Au
sortir des combats de la guerre de Vendée, terminés en mars 1796 dans la région
de Saint-André-Goule-d’Oie avec la capture de Charette, le régime du Directoire a installé une administration
civile locale centrée sur le canton. Les communes ont perdu leur autonomie,
avec à leur tête un agent au lieu du maire, participant pour sa commune aux
réunions de l’administration municipale cantonale. Celle-ci avait son président
élu, mais le pouvoir réel était entre les mains d’un « commissaire du directoire exécutif près l’administration
cantonale », nommé par le département.
Dans
le domaine de la fiscalité, la Révolution avait opéré de profonds changements,
lui donnant d’abord une nouvelle légitimité. Désormais elle reposait sur le
consentement de la nation à travers le fonctionnement d’institutions
démocratiques, du moins sur le papier. De plus, en
supprimant les prélèvements ecclésiastiques et seigneuriaux, l’État était devenu le seul bénéficiaire des
impôts. Néanmoins la suppression de la dîme ecclésiastique a été mal vue dans
certaines communes, car elle privait l’Église de ressources, en plus de la
nationalisation de ses biens (1). Ces ressources étaient essentielles pour l’aide aux
pauvres, précieuse dans les campagnes. Pour Saint-André-Goule-d’Oie, nous n’avons pas
trouvé de documentation sur ce point particulier avant la Révolution.
Avec
les nouveaux principes, les mots changèrent : le Roi recevait des aides de
ses sujets, l’État recevra des contributions des citoyens. Le mot impôt s’est
imposé ensuite. Mais allons
plus loin dans le changement instauré, avec la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789 : la contribution « … doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de
leurs facultés »
(article 13). L’article 14 est ambitieux
: « Tous les citoyens ont le droit de constater,
par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution
publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer
la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »
On passera sur les difficultés de mises en œuvre d’une réforme aussi
révolutionnaire et de ses tâtonnements. Si trois nouvelles contributions sont
décidées en 1790 et 1791, l'administration fiscale est réorganisée en 1795 par
le Directoire, autour d'agents fiscaux nommés par le gouvernement, avec un
receveur général des contributions directes pour diriger l'administration
fiscale dans chaque département. La dette abyssale de l’État fut réduite des
deux tiers en 1795 par simple décision gouvernementale (tant pis pour les
créanciers, c’est-à-dire surtout les
épargnants), et en 1797 on créa une nouvelle contribution (sur les portes et
fenêtres) et on décida le retour des impôts indirects (péage, enregistrement, timbre,
etc.)
La
nouvelle administration cantonale de Saint-Fulgent avait tout à mettre en place
quand elle fut installée en juillet 1796. Même les archives des communes avaient été
brûlées, et on manquait de papier et d’encre. Elle fut en première ligne pour remettre
en place les quatre contributions directes nouvelles dans un pays ruiné.
L’abondant courrier reçu à l’administration du département à Fontenay, des deux
commissaires cantonaux de Saint-Fulgent (Merlet, puis Martineau), de juillet 1796
à juillet 1799, nous apporte de nombreuses informations sur les difficultés
rencontrées.
Voyons
ce qu’il nous dit pour chacune des contributions
La contribution foncière
La contribution foncière, née de la
loi du 23 novembre 1790, était un impôt pesant sur les revenus des propriétés
foncières. En Vendée il n’y
avait pas de cadastre à l’époque, et les initiatives parisiennes pour sa
création mirent beaucoup de temps pour arriver jusqu’à Saint-André-Goule-d’Oie.
Alors pour déterminer les revenus fonciers, on réalisa des sections et matrices
des valeurs des propriétés et de leurs revenus, suivant leur nature. Les agents
des communes (maires) devaient désigner des répartiteurs pour effectuer le
travail. Le montant de contribution imposé au niveau de la commune était
ensuite réparti entre les propriétaires sur la base de leurs revenus. C’était à
cette époque un impôt de répartition comme l’ancienne taille royale. Et cette
participation des citoyens à l’établissement de l’assiette fiscale reprenait la
pratique de jadis au sein des paroisses. Elle ne signait pas une avancée
démocratique, mais plutôt révélait l’insuffisance de l’administration comme
sous l’Ancien régime.
