jeudi 1 décembre 2016

Les nouveaux impôts à Saint-André-Goule-d’Oie en 1796

Au sortir des combats de la guerre de Vendée, terminés en mars 1796 dans la région de Saint-André-Goule-d’Oie avec la capture de Charette, le régime du Directoire a installé une administration civile locale centrée sur le canton. Les communes ont perdu leur autonomie, avec à leur tête un agent au lieu du maire, participant pour sa commune aux réunions de l’administration municipale cantonale. Celle-ci avait son président élu, mais le pouvoir réel était entre les mains d’un « commissaire du directoire exécutif près l’administration cantonale », nommé par le département.

Dans le domaine de la fiscalité, la Révolution avait opéré de profonds changements, lui donnant d’abord une nouvelle légitimité. Désormais elle reposait sur le consentement de la nation à travers le fonctionnement d’institutions démocratiques, du moins sur le papier. De plus, en supprimant les prélèvements ecclésiastiques et seigneuriaux, l’État était devenu le seul bénéficiaire des impôts. Néanmoins la suppression de la dîme ecclésiastique a été mal vue dans certaines communes, car elle privait l’Église de ressources, en plus de la nationalisation de ses biens (1). Ces ressources étaient essentielles pour l’aide aux pauvres, précieuse dans les campagnes. Pour Saint-André-Goule-d’Oie, nous n’avons pas trouvé de documentation sur ce point particulier avant la Révolution.

Avec les nouveaux principes, les mots changèrent : le Roi recevait des aides de ses sujets, l’État recevra des contributions des citoyens. Le mot impôt s’est imposé ensuite. Mais allons plus loin dans le changement instauré, avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : la contribution « … doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » (article 13). L’article 14 est ambitieux : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »

On passera sur les difficultés de mises en œuvre d’une réforme aussi révolutionnaire et de ses tâtonnements. Si trois nouvelles contributions sont décidées en 1790 et 1791, l'administration fiscale est réorganisée en 1795 par le Directoire, autour d'agents fiscaux nommés par le gouvernement, avec un receveur général des contributions directes pour diriger l'administration fiscale dans chaque département. La dette abyssale de l’État fut réduite des deux tiers en 1795 par simple décision gouvernementale (tant pis pour les créanciers, c’est-à-dire surtout les épargnants), et en 1797 on créa une nouvelle contribution (sur les portes et fenêtres) et on décida le retour des impôts indirects (péage, enregistrement, timbre, etc.)

La nouvelle administration cantonale de Saint-Fulgent avait tout à mettre en place quand elle fut installée en juillet 1796. Même les archives des communes avaient été brûlées, et on manquait de papier et d’encre. Elle fut en première ligne pour remettre en place les quatre contributions directes nouvelles dans un pays ruiné. L’abondant courrier reçu à l’administration du département à Fontenay, des deux commissaires cantonaux de Saint-Fulgent (Merlet, puis Martineau), de juillet 1796 à juillet 1799, nous apporte de nombreuses informations sur les difficultés rencontrées.
Voyons ce qu’il nous dit pour chacune des contributions

La contribution foncière


La contribution foncière, née de la loi du 23 novembre 1790, était un impôt pesant sur les revenus des propriétés foncières. En Vendée il n’y avait pas de cadastre à l’époque, et les initiatives parisiennes pour sa création mirent beaucoup de temps pour arriver jusqu’à Saint-André-Goule-d’Oie. Alors pour déterminer les revenus fonciers, on réalisa des sections et matrices des valeurs des propriétés et de leurs revenus, suivant leur nature. Les agents des communes (maires) devaient désigner des répartiteurs pour effectuer le travail. Le montant de contribution imposé au niveau de la commune était ensuite réparti entre les propriétaires sur la base de leurs revenus. C’était à cette époque un impôt de répartition comme l’ancienne taille royale. Et cette participation des citoyens à l’établissement de l’assiette fiscale reprenait la pratique de jadis au sein des paroisses. Elle ne signait pas une avancée démocratique, mais plutôt révélait l’insuffisance de l’administration comme sous l’Ancien régime.

