vendredi 1 avril 2016

La Milonnière de Saint-André-Goule-d’Oie sous l'Ancien Régime

Le terroir de la Milonnière à Saint-André-Goule-d’Oie, tel qu’il apparaît dans les archives de la Rabatelière qui parlent de lui, présente la particularité d’une vente dispersée de ses droits féodaux après le Moyen Âge. Et les recherches de l’historien Amblard de Guerry nous font découvrir une origine des lieux passionnante.

Depuis la publication de cet article en octobre 2016, l’accès récent aux notes d’Amblard de Guerry sur les lieux de Saint-André-Goule-d’Oie nous permet de remonter le temps d’un siècle dans nos recherches, jusqu’au milieu du 14e siècle. Les travaux de cet historien sont très importants pour les communes du canton de Saint-Fulgent, tout comme ceux de son contemporain avec qui il a correspondu : l’abbé Paul Boisson. Aussi, avant de les utiliser ici dans notre récit sur la Milonnière, il est juste de le présenter.


Amblard de Guerry (1919-1996) appartient à la famille très connue de Chavagnes-en-Paillers, les Guerry de Beauregard. Son frère, Gilbert de Guerry, a été maire de cette commune de 1942 à 1983, et conseiller général du canton de Saint-Fulgent de 1946 à 1992.

Professeur au Maroc de 1954 à 1988, Amblard de Guerry a en même temps consacré sa vie à la recherche historique et philosophique, réservant à la Vendée et à Chavagnes la première place. Il a fondé l’association « Chavagnes Présence du passé », relancé la Société d’émulation de la Vendée, et co-fondé l’association de la descendance La Rochejaquelein. Il a publié 1988 : Chavagnes Communauté Vendéenne, un livre de 316 pages. Ses autres publications sont des articles historiques et philosophiques dans plusieurs revues. 

Une nouvelle Milonnière en 1372


Jean de Sainte-Flaive, chevalier seigneur de Languiller et du Coin Foucaud, afferme à perpétuité en 1372 à Jehan de la Milonnière et à Jean Gillon des Gâts, sa métairie de la Milonnière à Saint-André, pour le prix de 3 septiers ¼ de seigle (52 boisseaux) de rente perpétuelle, payables à l’hébergement de Languiller à chaque fête de Notre-Dame d’août. L’acte est passé devant les notaires des Essarts au temps de Savary V de Vivonne, seigneur de la baronnie (1). C’est l’acte le plus ancien concernant un domaine dans la mouvance du Coin à Saint-André, alors déjà possession de Languiller et alors que le château du Coin était probablement en ruine, ce qui est attesté en 1405. L’expression employée ici par les notaires des Essarts de ferme perpétuelle, consistait en un transfert de la propriété utile, sans la directe ou propriété éminente selon les notions du droit féodal, conservée par le seigneur. Ce transfert s’est fait moyennant une grosse rente foncière, annuelle, perpétuelle et féodale.

La particularité de ce bail perpétuel à la Milonnière était l’absence de droit de terrage, remplacé par cette rente importante de 52 boisseaux de grains, comme on le constatera quelques dizaines d’années plus tard aussi à la Chevaleraye et à la Javelière notamment aussi au Bignon de la Brossière plus tard encore. Le domaine affermé est désigné du mot de métairie, qui désignait au Moyen Âge la réserve directe d’un seigneur, exploitée par des laboureurs sous ses ordres, ou affermée dans des conditions variables. Ce qu’il faut relever ici c’est que le domaine avait déjà été exploité, et que la rente créée par le nouveau bail perpétuel a probablement remplacé d’autres redevances, peut-être un terrage. C’est que le terrage était la norme à Saint-André, la plupart du temps partagé alors à moitié entre le seigneur et le prieur de la paroisse. Or le terrage n’existe pas (ou plus) à partir de 1372 à la Milonnière.

