mercredi 1 août 2012

Le curé intrus de Saint-André-Goule-d'Oie

Les curés intrus


Pendant la Révolution française le mot intrus désignait pour les Vendéens, les curés élus pour remplacer ceux ayant refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé. C’était le mot désignant normalement quelqu’un introduit illégitimement dans une fonction. Son utilisation avait donc valeur de jugement politique.

Assiette commémorative du serment
En effet, selon la législation nouvelle, les ecclésiastiques, devenus fonctionnaires suite à la confiscation des biens d’Église, devaient, comme tous les autres fonctionnaires, prêter serment. La moitié des prêtres environ refusèrent au niveau national, mais ils furent 80 % dans le bocage vendéen. Parmi eux, le prieur Allain, curé de Saint-André-Goule-d'Oie.

Déjà les fonctionnaires avaient juré fidélité au serment civique du 4 février 1790 : « Je jure d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi ». La portée politique du texte ne souleva pas de difficulté, même si la constitution ne fut définitivement votée que le 3 septembre 1791.

Le texte du décret du 27 novembre 1790 définissant le nouveau serment, approuvé par le roi le 26 décembre 1790, n’était pas bien différent : « Je jure de veiller avec soins sur les fidèles du diocèse (de la paroisse) qui me sont confiés, d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et approuvée par le roi. » Ce serment concernait les nouveaux élus aux fonctions ecclésiastiques et tous les ecclésiastiques pour toucher leur traitement. Un décret du 4 janvier 1791 précisait qu’il ne devait faire l’objet d’aucune restriction ou addition et être prêté dans sa forme et teneur. La sanction comportait l’incapacité à tout emploi public. Pour le clergé, le nouveau texte spécifiant la fidélité à la loi incluait désormais celle à la nouvelle loi appelée Constitution civile du clergé votée en juillet 1790, donc au schisme qu’il organisait. Rappelons que les évêques devaient être nommés par une élection sans l’accord du pape. C’est ce qui détermina le refus de prêter le nouveau serment.

Une fois enregistrés au début de 1791 par chaque municipalité les refus de prêter serment, on procéda vers l’été 1791 à l’élection des nouveaux curés devant remplacer les réfractaires au serment. C’est l’assemblée électorale du district qui désigna les nouveaux curés.

À Chauché, le curé et le vicaire avaient prêté serment, mais le curé Lebouc avait ensuite préféré prendre la cure de Mauves en Loire-Atlantique et quitta Chauché le 5 juillet 1791. Il faut dire que le presbytère n’était pas accueillant (1). En remplacement, son vicaire, Pierre Charbonnel, fut élu curé de Chauché le 1e août 1791 par l’assemblée électorale du district de Montaigu. Il s’installa le 2 octobre suivant avec des émoluments fixés à 1500 livres par an.

À Saint-Fulgent, le curé et le vicaire avaient refusé de prêter serment et un curé constitutionnel fut élu pour la paroisse le 10 mai 1791. Il s’appelait Jean Baptiste Baudry et avait prêté serment, étant vicaire à la Pommeraie-sur-Sèvre.                     

Messe clandestine
Charbonnel à Chauché et Baudry à Saint-Fulgent, élus par les révolutionnaires à Montaigu, furent très mal reçus par les populations on le sait. Le principe de ces élections remplaçant la nomination par l’évêque était une intrusion inadmissible dans leur religion pour les populations. D’ailleurs peu d’électeurs participèrent à ce vote, et ce fut une désignation en fait par les partisans de la constitution civile du clergé. Les élus furent des intrus et les fidèles ont préféré suivre plus tard les messes clandestines du prieur Allain de Saint-André-Goule-d'Oie et du vicaire Brillaud de Saint-Fulgent, réfractaires au serment. Ils s’adressaient à eux pour les baptêmes et les mariages. Tout au plus, ne pouvant faire autrement, ils voyaient l’intrus pour les sépultures. 

