Au village du Pin à Saint-André-Goule-d’Oie, les conflits ne manquèrent pas à la fin du 17e siècle
entre les possesseurs des droits seigneuriaux, et entre eux et leur suzerain,
le seigneur de Languiller.
En remontant le plus loin dans le
temps que nous le permettent les archives, le seigneur du Pin était en 1550 le
seigneur du Coin Foucaud. Ce dernier avait beaucoup de territoires de Saint-André
dans sa mouvance, où il prélevait des redevances féodales sur les
propriétaires. En ce milieu du 16e siècle la seigneurie du Coin
Foucaud était une annexe de la seigneurie de Languiller, elle-même possédée alors par
les seigneurs de Belleville.
Le seigneur de Languiller vend ses droits seigneuriaux au Pin à un bourgeois
Belleville |
En 1557, Jules de Belleville à
vendu à René Bertrand, seigneur de la Vrignonnière (Essarts) toute proche du
Pin, ses droits seigneuriaux sur ce dernier tènement. Pour cette transaction,
il avait donné une procuration spéciale à son ami seigneur de Saint-Fulgent, Gilles
Chasteigner, qui l’a représenté dans la passation de l’acte devant les notaires
de Saint-Fulgent, Arnaudeau et Monneau. On a déjà vu en bien d’autres endroits de Saint-André et ailleurs que Jules de Belleville a fait la même chose. Il devait
avoir besoin d’argent. Et comme d’habitude, il vend ses droits sur un tènement
particulier en retenant le droit de fief de la seigneurie du Coin, pour lequel
il continue de rendre hommage au baron des Essarts. Cette retenue est
concrétisée sur le tènement du Pin par le service de 2 sols de devoir noble, à
lui payer chaque année par l’acquéreur des droits et ses descendants (1).
Ce contrat comportait une faculté
de retour du bien vendu, à la condition de rembourser l’acquéreur de la somme
qu’il avait payée, augmentée d’éventuels autres frais liés à son acquisition.
Cette faculté pouvait être mise en œuvre pendant un délai de 6 ans, appelé le
temps de la grâce. On pense que le vendeur, espérant revenir à meilleure
fortune dans ce délai, pourrait ainsi annuler la vente. À une époque où
l’activité bancaire était bien ignorée dans les campagnes du Bas-Poitou, cela
permettait de gérer une mauvaise passe financière espérée comme provisoire. Dans
un contrat du 19 février 1562, Jules de Belleville, représenté par Pierre
Drespeau, s’entend avec René Bertrand pour prolonger le délai de la grâce, qui
allait bientôt expirer.
Mais ses affaires ne s’arrangeant
pas, Jules de Belleville vendit sa faculté de retrait le 3 janvier 1564 à Louis
Masson, par devant les notaires des Essarts, Rabreuil et Coutand. On aimerait
connaître le prix versé par Masson, mais nous ne disposons que d’un résumé trop
bref du texte (1). Louis Masson, sieur de la Martinière, avait épousé en 1562
Marie Mosnier, dont une proche parente, Madeleine Mosnier, était mariée à
Jacques Bertrand seigneur de la Vrignonnière. Il fut aussi sénéchal des seigneuries de Boisreau et de Languiller à Chauché et en tint
leurs assises. À la même époque le
procureur fiscal des Essarts s’appelait Michel Masseau. C’est
lui qui rendit aveu de la baronnie des Essarts à Thouars en 1597, comme procureur
spécial du duc de Mercœur, aussi baron des Essarts (2).
Usant de son droit de retrait,
Louis Masson, acquit les droits seigneuriaux du Pin le 27 septembre 1567 du
seigneur de la Vrignonnière. Et il fut confirmé dans sa possession entière et
irrévocable de ces droits par Jules de Belleville le 5 septembre 1577. À cette
occasion, Jules de Belleville, décidément très impliqué dans les combats des
guerres de religion dans le camp protestant, se fit représenter par Anne
Goulard, sa deuxième épouse (1).
Les Masson et Audouard possesseurs des droits seigneuriaux
Le 9 novembre 1607 est rendu à
Languiller, à cause du fief du Coin Foucaud, une déclaration noble par Charles
Masson pour ses droits seigneuriaux du Pin, à 2 sols de rente et devoir
noble payable à la fête de noël. Nous n’avons pas repéré ce Charles Masson,
probablement un fils de Louis. Les droits qu’il déclare sont les mêmes que ceux
contenus dans l’aveu du Coin Foucaud en 1550 au baron des Essarts :
- - terrages à la sixième partie, sauf sur 10 % du tènement pour lequel est due une rente annuelle de 14 sols au temple de Mauléon (appelé Châtillon-sur-Sèvre de 1793 à 1965, et situé dans les Deux-Sèvres). Le temple de Mauléon était un lieu-dit où se trouvait une commanderie d’hospitaliers appartenant à l’ordre de Malte.
