samedi 1 octobre 2011

Le catéchisme des trois Henri : le curé de Chauché attaque son évêque.

Jules Alexis Muenier : La leçon de catéchisme
Dans le registre paroissial de Chauché, le curé Jude Bellouard écrit pour l’année 1757 : « En mille sept cent cinquante-sept, Monseigneur de Verthamon a voulu faire enseigner dans notre diocèse un catéchisme rempli d'erreurs ; les curés et viquaires de saine doctrine n'ont point voulu souscrire à l'enseignement d'un tel catéchisme. Ceux qui l'ont enseigné, ce sont des curés et vicaires étrangers poussés par un vil intérêt ou par d'autres motifs terrestres. Ce catéchisme mauvais est appelé le catéchisme des trois Henri. » (1)

Diable ! est-on tenté de s’exclamer... ou mon Dieu ! Sur Saint-André-Goule-d’Oie ou Saint-Fulgent, on ne trouve pas d’allusion à ce catéchisme au nom apparemment « pas catholique ». En revanche l’évocation du clergé étranger ne nous étonne pas, puisqu’à cette époque le diocèse de Luçon manquait de vocations et avait dû faire appel à des prêtres venus de l’étranger. Ainsi de Jean Baptiste Poulain, prêtre de la province de Normandie, inhumé le 30 octobre 1688, d’Eustache Madeline, inhumé le 6 juillet 1699, qui était originaire de Vire en Normandie, ainsi que de Guillaume Burk, prêtre irlandais du diocèse de Cloufart (province de Conacy), décédé le 15 novembre 1701 dans la maison noble de Boisreau, et inhumé à Chauché comme les deux précédents (2).

Quant aux « motifs terrestres et au vil intérêt de ces prêtres », Jude Bellouard ne précise pas sa pensée. Peut-être fait-il allusion au laisser-aller de ses prédécesseurs à Chauché au temps des évêques jansénistes de Luçon. Ainsi Jacques Dorinière, prêtre, inhumé à Chauché le 24 janvier 1687, avait eu un fils à l’âge de 27 ans avec Suzanne Ayrault (qui fut inhumé à Chauché le 7 août 1674). Il était diacre au moment de cette naissance. Peut-être aussi avait-on gardé le souvenir de la querelle, au début des années 1600, entre le curé Barbot et son vicaire Normandin, pour la possession de la cure (3). Bref, Chauché avait connu un clergé indigne autrefois.

Mais cette attaque du titulaire de la modeste cure de Chauché envers l’évêque de Luçon, sur le terrain même de la religion, étonne. Alors, de quoi s’agit-il ?

Le catéchisme des Trois Henri doit son nom au prénom des trois évêques qui le propagèrent à la fin du XVIIe siècle dans leurs diocèses, celui de Luçon (Henri de Barillon), celui de la Rochelle (Henri de Laval) et celui d’Angers (Henri Arnaud). Rédigé de manière simple, souvent avec des questions/réponses, il avait pour but d’enseigner la religion catholique dans les familles. À cette époque, chaque évêque écrit ou approuve un manuel d’enseignement dans son diocèse, appelé catéchisme, pour bien se démarquer de l’hérésie protestante. Publié en 1676, le catéchisme des Trois Henri fut interdit ensuite en 1701 dans le diocèse de Luçon par les successeurs de Mgr de Barillon, Mgr de Lescure et Mgr de Rabutin, très antijansénistes. C’est que Mgr de Barillon avait eu des sympathies pour le jansénisme et son prédécesseur, Mgr de Colbert, avait pris position contre le pape, quand celui-ci avait condamné Jansénius. Cette interdiction du catéchisme des trois Henri relevait d’une chasse au jansénisme en considération des personnes, plus que du texte même incriminé.

Ce monseigneur de Barillon avait été généreux envers la confrérie de la Charité de la paroisse de Chauché. À sa mort il lui avait légué une somme de 50 livres. Elle fut mise au coffre de la confrérie le 2 août 1699 en présence des officières, par le curé Clément Thibaud et le procureur des pauvres, maître Jacques Basty, sieur de la Perrauderie (4).

Jansenius
Le jansénisme est né d’une fausse interprétation de la pensée de saint Augustin, faite par Jansénius, évêque catholique d’Ypres. Publiée en 1646, dans son livre l’Augustinus, la doctrine présente l’homme comme irrémédiablement vicié par le péché originel. Son rachat par la grâce est réservé aux âmes prédestinées, niant à la fois le libre arbitre de l’homme et la volonté divine de sauver tous les hommes (5). Cette doctrine fut condamnée par les papes à plusieurs reprises, mais elle séduisait des catholiques, en général des milieux cultivés, épris d’austérité morale. Ils refusèrent d’obéir au pape, à une époque où son infaillibilité n’était pas un dogme. Le pardon des péchés exigeait de longues pénitences selon les jansénistes, et la communion était réservée à des fidèles très pieux.

Louis XIV, chef de l’Église catholique de France, réprima les jansénistes avec brutalité, créant de ce fait un problème politique. Dans cette querelle, l’ordre des jésuites se mit en avant pour défendre le pouvoir du pape. Les deux camps ennemis, les jansénistes et les jésuites, ne s’alimentaient que d’exclusives, mettant aussi en œuvre les moyens judiciaires et politiques à leur disposition, puisque l’Église et l’État étaient fortement liés l’un à l’autre à cette époque. L’État national français, centralisé et bureaucratique est né au 17e siècle, la Sorbonne s’affichant plus nationaliste que jamais et l’Église de France penchant vers le gallicanisme. Aussi quand le pape demanda aux jésuites d’influer pour faire appliquer sa bulle Unigenitus contre les jansénistes, ils apparurent transnationaux, aux ordres de l’étranger représenté par le pape, se heurtant à la fin du règne de Louis XIV à la naissante affirmation du nationalisme français. D’une affaire de religion on avait fait une affaire politique.