Une lettre du curé intrus de Saint-André


À Saint-André-Goule-d'Oie la seule trace existante dans les Archives, semble-t-il, d’un curé intrus est une lettre du 9 septembre 1794 de M. Dorizon, ancien curé de Mont-Saint-Jean (diocèse du Mans), qui demande aux administrateurs du département de Vendée d’être payé de son traitement de 1562 livres 12 sous comme prieur de Saint-André-Goule-d'Oie (2).

Les archives du district de Montaigu ont été détruites en grande partie, et l’élection d’un curé intrus à Saint-André nous est inconnue. Aucun document d’Histoire, non plus, n’évoque cette nomination. Et la lettre de M. Dorizon aux administrateurs du département de la Vendée nous laisse sceptique. Commençons par en prendre connaissance :

Source : Archives départementales de la Vendée

 « Mort au tyran (3) 23 fructidor l’an 2 de la République (4)

Citoyens administrateurs,

Il est très permis à tout citoyen dans la nécessité de revenus, de demander les secours sur lesquels il a des prétentions ; vous avez entre les mains ceux qui me sont légitimement dus. Depuis plus de deux ans, je les réclame, et pour les obtenir je vous ai présenté trois pétitions, deux dans le courant de 1792 et la troisième il y a trois mois, et écrit plusieurs lettres, mais jusqu’à ce jour vous avez été insensibles à mes suppliques et à mes cris.
Est-il nécessaire de vous rappeler, que pour raison du prieuré de St André Goule d’Oie dont j’étais ci-devant titulaire, vous m’avez fait un traitement de 1562 livres 12 sols, duquel traitement, qui fut toute la ressource de ma subsistance, je n’ai reçu que les trimestres des années 1790 et 1791. Si vous voulez bien jeter un coup d’œil sur l’état des comptes et dépenses de votre trésorerie, vous connaîtrez que je vous accuse la vérité. Je puis encore vous ajouter que le paiement de mon traitement était difficile à cause de mon éloignement et de l’embarras de faire passer les certificats nécessaires. Je vous demandé d’être payé par le trésorier du district de Sillé la Montagne (5), cette formalité m’étant même accordée par la loi. Pour y parvenir je vous ai prié de m’envoyer copie de l’acte de la somme à laquelle vous avez fixé mon traitement, avec un certificat du seul et dernier paiement que j’ai reçu, mais jusqu’à présent vous n’avez pas daigné répondre à mes demandes. Un si long silence d’administration m’occasionne une très grande détresse. J’espère de votre zèle pour la justice toute l’allégeance qu’elle mérite, et que vous voudrez bien vous prêter au désir que j’ai de profiter des avantages que la république accorde aux pensionnaires ecclésiastiques par son décret du 18 thermidor ; une réponse prompte et favorable m’en posera l’obligation d’une reconnaissance très sincère et très étendue.
Salut et fraternité.
L. Dorizon, ancien curé du Mont-Saint-Jean, district et canton de Sillé la Montagne. »

Une imposture


Au premier abord la démarche parait vraisemblable. Les difficultés de l’administration pour payer ses fonctionnaires dans le bocage sont bien compréhensibles avec les combats qui ont commencé en mars 1793. Le choix d’un ecclésiastique de la Sarthe n’est pas étonnant en raison du peu d’ecclésiastiques disponibles ayant prêté serment en Vendée.

La référence à l’état des comptes et dépenses de la trésorerie du département donne du sérieux à la démarche. Quoique les destructions perpétrées à Fontenay-le-Comte ont pu concerner ces comptes aussi, et l’affirmation n’était pas vérifiable.

Mais l’éloignement du curé de sa cure est étonnant. Il semble indiquer être toujours resté dans la Sarthe. La situation paraît invraisemblable.

De plus, il n’est pas possible qu’il ait été nommé au prieuré de Saint-André-Goule-d'Oie en 1790 et au début de 1791, comme il l’affirme. Dans cette période le prieur en exercice était bien Allain, exerçant même son ministère jusqu’en juillet 1792. Or Dorizon affirme avoir perçu « les trimestres des années 1790 et 1791 ». Il affabule ! En effet, à lire le registre paroissial de Saint-André-Goule-d'Oie de la mi-1791 à mi-1792, période où le curé intrus pouvait exercer, il est clair qu’il n’était pas présent et que c’est le prieur Allain qui exerçait son ministère.