Cette dernière date marque en même temps l’acquisition récente de la seigneurie du Coin par celle de Languiller, peu de temps après ou en même temps que le retrait de la mouvance de la baronnie de Montaigu sur le fief du bourg de Saint-André-Goule-d'Oie, remplacée par la mouvance des Essarts (2). Nous sommes en pleins bouleversements et dévastations de tous ordres dans la contrée, guerriers (la guerre de Cent Ans a commencé en 1337), épidémiques (la peste noire à partir de 1346) et climatiques (début du Petit Âge Glaciaire vers 1300). La famille des derniers seigneurs du Coin (le dernier s’appelait Jean Allaire), a disparu il y a peu, la demeure noble de la Dibaudelière (près de la Machicolière) est aussi tombée en ruine, et le nouveau possesseur du Coin relance l’exploitation de la Milonnière. Cette dernière est peut-être une ancienne possession de la DibaudelièreOn verra aussi dans les années qui suivent le fief de Saint-André, devenu une possession entière du seigneur de Linières, être transformé par lui en un bourg franc avec un régime allégé de redevances féodales. Bref, cette ferme perpétuelle de la Milonnière nous apparaît comme une étape d’un redressement en ce dernier quart du 14e siècle après les ravages d’une dépopulation certaine et de ruines foncières importantes. 

Changements au 16e siècle


Les héritiers de Jean de la Milonnière, s’appelait les Million, comme on le voit en 1538 dans un aveu de la Vergne (Chauché), où ils lui devaient une rente de 1 livre de cire (3). Dans un aveu de 1605 décrivant la situation en 1550, les confrontations du tènement de la Milonnière désignent le fief de Saint-André (constitué en gros par le bourg de la paroisse et une métairie vers l’ouest), les territoires de la Machicolière, de la Ridolière et des Noues (4). Au 17e siècle on relève les chemins qui le traversent ou le bordent, et qui devaient exister déjà depuis longtemps. On a le chemin qui conduit de Saint-André au village du Pin, aussi appelé chemin de Saint-André à Sainte-Florence. D’autres chemins de moindre importance sont aussi cités : de la Milonnière à la Croix de Lhomeau, de Saint-André à la Ridolière, de la Milonnière aux Barains, et le chemin de Saint-André à l’Aubrier. Certains de ces noms de lieux ont disparu depuis.

La Milonnière
Cette proximité avec le bourg de Saint-André et le village de la Ridolière, n’était pas celle des maisons comme maintenant, plutôt celle des champs alors. Les espaces habités, avec leurs petites maisons, étaient plus nombreux qu’aujourd’hui, mais occupant peu de surface au sol. Et pas de façades blanches, ni de clôtures, ni de pelouses autour des maisons, mais le gris des murs en pierres de schiste et celui des toitures en végétal séché, à côté de celles en tuiles. Les couleurs de l’habitat sont devenues plus lumineuses et plus joyeuses. Mais il y a moins de verdure qu’autrefois. Les nouvelles maisons ont fait disparaître beaucoup de champs et de prairies. Une permanence néanmoins sur un lieu-dit : la « Croix Fleurette » était déjà citée en 1606.

En 1550 le tènement de la Milonnière contenait alors en jardins 10 boisselées, en prés huit journaux, et en terres labourables et jachères quatre septrées et demi, ce qui fait un total de 14 hectares environ, plus des surfaces incultes dont on ignore l’importance (5). La ferme perpétuelle se payait par les redevances annuelles suivantes en 1550 à Claude de Belleville (1507-1564), seigneur de Languiller :
-          rente de trois septiers quatre boisseaux seigle (52 boisseaux au total ou 8,8 quintaux) à la mesure des Essarts, au titre du bail perpétuel de 1372.
-          cens de cinq sols neuf deniers. Ce montant était autrefois de 2 sols et 6 deniers, auquel s’ajoutait 6 deniers pour droit de rivage à l’étang du Pin (6).  
-          et droit de dîmes de deux agneaux de l’année à la Saint-Jean-Baptiste (7), continuant un droit ancien. 