Mrg de Verthanon, de tendance janséniste, fut nommé évêque de Luçon en 1737. Par ses maladresses et ses provocations il ralluma dans son évêché la querelle des jansénistes et des jésuites (6). Ceux-ci enseignaient au séminaire et ils avaient dans le même camp qu’eux, la majorité des chanoines de la cathédrale, et aussi les Ursulines de Luçon. L’évêque prit des mesures (nominations) qui mirent le feu aux poudres. On en vint aux mains dans la cathédrale et au couvent des Ursulines. En 1751 il décida de rétablir l’usage de l’ancien catéchisme des Trois Henri, remplacé depuis 1701. Ce manuel rappelait de manière classique l’essentiel des dogmes catholiques pour l’éducation des gens simples. Il était exempt de toute hérésie. Mais beaucoup refusèrent dans le clergé vendéen de l’enseigner, par sectarisme envers l’évêque, accusé à juste titre de jansénisme. Le parlement de Paris fut saisi, qui confirma la décision de l’évêque d’expulser les jésuites du séminaire de Luçon. On s’en rapporta au pape, qui refusa de condamner le catéchisme des Trois Henri. La querelle ne prit fin dans le diocèse qu’avec la mort de l’évêque en 1758.

Dans son livre récent, Mme Françoise Hildesheimer, Rendez à César, l’Église et le pouvoir, met en lumière l’enjeu politique du jansénisme à cette époque. D’abord il y avait les rapports de l’Église de France et du roi depuis le concordat de 1516, conclu entre François 1er et le pape. Il eut pour conséquence de placer les évêques dans un rôle d’instrument de direction de l’opinion au service du roi de France. Ensuite des spiritualités nouvelles, fruits de la contre-réforme catholique, comme le jansénisme, répondirent à un besoin d’absolu. Mais l’absolu de Dieu risquait d’apparaître comme une renaissance de l’insoumission protestante, alors que l’esprit d’autorité triomphait dans l’Église et le royaume. En promouvant une conscience plus indépendante, le jansénisme portait un potentiel de désobéissance civile. Alors que les jésuites, au début utilisés par le pouvoir politique contre les jansénistes, portaient eux un esprit universaliste, mais au service du pape, ce qui les éloigna des philosophes des lumières et du parlement de Paris au 18e siècle.


(1) Rapports des chefs de service au Conseil Général de la Vendée, lors de sa 2e session en 1899. Voir 2e chapitre du rapport, page 85 (vue 342 sur Gallica)
(2) Rapports des chefs de service au Conseil Général de la Vendée, lors de sa 2e session en 1899. Voir 2e chapitre du rapport, page 82 (vue 339 sur Gallica)
(3) Rapports des chefs de service au Conseil Général de la Vendée, lors de sa 2e session en 1899. Voir 2e chapitre du rapport, page 84 (vue 341 sur Gallica.fr)
(4) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 28-1, registre de la confrérie de la Charité de la paroisse Saint-Christophe de Chauché, page 54.
(5) H. X. Arquillière, Histoire de l’Église (1941), Éditions de l’École, page 343
(6) J. F. Tessier, de Verthanon évêque de Luçon jalons pour un itinéraire, 2e partie, annuaire de la société d'Émulation de la Vendée, 1988, page 73 et s.

Emmanuel François, tous droits réservés
Octobre 2011, complété en mars 2018

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La vie privée de Guyet-Desfontaines (1797-1857)

Naissance et éducation


La naissance de Guyet-Desfontaines le 26 avril 1797 a fait l’objet d’une fausse déclaration sur l’identité de ses parents. Il s’agissait alors pour sa mère, toujours mariée au vicomte Charles Auguste de Lespinay, parti guerroyer contre les révolutionnaires dans les rangs des émigrés, de cacher cette naissance adultérine et ses liens amoureux avec le jeune républicain originaire de Saint-Fulgent, Joseph Guyet. On déclara un faux père : Desfontaines. Ses parents naturels, mariés en 1804, l’adoptèrent légalement en 1824 (la loi exigeait alors d’avoir l’âge minimum de 50 ans pour adopter). Il prit ainsi le nom de Guyet-Desfontaines.

Sur la jeunesse de Marcellin Guyet-Desfontaines, nous disposons de peu d’informations. Le peintre Delacroix a été son camarade au lycée impérial de la rue Saint Jacques à Paris (actuel lycée Louis Le Grand). Avec des parents fortunés, propriétaires du domaine de Linières (Vendée), le jeune Marcellin a dû recevoir une solide éducation, comme il le montrera plus tard dans sa vie d’adulte. Après le baccalauréat il a fait son droit.

Dans son milieu familial, il a grandi avec le culte des principes nouveaux nés de la Révolution française. Mais il a dû aussi intégrer la partie royaliste de son « patrimoine génétique », avec l’histoire de sa mère, et les du Vigier de Mirabal. Les enfants du grand-oncle Jean Baptiste du Vigier, qui s’était fait massacrer en tant que garde du corps du roi le 10 août 1792, avait une autre vision de la Révolution Française. Un petit-fils participera à l’âge de 16 ans, dans la troupe des zouaves pontificaux en 1860 contre les piémontais, à la sanglante bataille de Castelfidardo (1).

Ajoutées à un héritage culturel aussi contrasté, les conditions rocambolesques de la déclaration de sa naissance, l’attente du délai de son adoption officielle par ses parents naturels en 1824, la mort de sa demi-sœur en 1811, Henriette de Lespinay, tous ces éléments lui ont donné une enfance et une adolescence peu banales. Indiquons tout de suite que dans sa vie d’adulte, il a beaucoup contribué au bonheur de ses proches, et il s’est consacré au service des autres dans l’action politique, donnant l’image d’un homme responsable et équilibré.