- - dîme d’agneaux, laine, gorons (cochons) et veaux, consistant à prélever un douzième de la valeur des animaux nés et élevés dans le village. S’agissant des veaux, on prélevait ce 1/12 pour un animal nouveau sur deux, mais pour chaque vêlée de tout animal on prélevait un denier.
Ces deux droits étaient répartis
pour 2/3 à Charles Masson et pour 1/3 au prieur de Saint-André-Goule-d’Oie. Dans les autres tènements de la paroisse la part
du prieur dans le terrage avait été confisquée à son profit après 1550 par le seigneur de
Languiller. Nous avons là une exception au Pin. Les
rentes étaient les mêmes qu’en 1550 à un tout petit détail près : la rente
en argent se montait à 57 sols au lieu de 59 sols par an. Les rentes en nature
étaient les mêmes, aussi à un autre petit détail près : au lieu de donner
5 poules et 3 chapons, la redevance est de 5 poules et 3 chapons. Pour le reste
rien de changé :
- - 14 boisseaux de seigle, 36 boisseaux d’avoine.
le Pin |
Charles Masson déclare
aussi une nouvelle rente foncière, mais qui n’est pas de nature féodale : 2 boisseaux de froment sur les
domaines de Bertrand et Poissonnet. Elle trouve son origine dans une vente
peut-être à ces deux personnes (3).
Les droits seigneuriaux du Pin
passèrent ensuite à Jean Masson, fils de Sébastien. (On se souvient qu’une sœur de Jean Masson, Renée, épousa en 1625
Pierre de Vaugiraud). Et de Jean Masson, ils passèrent à une de ses filles,
Catherine Masson. Celle-ci avait épousé Jacques Audouard, écuyer, seigneur de
Metz (ou Maits), originaire de la région de Niort. On voit là un exemple de la
fréquente perméabilité dans la contrée entre la noblesse de petite fortune et les
bourgeois enrichis.
Nous avons une déclaration noble
de Jacques Audouard, demeurant au bourg des Essarts en 1645, puis à Niort en
1651. Le texte est le même que la déclaration de Charles Masson ci-dessus en
1607. Néanmoins une précision intéressante apparaît. Le seigneur du Pin déclare
avoir droit de justice et juridiction basse, et droit de tenir assise. De même
il a droit de prendre les lods et ventes lors des mutations de biens dans
l’étendue du fief.
Jacques Audouard déclare en plus
13 arpents de terre autrefois en bois, situés au tènement du Bois Pothé. Encore
un espace défriché et transformé en culture. Pour lui, il doit à Languiller un
sol par arpent chaque année (4). Ce montant de redevance exprimée en argent et proportionnel
à la surface, est un raisonnement nouveau adopté à l’occasion des défrichements
de nouveaux espaces fonciers. Nous avons rencontré le même phénomène quand le
seigneur de Languiller a repris les droits sur le village voisin de la Crochardière
tombé en ruines.
Dans un acte de partage de la
succession de Catherine Masson et Jacques Audouard, le 14 octobre 1680,
- - leur fils puîné, René Audouard, écuyer sieur de la Veronnière, reçoit les terrages du Pin.
- - Son frère aîné, Jacques Audouard, reçoit notamment une rente noble foncière de 14 livres, due sur le village des Nouhes en la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie.
- - Son plus jeune frère, Jacques Audouard le jeune, écuyer sieur de la Pertelière, reçoit entre autres « la métairie de la Pertelière et ses appartenances sise en la paroisse des Essarts ainsi qu’elle se consiste et qu’elle est exploitée par Jean Libaud à moitié des fruits » (5).
La Boninière
|
La famille possédait une maison à
la Boninière de Saint-André-Goule-d’Oie. Jacques Audouard le jeune y habita en
1680. En 1684, c’est son frère René Audouard qui y habita, venant de Niort. Il
est vrai qu’ils possédaient des droits à la Baritaudière proche, achetés par le l'ancêtre Louis Masson, comme il avait fait pour le Pin. Les Masson avaient
aussi été propriétaires à la Jaumarière proche au début du siècle. Au moins une
partie de ces biens étaient passés dans la famille de Vaugiraud ensuite.
René Audouard s’endette et vend ses droits du Pin
Ils sont bien rares les tènements
et fiefs de Saint-André-Goule-d’Oie relevant du Coin Foucaud, où le nouveau
seigneur de Languiller à partir de 1674, n’a pas fait de procès. Il s’appelait
Philippe Chitton. Le Pin fait partie de cette liste. Ainsi en 1681, le tribunal
de Fontenay-le-Comte, « condamna les
seigneurs et dames propriétaires du village du Pin », au respect de leurs devoirs envers le seigneur de
Languiller (6). Ils ne sont pas nommés, malgré le partage que nous venons
d’indiquer, peut-être à cause de sa date tardive. Ces devoirs consistaient pour
les acheteurs à communiquer les contrats d’acquisition de leurs droits au
seigneur suzerain du fief, à savoir le seigneur de Languiller. Ils doivent le
faire sous huitaine, sous peine de voir leurs biens saisis.