Jules de Belleville (frère de Claude ci-dessus), seigneur de Languiller et chef protestant menant une guerre coûteuse pour ses finances, vendit beaucoup de redevances féodales. C’est ainsi qu’il vendit la rente noble de 52 boisseaux de seigle due sur le tènement de la Milonnière, à Jacques Durcot, écuyer seigneur du Buignon (Chauché) pour six vingt livres avec « rétention de grâce ». L’expression désignait la faculté de réméré dans un délai convenu, consistant en la résiliation de la vente et le remboursement de l’acquéreur. Puis Jules de Belleville vendit le 24 octobre 1575 son droit de grâce à trois particuliers habitants la Goimetière (Essarts) : Gendreau, Dignot et Basty. Pour cette somme il leur vend aussi la grâce retenue sur une autre vente à eux faite en 1571 de la moitié de devoirs féodaux sur le tènement du Retail Gueffier (Essarts) : 6 boisseaux seigle, 8 ras avoine, mesure des Essarts, et 6 sols 9 deniers de rente. L’ensemble des ventes est payé 140 livres.

La Goimetière (Essarts)
Ces trois particuliers avaient ensuite acheté la rente de la Milonnière pour 400 livres, ayant fait jouer leur droit de rétention de grâce. Mais le seigneur de Languiller prétendit après coup faire annuler les contrats pour plusieurs motifs (vice, montant usuraire), ce que les acquéreurs contestèrent, et l’affaire alla jusqu’au tribunal présidial de Poitiers. Une transaction fut passée le 5 septembre 1577 entre l’épouse du seigneur de Belleville, en son nom, Anne Goulard, Gendreau, Dignot et Basty, marchands. Ceux-ci payent un supplément de 130 livres au seigneur de Languiller, lequel leur reconnaît la propriété des rentes de la Milonnière et du Retail Gueffier. Gendreau, Dignot et Basty acceptent aussi devoir pour reconnaissance de fief sur ces rentes, chaque année à noël, pour la rente de la Milonnière 12 deniers, et pour la rente de Retail Guefier, 3 deniers, le tout de cens et devoir noble emportant fief et juridiction. La transaction a été passée devant Michel Masseau et Jean Thyreau, notaires de la baronnie des Essarts, au château des Essarts. Au bas de l’acte on lit la ratification signée de Jules de Belleville en son hôtel de Languiller le 1e janvier 1579. Est également au bas de l’acte la quittance des ventes et honneurs donnée par les fermiers des Essarts le 14 mai 1579 (8).

La rente de 52 boisseaux de seigle au 17e siècle


En 1606 et 1619, deux déclarations roturières faites chez des notaires de la Merlatière par les douze propriétaires du tènement nous renseignent de quelques changements (9). D’abord on y trouve le nom de ces propriétaires, trois bourgeois importants de la paroisse, Georges et Félix Proust et François Moreau. Les autres s’appellent : Guibreau (Mathurin, Antoine), Guereau (Françoise), Brisseau (Pierre), Robin (Pierre, André, Jeanne, Jacquette, Valérien), Borchet (René), Aparilleau (Jean), Rahraire (Pierre), Eschasseriau (Christophe, Maurice), Rochereau (Pierre), Bordier (Jacques). Ils n’habitent pas tous au village, comme Pierre Pasquereau, autre nom cité par exemple, qui habite la Ridolière, ou André Boussard, ou Jean Boisseau, ce dernier habitant aux Essarts.

On observe une nouveauté dans ces déclarations, le paiement de deux tailles d’un même montant de 15 deniers. La première à payer à la Saint-Jean-Baptiste à cause de la seigneurie de Languiller, la deuxième à payer à noël à cause du fief de la Raynard (sud-ouest du bourg des Essarts).