Tout juste remarque-t-on un détail dans sa signature : le mot Guyet a une écriture penchée vers la gauche et le mot Desfontaines, à l’inverse a une écriture penchée vers la droite, avec dans les deux cas une graphie différente. Quel sens pourraient donner des spécialistes de la graphologie à cette observation ? Guyet à gauche et Desfontaines à droite, voilà bien qui concorde parfaitement avec la réalité historique en tout cas ! 

Ses débuts d’homme de lois et sa rencontre avec Emma Duval


Après son droit il a débuté dans la vie comme avocat près la cour d’Assise de Paris, en 1817 dit une biographique (2). Il est alors âgé de 20 ans et c’est aussi ce qu’on lit dans un certificat d’exemption du service militaire. On suppose qu’il était alors plutôt en stage. Il était conscrit de la classe 1817, susceptible d’être tiré au sort pour faire son service militaire. Il a été libéré de cette obligation à cause d’une exemption pour myopie. Dans le certificat qui en fait état, on lit qu’il mesurait 1,67 m (3). Il était donc relativement petit, comme son grand-père Simon Charles Guyet de Saint-Fulgent. 

Il est entré le 15 juin 1818 dans une étude de notaires parisiens, Me Colin de Saint-Miege et Chauvin, pour commencer son temps de cléricature, y débutant comme 4e clerc. Il est passé 3e clerc le 2 avril 1820. Puis il a poursuivi chez Me Chaulin à partir du 25 septembre 1823, comme 2e clerc, et 1e clerc le 1e décembre 1823. Au total il a rempli la condition nécessaire de temps de stage pour être nommé notaire, d’au moins 7 ans, dont 2 ans comme 1e clerc. C’est ce qu’a vérifié la chambre des notaires de Paris lors de ses séances des 20 et 28 avril 1826. Celle-ci a constaté qu’il avait l’âge requis d’au moins 25 ans, qu’il était libéré du service militaire et elle s’est portée garante, après enquêtes, des capacités et moralité du candidat. Elle a aussi vérifié auprès de la mairie du domicile (2e arrondissement de Paris) qu’aucun cas de suspension ni privation de ses droits civils et civiques nécessaires à l’exercice d’une fonction publique, n’était relevé à son encontre. Guyet-Desfontaines a été interrogé par les membres de la chambre sur ses connaissances en droit, lesquels s’en sont déclarés satisfaits. Cet examen professionnel a donc remplacé l’exigence d’un diplôme universitaire. Et pourtant on pourra apprécier plus tard ses bonnes connaissances en droit, tant à la chambre des députés que dans ses échanges avec le préfet quand il fut maire de Marly-le-Roi. Sa demande de nomination comme notaire à Paris, déposée à la chambre des notaires le 11 mai 1826, était en remplacement de la démission de Me Breton (du 13 avril précédent) en sa faveur, dont il avait acheté l’étude pour 400 000 F. Le prix, quoique considérable, fut jugé en rapport avec son volume d’activité. Un relevé des actes passés dans les 10 dernières années dans cette étude fut fourni : 4590 minutes et 3578 brevets, produisant pour le fisc, peu gourmand à l’époque, 859 192,71 F de droits d’enregistrement (4). Son père possédait à son décès 4 ans plus tard des immeubles à Paris et des valeurs financières, plus en Vendée 485 hectares dans les marais et 930 hectares dans le bocage. Il était riche et c’est lui qui paya l’étude à son fils. Guyet-Desfontaines a été nommé à son office du no 6 rue du Faubourg-Poissonnière (ancien 2ème arrondissement de Paris), à l’âge de 29 ans le 30 mai 1826. Son étude devait être importante. À son endroit, on notera l’expression de « riche notaire parisien », employée dans un document.

Nous savons qu’il était passionné de théâtre, de peinture, de musique et de littérature. Il aimait fréquenter des artistes comme son ami Delacroix. Un de ses clercs de notaires, Félix Arvers (1806-1850), embauché en 1830, connut le succès en tant que poète à son époque. Un biographe de ce poète a écrit : "Par devoir, il devient clerc de notaire ; par vocation, il rime. Au surplus, quel délicieux endroit pour donner rendez-vous aux Muses que l'hospitalière étude de ce bon M. Guyet-Desfontaines Imagine-t-on un notaire de cette sorte ? Le siècle n'en vit qu'un et ce fut celui-là. Cet aimable officier ministériel ne s'hypnotisait pas, tant s'en faut, sur les cartons verts. Il aimait les arts, chérissait les artistes, fréquentait chez les lettrés, comptait des amis illustres, à l'Académie, dans les cénacles et dans les salons où l'on cause. On jouait chez lui la comédie de société. Chez son patron, Félix Arvers rencontre Delacroix, Dumas." Il quitta l’étude en 1836 en tant que 2e clerc.

Marcellin avait 33 ans quand son père est mort. C’est à la même époque qu’il rencontra sa future femme chez Isidore Guyet, dont il était un neveu. Journaliste au Courier Français, Isidore habitait au no 26 boulevard de Boule. Républicain, il avait bien sûr signé la pétition contre la première des cinq ordonnances de Charles X du 26 juillet 1830 suspendant la liberté de la presse et rétablissant la censure. Contre la majorité des journalistes de l’époque, c’était un homme cultivé et instruit. Il avait notamment réalisé une bonne édition de Voltaire.

Mais cet homme recevait aussi chez lui sa nièce et son neveu, les enfants d’une sœur de sa femme : Emma Chassériau et Amaury-Duval. Emma Pineu Duval s’était mariée avec A. Chassériau, mais était devenue veuve.