La
taxe foncière, qui avait remplacé les anciennes redevances seigneuriales, continuait
d’être payée par les fermiers et métayers généralement, mais le fisc en
réintégrait la valeur dans les revenus des propriétaires. Il reprenait, se
faisant, l’argumentaire de ces derniers au moment de la Révolution. Quand
certains métayers demandèrent à bénéficier de la suppression des droits
féodaux, et à ne pas payer l’impôt foncier qui les avait remplacés, les
propriétaires rétorquèrent que cette suppression revenait à eux et non pas aux
fermiers. Sinon il leur faudrait augmenter le fermage.
Indiquons tout de suite que cet
impôt foncier représentait de l’ordre de 6 % en moyenne du montant des fermages
perçus par le propriétaire du domaine de Linières en 1830. Il est nettement
moindre que le seul droit de terrage
féodal d’autrefois, à 16% (la « sixte
partie des fruits »), calculé après le prélèvement sur certaines terres seulement de la dîme ecclésiastique
dans la région de Saint-André-Goule-d’Oie. Ce constat est particulier à la contrée,
et les historiens modernes ont constaté que le droit de terrage, ou champart,
était souvent bien plus faible ailleurs. Quant aux autres droits féodaux (cens,
rentes, dîmes, etc.), sauf les lods et ventes en cas de mutations des biens,
leurs montants étaient symboliques ou faibles. En revanche leur existence était passée de
mode, sans que dans la contrée cela suscita, semble-t-il, un refus devenu
violent comme on a pu le constater dans d’autres endroits du royaume. C’est que l’analyse de ce refus ne saurait se contenter des
seules redevances. On
imagine néanmoins que leur suppression fut bien accueillie.
Ainsi, la situation fiscale des
métayers et des propriétaires apparaît s’être améliorée dans la région en
comparant l’après de la Révolution à l’avant. Quoique ce constat doive être
repris en incluant les autres contributions créées par la Révolution, sans oublier
la dîme ecclésiastique et les impôts royaux dans la comparaison, et surtout en
mesurant l’impact du tout pour chaque catégorie de citoyens, et sans oublier le
sort de l’épargne dans une inflation des prix exorbitante.
La contribution foncière est née en
1796 dans la douleur à Saint-André-Goule-d’Oie, éclipsant les autres dans la
documentation étudiée. Cela tient essentiellement à la situation particulière
de la contrée.
Dans
une lettre du 30 juin 1796, Louis Merlet, qui sera installé officiellement dans
quelques jours commissaire du canton de Saint-Fulgent, en décrit sa situation
économique. Étant lui-même propriétaire de plusieurs métairies et exerçant le
métier de marchand, il la connaît bien, mais on le soupçonne de la noircir un
peu, sensible à son intérêt. Voici ce qu’il écrit au commissaire du département
à Fontenay : « Les récoltes ne
sont pas aussi belles que l’on aurait cru il y a trois mois. Les herbes, la
pluie et le vent les ont beaucoup endommagées. Il y a bien des terres préparées
pour l’automne, mais il y en a beaucoup moins qu’avant l’insurrection. Il y a
au moins un tiers moins d’hommes à présent qu’avant les troubles.
Je vous observerai pour les bestiaux
qu’il y en avait beaucoup (des fermes) qui avaient coutume d’avoir dix, douze
bœufs, et se trouvent (maintenant) avec
deux ou trois, même quelques-unes où il n’en est resté qu’un. Je peux parler
pour moi-même. Un de mes métayers avait coutume d’avoir douze bœufs, il ne lui
en est resté qu’un, et il a été obligé d’en emprunter un pour pouvoir faire
travailler celui qui lui était resté. Il y a dans le canton un tiers en moins
de bestiaux de toutes espèces.