Les acquéreurs de la rente de 52 boisseaux ont bien sûr changé. Le 17 mars 1648 Jacques Basty, François Basty et Jeanne Pechereau sa femme, François Micheau et Marie Basty sa femme, vendirent leur part de 19 boisseaux dans cette rente pour 324 livres comptant à Mathurin Fresneau, marchand demeurant à la Sauvetrière aux Brouzils (10). En 1651, celui-ci apparaît  dans une déclaration noble pour la rente, à côté d’autres possesseurs : Jean Dinot (10 boisseaux), Charles Durcot à cause de sa femme Hélène Baradeau (12 boisseaux), le prieur Moreau de Saint-André (6 boisseaux) et Jacques Charron, prêtre, (5 boisseaux). Ils donnent ensemble chaque année à noël, pour la possession de cette rente, 12 deniers de cens à la seigneurie de Languiller (11). Pierre Moreau avait acheté sa part de 6 boisseaux, le 23 mars 1650 pour 120 livres à François Gaucher et Marie Mandin veuve en secondes noces de Me André Navarre. Cette rente portait alors le nom de rente de la Goimetière (12)

Milonnière à la Croix Fleurette
En 1652 Jacques Charron vendit sa part de 5 boisseaux dans la rente de 52 boisseaux à René Bertrand seigneur de la Pré et dame Charlotte Chedanneau sa femme demeurant à la Goupillière (Saint-Martin-des-Noyers), lesquels la revendirent aussitôt pour 85 livres à un nommé Robin. En 1660 Charles Durcot et dame Hélène Baradeau son épouse, demeurant au bourg des Essarts, vendirent pour 102 livres 16 sols 8 deniers, 4 boisseaux dans leur part de la rente de 52 boisseaux, à Madeleine Dumont, veuve de Me Jean Proust sieur de la Barre demeurant au bourg de Saint-André-Goule-d’Oie. En 1661 ces mêmes vendeurs vendirent à Jean Proust 2 autres boisseaux de la même rente pour 43 livres, avec un droit de retrait de 2 ans. En 1668 on a une autre vente de 6 boisseaux pour 120 livres dans cette rente par Laurent Brisseau et Françoise Charpentier sa femme, demeurant à la Ridolière, à Jean Boisson fermier de la seigneurie de Vendrennes, demeurant au château de Vendrennes. Les vendeurs avaient acquis cette part des héritiers Dinot en 1654 (13).

Un autre constat intéressant, relevé dans la déclaration de Pierre Moreau en 1675, est l’indication du nombre de boisselées du tènement. Un arpentement y avait été réalisé par un nommé Merland et donnait 281 boisselées environ, soit 34,2 hectares. Un autre aveu de 1664 donnait un chiffre approchant : 290 boisselées (14). Par rapport aux 117 boisselées indiquées dans l’aveu du Coin en 1550, on a une augmentation considérable de la surface. Le tènement n’a pas lui-même augmenté de surface bien sûr. Dans les deux cas, les chiffres déclarés servent à répartir les droits seigneuriaux. On en déduit que les parties non exploitées ont reculé entre les deux dates. Mais alors on aimerait savoir qui a profité du défrichement, et comment ?

Un amasseur de terre en action à la Milonnière au 17e siècle


Les archives de la famille Moreau concernant la Milonnière nous confirment par un exemple comment se sont constituées certaines borderies ou métairies, à Saint-André-Goule-d’Oie comme ailleurs. Dans une déclaration roturière, datée vers 1675, Pierre Moreau, sieur du Coudray, qui habitait dans le bourg de Saint-André, déclare tenir du seigneur de Languiller à cause de son fief du Coin Foucaud, des parcelles de terres dans le tènement de la Milonnière, qu’il énumère en indiquant l’antériorité des propriétés (15).

D’abord son grand-père François Moreau a acquis d’un nommé Bousseau au début du 17e siècle deux parcelles d’une surface de 9 gaulées (1,4 are). Puis son père Jacques, le fermier de Linières (ou régisseur ou procureur fiscal), a acheté une maison au village et 14 parcelles totalisant 3,8 hectares. Et lui-même a acheté une autre maison et 17 parcelles totalisant 1,9 hectare. Ainsi, sur plusieurs dizaines d’années, la famille Moreau a placé une part de ses revenus pour constituer une borderie à la Milonnière, modeste certes avec ses 7,1 hectares, mais de dimension significative pour l’époque.