La taxe foncière, qui avait remplacé les anciennes redevances seigneuriales, continuait d’être payée par les fermiers et métayers généralement, mais le fisc en réintégrait la valeur dans les revenus des propriétaires. Il reprenait, se faisant, l’argumentaire de ces derniers au moment de la Révolution. Quand certains métayers demandèrent à bénéficier de la suppression des droits féodaux, et à ne pas payer l’impôt foncier qui les avait remplacés, les propriétaires rétorquèrent que cette suppression revenait à eux et non pas aux fermiers. Sinon il leur faudrait augmenter le fermage.

Indiquons tout de suite que cet impôt foncier représentait de l’ordre de 6 % en moyenne du montant des fermages perçus par le propriétaire du domaine de Linières en 1830. Il est nettement moindre que le seul droit de terrage féodal d’autrefois, à 16% (la « sixte partie des fruits »), calculé après le prélèvement sur certaines terres seulement de la dîme ecclésiastique dans la région de Saint-André-Goule-d’Oie. Ce constat est particulier à la contrée, et les historiens modernes ont constaté que le droit de terrage, ou champart, était souvent bien plus faible ailleurs. Quant aux autres droits féodaux (cens, rentes, dîmes, etc.), sauf les lods et ventes en cas de mutations des biens, leurs montants étaient symboliques ou faibles. En revanche leur existence était passée de mode, sans que dans la contrée cela suscita, semble-t-il, un refus devenu violent comme on a pu le constater dans d’autres endroits du royaume. C’est que l’analyse de ce refus ne saurait se contenter des seules redevances. On imagine néanmoins que leur suppression fut bien accueillie.  

Ainsi, la situation fiscale des métayers et des propriétaires apparaît s’être améliorée dans la région en comparant l’après de la Révolution à l’avant. Quoique ce constat doive être repris en incluant les autres contributions créées par la Révolution, sans oublier la dîme ecclésiastique et les impôts royaux dans la comparaison, et surtout en mesurant l’impact du tout pour chaque catégorie de citoyens, et sans oublier le sort de l’épargne dans une inflation des prix exorbitante.

La contribution foncière est née en 1796 dans la douleur à Saint-André-Goule-d’Oie, éclipsant les autres dans la documentation étudiée. Cela tient essentiellement à la situation particulière de la contrée.

Dans une lettre du 30 juin 1796, Louis Merlet, qui sera installé officiellement dans quelques jours commissaire du canton de Saint-Fulgent, en décrit sa situation économique. Étant lui-même propriétaire de plusieurs métairies et exerçant le métier de marchand, il la connaît bien, mais on le soupçonne de la noircir un peu, sensible à son intérêt. Voici ce qu’il écrit au commissaire du département à Fontenay : « Les récoltes ne sont pas aussi belles que l’on aurait cru il y a trois mois. Les herbes, la pluie et le vent les ont beaucoup endommagées. Il y a bien des terres préparées pour l’automne, mais il y en a beaucoup moins qu’avant l’insurrection. Il y a au moins un tiers moins d’hommes à présent qu’avant les troubles.
Je vous observerai pour les bestiaux qu’il y en avait beaucoup (des fermes) qui avaient coutume d’avoir dix, douze bœufs, et se trouvent (maintenant) avec deux ou trois, même quelques-unes où il n’en est resté qu’un. Je peux parler pour moi-même. Un de mes métayers avait coutume d’avoir douze bœufs, il ne lui en est resté qu’un, et il a été obligé d’en emprunter un pour pouvoir faire travailler celui qui lui était resté. Il y a dans le canton un tiers en moins de bestiaux de toutes espèces.
Je vous observerai aussi que le commissaire des guerres de Montaigu nous donne des réquisitions pour fournir des 500 à 600 livres de viandes dans un pays aussi dévasté qu’il l’est de bestiaux. Si cela continue, il y aura bientôt la fin de l’agriculture.
L’ingénieur nous a donné des ordres pour faire réparer le pont de Girouard près de Saint-Fulgent. Mais il nous est impossible de trouver des ouvriers, à moins d’être autorisé à les payer en grains » (2).