Je vous observerai aussi que le
commissaire des guerres de Montaigu nous donne des réquisitions pour fournir
des 500 à 600 livres de viandes dans un pays aussi dévasté qu’il l’est de
bestiaux. Si cela continue, il y aura bientôt la fin de l’agriculture.
L’ingénieur nous a donné des ordres
pour faire réparer le pont de Girouard près de Saint-Fulgent. Mais il nous est
impossible de trouver des ouvriers, à moins d’être autorisé à les payer en
grains » (2).
Rappelons
pour comprendre cette description apocalyptique que les colonnes de soldats chargées
de l’extermination des biens et des personnes, ont dévasté le pays au premier
semestre 1794, et que les combats ont cessé en
partie à la fin de 1794 et définitivement au début de l’année 1796 dans la contrée.
Le
2 août 1796, Merlet poursuit la description du canton en réponse à un
questionnaire reçu de Fontenay. Les artisans ont besoin de fer et d’acier pour
fabriquer des outils. Les tisserands sont sans activité et il n’y a point de
manufacture d’étoffes. L’état de la population est impossible à fournir faute
de papier, de secrétaire, de local et de fonds. Il n’y a pas de garde champêtre
dans les communes, faute de pouvoir les payer. Et il n’est pas possible de
payer l’impôt (3).
Étienne
Martineau, président élu de l’administration cantonale de Saint-Fulgent, recommande
en décembre 1796 son secrétaire à Coyaud, commissaire du département. Il doit
se rendre à Fontenay pour négocier l’approvisionnement de viandes, pains, bois
et lumières.
Le
10 du même mois de décembre on ne sera pas étonné de lire sous la plume un peu
gauche de Merlet le passage suivant, pourtant un révolutionnaire engagé contre
les royalistes dès avant la guerre de Vendée : « citoyens, on parle de faire payer l’impôt, comment veut-on que l’on
fasse pour payer ? Si on reportait tout ce qui a été pillé, volé, et que
l’incendie, le pire de tout, n’eut pas eu lieu, on serait à même de payer. Ceux
qui autrefois vendaient du grain, en cherchent à acheter dans ce moment pour
leur nourriture, attendu que la gelée et la grêle ont totalement perdu mon
canton et bien d’autres. Ceux qui peuvent avoir quelque argent cherchent les
moyens de se faire arranger quelque masure pour se mettre à l’abri de l’hiver,
vous le savez comme moi, je ne vous l’en impose pas. Il est de toute
impossibilité que l’on paye un impôt pour cette année. Je croirais même que
l’on devrait laisser le pays pendant quelque temps sans payer d’impôt, afin de
donner l’aisance de faire rétablir ses chaumières » (4). Rappelons à
cet égard, qu’il fallut attendre Napoléon pour que l’État débloque des crédits
d’aide à la reconstruction en Vendée. Il faut aussi se rappeler qu’en cette
année 1796, ce même État était lui-même au bord de la faillite. Quant à l’impôt
dont parle Merlet dans ce texte, on pense qu’il s’agit de la taxe foncière,
dépendant de la valeur des biens.
Il
a beau presser ses administrateurs ou agents en mars 1797 à faire faire leurs « sections » (évaluation des biens par nature), il ne peut
en venir à bout, avoue-t-il, et il demande que l’administration du département
les menace, « ils vous craindront
plus que moi » (5). Ces administrateurs des communes continuent de
refuser ce travail au mois de juillet suivant, et s’attachent plutôt à
présenter des pétitions pour obtenir des dégrèvements.
D’ailleurs
le commissaire central du département de la Vendée, Coyaud, en est bien
conscient. En témoigne la situation du canton de Saint-Fulgent, où il écrit à
propos des impôts le 5 mai 1797 : « Ce canton jouit d’un calme qui parait
parfait. Les lois commencent à y recevoir leur exécution, mais il a tellement
souffert par l’effet des troubles qu’il sera difficile d’y percevoir même de
faibles contributions pour l’an 5. » (6).
Le
secrétaire de l’administration cantonale, en même temps juge de paix, Simon
Gérard, écrit le 9 juin 1797 : « ….. Je ne sais qui souffle à ses membres (municipalité) que le pays ne doit pas payer d’impôts.