Ce rachat progressif s’est fait parce qu’il y eu des vendeurs possédant de trop petites surfaces, les héritages ayant morcelé les propriétés. En guise de « Safer », que l’époque ne pouvait pas évidemment imaginer, les plus riches ont amassé des terres et constitué des exploitations agricoles importantes. On fait aussi ce constat en étudiant l’état de la propriété à la Porcelière. Mais en ce 17e siècle, le phénomène était devenu rare, commencé au Moyen-Âge, peut-être avant pour certaines métairies, principalement à l’initiative des seigneurs locaux. Mais dans la région, ce regroupement n’a pas été aussi systématique que dans la gâtine poitevine (16). Les petites parcelles, appartenant à de nombreux propriétaires, côtoyaient celles regroupées dans les borderies et métairies jusqu’à une période récente.

La documentation disponible, axée sur les redevances seigneuriales, ne permet pas toujours de détecter les unités d’exploitation comme une métairie, souvent à cheval sur plusieurs tènements. Il faut pour cela interroger les archives des notaires, mais souvent disparues dans la contrée pour cette époque lointaine.

Ces regroupements de parcelles ont aussi donné lieu à des regroupements d’habitats, c'est-à-dire à la suppression de certains d’entre eux. Parfois les textes nous indiquent l’existence de ces habitats disparus, comme les Petites Mancellières ou la Dibaudelière par exemple.

Dans la déclaration vers 1675 de Pierre Moreau de ses nombreuses parcelles, leurs confrontations nous donnent les noms des nombreux propriétaires voisins, soit limitrophes du tènement de la Milonnière, soit dans le tènement lui-même. Les noms qui reviennent le plus fréquemment sont : Pierre Pavageau, Pierre et Bastien Guereau. Il y a aussi le prieur de Saint-André, le seigneur de la Boutarlière et le bourgeois Proust de la Barre (Saint-Fulgent). Les autres propriétaires sont dans l’ordre alphabétique : Ardouin, Auvinet, Pierre Boudaud, Bousseau, Pierre Breteau, Pierre Brisseau, Pierre Chacun, Chariau, Collas Chenu, Egron, Girardin, Collas Mandin, Louis Navarre, Collas Pinteau, Louis Remigerau, Rochereau.


Les paysages de la Milonnière : haies, bournes, roustières au 17e siècle


Maisons de la Milonnière au loin
À la Milonnière, les champs étaient séparés entre eux par des haies en ce 17e siècle, mais on ne connaît pas leur importance. Les déclarations roturières ne les indiquaient que très rarement, mais cela ne veut pas dire qu’elles n’existaient pas. On a un exemple révélateur dans une vente de terre en 1701 aux Essarts, dont fait partie « une pièce de terre appelée le Petit Boissinot avec ses haies tout autour en dépendant ». Sa confrontation avec les parcelles qui l’entourent ne mentionne aucune haie, comme d’habitude (17).

On sait qu’il a pu exister un « droit de haie » dans la contrée, entendu au sens du droit de créer une haie. Dans un texte de 1653, on voit le seigneur de Languiller reprocher au possesseur de la Guiffardière (Essarts), d’inscrire dans son aveu un droit de haie, dont il prétend qu’il est un droit prohibitif et contraire à la coutume (18). Il semble bien que le seigneur de Languiller ait eu raison, mais au Moyen Âge certains seigneurs n’ont sans doute pas manqué d’imagination pour créer des redevances. Et c’est le seul exemple que nous connaissons.