Cette sentence resta sans effet puisque
ces propriétaires n’avaient affaire qu’à leur seigneur René Audouard. Le 25 mai
1683, le lieutenant
particulier et assesseur civil au siège royal de Fontenay-le-Comte, en a fait
le constat. René Audouard était aussi concerné par l’instance et il a fait
défaut (7).
Mais il avait des dettes. Entre autres il devait une somme
de 498 livres à Pierre Moreau, bourgeois demeurant au Coudray (Saint-André). Alors
il vendit le 26 septembre 1683 à Jean Masson les terrages du Pin, moyennant le
versement d’une rente foncière annuelle et perpétuelle de 45 livres. Et Jean
Masson acheta avec son accord, la créance de Pierre Moreau, limitée à 440 livres
en capital, moyennant une rente de 22 livres annuelle et perpétuelle (8). La
rente de 45 livres comprenait aussi les droits seigneuriaux prélevés par René
Audouard sur la Baritaudière. Le registre paroissial des Essarts ne commence
que tard en 1737, et nous n’avons pas pu repérer ce Jean Masson dans sa
généalogie, autre bourgeois et sénéchal des Essarts. Il y a fort à parier qu’il
partageait des ancêtres communs, peu de générations auparavant, avec René
Audouard.
Le Coudray
|
Mais ce dernier avait encore d’autres dettes, et il vendit
le 18 octobre 1683 les rentes (autres que le terrage) prélevées au Pin à Pierre
Moreau, sieur du Coudray, moyennant la somme de 584 livres. Il fut spécifié que
ces rentes de nature féodale étaient vendues roturièrement. Était-ce pour éviter
de payer un impôt appelé franc-fief, imposé sur les roturiers possédant des
biens nobles ? Le paiement fut réalisé par la retenue de 58 livres que le
vendeur devait encore à l’acquéreur en reliquat du montant total de 498 livres
indiqué plus haut. Il fut convenu en plus que l’acquéreur paierait une dette du
vendeur à un procureur de Poitiers. Le 24 janvier 1684, il est passé devant les
mêmes notaires de Bazoges-en-Paillers, un nouveau contrat (copié à la suite du
contrat de vente), reconnaissant le paiement
de la dette au procureur pour un montant de 350 livres. Le reste, soit 176
livres, est réglé comptant par l’acquéreur au vendeur (9).
Le seigneur de Languiller évince Pierre Moreau et attaque Jean Masson
Pierre Moreau est mort en 1687.
Philippe Chitton délégua sa femme, Anne de la Bussière, pour exercer son droit
de retrait féodal sur les rentes du Pin. Les notaires des Essarts se sont
rendus au Coudray le 26 juin 1690, au domicile de Marie Hullin, veuve de Pierre
Moreau, pour dresser le constat de ce retrait, accepté par elle. Elle est
remboursée du montant des 584 livres, qu’avait payé son mari 7 ans auparavant (10).
Philippe Chitton concentra
ensuite ses actions au tribunal de Fontenay contre Jean Masson. Il faut dire qu’il dû
probablement avoir l’impression qu’on se moquait de lui. En effet, Le 28
décembre 1683, René Audouard, sieur de la Véronnière (Essarts) et du Pin, lui
avait rendu une déclaration noble pour ses droits seigneuriaux du Pin. Elle
était, en tous points, conforme à celle de son père en 1651 (11). C’est à dire qu’elle ne
tenait pas compte des ventes des rentes à Pierre Moreau et du terrage à Jean
Masson, comme si elles n’avaient pas eu lieu. Le seigneur de Languiller ne s’en contenta pas.
Sans doute savait-il que cette déclaration était fausse.
René Audouard reçut en conséquence le 1e mars 1684, une
nouvelle signification de l’huissier résident à la Brossière (Saint-André),
Benoist, d’avoir à se présenter au tribunal de Fontenay-le-Comte (12), ne
répondant pas aux injonctions reçues. Alors le 5 mars 1684, il rendit à
Languiller une nouvelle déclaration noble pour les terrages et la dîme du Pin
qu’il avait pourtant vendus (13). Ces ventes s’étaient faites par arrentement,
et Jean Masson ne tenait pas à rencontrer Philippe Chitton, avec qui il avait
plusieurs contentieux. C’est l’explication qui nous vient à l’esprit pour
comprendre une attitude apparemment étrange. Il y indique quand même l’autre
vente des rentes en argent et en nature, et ne déclare plus son droit à la
justice seigneuriale et à prendre les lods et ventes. On sait que sur ce
dernier point Philippe Chitton était sourcilleux, et René Audouard a dû
chercher à le ménager, étant sur le point d’abandonner la partie.