Elle faisait alors pour son oncle « le résumé des principaux articles des journaux de Paris, peut-être un ministre, auquel ce résumé était envoyé », selon ce qu’écrit Amaury-Duval dans son livre de souvenirs (5). Il continue en expliquant la rencontre des deux futurs époux. Nous avons consacré un article spécialement sur cette rencontre.Voir l’article publié en septembre 2011 : La rencontre de Marcellin Guyet-Desfontaines et d’Emma Chassériau.

Guyet-Desfontaines s’intéressa à l’ancêtre de la photographie. À ce titre, on lui doit des clichés de daguerréotype, dont certains d’entre eux furent vendus aux enchères à Drouot-Richelieu en décembre 2008. Ils étaient estimés dans le catalogue à 200/300 €. La daguerréotypomanie, comme l’appela un caricaturiste, s’empara des gazettes vers 1839. Le 6 mars 1841, à onze heures du matin, Louis Philippe se fit daguerréotyper dans la cour des Tuileries et l’opération dura trois minutes. Le 19 août 1839, François Arago, savant et homme politique, déclara à l'académie des Sciences que la France venait d'acheter un brevet révolutionnaire : elle « dote noblement le monde entier d'une découverte qui peut tant contribuer aux progrès des arts et de la science ». L'invention de Daguerre connaît en 1841 un succès fulgurant. Rien qu'à Paris se vendent cette année-là 2 000 appareils et 500 000 plaques photographiques. Mais le succès est éphémère, le daguerréotype est vite dépassé par la photographie (6).


Ingres :
Guyet-Desfontaines (Musée Bonnat)
Néanmoins, c’est un des plus grands peintres français, Ingres (1780-1867), qui nous permet de montrer Guyet-Desfontaines dans un dessin, à la mine de plomb et rehauts de blanc (32x24.3 cm). Il est conservé au musée Bonnat de Bayonne et provient du fonds Amaury-Duval, légué à son élève Froment-Delormel. Marcellin nous apparaît élégant et sûr de lui, sensible et observateur, à l’aise dans les contacts humains, avec un air malin.

Son entrée dans le cercle familial de son épouse


Emma, revenue habiter chez son père après la banqueroute de son premier mari et sa fuite en Amérique du sud, fréquentait le salon des Nodier à l’Arsenal, un des lieux réputés de rencontre des artistes romantiques. Elle avait elle-même créé son propre salon chez son père, qui avait un logement de fonction, quai Conti à Paris. Il était en effet secrétaire de l’Académie des Inscriptions et belles lettres. Elle y réunissait des écrivains, des musiciens, des chanteurs et des comédiens. Après son mariage, elle emmena tout ce monde chez son mari, rue du Faubourg-Poissonnière d’abord, puis au no 36 de la rue Anjou-Saint-Honoré.

Guyet-Desfontaines aimaient les artistes, nous l’avons vu, son épouse aussi. Léon Séché, dans son Études d’Histoire romantique Alfred de Musset (1907), écrit à propose de son étude notariale : « Déjà fréquentée par les écrivains et les artistes, elle était déjà devenue, à partir de son mariage avec Mme veuve Chassériau, fille, sœur et nièce des trois Duval (7), une manière d’académie, un salon où passaient et repassaient, chaque semaine, les habitués de l’Arsenal, à commencer par la famille Nodier. On y dansait, on y faisait de la musique, on y disait des vers, et les clercs de l’étude étaient de toutes les fêtes. »

Ingres : 
Mme Guyet-Desfontaines
(musée Bonnat)
La personnalité d’Emma, les nombreuses lettres qu’elle a écrites, la notoriété de ses fréquentations, la réputation de son salon, forment un ensemble qui mérite plusieurs exposés particuliers sur cette femme, même si cette présentation oblige à séparer artificiellement la part de vie commune du couple, notamment leur vie mondaine et familiale. Ils feront l'objet d’articles à venir au premier semestre 2012 sur le présent site.

Guyet-Desfontaines perdit sa mère en avril 1833. Il se trouva alors à la tête d’une importante fortune, ayant recueilli l’héritage de ses parents et de sa demi-sœur. Voir notre article publié en juillet 2014 : La fin du domaine et du château de Linières. Il possédait le domaine de Linières (Vendée) bien sûr, mais aussi son étude de notaire, des fermes dans le marais vendéen et des immeubles à Paris.

Il va aider son beau-père, Amaury Duval. Celui-ci s’était porté caution pour son gendre, Adolphe Chassériau, quand ce dernier, quittant l’armée après Waterloo, s’était lancé dans une affaire d’édition de livres. Et à la date du 19 août 1836, M. Guyet-Desfontaines était créancier de M. Pineu Duval d’un capital de 29 116,09 F.

Les 10 et 30 octobre 1836, ce dernier dû vendre à son gendre la totalité de ses objets mobiliers, livres et gravures, moyennant le prix de 4 094 F. Sa dette se trouva ainsi réduite à 25 022,09 F. M. Duval signa ensuite les mêmes jours une reconnaissance de dette à son gendre pour ce dernier montant. Il fit une affectation hypothécaire pour la garantir, sur sa maison de campagne de Montrouge, laquelle était déjà grevée à cette date de privilèges et hypothèques pour une somme de 74 000 F au profit de divers créanciers, avec une délégation sur une compagnie mutuelle d’assurance. Autant dire que la garantie au profit de son gendre avait peu de valeur. En complément, il fit une délégation à M. Guyet-Desfontaines des sommes qui lui étaient dues : traitements et émoluments de l’Institut de France, pension de retraite, indemnité de logement (depuis qu’il avait quitté son logement de fonction du Quai Conti), et perception des loyers de la maison de Montrouge. Ces dispositions n’empêchèrent pas la dette du beau-père à l’égard du gendre d’augmenter. À sa mort elle s’élevait à 27 850,11 F.