La lutte contre les prêtres insermentés en Vendée


D’ailleurs la rétorsion contre les prêtres réfractaires au serment ne fut pas immédiate. Il fallut attendre le décret du 29 novembre 1791, pour que les prêtres ayant refusé de prêter serment soient privés de leur traitement. Le roi ayant mis son veto, le décret n’était pas entré en vigueur. Pour tourner la difficulté, en Vendée on décida que les prêtres assermentés recevraient leur traitement à domicile chaque trimestre, mais que les prêtres insermentés devraient venir le chercher à Fontenay en personne. Devant cette difficulté (il n’y avait pas de route à l’époque), beaucoup de prêtres non jureurs durent renoncer à leur traitement (6). Cette initiative est révélatrice du zèle des révolutionnaires vendéens.

La loi du 27 mai 1792, en réaction à la défaite des armées à Tournai, accusa les prêtres réfractaires de soutien à l’ennemi et les condamna à la déportation à l’étranger. Mais là encore, le roi opposa son veto. Alors, par décret du Directoire exécutif de la Vendée (8 juin 1792), on décida, illégalement (7), de renvoyer sur leurs lieux d’origine les prêtres insermentés nés  ailleurs qu’en Vendée. Né à Bressuire, on ne sait pas si le prieur Allain a été concerné par la mesure.

Déportation des prêtres
Par arrêté du 30 juin 1792, le Directoire de la Vendée convoqua tous les prêtres insermentés à Fontenay pour y être internés. Dans la Vienne les autorités furent moins agressives, provoquant la colère des jacobins locaux (8). Avec le recul on remarque que ce texte était entaché d’abus de pouvoir. Mais bientôt la loi devait aller plus loin : celle du 26 août 1792 condamna à la déportation tous les prêtres insermentés, et au bagne les récalcitrants qui refusaient de partir.

Beaucoup de prêtres quittèrent ainsi la France, notamment ceux du sud de la Vendée. Les embarquements eurent lieu à la fin de l’année 1792 à Saint-Gilles-Croix-de-Vie ou aux Sables-d’Olonne, concernant 250 prêtres, généralement vers l’Espagne et l’Angleterre. C’est à cette époque de la mi-1792 que le prieur Allain se cacha dans la région pour continuer son ministère dans la clandestinité.

Une fois rappelées ces circonstances, le contenu de la lettre du curé Dorizon, avec ses invraisemblances et ses affabulations, révèle un personnage essayant peut être de profiter de la situation. Et si les nombreux historiens qui ont étudié l’histoire de la guerre de Vendée, n’ont jamais mentionné l’existence de ce curé intrus, c’est que sa revendication présente un doute sérieux.

La position de ces prêtres intrus mérite d’être évoquée, car elle  est devenue intenable dans le bocage vendéen.

Les intrus connus à Saint-André


Il y eut parmi eux un personnage à la conduite douteuse bien connu à Saint-Fulgent. Il s’agit de Simon François Gérard, appelé « gros goret » par les marchandes de poisson des Sables-d’Olonne, alors qu’il y était curé assermenté ou jureur. Abjurant sa religion en novembre 1793, il eut une vie mouvementée. Le dictionnaire des Vendéens (voir sur le site internet des Archives de Vendée) lui consacre une riche biographie, rigoureusement factuelle. Après avoir été impliqué dans une affaire de fraude, il fut nommé juge de paix courant 1797 à Saint-Fulgent. Mal vu, il n’obtint pas la place laissée par Benjamin Martineau démissionnaire au printemps 1799. Il se maria avec Marianne Aubin (de Bazoges-en-Pareds) en vendémiaire an 9. Il resta juge de paix à Saint-Fulgent jusqu’en 1808. Après, il se fit cafetier à Montaigu. Selon M. de Beauregard, vicaire général, il fut « l’opprobre du diocèse de Luçon ».