Malheureusement les archives
conservées dans un état suffisant d’accessibilité manquent sur une période de
10 années entre 1684 et 1694. Quand elles reprennent à cette dernière date,
nous découvrons que Philippe Chitton attaque Jean Masson pour plusieurs
domaines, et pas seulement les terrages du Pin. C’est l’attaque tous azimuts.
La Pertelière
|
Il y a la moitié de la métairie de la Pertelière
(Essarts), que Masson avait achetée à un nommé Renou, mais dont la vente aurait
été annulée, prétend-il. Chitton lui répond qu’il ment et qu’il lui doit des
droits, suite à cet achat relevant de la seigneurie du Coin Foucaud.
Il y a la maison de la Bujanderie,
achetée par Jean Masson le 12 avril 1693. Mouvante du fief du Bois Saint-Martin, elle était située au
Essarts, au sud du bourg et au sud de la Véronnière. Pour cet achat, Jean
Masson devait payer les droits de lods et ventes à Julie Anne des Villates,
possédant les droits de cette seigneurie. Elle était la veuve de René Gazeau,
seigneur de la Brandasnière. Celui-ci était le fils de David Gazeau, seigneur
de Saint-André-Goule-d’Oie (le seul qui porta ce titre à notre connaissance se raportant au fief du bourg) et
frère puiné du seigneur de la Boutarlière, René Gazeau (marié à Renée
Bonnevin). Julie
Anne des Villates vendit pour 200 livres ses droits de lods et ventes à
Philippe Chitton le 11 août 1694 avec ses arrérages, subrogeant ce dernier dans
ses
prérogatives pour obtenir le paiement des droits de fiefs (14). Jean Masson
refuse de reconnaître comme valable cette vente des droits à Philippe Chitton.
Le problème est le même pour un droit de terrage
perçu par la métairie des Landes Gâteaux (Essarts), appartenant à Hélène
Maillard, épouse de Jean Masson, et achetée par son grand-père. Les terrages
relevaient à moitié de la baronne des Essarts, et de Julie des Villates pour
l’autre moitié, celle-ci ayant vendu sa part, là aussi, à Philippe Chitton.
Jean Masson et Hélène Maillard
étaient déjà passés en jugement devant la cour seigneuriale des Essarts le 26
avril 1694. Mais en appel devant le tribunal de Fontenay, ils furent absents et
condamnés par défaut le 29 juillet 1694 (15). Ainsi devaient-ils à l’égard
de Languiller :
- - Communiquer les contrats d’acquisition des biens concernés dans l’étendue de Languiller et de ses fiefs, depuis 30 ans auparavant, que ce soit par forme d’exhibition, sous huitaine, ou d’édition.
- Payer ou montrer quittance des 29 années d’arrérages des cens et rentes, devoirs nobles, seigneuriaux et féodaux et fonciers qui sont dus sur les domaines.
- Faire les fois et hommages, fournir les aveux et dénombrement, déclarations nobles et roturières.
On passera sur l’escalade judiciaire qui suivit entre
Jean Masson et Philippe Chitton dans cette bataille sur plusieurs fronts. Ce
dernier obtint du tribunal notamment la saisie des revenus des domaines
concernés. Le commissaire nommé lors de la saisie fut un certain François
Auvinet, habitant Languiller, et bordier sur les lieux. C’est dire si les mœurs
judiciaires de l’époque méritaient de progresser vers plus de neutralité à
l’égard des parties en conflit dans un procès.
Jean Masson se dégonfle et met le seigneur de la Vrignonnière dans l’embarras
Face à une telle pugnacité de la part de son
adversaire, Jean Masson tenta une sortie. Il vendit le 24 octobre 1694 les
terrages sur le Pin et la Baritaudière à David Léon de la Bussière, seigneur de
la Vrignonnière (Essarts), fils de Pierre de la Bussière et de Jeanne de
Goulaine. Depuis le mariage le 11 novembre 1602 de Lucrèce Bertrand avec Pierre de la
Bussière, les seigneurs de la Vrignonnière avaient changé de patronyme (16).
Cette seigneurie voisine saisit l’occasion de revenir au Pin, dans la
continuité de ce qu’avait tenté leur ancêtre plus d’un siècle auparavant. Et
comme lui non sans difficulté, car Masson vendait une situation compliquée.