L’entretien de ces haies, formées d’arbres et d’arbustes, a constitué un élément important de l’économie rurale de l’époque. C’était une clause incontournable des baux des borderies et métairies pour les protéger, les tailler, et se procurer du bois de chauffage. Aucun arbre ne pouvait être abattu sans la permission du propriétaire. Les haies ne servaient pas à délimiter précisément les parcelles foncières, pour cela on pratiquait le bornage. En revanche, elles protégeaient bien sûr de l’intrusion de certains animaux. Nous avons un indice de l’implantation progressive des haies avec les amendes pour vagabondage des animaux domestiques sur les terres du seigneur. Les amendes n’étaient pas rares aux 15e et 16e siècle (19). Ensuite on n’en a pas, mais les archives conservées sont clairsemées après la période mentionnée. Néanmoins, il parait probable que l’extension progressive des haies a diminué les vagabondages d’animaux. Cependant, à voir la parcellisation à outrance de beaucoup de champs et de prés dès le 17e siècle, elles n’ont pas accompagné cette parcellisation. On n’aurait plus eu de bocage alors, mais une forêt avec de nombreuses clairières ! À la différence de ce qu’on a pu observer dans la Gâtine Poitevine, on ne voit pas naître des haies avec les nouvelles métairies à partir du 16e à Saint-André-Goule-d’Oie.

Mais nous avons une exception en 1606 à la Milonnière, à cette absence de mention des haies dans les délimitations ou confrontations des parcelles foncières. Très souvent on y trouve des « bourne » au lieu des haies pour séparer les champs. On désignait ainsi très probablement la plante servant à couvrir le toit des maisons de « bournée », différente bien sûr du chaume qu’on utilisait aussi. Il reste à découvrir quelle était cette plante. On a trouvé pour le même usage dans la région, et à la même époque, que la bruyère s’appelait brande. On hésite donc à en faire un synonyme.

 À la Milonnière : ruisseau qui descend
 de l’étang des Noues
On trouve aussi en 1606 des pièces de terres qui sont des « roustières », possédées par François Moreau et « mademoiselle de la Boutarlière » (20). On cherche là aussi à définir ce mot. Il est proche des « rouchères » cultivées ailleurs dans le Poitou, qui étaient des endroits humides où poussaient des « rouches », plantes de la famille des roseaux, parfois utilisées comme liens. À la Naulière de Chauché (village disparu situé près de la Benetière), un aveu de la Chapelle Begouin de 1579 indique l’existence de « rauzés et bournés » entre deux pièces de terre, au lieu d’une haie (21). L’association des deux mots montre bien que nous avons à faire à des plantes aquatiques, servant peut-être à fabriquer des engrais par pourrissement, ou des couvertures de toiture par séchage. On a trouvé aussi le mot de « rouzoires » évoquant aussi les roseaux, aussi appelés « rousiaux » (22). Les terres étaient humides, propices à cette végétation, et traversées par le ruisseau qui descend de l’étang des Noues proche. Ce ruisseau est nommé aussi en 1606.

Une autre particularité rencontrée à la Milonnière à cette date, concerne l’espace occupé par les cours devant les maisons du village. Leur surface était divisée entre les propriétaires pour calculer la répartition des redevances dues sur le tènement. Mais à la Milonnière cette division obéit à une arithmétique précise, jusqu’à la 1/30e partie. On appelait cet espace les « quaireux », ou « quaruage » pour les ruages (abords) à usage de cour, et on ne sait pas pourquoi le besoin s’est fait sentir ici d’une telle division, unique dans la paroisse. Le plus souvent, le notaire indiquait simplement la surface occupée ensemble par les bâtiments, les vois d’accès et les cours pour chaque propriétaire. Peut-être y avait-il des cours non rattachées à des bâtiments ? On hésite à retenir l’hypothèse d’une redevance particulière qui leur aurait été attachée, puisqu’on en n’a pas rencontrée. Ce fut le cas par exemple dans le bourg de la Chapelle de Chauché, où les propriétaires des aires (écrit : aireau ou airault) devaient chacun une fourche de bian au seigneur. C’était la corvée de fanage de l’herbe du pré du Clous jusqu’à ce que le foin soit mis en « mellons », c’est-à-dire prêt à être enlevé (23).

L’achat de redevances seigneuriales par Pierre Moreau


Pierre Moreau, le neveu du prieur de Saint-André dont nous avons parlé plus haut, n’a pas fait qu’acheter des parcelles de terres sur le tènement de la Milonnière. Il a aussi racheté des droits seigneuriaux perçus sur lui. On se souvient que la rente de 52 boisseaux de seigle avait été vendue avant 1619 à plusieurs particuliers du village de la Goimetière des Essarts. Il en a racheté une partie en plusieurs fois. En septembre 1670 il acquiert de Jacques Thomazeau sieur de la Rante, 9,5 boisseaux de seigle, moyennant 152 livres, puis le 28 février 1682 d’Adrien Thoumazeau aussi de 9,5 boisseaux seigle, moyennant la même somme (24).