Toujours est-il vrai que d’en parler aux agents (maires) c’est les martyriser, et qu’ils paraissent très éloignés de vouloir
s’en occuper » (7). Le 8 juillet suivant les administrateurs refusent
tout simplement le paiement de l’impôt foncier.
Conseil des Anciens |
Ceux
de cinq communes du canton (dont Saint-André-Goule-d’Oie) et leurs adjoints
signent le 12 juillet 1797 une lettre rédigée par leur secrétaire, Gérard,
envoyée au Conseil des Anciens à Paris. Ils affirment leur volonté de faire
rentrer les impôts, mais constatent l’impossibilité de le faire dans le canton
de Saint-Fulgent. Tout a été pillé et incendié, et les habitants sont accablés
sous le poids du désastre de la guerre civile. Les propriétaires doivent avant
tout reconstruire les bâtiments, et remplacer les bestiaux manquants
nécessaires au trait pour les labours. Les habitants ne peuvent payer la
contribution foncière, et les signataires « sollicitent de l’assemblée un acte de bienfaisance et de justice pour
le canton ». Les signataires forcent seulement le trait, tout au moins
par rapport à une situation moyenne que l’on pense connaître : « Représentez-vous une population jadis
nombreuse et bien constituée, réduite à moins d’une moitié, et ce qui en reste
exténuée des suites dévastatrices de la plus cruelle des guerres, et qui n’a
plus d’autre asile, d’autre retraite que dans de tristes et insalubres huttes
avec des branches d’arbres et de la bourrée. Représentez-vous ce peuple entièrement
dépouillé … de tous ses effets les plus strictement indispensables, de ses
lits, de son linge, de ses vêtements, de ses instruments aratoires, de son
bétail … » (8). On n’a pas lu la réponse s’il y en eut, mais le 15
décembre 1797 on apprend qu’un dégrèvement de la taxe foncière pour l’an 5
(septembre 1796 - août 1797) a été accordé dans le canton. Macquigneau,
percepteur de Saint-Fulgent, a versé en août 1798 dans la caisse du préposé de
l’arrondissement de Montaigu la somme de 992 livres 14 sols 3 deniers sur la
contribution foncière de l’an 5, ce qui fait bien peu (9).
Derrière
ces phrases, signées des rescapés des luttes armées des deux camps, qu’elle est
la réalité de la « dépopulation » ? En prenant les recensements
des 6 communes d’alors du canton de Saint-Fulgent, le total de leurs nombres
d’habitants passe de 7503 en 1791 à 6067 en 1800, soit une diminution de 19 %. C’est
un peu moins que la part des 170 000 morts et disparus environ, côté
insurgés, dans l’espace de la Vendée militaire (10). La commune la plus
durement touchée relativement à sa population dans le canton de Saint-Fulgent est
Chavagnes avec une diminution de 43 %, mais Saint-Fulgent a vu sa population
augmenter de 13 % d’un recensement à l’autre. On a eu des déplacements de
population, mal appréciés, peut-être aussi des épidémies, quoiqu’aucune
documentation n’en fait état à notre connaissance. Ces chiffres comprennent les morts du camp républicain, en
nombre très faible dans le canton, victimes eux-aussi. On a écrit que les recensements de 1790 et 1800 ne sont pas à
prendre au pied de la lettre. Une chose est sûre, la population de Saint-André
était en croissance constante de 1770 à 1791 malgré les épidémies. Les seules
années où le nombre des enterrements a dépassé le nombre des baptêmes ont été :
1779, 1784, 1785 et 1789 (11).