M. Pineu Duval, comme membre de l’Institut de France, eu droit à une escorte d’honneur d’un détachement militaire (payé 50 F à l’État-major par son gendre) lors de son enterrement. Ses effets, linge, hardes, bijoux et autres objets servant à son usage personnel furent évalués après son décès à la modeste somme de 201 F. Dans l’inventaire de ces objets, on note deux petits anneaux en or, une croix d’officier de la légion d’honneur, une croix de chevalier de la légion d’honneur, et un costume de membre de l’Institut.

L’actif de sa succession ne fut pas calculé, car proche de zéro. Le passif s’éleva à 108 846,91 F (8). M. Guyet-Desfontaines dû intervenir après coup, mais la documentation nous manque pour savoir comment et de combien. On a seulement relevé qu’une main levée fut obtenue le 15 décembre 1838 sur une créance remontant à 1831, et gagée sur la maison de Montrouge (9).

Les écrits et papiers personnels de M. Pineu Duval ont été recueillis par son fils Amaury-Duval, peintre d’histoire. Ils se trouvent conservés avec ceux du peintre et ceux d’autres membres de la famille, dans la bibliothèque de la société Éduenne des lettres, sciences et arts, au musée Rolin de la ville d’Autun.     

Marcellin adopta la fille de son épouse, issue de son premier mariage, Isaure. Celle-ci avait 11 ans quand elle vint habiter chez son beau-père. Ce dernier l'a reçue et l’adopta comme sa propre fille, lui procurant les moyens d’une éducation d’un enfant de la haute société. Au jour de son mariage il la dota de 150 000 F.

Amaury-Duval : Isaure
Ses lettres personnelles où il a évoqué ses relations avec sa fille adoptive n’ont pas été conservées. Faute de mieux on se contentera de ses testaments. Les textes et leurs contenus sont intéressants à cet égard. Déjà dans un premier testament en 1833, près de 2 ans après son mariage, il donne un capital de 400 000 F et une rente de 18 000 F à sa jeune épouse, outre son mobilier. Ces legs iraient à la fille de sa femme, Isaure Chassériau, si Mme Guyet-Desfontaines venait à décéder avant lui. On voit ici à la fois l’importance du patrimoine, et la place occupée par cette petite fille dans sa vie (10).

Dans un testament rédigé à l’âge de 55 ans, on voit Guyet-Desfontaines préoccupé par Isaure. Il est daté du 31 janvier 1852, juste après la séparation de corps et de biens de sa fille, qu’il désigne comme un notaire et un grand-père à la fois : « ma chère fille, Charlotte Berthe Isaure Chassériau, épouse séparée de corps et de biens de M. Alfred de Brayer ». Il y fait de sa femme sa légataire universelle. Et dans un codicille c’est sa fille qui hériterait de tout, pour le cas où sa mère viendrait à mourir avant elle. Pour les biens meubles, il précise une réserve à l’intention de sa fille, bénéficiaire d’objets spéciaux. Et pour s’assurer que cette réserve est suffisante, il fixe à 150 000 F la valeur minimum de ses biens meubles, quitte, pour atteindre ce montant, à prendre sur ses biens immeubles. Cette réserve concerne tout le mobilier meublant qui garnit l’appartement de sa fille à Paris dans sa maison, aussi bien que celui qui se trouve dans la petite maison qu’elle occupe personnellement dans sa propriété de Marly. Sa fille conserve ainsi la pleine propriété de tous les meubles s’y trouvant, y compris ceux prêtés par ses parents.

Pour la totalité de ces biens immeubles, sa femme en a l’usufruit sa vie durant, et sa fille la nue-propriété, pour en recueillir la jouissance seulement après l’extinction de l’usufruit de sa mère. Ces biens rentreront naturellement sous l’empire des stipulations de son contrat de mariage aux termes duquel tous ses biens sont soumis au régime dotal. Ce rappel lui parait nécessaire après la dilapidation par Alfred de Brayer d’une partie de sa dot. Et il ajoute avec des mots touchants qu’il donne en plus à sa fille, une rente viagère annuelle de 6 000 F. Cette rente doit être dans sa totalité incessible et insaisissable.

Pour son petit-fils il a aussi des mots de tendresse d’un grand-père, et laisse à sa femme le soin de choisir « un petit souvenir spécial qu’il conservera en mémoire d’un grand-père qu’il a rendu si heureux ». Dans un codicille il suggère de lui donner sa bibliothèque (sauf quelques volumes à en détacher), et encore sa montre et le pupitre sur lequel il travaillait journellement depuis près de 30 ans. Dans un dernier codicille du 19 avril 1853, il ajoutera qu’en cas de décès de Mme de Brayer avant lui, toutes les dispositions contenues en sa faveur dans le testament et les codicilles, profiteront à son fils Marcel de Brayer. La santé de la mère devait déjà donner des signes d’inquiétudes au grand-père pour lui faire ajouter cette disposition. D’ailleurs elle mourra un an après.

Dans les autres codicilles, il met les points sur les « i » touchant les implications juridiques de ses dispositions testamentaires au regard du régime dotal du contrat de mariage de sa fille. On sent la méfiance envers le gendre, qui n’est que séparé de corps et de biens, mais dont le contrat de mariage existe toujours, le divorce n’existant pas à l’époque. D’ailleurs dans le premier codicille il nomme comme exécuteur testamentaire son notaire, Me Poumet, auquel il donne pour cela un « diamant » de 5 000 francs. Le mot désignait une gratification, apparemment utilisée pour les exécuteurs testamentaires, synonymes de « poignée de main », « épingles » ou « pot de vin » dans d’autres milieux de la société que celui des notaires parisiens.