Rappelons pour comprendre cette description apocalyptique que les colonnes de soldats chargées de l’extermination des biens et des personnes, ont dévasté le pays au premier semestre 1794, et que les combats ont cessé en partie à la fin de 1794 et définitivement au début de l’année 1796 dans la contrée.

Le 2 août 1796, Merlet poursuit la description du canton en réponse à un questionnaire reçu de Fontenay. Les artisans ont besoin de fer et d’acier pour fabriquer des outils. Les tisserands sont sans activité et il n’y a point de manufacture d’étoffes. L’état de la population est impossible à fournir faute de papier, de secrétaire, de local et de fonds. Il n’y a pas de garde champêtre dans les communes, faute de pouvoir les payer. Et il n’est pas possible de payer l’impôt (3).

Étienne Martineau, président élu de l’administration cantonale de Saint-Fulgent, recommande en décembre 1796 son secrétaire à Coyaud, commissaire du département. Il doit se rendre à Fontenay pour négocier l’approvisionnement de viandes, pains, bois et lumières.

Le 10 du même mois de décembre on ne sera pas étonné de lire sous la plume un peu gauche de Merlet le passage suivant, pourtant un révolutionnaire engagé contre les royalistes dès avant la guerre de Vendée : « citoyens, on parle de faire payer l’impôt, comment veut-on que l’on fasse pour payer ? Si on reportait tout ce qui a été pillé, volé, et que l’incendie, le pire de tout, n’eut pas eu lieu, on serait à même de payer. Ceux qui autrefois vendaient du grain, en cherchent à acheter dans ce moment pour leur nourriture, attendu que la gelée et la grêle ont totalement perdu mon canton et bien d’autres. Ceux qui peuvent avoir quelque argent cherchent les moyens de se faire arranger quelque masure pour se mettre à l’abri de l’hiver, vous le savez comme moi, je ne vous l’en impose pas. Il est de toute impossibilité que l’on paye un impôt pour cette année. Je croirais même que l’on devrait laisser le pays pendant quelque temps sans payer d’impôt, afin de donner l’aisance de faire rétablir ses chaumières » (4). Rappelons à cet égard, qu’il fallut attendre Napoléon pour que l’État débloque des crédits d’aide à la reconstruction en Vendée. Il faut aussi se rappeler qu’en cette année 1796, ce même État était lui-même au bord de la faillite. Quant à l’impôt dont parle Merlet dans ce texte, on pense qu’il s’agit de la taxe foncière, dépendant de la valeur des biens.

Il a beau presser ses administrateurs ou agents en mars 1797 à faire faire leurs « sections » (évaluation des biens par nature), il ne peut en venir à bout, avoue-t-il, et il demande que l’administration du département les menace, « ils vous craindront plus que moi » (5). Ces administrateurs des communes continuent de refuser ce travail au mois de juillet suivant, et s’attachent plutôt à présenter des pétitions pour obtenir des dégrèvements.

D’ailleurs le commissaire central du département de la Vendée, Coyaud, en est bien conscient. En témoigne la situation du canton de Saint-Fulgent, où il écrit à propos des impôts le 5 mai 1797 : « Ce canton jouit d’un calme qui parait parfait. Les lois commencent à y recevoir leur exécution, mais il a tellement souffert par l’effet des troubles qu’il sera difficile d’y percevoir même de faibles contributions pour l’an 5. » (6).

Le secrétaire de l’administration cantonale, en même temps juge de paix, Simon Gérard, écrit le 9 juin 1797 : « ….. Je ne sais qui souffle à ses membres (municipalité) que le pays ne doit pas payer d’impôts. Toujours est-il vrai que d’en parler aux agents (maires) c’est les martyriser, et qu’ils paraissent très éloignés de vouloir s’en occuper » (7). Le 8 juillet suivant les administrateurs refusent tout simplement le paiement de l’impôt foncier.