Les recherches dans les rares témoignages et états-civils conservés, comptabilisent une cinquantaine de morts d’habitants à Saint-Fulgent et autant à Saint-André, liés aux combats et aux exterminations. Les insurgés ont pillé et brûlé ce qu’ils pouvaient des papiers de l’administration républicaine. Les soldats républicains ont exécuté les ordres d’extermination par les armes et par le feu des habitants et des maisons du pays insurgé. À Chavagnes-en-Paillers, Amblard de Guerry et l’association "Présence du passé de Chavagnes-en-Paillers" ont pu retrouver les noms de 244 victimes, auxquelles s’ajoutent 200 victimes probables non identifiées (12). Cette inconnue sur le nombre de victimes fait penser aux travaux sur les morts de la commune de Paris en 1871, dont le nombre, là aussi, ne peut qu’être approché. Merlet force sans doute le trait dans sa description, mais le trait existe, épais déjà avec près de 25 % de « dépopulation » dans la Vendée militaire, plus de 10 fois plus élevé que le pourcentage appliqué à Paris en 1871.
Les recherches dans les rares témoignages et états-civils conservés, comptabilisent une cinquantaine de morts d’habitants à Saint-Fulgent et autant à Saint-André, liés aux combats et aux exterminations. Les insurgés ont pillé et brûlé ce qu’ils pouvaient des papiers de l’administration républicaine. Les soldats républicains ont exécuté les ordres d’extermination par les armes et par le feu des habitants et des maisons du pays insurgé. À Chavagnes-en-Paillers, Amblard de Guerry et l’association "Présence du passé de Chavagnes-en-Paillers" ont pu retrouver les noms de 244 victimes, auxquelles s’ajoutent 200 victimes probables non identifiées (12). Cette inconnue sur le nombre de victimes fait penser aux travaux sur les morts de la commune de Paris en 1871, dont le nombre, là aussi, ne peut qu’être approché. Merlet force sans doute le trait dans sa description, mais le trait existe, épais déjà avec près de 25 % de « dépopulation » dans la Vendée militaire, plus de 10 fois plus élevé que le pourcentage appliqué à Paris en 1871.
Il
n’empêche que l’assiette de cette taxe foncière doit être créée, ou recréée si
on pense au travail qui a dû être fait en 1791/1792 et parti en fumée ensuite.
Merlet dû nommer des répartiteurs pour effectuer le travail d’évaluation des
biens. En décembre il constate que ceux de Chauché et de Saint-André refusent de
s’exécuter. Les autres répartiteurs se plaignent d’instructions pas claires
pour estimer les bois futaies, mais leur travail avance à Chavagnes et à la
Rabatelière. Bazoges a terminé et Saint-Fulgent est sur le point de le faire. On
apprendra plus tard que la matrice de la Rabatelière comporte des « erreurs et iniquités », mais qu’il
est trop tard pour différer son recouvrement.
Alors
le commissaire cantonal prend un arrêté le 6 janvier 1798, nommant des
commissaires au frais des communes délinquantes de Chauché et Saint-André (13). Sur
les agents municipaux de Saint-André, voir notre article publié en juillet
2010 : Les agents communaux Fluzeau (1796-1797) et Bordron (1797-1799).
En
avril 1798 Martineau remplace Merlet comme commissaire cantonal, et constate
que rien n’a changé dans ces deux communes. Il annonce qu’il va faire faire la
création des sections par des répartiteurs étrangers à ces deux communes, et à
leur charge (à raison de trois livres par jour de travail).
Procéder
à l’établissement des sections et matrices de la contribution est une chose,
accepter de la payer en est une autre. On s’y oppose généralement. Et en signe de protestation tout le monde avait
refusé au 3 juin 1798 dans le canton le poste de commissaire répartiteur pour
l’année suivante, sauf le juge de paix Gérard. Deux autres commissaires
étrangers au canton avaient aussi refusé. Alors on nomma Merlet pour aider
Gérard le 30 juin. Et le même jour on nomma aussi les membres du jury d’équité
chargé d’examiner les sections déjà réalisées.
Mais
le front du refus se fissura. Martineau annonce le 12 août 1798 que le rôle de
la contribution foncière est en recouvrement à Saint-Fulgent (pour l’an 6 en
cours). Dans son style bien à lui, il écrit à son chef : « j’ai vu avec la satisfaction la plus
vivement sentie, le peuple de cette commune accourir chez le percepteur, et je
suis dans l’intime persuasion qu’il ne faut pas lâcher une seule contrainte. Ah !