Ce testament témoigne de ce qu’ont été les liens d’affection existant entre l’oncle, la nièce et la sœur depuis le temps de leur vie commune au Quai Conti. Puis ce noyau s’est élargi au mari fortuné Guyet-Desfontaines, et au petit-fils adoré Marcel de Brayer. 

Guyet-Desfontaines accueillit aussi le frère de son épouse, Amaury-Duval. Ce dernier avait son atelier de peintre et son domicile à Paris, mais cela ne plaisait pas à sa sœur Emma, une sorte de « mère poule ». Avec l’accord de son mari, Emma réussit à faire revenir habiter son frère chez eux. Ils avaient beaucoup d’amis communs dans le monde des arts. À titre d’exemple, on relève que l’étude de Guyet-Desfontaines était au nombre des trois études de notaires qui recueillirent des dons au bénéfice des incendiés du théâtre de la Gaîté du 21 février 1835 (11).

Ce fut une famille unie, y compris dans les difficultés, tous amis des arts, sinon artistes eux-mêmes. Après Joseph Guyet, propriétaire de 1800 à 1830, les trois propriétaires qui se sont succédés à Linières sont : M et Mme Guyet-Desfontaines (de 1830 à 1868), Marcel de Brayer, leur petit-fils (de 1868 à 1875) et Amaury-Duval (de 1875 à 1885), le grand-oncle du petit Marcel, et frère de Mme Guyet-Desfontaines.

Bayard : Amaury-Duval
L’histoire personnelle de chacun d’eux est intimement liée à celle des autres. Ils appartiennent tous à une même famille très unie par de forts sentiments. C’est ce qui explique que l’universitaire Véronique Noël-Bouton-Rollet, centrée dans ses recherches pour sa thèse de doctorat sur l’homme Amaury-Duval et sur son œuvre, s’est intéressée naturellement à ses proches : M. et Mme Guyet-Desfontaines, leur fille Isaure de Brayer et leur petit-fils Marcel de Brayer.

Aussi nous devons souligner dès maintenant la place éminente de Marcellin Guyet-Desfontaines parmi les membres de cette famille, y compris pour sa belle-fille et pour son beau-frère. Elle va au-delà de l’épaisseur de son porte-monnaie. Il est l’exemple même d’un homme de cœur et aussi du service que peut rendre l’argent qu’on a.

Le premier domicile de Guyet-Desfontaines au moment de son mariage est celui de son étude notariale rue du Faubourg-Poissonnière. Rapidement il emménagera au no 36 de la rue Anjou-Saint-Honoré. C’était un immeuble datant du XVIIIe siècle, détruit en 1861 lors du prolongement du boulevard Malesherbes et situé à la place de l’actuel No 28. Talleyrand a habité au no 35 (12). Plus tard Guyet-Desfontaines habita au no 13 rue de la rue de Tivoli, devenue ensuite rue d’Athènes.

Voyages, Marly, les arts et le théâtre


Avec son épouse ils voyagèrent beaucoup, découvrant l’Italie, notamment Venise, l’Allemagne et la vallée du Rhin, la Suisse, la Hollande, l’Angleterre, où ils continuaient de fréquenter des amis des Duval, les Heath. À ce propos nous avons dû constater avec un certain étonnement la crainte engendrée à l’époque par les voyages, même en Europe, liée il est vrai aux risques de mortalité du temps. Nous la voyons chez Guyet-Desfontaines, ayant de la peine à le croire craintif de tempérament, quand il rédige son testament à l’âge de 36 ans. Il y écrit que son geste est motivé par un petit voyage qu’il s’apprête à faire, et dont il espère revenir « sain et sauf ».  D’ailleurs son épouse, âgée alors de deux ans de moins que lui, fit de même son propre testament ! (13).

Ils découvrirent les bains de mer, dont la mode a été lancée à leur époque. Un auteur écrivit en effet en 1843 qu’aux Sables-d’Olonne des baigneurs se donnaient rendez-vous sur la plage dans les années 1840 (14). Guyet-Desfontaines et son épouse choisirent un endroit pas trop éloigné de Paris : Étretat sur le rivage de la Manche. 

Ils eurent leur résidence de campagne aussi, délaissant Montrouge pour rester proches de leurs amis installés dans l’Ouest parisien. Ce fut un pavillon, loué semble-t-il dès 1835, à Luciennes (devenu Louveciennes). Le peintre Roqueplan a exposé au salon de 1856 une vue « du pavillon de Louveciennes, prise des hauteurs de Marly et appartenant à Guyet-Desfontaines. » (15)

En 1847 Guyet-Desfontaines achète un château à Marly-le-Roi, à côté de Luciennes. Aujourd’hui disparue, la propriété était située à proximité de celle de la comédienne Rachel, dont le terrain est actuellement occupé par des lycées, à l’orée du parc royal et de l’Abreuvoir. Le chemin de fer de la gare Saint-Lazare à Saint-Germain-en-Laye avait été inauguré en 1837 et son trajet durait 25 minutes. On était proche de la gare de Saint-Germain. 

Dans son livre, Les environs de Paris (1856), Adolphe Joanne écrit : « De la place de l’Eglise (Marly), sur laquelle on remarque une belle maison de campagne, appartenant à M. Guyet-Desfontaines, on atteint en deux ou trois minutes une porte qui donne accès dans la forêt ». Le village de Marly, alors une commune de 1200 habitants, est bâti sur un promontoire dominant d’environ 150 m la Seine, proche. Le château, ou villa "les Délices", a disparu aujourd’hui. Depuis 1830, de nombreuses personnalités s'installèrent à Marly : Geneviève Lambert de Sainte-Olive, veuve du baron Guillaume Dupuytren, Charles Duveyrier dit "Mélesville", Rachel. Alexandre Dumas habitait à Saint-Germain, tout à côté (16).