La Vrignonnière
|
La vente comprenait la rente de 45 livres due à
Audouard, donnant droit à percevoir les terrages du Pin, mais en faisant jouer
la clause de son amortissement ou rachat. Il y avait aussi compris dans la
vente, la créance achetée à Moreau pour 440 livres, transformée en rente de 22
livres que devait payer Audouard, mais qu’il ne payait pas. Les arrérages se montaient
à 120 livres. Pour cette vente Masson
reçu 840 livres.
Le même jour, David de la Bussière fit un autre contrat avec René
Audouard, où il lui versa 900 livres pour amortir la rente de 45 livres. Cela
correspondait à 20 annuités, dispositif obligatoire selon une ordonnance
royale. Mais il gardait pour lui la rente de 22 livres due par Audouard, à
laquelle s’est ajoutée une deuxième rente de 21 livres, par arrentement des
droits de la Baritaudière qu’il rétrocédait au même Audouard.
Jean Masson ne s’en tira pas à si bon compte.
Philippe Chitton considéra que son contrat d’arrentement des droits de terrages
avec Audouard, l’obligeait à payer au seigneur suzerain les droits de lods et
ventes. Masson refusait, considérant que le transport de la propriété de ces
droits ne s’était effectué qu’au moment de l’amortissement de l’arrentement. Il
renvoyait donc Philippe Chitton vers David de la Bussière pour ce paiement. Ce dernier refusa
d’abord de payer ce droit de lods et ventes, considérant que c’était à
l’arrenteur, c’est-à-dire à Jean Masson, de le payer. Sauf que Philippe Chitton
voulait qu’on paye deux fois : au jour de l’arrentement, et au jour de son
amortissement. David de
la Bussière finit par céder, paya ses droits au seigneur de Languiller, puis se
retourna vers Jean Masson pour réclamer le remboursement de son paiement.
Le seigneur de Languiller attaque sa nièce
Philippe Chitton alla plus loin encore, il refusa
l’offre de foi et hommage de David de la Bussière pour les droits de terrage du Pin.
Selon lui, ces droits étaient roturiers et non nobles, comme cela avait été
déclaré par Audouard et Masson dans leur arrentement. Derrière la querelle, il y avait
la perception des droits de mutations des biens dans le périmètre du fief ou
tènement. On plaint le seigneur de la Bussière qui a sans doute cru faire une
bonne affaire. D’autant que Philippe Chitton était le mari d’une de ses tantes.
Mais le connaissait-il vraiment ?
Étienne O. de Rochebrune : Anciens
remparts
de Fontenay en 1861
|
Le procès à Fontenay va être suspendu jusqu’à la
fin de l’année 1695 à cause du décès de David de la Bussière en septembre 1695. Il reprendra
avec une signification d’huissier de Philippe Chitton à Marie Gazeau, sa veuve,
le 9 janvier 1696. Il l’assigne à comparaître au tribunal de Fontenay, ainsi
que Louise de la Bussière, sœur et héritière du défunt (18). Celle-ci habitait alors
chez lui à Languiller avec Anne Bénigne de la Bussière, sa tante, par ailleurs
épouse de Philippe Chitton. On sait que ce dernier fit une saisie sur les biens
de ses neveux, enfants de Jacques Chitton son frère, entre les mains de sa
belle-sœur, veuve de son autre frère François. Alors pourquoi s’attendrir sur
la jeune nièce de son épouse, habitant chez lui, dès lors qu’il s’agit de
défendre un patrimoine ?
On voit là bien sûr quelques dispositions
naturelles du personnage à la chicane et une certaine avidité de possédant,
mais il faut interroger aussi les mœurs de l’époque. Par exemple, celles-ci
mettaient fréquemment l’intérêt des patrimoines en avant dans la formation des
couples. Mme de Maintenon expliquait à « ses filles »
de Saint-Cyr qu’un patrimoine, quelle que soit la liberté légale de dispositions
qu’on en ait, n’est pas à la discrétion de son propriétaire qui est engagé à
des devoirs de gestion, de conservation et de dévolution (19). C’était une norme sociale, et on connaît l’habitude des hommes à
mettre la morale et la religion au service de la norme en vigueur pour n’en
faire qu’un tout. Celle-ci s’imposait donc aux individus de manière moins
exorbitante que ce le serait de nos jours, quels que soient les drames qui ont
dû exister, couverts par le secret de l’intimité des familles et la chape de plomb des mœurs
du temps. Était-ce plus acceptable que de traîner ses neveux et nièces devant
les tribunaux au nom des intérêts de son patrimoine ? Quoiqu’on ne soit pas
sûr que ces justiciables ne se trouvaient pas entre les mains de leurs avocats
et procureurs, dans une relation aux allures de dépendance. Rudes mœurs quand
même, vu d’aujourd’hui ! Il faut aussi rappeler que l’idée du bonheur
personnel est une invention en France du 18e siècle. Avant on ne
concevait le bonheur qu’en Dieu, fait des idéaux de gloire et de sainteté. R. Mauzi
a recensé 191 traités sur le bonheur terrestre au cours du 18e
siècle, et le thème se répète dans la littérature. C’est un bonheur sage, naïf,
plutôt rêvé comme le fera J. J. Rousseau : un corps sain, une nature
belle, une éducation heureuse, une sociabilité riche. Le mérite individuel doit
être récompensé, prenant le pas sur la naissance suivant la maxime de
Beaumarchais (20).