Conseil des Anciens
Ceux de cinq communes du canton (dont Saint-André-Goule-d’Oie) et leurs adjoints signent le 12 juillet 1797 une lettre rédigée par leur secrétaire, Gérard, envoyée au Conseil des Anciens à Paris. Ils affirment leur volonté de faire rentrer les impôts, mais constatent l’impossibilité de le faire dans le canton de Saint-Fulgent. Tout a été pillé et incendié, et les habitants sont accablés sous le poids du désastre de la guerre civile. Les propriétaires doivent avant tout reconstruire les bâtiments, et remplacer les bestiaux manquants nécessaires au trait pour les labours. Les habitants ne peuvent payer la contribution foncière, et les signataires « sollicitent de l’assemblée un acte de bienfaisance et de justice pour le canton ». Les signataires forcent seulement le trait, tout au moins par rapport à une situation moyenne que l’on pense connaître : « Représentez-vous une population jadis nombreuse et bien constituée, réduite à moins d’une moitié, et ce qui en reste exténuée des suites dévastatrices de la plus cruelle des guerres, et qui n’a plus d’autre asile, d’autre retraite que dans de tristes et insalubres huttes avec des branches d’arbres et de la bourrée. Représentez-vous ce peuple entièrement dépouillé … de tous ses effets les plus strictement indispensables, de ses lits, de son linge, de ses vêtements, de ses instruments aratoires, de son bétail … » (8). On n’a pas lu la réponse s’il y en eut, mais le 15 décembre 1797 on apprend qu’un dégrèvement de la taxe foncière pour l’an 5 (septembre 1796 - août 1797) a été accordé dans le canton. Macquigneau, percepteur de Saint-Fulgent, a versé en août 1798 dans la caisse du préposé de l’arrondissement de Montaigu la somme de 992 livres 14 sols 3 deniers sur la contribution foncière de l’an 5, ce qui fait bien peu (9).

Derrière ces phrases, signées des rescapés des luttes armées des deux camps, qu’elle est la réalité de la « dépopulation » ? En prenant les recensements des 6 communes d’alors du canton de Saint-Fulgent, le total de leurs nombres d’habitants passe de 7503 en 1791 à 6067 en 1800, soit une diminution de 19 %. C’est un peu moins que la part des 170 000 morts et disparus environ, côté insurgés, dans l’espace de la Vendée militaire (10). La commune la plus durement touchée relativement à sa population dans le canton de Saint-Fulgent est Chavagnes avec une diminution de 43 %, mais Saint-Fulgent a vu sa population augmenter de 13 % d’un recensement à l’autre. On a eu des déplacements de population, mal appréciés, peut-être aussi des épidémies, quoiqu’aucune documentation n’en fait état à notre connaissance. Ces chiffres comprennent les morts du camp républicain, en nombre très faible dans le canton, victimes eux-aussi. On a écrit que les recensements de 1790 et 1800 ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Une chose est sûre, la population de Saint-André était en croissance constante de 1770 à 1791 malgré les épidémies. Les seules années où le nombre des enterrements a dépassé le nombre des baptêmes ont été : 1779, 1784, 1785 et 1789 (11).

Les recherches dans les rares témoignages et états-civils conservés, comptabilisent une cinquantaine de morts d’habitants à Saint-Fulgent et autant à Saint-André, liés aux combats et aux exterminations. Les insurgés ont pillé et brûlé ce qu’ils pouvaient des papiers de l’administration républicaine. Les soldats républicains ont exécuté les ordres d’extermination par les armes et par le feu des habitants et des maisons du pays insurgé. À Chavagnes-en-Paillers, Amblard de Guerry et l’association "Présence du passé de Chavagnes-en-Paillers" ont pu retrouver les noms de 244 victimes, auxquelles s’ajoutent 200 victimes probables non identifiées (12). Cette inconnue sur le nombre de victimes fait penser aux travaux sur les morts de la commune de Paris en 1871, dont le nombre, là aussi, ne peut qu’être approché. Merlet force sans doute le trait dans sa description, mais le trait existe, épais déjà avec près de 25 % de « dépopulation » dans la Vendée militaire, plus de 10 fois plus élevé que le pourcentage appliqué à Paris en 1871.