Villa "Les Délices" à Marly le Roy
À Marly, Guyet-Desfontaines put aussi cultiver, si l'on peut dire, une autre de ses passions : l’horticulture. Ses compétences le font admettre comme membre de la Société d’Acclimatation pour la protection de la nature, dans sa séance du 11 mai 1855 (17). Il engagea du personnel pour entretenir les jardins et les serres, sous les ordres d’un jardinier en chef, Jean Aimé Lesueur (1815-1897). Ce dernier a travaillé ensuite à Boulogne pour le grand parc Rothschild (parc James) (18). Guyet-Desfontaines s’est tellement plu à Marly qu’à partir de la fin des années 1840, il préférait y rester le plus possible plutôt que de retourner à Paris. C’est sans surprise qu’on note sa nomination de maire de Marly-le-Roi du 26 juin 1849 au 4 janvier 1852. Il fut élu conseiller général de la Seine-et-Oise. Les courtes biographies de lui, qui indiquent qu’après avoir perdu les élections législatives de 1848 il s’est « retiré sur ses terres en Vendée », ne sont pas exactes sur ce point.

Marly fut aussi le lieu privilégié d’une passion qu’il partagea avec sa femme : le théâtre. Mais dans le couple, le rôle principal en ce domaine était tenu par elle et nous l’évoquerons à son sujet. On peut cependant noter qu’en pleine Révolution de 1848, l’amour du théâtre et sa réputation en ce domaine, font nommer pour un temps Guyet-Desfontaines membre de la commission devant décider du choix du nouveau commissaire du gouvernement à la Comédie Française. Celle-ci venait de faire elle aussi sa révolution en acclamant le gouvernement républicain et en faisant déclamer La Marseillaise par Mlle Rachel, célèbre comédienne et amie proche des Guyet-Desfontaines. On y célébrait aussi la suppression de la censure sur ses activités et la dissolution de la commission de surveillance du théâtre. En lui confiant cette courte mission, les républicains victorieux de 1848 signifiaient que Guyet-Desfontaines n’était pas un de leurs ennemis politiques.

La politique


La grande passion de Guyet-Desfontaines, en dehors des arts, ce fut la politique.

Il était partisan du nouveau régime de la Monarchie de Juillet. En digne membre de la famille Guyet, Marcellin Guyet-Desfontaines avait applaudi au renversement de la branche aîné des Bourbons. Le nouveau régime avait besoin de gagner à sa cause la circonscription législative des Herbiers en Vendée, où se trouvait Linières sur la commune de Chauché. Elle était représentée par un député légitimiste, ennemi du nouveau régime, Gabriel du Chaffault. À l’époque la fonction de député n’était pas rémunérée, mais Guyet-Desfontaines possédait précisément une fortune suffisante pour lui permettre de se consacrer à cette fonction. 

Par lettre du 1e décembre 1835, l’année d’après sa première élection de député, adressée au roi, Guyet-Desfontaines démissionna de ses fonctions de notaire, en faveur de Me Poumet. Il lui avait vendue son étude pour 380 000 F. L’état des 10 dernières années d’activité compte 3380 brevets et 4486 minutes, soit 7 866 actes correspondant à 68 386,22 F de droits d’enregistrement (19). C’est un peu moins que les 10 années précédentes, peut-être à cause d’un temps trop souvent consacré aux arts par le notaire. Il vécut ensuite des rentes procurées par son important patrimoine.

Il devint député de la Vendée de 1834 à 1848. Son activité de parlementaire est décrite dans mon livre, Les châtelains de Linières à Saint-André-Goule-d’Oie, et ses campagnes électorales auprès de ses électeurs ont déjà fait l’objet d’un article spécial sur le présent site,  publié en novembre 2010 : .Le candidat Guyet-Desfontaines aux élections législatives en Vendée (1834-1849).

J. A. Barre : Guyet-Desfontaines
Pour sa participation à ces élections, Marcellin avait son pied à terre aux Herbiers, au château du Bignon, chez un frère de son père, Louis René Guyet (1776-1853). Le manoir du Bignon avait été acquis en 1828 par cet oncle à la famille des vicomtes de Rouault. Le nouveau propriétaire avait entrepris de remanier le pavillon central et sa façade du XVIIe, en ramenant des pierres taillées de l'abbaye de la Grainetière. Voici ce que Louis Guyet écrivait à son neveu, député de la Vendée le 5 avril 1844, parmi des nouvelles diverses des amis et membres de la famille : « Je t’annoncerai que j’ai reçu en apparence bien conditionné deux paniers de vin de champagne (20). À ton prochain voyage dans notre bocage, et lors de ton séjour au Bignon nous nous assurerons si l’intéressé est en aussi bon état, en attendant reçois mes remerciements… Aurais-je le plaisir cette année d’embrasser les bonnes joues dodues de ma nièce. Dis-lui en attendant que je te charge de lui donner un compte de baisers » Et puis il y a toujours les inévitables « pistons » demandés au député : « Timoléon a écrit à A. Guyet pour son frère Adolphe : aura-t-il l’espoir d’être placé ? C’est un jeune homme qui par son âge, la raison de son avancée, est bien longtemps à obtenir un léger avancement. »

Son engagement chez les libéraux conduira, on le sait, Guyet-Desfontaines à participer aux évènements qui préparèrent la Révolution de 1848, mais il n’était pas pour autant du camp des républicains. Il restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie à la famille d’Orléans, lui rendant visite dans son exil londonien. On a un texte du petit-fils de son épouse (issu du premier mariage de celle-ci), Marcel de Brayer, à l’âge de 9 ans, rendant visite à la reine en 1851 à Claremont dans la banlieue de Londres, emmené par ses grands-parents.