Puisse le peuple sentant la nécessité d’aimer la République, faire bannir du
sein des autorités la rigueur que l’homme sensible n’emploie jamais qu’avec
rigueur » (14). Jean Jacques Rousseau, percepteur, aurait-il osé la
phrase ?
Malheureusement
à Saint-André-Goule-d’Oie, les répartiteurs nommés à l’établissement des sections,
Gérard et Merlet, « seront forcés
d’épier » (14). Et les sections de cette commune sont enfin prêtes
pour début octobre 1798.
Néanmoins
Martineau s’était fait l’écho le 28 août précédent, des nouvelles réticences
sur le paiement de la contribution : « je crains que le peuple ne soit pas à même de payer l’an 6, les
métayers n’ont pas le sol. La contribution de l’an 5 a absorbé presque tous
leurs moyens … il est prudent d’être exigeant avec circonspection »
(15). Il reçut d’ailleurs en octobre une lettre de protestation en ce sens de
l’agent de Chavagnes, Rechin.
Mais
il reçut aussi un blâme de l’administration le 17 décembre 1798 pour l’état de
la commune de Chavagnes, où manqueraient plusieurs métairies, exonérées ainsi
de contribution.
Il
critique les initiatives des percepteurs pour faire payer les impôts par l’envoie
d’huissiers, « porteurs de
contraintes aux frais vexatoires et abusifs ». Il leur a demandé d’agir
avec ménagement. Non pas qu’il ait des états d’âme : « j’ai l’expérience que les garnisaires (soldats
logés chez l’habitant récalcitrant) suffisent
pour obtenir des acomptes proportionnés à leurs facultés. C’est surtout dans un
pays qui sort des fureurs d’une guerre dépopulatrice et ruineuse qu’il faut
être avare de ces moyens coercitifs », écrit-il le 22 mars 1799 (16).
Le
13 juin suivant, juste avant de démissionner de son poste, il réitère ses
critiques contre l’emploi des huissiers pour faire rentrer les impôts, qui risque de provoquer la révolte. Après avoir évoqué les troubles à l’ordre public dus
au brigandage et à des bandes royalistes, il écrit : « Je dois le dire parce que je veux le bien de
mon pays, si l’on exige toutes les contributions de l’an 6, de l’an 7, et
bientôt de celles de l’an 8, la malveillance parviendra peut-être à ranimer les
feux de la révolte. Le moment ne permet guère au peuple de reprendre les armes,
mais la saison qui suit immédiatement les récoltes et l’ensemencement amènera
peut-être des catastrophes si l’on ne relâche pas de ses prétentions »
(17).
On
l’aura compris, même d’un montant nettement plus faible que l’ancien droit de
terrage, la taxe foncière a été très difficile à faire payer dans ce pays en
ruine. En ne l’allégeant pas à partir de 1815, même le roi Louis XVIII a déçu dans
la contrée.
La contribution personnelle et mobilière
La contribution personnelle et mobilière,
créée par la loi du 13 janvier 1791, était divisée à cette époque en plusieurs
taxes pesant sur les signes extérieurs de richesse : l’habitation
principalement et les revenus. Dans les grandes villes s’ajoutaient d’autres
éléments dits somptuaires : les domestiques, les chevaux. Les rôles
étaient normalement arrêtés et signés par les membres de la municipalité. Ensuite
ils étaient remis au percepteur de la commune chargé de son recouvrement. Notre
documentation n’en fait qu’une très brève allusion.
La patente
La contribution des patentes, créée le 2 mars 1791, dans le principe en contrepartie de la suppression
des corporations, imposait aux commerçants et aux artisans de se faire délivrer
une patente pour pouvoir exercer leur métier. À cette occasion on prélevait une
nouvelle taxe. Dans les campagnes de la contrée on rencontrait quelques métiers
particuliers (chirurgien, arpenteur) gérés dans des jurandes appelées ensuite
corporations. Le roi prélevait des taxes sur elles. Mais les commerçants et
artisans des villages et des bourgs des campagnes exerçaient leurs métiers
librement, sans faire partie de jurandes et à l’abri des taxes du roi.