Klimt : Le baiser |
On peut penser que dans la campagne de Chauché cette
évolution connu quelque retard. On devait encore vivre des préceptes du siècle
précédent : « Qui se marie par
amour a de belles nuits et de mauvais jours », ou encore « La
beauté ne sale pas la marmite ». L’amour se trouvait alors, derrière
ces dictons, avec l’amitié dans le rapport du vice et de la vertu. Le dogme de
l’infériorité naturelle des femmes les écartait, en effet, du culte masculin de
l’amitié. L’idéal d'amour dans le couple enseigné alors par l’église prônait la pudeur
et condamnait l’excès d’affection et d’attachement. On voit ainsi à quel point notre questionnement sur l’attitude du
seigneur de Languiller à l’égard de sa nièce nous amène à entrapercevoir ce
monde étrange du passé.
Louise de la Bussière demanda au
tribunal un délai supplémentaire dans la procédure judiciaire, pour examiner la
succession de son frère. La veuve en fit autant. Philippe Chitton demanda aussitôt
au tribunal de refuser ces demandes, les jugeant dilatoires. Le tribunal de Fontenay donna
raison à Philippe Chitton deux mois après, le 7 mai 1696, ordonnant la reprise
du procès. Les actes de procédure et échanges de mémoires des parties continuèrent
auprès du tribunal de Fontenay jusqu’au 7 mars 1697. Ensuite les archives nous
offrent une longue interruption jusqu’à la fin de l’année 1707. Nous ne connaissons
pas bien la fin de l’histoire.
Jean Masson a-t-il pu échapper à toutes les
poursuites de son ennemi Philippe Chitton ? Restait-il un peu de
patrimoine à René Audouard au jour de son décès ? Nous ne pouvons pas
répondre à ces questions en ce début d’année 1697.
Le seigneur de Languiller achète les droits seigneuriaux du Pin
Louise de la Bussière a épousé le 30 juillet 1696,
Samuel de Lespinay, lui apportant la Vrignonnière en dot (22). Son petit-fils, Alexis
Samuel de Lespinay, épousa en 1750 Marie Félicité Cicoteau, dame de Linières.
Mais ceci est une autre histoire.
Le moulin de l’Ansonnière
|
Elle a vendu au seigneur voisin de l’Ansonnière
(Essarts), les terrages du Pin. Et en 1705, Pierre Aymond, seigneur de
l’Ansonnière, les revend à Charles Auguste Chitton, nouveau seigneur de
Languiller, fils de Philippe Chitton (23). Ce dernier vécut jusqu’en 1712, mais à partir de 1700 il avait
passé la main à son fils.
Plus précisément celui-ci acheta, pour 1 200
livres, les deux tiers du terrage du Pin avec les autres émoluments de fiefs
qu’ils ne possédaient pas encore, plus la moitié du fief et terrage sur la
Pertelière, et enfin une rente noble et foncière de 22 livres par an sur la
Baritaudière. L’acte d’acquisition affirme que les biens achetés sont désormais
« confus » en la seigneurie de Languiller, c’est-à-dire mouvants
d’elle directement, et non plus mouvant de la seigneurie annexe du Coin Foucaud.
Charles Auguste Chitton avait fait assigner en 1701
six teneurs du Pin à l’assise de Languiller (tribunal du seigneur) pour
communiquer leurs contrats d’acquisition de leurs domaines, faire leurs déclarations
et payer les droits (24). Il les poursuivait pour le paiement des lods et
ventes La situation dura plusieurs années et la procédure fut portée devant le
présidial de Poitiers, cette fois-ci.
Palais logeant le présidial de Poitiers |
Le 9 janvier 1708, le présidial
condamna les « seigneurs et dames
propriétaires et détenteurs du village et tènement du Pin » à
communiquer tous les contrats d’acquêts faits depuis trente ans dans l’étendue
des fiefs de Languiller, à lui fournir tous types de déclarations et aveux et à
lui payer tous droits seigneuriaux. Ce jugement a été signifié le 22 mars 1708
à « Michel Barbot, l’un des dits
seigneurs propriétaires dudit village et tènement du Pin, tant pour lui que
pour tous les autres seigneurs et dames propriétaires dudit village et tènement
du Pin, en parlant à sa personne et injonction requise de leur faire savoir, ce
qu’il m’a promis » (25). Les personnes condamnées sont les teneurs,
simples paysans qualifiés de seigneurs et dames dans les significations
d’huissier, car dans l’ancien français le sens du mot seigneur était double. Il
y avait bien sûr celui qui est resté dans les esprits, désignant le propriétaire
d’une terre seigneuriale, avec des pouvoirs de justice. Il y avait aussi celui
appliqué dans le texte ci-dessus, signifiant tout droit de propriété, vue comme
une puissance en propriété.
