant sur deux socles en bois. À côté une sorte de cage (appelée clisse) avec des châssis d’osier ou de jonc, « ouvrant à deux portes, fermant celle d’en haut à clé en fer, celle d’en bas avec un loquet ». Un garde-manger complétait le mobilier. Chez les plus riches bourgeois ou nobles, le salon n’avait rien à voir avec cet ameublement bien rustique, mais au combien plus aisé néanmoins que dans l’habitation du métayer d’à côté.

La cuisine


Tableau d'Albert Anker
On passait de cette pièce d’entrée dans la cuisine. Là-aussi son mobilier donne une idée très précise de l’usage de la pièce. Bien sûr il y avait une table entourée de bancs, un coffre en bois et de nombreux ustensiles de cuisine. Mais il y avait aussi deux lits, un « petit lit à tombereau » pour enfant et un « lit de domestique ». Comme souvent, la cuisine servait aussi de chambre à coucher, ici pour les domestiques.

La chambre à coucher de madame


La troisième pièce du rez-de-chaussée était « la salle basse de la maison où était décédé ledit sieur de Beauvais ». C’était en fait la chambre à coucher de madame, possédant une cheminée. Elle était meublée de deux lits, deux armoires, trois petites tables, dix fauteuils, neuf chaises et un guéridon. À l’intérieur des armoires s’y trouvaient la garde-robe de la maîtresse des lieux, du linge de maison et aussi un peu de vaisselle. Pour faire sa toilette, il y avait ce qu’on appelait une « fontaine » en faïence enchâssée dans un montant en bois sculpté, c'est-à-dire un vase à contenir de l’eau, avec sa « tirette ». Celle-ci était une ouverture qu’on ouvrait et qu’on fermait avec des bouchons. À côté se trouvait une paire de carafes avec son porte carafe de faïence. Au mur était accroché un miroir et deux tableaux « dont l’un représentant la Sainte Vierge et l’autre un Christ ». La décoration avait sa touche de gaîté avec des images imprimées (en noir et blanc ou couleur, on ne sait pas), « neuf feuilles d’images attachées aux murs de ladite salle, intitulée Versailles, départ de l’enfant prodigue, l’air, la terre, le feu et l’eau ». C’est la seule pièce de la maison ainsi décorée sur ses murs.

La chambre à coucher de monsieur


À côté de cette chambre se trouvait la chambre du maître des lieux, plus petite, dénommée dans l’inventaire « la chambre au bout de la salle ». Une armoire contenait ses habits et une autre quelques habits de madame et de la vaisselle précieuse. On y découvrit deux pistolets, une épée et une tenue de cavalier. Outre un lit bien sûr, la chambre était aussi meublée d’un fauteuil, deux chaises et deux tables ovales. Et un escalier permettait d’accéder de cette pièce dans une chambre située à l’étage.

Le débarras


De cette chambre de monsieur on passait ensuite dans une autre pièce, désignée comme celle « ayant sortie sur le jardin ». Elle avait donc une porte donnant sur l’extérieur, probablement à l’arrière de la maison où devait se trouver le jardin. C’était plutôt une pièce de remise, un débarras comme l’on dit habituellement en Vendée. L’aérropage faisant l’inventaire, composé d’un notaire et de son collègue, le procureur fiscal des Essarts, Mme de Puyrousset la veuve, et pour les estimations un menuisier et un charpentier, découvrit dans la pièce :
  • « une petite baille dans laquelle il y a environ trois boisseaux de sel ». C’était un bacquet ressemblant à une portion de tonneau découpée.
  • « quatre fûts de barrique dans l’un desquels il y est un peu de plume ».
  • « une cage à mettre poulets ».
  • « une barrique de vin nouveau ».
  • « vingt-huit limandes de différentes façons et de bois de chêne ». C’étaient des pièces de bois de sciage plates, peu larges et peu épaisses. À côté il y avait aussi vingt planches et quatre morceaux de bois servant dans un pressoir

Le cellier


Gustave Marchegay : Le cellier

À côté de ce débarras on entrait dans la dernière pièce du rez-de-chaussée : le cellier.  Il abritait sept barriques, dont six de vin nouveau en ce mois de février. On a aussi inventorié un petit tonneau appelé un « tierson » (contenant le tiers d’un tonneau), et aussi « cinq bouteilles et une demi bouteille de verre, une petite bouteille aussi de verre clissée (entourée de paille, osier ou cuir) et neuf gobelets aussi de verre. ». C’est aussi dans le cellier qu’on a trouvé un « charnier de terre qui est ferté (renforcé) avec le peu de lard qui est dedans ». C’était le frigo de l’époque, petite construction à l’abri de la chaleur extérieure pour garder les viandes salées.