Dans l’évaluation en 1727 par voie d’experts des biens possédés à Saint-André-Goule-d’Oie par Claude Moreau, fils du précédent, on relève cette rente de dix-neuf boisseaux de seigle due sur le fief de la Milonnière (25). Elle est estimée alors en capital à 476 livres. Celui-ci était calculé à partir des revenus pendant vingt années, ce qui donne une valeur de 1,25 livres par boisseau cette année-là. Les prix du seigle ont baissé.

Le conflit avec Languiller sur le droit de fief à la Milonnière


Fosse de la Croix Fleurette à la Milonnière
Après avoir acheté la seigneurie de Languiller et ses fiefs annexes comme celui du Coin, en 1670/1674, Philippe Chitton chercha à faire valoir ses droits. En 1693, il réclama au fils de Pierre Moreau, Claude Prosper Moreau, la communication des contrats d’acquisition de son père (26). Ce dernier obtint un délai en 1700 pour fournir sa déclaration noble de la rente de 19 boisseaux seigle due sur la Milonnière (27). En 1701 il présenta une déclaration roturière pour ses domaines sur la Milonnière. 11 autres propriétaires firent de même séparément (28). S’agissant de sa déclaration noble, s’est joué aussi à la Milonnière le même conflit qu’à la Porcelière, la Bergeonnière, la Boutinière, la Chevaleraye, la Javelière, etc. Philippe Chitton se voulait le seul seigneur en titre du Coin, même s’il ne possédait plus les redevances seigneuriales qui allaient avec, ou seulement une petite partie.

C’est lui qui rendait hommage et aveu pour le Coin au baron des Essarts. Il réclamait le paiement du cens dû à ce dernier, au moins en partie pour les propriétaires des droits seigneuriaux, ainsi que le droit de basse justice foncière qui ne se divise pas selon lui. Dans le même temps, des bourgeois comme les Moreau, qui avaient acquis des droits seigneuriaux, ne voyaient pas pourquoi ils ne jouiraient pas du droit de basse justice, et même du droit de lods et ventes. C’était une question d’argent, mais aussi de principe, et d’honneur, comme un signe de reconnaissance d’un statut de la noblesse auquel ils aspiraient.  

Chez les Moreau non plus, les titres en possession dans la famille en 1693 ne couvraient pas toutes les propriétés réelles et revendiquées. On suppose qu’à la Milonnière, le sieur Moreau finit par reconnaître les prétentions de Philippe Chitton.

En 1751, les droits roturiers perçus par le seul seigneur de Languiller sur les propriétaires de la Milonnière, se résument à (29) :
-          2 agneaux à la Saint-Jean-Baptiste pour droit de dîme,
-          12 deniers de service à noël et 12 deniers à la Saint-Jean-Baptiste,
-          2 sols 6 deniers de cens.

Un droit particulier apparaît alors, le droit de linage qui était une redevance sur le lin, d’un montant de 3 deniers à la Milonnière (30). Peut-être s’agissait-il d’une redevance sur la pratique du rouissage du lin, car la culture elle-même pouvait être soumise au terrage, comme on l’a vu dans les environs, ou au droit de dîme. À moins que ceux-ci aient été arrentés en ce droit particulier qu’on ne rencontre qu’à la Milonnière pour Saint-André.