Un détail est à relever dans les significations d’huissier
en 1701 et 1708. Elles ont été faites par Monnereau, qui s’est « transporté de marche une demie lieue de ma
demeure ». Dans son acte de 1708 il s’est présenté ainsi :
« sergent royal soussigné demeurant
à la Boutarlière paroisse de Chauché ». On sait qu’un Pierre Monnereau a été fermier de
la seigneurie de la Boutarlière au moins dans les années 1730, et qu’il aura un
fils, prénommé Pierre, qui sera désigné syndic (maire) de Saint-André-Goule-d’Oie.
En 1740, trois déclarations roturières faites au seigneur de Languiller, alors Charles Louis Chitton, fils de Charles
Auguste, confirment qu'il possède tout : terrage, dîme, rentes,
lods et ventes (26). Mais le seigneur de Languiller a opéré quelques
aménagements que nous relevons dans une déclaration de 1751 (27).
Il perçoit presque l’intégralité
des terrages et des dîmes, sans en donner une partie au temple de Mauléon et au
prieur de Saint-André. À la
place il donne des rentes à la cure de Chauché : 2 boisseaux de seigle, 3
boisseaux de froment et 12 deniers. Tant pis pour le prieur de Saint-André !
Chose intéressante à relever il
donne aussi 2 boisseaux de seigle par an à la fabrique de la Chapelle de
Chauché. Pour une paroisse qui n’existe pas officiellement, voilà bien une
curiosité ! On comprendra en se reportant à notre article publié sur ce
site en décembre 2011 : Retour sur la paroisse de la Chapelle de Chauché.
Un autre changement réside dans
le montant de la redevance en argent. Elle passe de 57 sols par an à 49 sols et
9 deniers, peut-être en lien avec les changements précédents.
Les Essarts, la Boutarlière et la Guiffardière perçoivent aussi des redevances au Pin
Au terme de ce récit sur les
droits seigneuriaux du Pin et de leurs possesseurs, on a d’eux une vision
précise, mais légèrement incomplète. En effet, il existait des droits échappant
à la relation vassalique principale, par exemple les rentes entièrement données
à l’Église et non partagées, ou des rentes foncières non seigneuriales, ou des
rentes seigneuriales isolées. L’Ancien Régime a été le règne des exceptions, ce
qui explique en partie qu’on ait voulu en réaction une République une et indivisible.
Ces dernières rentes isolées n’apparaissent pas dans les aveux et déclarations du
principal vassal généralement. Fait nouveau, les notaires de St Fulgent de la
fin du 18e siècle ont pris soin de tout déclarer.
C’est ainsi qu’on apprend que la
baronnie des Essarts percevait une rente annuelle de 32 ras d’avoine. Et pour
le droit d’abreuvage de l’étang du Pin, le seigneur de la Boutarlière percevait
8 ras d’avoine. Cette dernière redevance avait été donnée dans un partage
successoral de 1342 par Maurice Drouelin à son frère puîné Jean Drouelin. À cette date ces 8 ras d’avoine étaient valorisés à 5 sols (28). En 1786, un seul
de ces ras valait 18 sols.
La Guiffardière
|
Et puis il y existait une autre
rente de 7 sols par an, déclarée en 1751 et due alors à la seigneurie de la
Vrignonnière. Nous la rencontrons pour la première fois dans un aveu du 12 août
1606 d’Hélie de Saint-Hilaire, seigneur du Retail (Legé en Loire-Atlantique), à
Languiller. Le texte concerne la petite seigneurie de la Guiffardière (Essarts
près du Clouin) et divers droits seigneuriaux (terrages, taille seigneuriale,
rentes, etc.) en 11 endroits différents de Saint-André-Goule-d’Oie. La
Guiffardière était un bien de son épouse Anne de Puytesson, et Hélie de Saint-Hilaire fit son aveu au nom de son fils et héritier. Parmi les lieux de Saint-André on trouve que les teneurs du Pin devaient au seigneur de la Guiffardière
« 4 ras d’avoine mesure dudit lieu
des Essarts et 7 sols de rente payables en chacune fête de Saint-Jean-Baptiste » (29). On suppose que les 7 sols de rente avaient été acquis
plus tard par le seigneur de la Vrignonnière. On ne sait pas ce que sont
devenus les 4 ras d’avoine.