A leurs yeux, la Révolution avait
eu grand tort d’imiter sur ce point la législation d’Ancien Régime. Et ils étaient
très nombreux, souvent exerçant leur métier en plus de l’exploitation agricole
de quelques lopins de terre. Si la révolution industrielle a inventé les
ouvriers paysans, leurs prédécesseurs d’avant les usines avaient été des
artisans-paysans. Le montant de leur patente était fixé en fonction de la
valeur locative des locaux utilisés, que l’activité soit bénéficiaire ou déficitaire. Et quel que soit son niveau, la contribution portait les stigmates de
la nouveauté.
Dans le courrier des commissaires
cantonaux on voit bien que sa réinstauration connut des difficultés. Ainsi Merlet écrit à Fontenay le 27 mars 1797 :
« le droit de patente s’établit
insensiblement dans le canton ». Il pense que bientôt il sera
généralisé (18). Le 8 juillet suivant il affirme y être arrivé avec l’aide de
la garde nationale ! Il ajoute : « Je crois qu’il ne serait pas bon de leur parler de cela d’ici quelque
temps ».
Son
successeur Martineau est du style des militants politiques qui aiment s’abuser
de rhétorique. Il écrit le 28 août 1798 : « les patentes sont toutes prises et le zèle des administrés de ce
canton à s’acquitter de cette dette envers la patrie est édifiant »
(19).
Le
17 février 1799 il doit se justifier que les valeurs de la patente n’augmentent
pas assez. Il adresse l’état général des patentes du canton et
ajoute : « Il m’a été
impossible d’obtenir des agents une évaluation plus forte des loyers. Tous ont
déclaré consciencieusement qu’ils ne voyaient que les auberges de Recotillon et
de la veuve Sapin (dans le bourg de Saint-Fulgent) qui put supporter l’augmentation » (20). Sophie Savaton, veuve de l’aubergiste Lusson, un des
meneurs de la révolte vendéenne à Saint-Fulgent en mars 1793, vécu à partir de
1795 avec François Recotillon. Tous deux, d’obédience royaliste, tenaient
l’auberge du Lion d’Or (21). En 1799 l’hôtel du Chêne-Vert tenue par la veuve
Sapin périclitait et celle-ci dû vendre en 1803 le mobilier de l’hôtel (22).
La contribution des portes et fenêtres
La contributionn des Portes et Fenêtres a été instaurée par la loi du 24 novembre 1798, comme si dans le canton de Saint-Fulgent cela ne suffisait pas. Mais les difficultés financières du Directoire sont connues, et on ne saurait s’en étonner. Alors nécessité fait loi. Cette taxe était fondée sur le nombre et la taille des fenêtres et autres ouvertures des immeubles.
Encore un nouvel impôt ! Dans
le domaine fiscal, les révoltes suscitées par les initiatives des
gouvernements, ne sont-elles pas plus sensibles à la nouveauté qu’à l’injustice
à laquelle on s’habitue ? Alors on devine comment ce nouvel impôt fut
accueilli dans le canton de Saint-Fulgent ! Gardons à l’esprit que certaines
habitations relevaient encore de la cabane, d’autres du rafistolage de
bâtiments détruits par les « bleus ».
La première commune à fournir un
état des portes et fenêtres fut la
Rabatelière le 28 février 1799. On aimerait savoir comment les
agents chargés de dresser les états ont travaillé pour compter les fenêtres
surtout. Ont-ils compté les ouvertures fermées par des planches ? On
détecte une difficulté de ce genre dans une lettre de Martineau en juin 1799, quand il envoya un autre état des portes
et fenêtres « qui m’a valu tant de
reproches de votre part, et de la part du ministre des finances une lettre de
mécontentement. Il faut avouer qu’on sent bien peu la position difficile d’un
agent particulier des contributions dans un pays où il y a tant à faire… »
(23). On connaît son âme sensible …
Le droit d’enregistrement
Louis
XIV avait inventé au début du 18e siècle le centième denier, payé
par tous, ainsi appelé car l’impôt était fixé à 1% de leur valeur dans certains
cas de mutation des biens. La Révolution élargit le nombre de cas du paiement
de la taxe. En 1830 et 1857 la taxe était toujours de 1% de la valeur des biens
en cas de succession directe. C’est au 20e siècle que les taux pour
les droits de succession ont atteint des niveaux mettant en cause la conception
même de la propriété héritée de la Révolution, exclusive et sacrée. Mais non
sans une certaine gêne à voir la législation alambiquée les concernant.