(1) Note no 9 sur la Milonnière à Saint-André-Goule-d'Oie, Archives d'Amblard de Guerry : S-A 2.
(2) Aveu en 1343 de Jean de Thouars à Montaigu (roi de France) pour des domaines à Saint-André no 389, Archives d'Amblard de Guerry : classeur d'aveux copiés aux Archives Nationales. Et note no 5 sur le fief de Saint-André (bourg) à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 3.
(3) Note no 8 sur la Milonnière à Saint-André-Goule-d'Oie, Archives d'Amblard de Guerry : S-A 2.
(4) Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 61, aveu pour le Coin Foucaud et le Vignault du 2-7-1605 par le seigneur de Languiller aux Essarts – deuxième copie de l’aveu de 1550.
(5) Pour l’équivalence des unités de mesure, voir notre article publié sur ce site en mars 2015 : Les unités de mesure en usage à St André Goule d'Oie sous l'Ancien Régime
(6) Note no 6 sur la Milonnière à Saint-André-Goule-d'Oie, Archives d'Amblard de Guerry : S-A 2.
(7) Idem (4).
(8) Note no 3 sur la Milonnière Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 2. Et transaction du 5-9-1577 sur les rentes de la Milonnière et du Retail Gaiffier, Archives de Vendée, fonds Mignen : 36 J/321.
(9) 150 J/G 47, déclaration roturière du 16-6-1619 de plusieurs teneurs de la Milonnière, et déclaration roturière du 3-6-1606 de 4 teneurs à la Milonnière, Bruères et Suries.
(10) Note no 11 sur la Milonnière Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 2.
(11) 150J/G 47, déclaration noble du 8-7-1651 de plusieurs teneurs à Languiller pour rente sur la Milonnière.
(12) Inventaire après-décès en 1666 du mobilier, vaisselle, linge et papiers de Pierre Moreau, Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, page 110.
(13) Notes no 12, 14, 15 et 16 sur la Milonnière Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 2.
(14) 150 J/G 47, déclaration roturière du 28-6-1664 de Bousseau pour la Milonnière.
(15) Archives de Vendée, chartrier de la Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, déclaration roturière de Pierre Moreau pour la Milonnière vers 1675.
(16) Louis Merle, La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à la Révolution Paris SEVPEN (1958).
(17) Archives privées Gilbert, ventes du 2-1-1701 de terres aux Essarts de Pierre Robin et Billaud au sieur Masson.
(18) 150 J/A 12-2, accord du 14-5-1653 par P. de la Bussière, sur les litiges concernant l’aveu et les déclarations de la Guiffardière (Essarts).
(19) Assises de Languiller et fiefs annexes en 1481, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150J/M 36, page 1. Ibidem 1484 : 150 J/M 36, page 2.
(20) Isabeau de Plouer, veuve en 1595, était originaire de Mouchamps. Elle avait épousé, le 25 février 1580, Léon Gazeau Ier, seigneur de la Brandasnière et de la Boutarlière (Il fut un marin éprouvé à qui le roi Henri III permit d’armer pour le roi du Portugal).
(21) 150 J/C 74, Chapelle Begouin, aveu du 29-5-1579 de la Chapelle Begouin, page 21.
(22) Bulletin trimestriel de la société archéologique de Touraine, 1987, Dr Jean Moreau, Étymologie des toponymes ruraux de Monthelan et leur évolution depuis cinq siècles, tome 41, page 682.
(23) 150 J/C 74, Chapelle Begouin, aveu du 29-5-1579 de la Chapelle Begouin, page 4.
(24) Archives de Vendée, chartrier de la Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, mémoire de Claude Moreau contre Chitton du 4-5-1693 au sénéchal de Fontenay.
(25) 22 J 29, sentence d’ordre du 9-9-1727 des syndics des créanciers de Moreau et Menard (copie du 9-3-1754).
(26) 22 J 29, mémoire vers 1693 pour le seigneur de Languiller en réponse à Moreau sur ses propriétés.(27) Assise de Languiller en 1700, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/M 44, p. 30.(28) Ibidem : 150 J/M 44, pages 14 à 47.
(29) 150 J /G 47, déclaration roturière du 28-5-1751 de Rochereau pour la Milonnière.
(30) Ancien mot : droit sur le lin [Dictionnaire universel françois et latin Paris (1752) Tome 4, page 391].


Emmanuel François, tous droits réservés 
Avril 2016, complété en janvier 2023

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