On ne connaît pas l’origine de la
rente de 7 sols, mais elle doit remonter loin dans le temps, au Moyen Âge
probablement. C’est en effet le seul texte où l’on voit subsister en 1606 un
droit de corvée seigneuriale au Plessis-le-Tiers. Or dès 1550, dans les
tènements de Saint-André, ces corvées ont disparu et ont été transformées en
rente, majorant celles déjà existantes.
Cet aveu de la Guiffardière
révèle à quel point les droits seigneuriaux prélevés dans la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie ont été dispersés après le Moyen Âge.
(1) Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière :
150 J/G 15, requête du 7-2-1697 de Marie Gazeau au tribunal de Fontenay,
concernant le droit de fief du Pin, page 3.
(2) Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135, hommage
des Essarts du 25 avril 1597 à Thouars.
(3) 150 J/G 10, déclaration noble
du 9-11-1607 de Charles Masson à Languiller pour les droits seigneuriaux du
Pin.
(4) 150 J/G 10, déclaration noble du
1-9-1645 de Jacques Audouard à Languiller pour les droits seigneuriaux du Pin
(papier).
(5) 150 J/G 14, partage de la
succession Audouard/Masson en 1680 concernant le Pin et la Baritaudière.
(6) 150 J/G 15, sentence du 26-6-1681 du tribunal
de Fontenay condamnant les propriétaires du Pin.
(7) 150 J/G 15, reconnaissance de défaut du 25-5-1683 contre les propriétaires du Pin,
par le tribunal de Fontenay.
(8) 150 J/G 14, mémoire du 4-12-1694 de Masson
concernant les saisies de Chitton avec copie de contrats.
(9) 150 J/G 11, vente du
18-10-1683 de rentes prélevées au Pin de René Audouard à Pierre Moreau.
(10) 150 J/G 11, retrait féodal du 26-6-1690 d’une rente due
par les teneurs du Pin.
(11) 150 J/G 10, déclaration
noble du 28-12-1683 de René Audouard à Languiller pour les droits seigneuriaux
du Pin.
(12) 150 J/G 15, signification du 1-3-1684 du jugement du 26-6-1681 contre les
propriétaires du Pin.
(13) 150 J/G 11, déclaration noble du 5-3-1684 de René
Audouard à Languiller pour les terrages et dîmes du Pin.
(14) 150 J/G 14, cession du 11-8-1694 des droits de
lods et vente pour la Bujanderie de Julie des Villates à Chitton.
(15) 150 J/G 14, jugement du tribunal de Fontenay
le comte du 29-7-1694 condamnant Jean Masson à la demande Chitton.
(16) Contrat de mariage du 11-11-1602 de Pierre de la
Bussière avec Lucrèce Bertrand, Archives de Vendée, Fonds Mignen : 36 J 357.
(17) 150 J/G 14, requête du 15-12-1694 au tribunal
de David de
la Bussière contre Chitton pour les droits du Pin et Baritaudière.
(18) 150 J/G 15, assignation du 9-1-1696 à
comparaître au tribunal, de Chitton à Marie Gazeau et à Louise de la Bussière.
(19) Yvan Castan, Politique et vie privée, dans
« Histoire de la vie privée de la Renaissance aux Lumières », Seuil,
1986, page 62.
(20) Guy Cabourdin et Georges Viard, Lexique historique
de la France d’Ancien Régime, 3e édition, Armand Colin, 1998,
Archives de Vendée : BIB 1200 (J 8), pages 40 et 41.
(21) Maurice Daumas, L’amitié et l’amour à l’époque moderne, dans « Histoire des Émotions », Seuil,
2016, T 1, page 340 et s.
(22) Idem (16).
(23) 150 J/A 12-7, acquêt du
28-5-1705 de terrages et rente sur la Pertelière, Pin et Baritaudière par
Languiller.
(24) 150 J/G 11, assignation du 6-7-1701 à comparaître à l’assise de
Languiller faite à 6 teneurs du Pin.
(25) 150 J/G 15, signification le 22-3-1708 du jugement du 9-1-1708 condamnant les
propriétaires du Pin.
(26) 150 J/G 56, déclaration
roturière du 2-9-1740 de François Mandin pour domaines au Pin.
(27) 150 J/G 56, déclaration
roturière du 27-5-1751 d’André Metereau pour domaines au Pin.
(28) Archives historiques du
diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 29-2, la Boutarlière.
(29) 150 J/A 12-3, aveu du
12-8-1606 d’Hélie de Saint Hilaire à Languiller pour la Guiffardière et 11
lieux différents à Saint-André-Goule-d’Oie.
Emmanuel François, tous droits réservés
Novembre 2016, complété en août 2020