Les
lods et ventes pour les biens censifs, les droits de franc-fief et le rachat
pour les biens nobles, demeuraient supprimés. Leurs montants n’étaient pas
négligeables.
Au terme de la documentation étudiée concernant le canton
de Saint-Fulgent, il nous faut constater les lacunes documentaires. La charge
fiscale est d’abord affaire de mesure, même si les visions qu’elle suscite
relèvent parfois de fantasmes divers dans la société politique française. Nous
avons pu le faire pour la contribution foncière, mais ce n’est pas suffisant. Et
puis il serait intéressant de connaître les réactions des habitants avant la
guerre de Vendée, en 1791 et 1792. Nous n’avons pas trouvé de documentation se
rapportant à Saint-André-Goule-d’Oie et ses alentours pour ces deux années.
Abbé Louis Delhommeau (1937)
(d’après une photo conservée aux
Archives historiques du diocèse de Luçon)
|
(1) R. Secher, La Vendée – Vengé, Perrin, 2006, page
237.
(2) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 30
messidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(3) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 15
thermidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(4) Archives historiques du
diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 20
frimaire an 5 de Merlet au commissaire du département.
(5) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 13
prairial an 5 signée de Merlet au commissaire du département.
(6)
Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z
109-4, tableau de l’organisation
des administrations municipales du département de la Vendée, avec les
observations propres à faire connaître la véritable situation de chaque canton
au 1e prairial an 5. Voir aussi aux Archives de la Vendée : L
182.
(7) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 21
prairial an 5 de Gérard au commissaire du département.
(8) Médiathèque de Nantes,
collection Dugast-Matifeux : 1e série vol 25, lettre du 24
messidor an 5 des administrateurs du canton de Saint-Fulgent au Conseil des
Anciens.
(9) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 11
fructidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(10) Jacques Hussenet,
« Détruisez la Vendée ! », Éditions du CVRH, 2007.
(11) Patrick Molé, François
Cougnon un capitaine de paroisse dans la guerre de Vendée, 1990, mémoire de
maîtrise d’Histoire, Paris Sorbonne IV, Archives du diocèse de Vendée,
bibliothèque.
(12)
A. de Guerry, Les chavagnais tués pendant la Révolution dans « Vendée
1793 La mémoire retrouvée autour de l’œuvre d’Amblard de Guerry »,
Recherches vendéennes no 25 (2020), pages 67 et s.
(13) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 17
nivôse an 6 de Merlet au commissaire du département.
(14) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 25
thermidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(15) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 11
fructidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(16) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 2
germinal an 7 de Martineau au commissaire du département.
(17) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 25
prairial an 7 de Martineau au commissaire du département.
(18) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 13
prairial an 5 de Merlet au commissaire du département.
(19) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 11
fructidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(20) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 29
pluviôse an 7 de Martineau au commissaire du département.
(21) Archives de Vendée, notaires de Chavagnes, Bouron :
3 E 31/18, convention de société du 20 ventôse an 6 entre Sophie Savaton et
François Recotillon.
(22) Archives de Vendée, notaires de Montaigu étude
F, J.-M. Brethé, achats du mobilier et meubles par les frères Guyet à la veuve
Sapin le 3 frimaire an 12 (25-11-1803), vue 81.
(23) Archives historiques
du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 25
prairial an 7 de Martineau au commissaire du département.
Emmanuel François, tous droits réservés
Décembre 2016, complété
en juillet 2021