À Marly-le-Roi, Guyet-Desfontaines utilisa les fonds recueillis par ses soins lors des spectacles privés qu’il organisait dans sa propriété, pour les donner à sa commune dont il fut le maire de 1849 à 1851, à la charge pour celle-ci d’assurer des secours pour les indigents. Et si à Saint-André-Goule-d’Oie on construisait des routes, à Marly le maire perçait de nouvelles rues. Guyet-Desfontaines mis de l’ordre dans les concessions privées des eaux provenant de la machine de Marly. Il a sauvegardé aussi le service de voiture entre Marly et la gare de Saint-Germain, récemment ouvert. Il avait été élu maire par le conseil municipal le 26 juin 1849 par 10 voix sur 11. Il fut aussi élu au conseil général de l’ancien département de la Seine-et-Oise. Il présida son dernier conseil municipal le 18 novembre 1851. Puis il démissionna après le coup d’État du 2 décembre suivant du président de la République se proclamant empereur avec le nom de Napoléon III. Il ne l’aimait pas. De toute façon, la nouvelle loi électorale, qui exigeait une durée de 3 ans (au lieu de 6 mois) de résidence dans la commune, entraînait sa radiation de la liste des électeurs de sa commune. Son changement d’adresse était trop récent (21).

Sa résidence de Marly s’est transformée en résidence principale dans les années 1855/1856. En effet, son hôtel particulier de la rue d’Anjou Saint-Honoré a été détruit en 1861, lors du prolongement du boulevard Malesherbes à Paris. On sait aussi qu’en 1854 il louait une maison rue Duphot à Paris (22), et qu’au moins dès 1855, Guyet-Desfontaines habita dans une maison achetée, située au no 13 de la rue de Tivoli, devenue ensuite rue d’Athènes. Marly a dû constituer un havre de paix, loin des travaux dans Paris et des embarras du déménagement.

Marcellin Benjamin Guyet-Desfontaines est mort à l’âge de soixante ans le 22 avril 1857. La Revue de Bretagne et de Vendée écrit après sa mort : « De son côté le département de la Vendée a perdu récemment deux de ses anciens députés, M. Guyet-Desfontaines et M. Isambert. M. Guyet-Desfontaines était un homme aimable, un homme d’esprit et de talent, et qui savait faire d’une belle fortune un heureux usage : député de la Vendée de 1834 à 1848, puis membre du conseil général de Seine et Oise et maire de Marly le Roi jusqu’en 1851, il est mort à Paris le 22 avril dernier, une huitaine de jours après M. Isambert » (23). La revue, marquée à droite, a salué l’homme au-delà de ses convictions politiques qu’elle ne partageait pas.


(1) Journal L’ami de la Religion et du Roi (1860), page 25.
(2) Lacaine et Laurent, Biographies et nécrologies des hommes marquants du XIXe siècle, tome 7, 1844-66, extrait copié dans les archives privées Fitzhebert (dossier no 11).
(3) Certificat d’exemption du service militaire de Guyet-Desfontaines du 19 mars 1819, archives privées Fitzhebert (dossier no 3).
(4) Dossier de nomination de Guyet-Desfontaines aux fonctions de notaire à Paris, Archives privées Fitzhebert (dossier no 3).
(5) Amaury-Duval, Souvenirs (1829-1830), Plon (1885), page 251.
(6) Nouvelle de France Info du 19 août 2021.
(7) Amaury le père (membre de l’académie des Inscriptions et Belles lettres, écrivain et ancien directeur des Beaux-arts sous Napoléon), Amaury-Duval le frère (peintre reconnu de l’école classique), Alexandre l’oncle (membre de l’académie française, dramaturge à la mode).
(8) Inventaire après le décès de M. Amaury Duval du 19 novembre 1838, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/776.
(9) Main levée du 15-12-1838 par Mme veuve Boulé au profit de M. Amaury Duval, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/776.
(10) Actes testamentaires de Marcellin Guyet-Desfontaine, Archives nationales, études notariales de Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/850. 
(11) Journal l’Indépendant du 26-2-1835.
(12) A. Castelot, Talleyrand ou le cynisme, Perrin (1980), pages 205 et 353.
(13) Idem (10).
(14) E. de Monbail, Notes et croquis sur la Vendée, réimpression en 1978 par Laffitte Reprints de l’édition de 1843, page 154.
(15) Revue universelle des arts 1855 T2, page 82.
(16) Nous avons cité les noms d’amis des Guyet-Desfontaines seulement.
(17) Bulletin de la Société d’Acclimatation pour la protection de la nature (juin 1855).
(18) Lettre de Denis Lesueur, un descendant rencontré sur le web (novembre 2010).
(19) Dossier de démission de Guyet-Desfontaines aux fonctions de notaire à Paris, Archives privées Fitzhebert, (dossier no 4).
(20) Le nombre de bouteilles dans un panier a varié avec les époques. Dans ces années 1840 la technique du bouchonnage des bouteilles de vin de champagne avait fait des progrès avec les capsules.
(21) Emmanuel François, Marcellin Guyet-Desfontaines maire de Marly-le-Roi de 1849 à 1851, dans la revue de la « Société historique, archéologique et artistique du Vieux Marly », 2015, page 69 et s.
(22) Inventaire du 29 mai 1854 après le décès de Mme de Brayer, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV 839.
(23) La Revue de Bretagne et de Vendée (Tome 1-Nantes-1857, numérisé au Harvard college library).

Emmanuel François, tous droits réservés
Octobre 2011, complété en août 2021

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