Les deux chambres pour enfants


Par un escalier situé dans la chambre de monsieur, on accédait à l’étage dans une chambre « haute ». Les chambres dites « basses » étaient situées au rez de chaussée. Cette chambre devait avoir sa cheminée probablement et était meublée d’un lit, une armoire, une table carrée, deux fauteuils, deux chaises et deux porte-manteaux. Dans l’armoire on a trouvé principalement du linge de maison, et aussi un petit « bissac » (sac double de paysan pour mettre ses hardes et ses provisions), de la laine, des pièces de toile et un petit « retts » (filet servant à la pêche ou à la chasse). On sait que Mme Corbier mit deux enfants au monde qui n’ont pas survécut. Il est probable que cette pièce, comme celle d’à côté aurait été celle des enfants.

De cette chambre on passait dans « une petite chambre », non meublée, plutôt un débarras. On y a inventorié une paire de bottes « à la page dudit feu sieur de Beauvais », suivant l’expression de l’époque. Et pêle-mêle : « trente-huit botteaux (bottes) de lin de différentes grosseurs et qualité », une barrique « dans laquelle il y a environ deux boisseaux de poire melée » (séchée), un tas de charbon et trois paniers en jonc.

Le grenier


Le grenier à côté entassait, suivant l’usage habituel dans toutes les maisons à étage, les fruits des récoltes, surtout les céréales. En ce mois de février 1762, l’équipe d’inventaire a trouvé 36 boisseaux de seigle évalués à trente sols le boisseau, 2 boisseaux d’avoine, 3 boisseaux de blé noir, 6 boisseaux de gaboret (mélange de céréales secondaires, orge et avoine, avec de la paille), 1 boisseau de baillarge (orge prime ou du printemps), 6 boisseaux d’orge, 2 « boisseaux de poire rondes et un demi-boisseau de poires d’Espagne jaunes », 1 « boisseau à mesurer blé ». On a inventorié aussi 11 « poches à mettre blé », une scie à bois, 3 fûts de barriques vides et 8 « palissons ronds, deux autres longs en façon de bourriche, et quatre autres aussi longs avec un greleau ». Les palissons étaient des pièces en bois et en métal servant à assouplir les peaux dans le travail du tannage. On ne nous dit pas comment on accédait au grenier, probablement à partir d’une des chambres de l’étage. Mais vraisemblablement, les sacs de céréales devaient entrer par une fenêtre, peut-être avec un système de poulies pour les soulever. Sinon il aurait fallu de l’intérieur passer par la chambre de monsieur, ce qu’on imagine mal.

Le pigeonnier


Du grenier on accédait au pigeonnier, où on a trouvé « douze douilles de barriques et vingt et une pièces de foncaille ». Les douilles de barrique (comportes) servaient à transporter les raisins lors des vendanges, et les foncailles, pièces en bois légèrement courbées et encerclées, formaient la paroi des barriques.

L'existence de ce pigeonnier atteste du droit de colombier, apparemment tombé en désuétude. C’était un bâti destiné à y nourrir et y entretenir des pigeons. Il y en avait de deux sortes :
-        les colombiers à pied, bâtis en forme de tour. Ils étaient une marque de noblesse pour le seigneur Haut Justicier. Nul ne pouvait en faire sans sa permission.
-        les volières et autres colombiers, nommés aussi « fuyes », qui étaient bâtis sur piliers ou sur solives, avec un cellier ou une étable dessous. Chacun pouvait en faire construire si la coutume du lieu n'était pas contraire.

Ce pigeonnier du Coudray fait partie de la deuxième catégorie, témoignant de son passé de seigneurie.


Les bâtiments de la métairie


J. B. C. Corot : Cour d'une maison 
de paysans, aux environs de Paris
L’inventaire se poursuit ensuite en dehors du logis dans les bâtiments d’exploitation de la métairie attenante. Et on commence par un local appelé un « petit renferni au bout du toit aux vaches où est le lit aux valets ». Outre le lit avec sa literie, on y a trouvé « cinq bernes (2) dont trois mauvaises avec un petit bacquet, une jaule de clisse [couvercle en osier] à couvrir le lait » et beaucoup d’outils de travail appartenant au sieur de Beauvais. Ils étaient en fer : un hachereau, une tranche, deux pelles, deux fourches à trois doigts, un râteau, deux serpes, une faucille, deux fléaux pour battre blé, etc.

Dans la grange, le propriétaire décédé y possédait du foin et des morceaux de bois, dans la cour, des fagots de bois pour le chauffage et des objets divers (roue, crochets, lattes), dans l’écurie une jument avec son équipement en cuir (3 selles, 2 brides et 1 licol).

Enfin dans le toit aux vaches et le toit aux bestiaux de la métairie on a fait l’inventaire des animaux, car la moitié de leurs valeurs appartenait au propriétaire. On fit de même à la borderie du village des Gast.


(1) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/3, inventaire après-décès de Louis Corbier de Beauvais du 8 au 13 février 1762.
(2) Couverture épaisse tissée en laine grossière.


Emmanuel François, tous droits réservés
Septembre 2014

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