À Saint-Fulgent le curé constitutionnel Jean Baptiste Baudry exerça son culte pour les révolutionnaires de la commune dès l’été 1791, mais la plupart des paroissiens firent appel au vicaire Brillaud qui se cachait en compagnie du prieur de Saint-André-Goule-d'Oie. En novembre 1791, un rapport fait état d’un complot « pour réunir les paysans de plusieurs paroisses et chasser le curé constitutionnel ». Il fut élu comme électeur du canton en 1792, appartenant au camp des révolutionnaires. Il lui resta ensuite fidèle, changeant complètement de vie. En mars 1793 les insurgés du canton le mirent en prison avec le marchand Merlet, révolutionnaire de Saint-Fulgent lui aussi. Tous deux ont bénéficié du fameux geste de Bonchamps en octobre 1793, libérant les prisonniers des Vendéens avant de passer la Loire à Saint-Florent-le-Vieil. Il abjura la prêtrise le 22 mars 1794. Il étudia ensuite la médecine et s’installa comme médecin à Nantes, où il mourut en 1816. (Voir le dictionnaire des Vendéens sur le site internet des Archives de Vendée).

Le curé Charbonnel de Chauché nous apparaît plutôt comme un pauvre bougre malmené par les évènements. Son état d’esprit favorable à la Révolution ne lui porta pas chance. Il prêta tous les serments mais fut privé de l’exercice du culte par ses paroissiens. Dès 1794 un curé réfractaire, Jacques Guyard, se cachait dans les environs, auquel les paroissiens faisaient appel (9). Au synode clandestin du Poiré sur Vie du 4 août 1795, ce prêtre est confirmé dans son poste de desservant de Chauché (10).

David d'Angers : Pardon de Bonchamps
La cure de Chauché fut pillée par les Vendéens. Réfugié à Montaigu, Pierre Charbonnel y fut fait prisonnier par eux, mais bénéficia lui aussi de « la grâce aux prisonniers » de Bonchamps à Saint-Florent-le-Vieil. Le 23 octobre 1793 il se présenta à Nantes devant le directoire du département présidé par l’ex-évêque Minée, qui lui accorda un secours de 200 livres. Dans la décision on peut lire qu’il a été « délivré par les troupes de la République des mains des brigands qui le retenaient en captivité ». C’était la version propagée par les républicains pour nier la réalité du geste de Bonchamps. 

En avril 1795 il était réfugié à Luçon. Domicilié à l’Aiguillon, il a juré à Saint-Michel-en-l’Herm le 4 vendémiaire an 6 le serment de haine à la royauté. Il fut curé de Triaize ensuite. Après le concordat il fut curé de Longeville où il mourut en 1811 (11).


(1) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier 3 E 30/12, acte d’assemblée d’habitants de la paroisse de Chauché du 11-10-1789.
(2) Archives de Vendée L 891.
(3) Formule rituelle utilisée par les révolutionnaires au moment de la Terreur. Elle désignait Louis XVI guillotiné le 21 janvier 1793. La formule peut surprendre sous la plume d’un prêtre, mais tout à fait normale, sinon exigée entre républicains.
(4) 9 septembre 1794.
(5) Nom révolutionnaire de Sillé-le-Guilllaume, dans la Sarthe, chef-lieu du canton où habitait le quémandeur.
(6) Billaud et d’Herbauges, 1793 La guerre au bocage vendéen (1992), page 30.
(7) De La Boutetière, Le chevalier de Sapinaud de la Verrie, Salmond (1982), page 17.
(8) Jacques Peret, Histoire de la Révolution Française en Poitou-Charente 1789-1799, Projets Éditions, Poitiers, 1988, page 143.
(9) Archives de Vendée, registre clandestin de Saint-Fulgent août 1791-juin 1796, enterrement de François Robin à Chauché du 28-5-1794 (vue 24). Voir aussi le dictionnaire des Vendéens sur le site des Archives de Vendée.
(10) Revue du Bas-Poitou 1890 (A3), article de M. de Gouttepagnon, page 183.
(11) Revue du Bas-Poitou, 1904-2, page 121.

Emmanuel François, tous droits réservés
Août 2012, complété en novembre 2019

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