Il n’empêche que l’assiette de cette taxe foncière doit être créée, ou recréée si on pense au travail qui a dû être fait en 1791/1792 et parti en fumée ensuite. Merlet dû nommer des répartiteurs pour effectuer le travail d’évaluation des biens. En décembre il constate que ceux de Chauché et de Saint-André refusent de s’exécuter. Les autres répartiteurs se plaignent d’instructions pas claires pour estimer les bois futaies, mais leur travail avance à Chavagnes et à la Rabatelière. Bazoges a terminé et Saint-Fulgent est sur le point de le faire. On apprendra plus tard que la matrice de la Rabatelière comporte des « erreurs et iniquités », mais qu’il est trop tard pour différer son recouvrement.

Alors le commissaire cantonal prend un arrêté le 6 janvier 1798, nommant des commissaires au frais des communes délinquantes de Chauché et Saint-André (13). Sur les agents municipaux de Saint-André, voir notre article publié en juillet 2010 : Les agents communaux Fluzeau (1796-1797) et Bordron (1797-1799).

En avril 1798 Martineau remplace Merlet comme commissaire cantonal, et constate que rien n’a changé dans ces deux communes. Il annonce qu’il va faire faire la création des sections par des répartiteurs étrangers à ces deux communes, et à leur charge (à raison de trois livres par jour de travail).

Procéder à l’établissement des sections et matrices de la contribution est une chose, accepter de la payer en est une autre. On s’y oppose généralement.  Et en signe de protestation tout le monde avait refusé au 3 juin 1798 dans le canton le poste de commissaire répartiteur pour l’année suivante, sauf le juge de paix Gérard. Deux autres commissaires étrangers au canton avaient aussi refusé. Alors on nomma Merlet pour aider Gérard le 30 juin. Et le même jour on nomma aussi les membres du jury d’équité chargé d’examiner les sections déjà réalisées.

Mais le front du refus se fissura. Martineau annonce le 12 août 1798 que le rôle de la contribution foncière est en recouvrement à Saint-Fulgent (pour l’an 6 en cours). Dans son style bien à lui, il écrit à son chef : « j’ai vu avec la satisfaction la plus vivement sentie, le peuple de cette commune accourir chez le percepteur, et je suis dans l’intime persuasion qu’il ne faut pas lâcher une seule contrainte. Ah ! Puisse le peuple sentant la nécessité d’aimer la République, faire bannir du sein des autorités la rigueur que l’homme sensible n’emploie jamais qu’avec rigueur » (14). Jean Jacques Rousseau, percepteur, aurait-il osé la phrase ?

Malheureusement à Saint-André-Goule-d’Oie, les répartiteurs nommés à l’établissement des sections, Gérard et Merlet, « seront forcés d’épier » (14). Et les sections de cette commune sont enfin prêtes pour début octobre 1798.

Néanmoins Martineau s’était fait l’écho le 28 août précédent, des nouvelles réticences sur le paiement de la contribution : « je crains que le peuple ne soit pas à même de payer l’an 6, les métayers n’ont pas le sol. La contribution de l’an 5 a absorbé presque tous leurs moyens … il est prudent d’être exigeant avec circonspection » (15). Il reçut d’ailleurs en octobre une lettre de protestation en ce sens de l’agent de Chavagnes, Rechin.

Mais il reçut aussi un blâme de l’administration le 17 décembre 1798 pour l’état de la commune de Chavagnes, où manqueraient plusieurs métairies, exonérées ainsi de contribution.

Il critique les initiatives des percepteurs pour faire payer les impôts par l’envoie d’huissiers, « porteurs de contraintes aux frais vexatoires et abusifs ». Il leur a demandé d’agir avec ménagement. Non pas qu’il ait des états d’âme : « j’ai l’expérience que les garnisaires (soldats logés chez l’habitant récalcitrant) suffisent pour obtenir des acomptes proportionnés à leurs facultés. C’est surtout dans un pays qui sort des fureurs d’une guerre dépopulatrice et ruineuse qu’il faut être avare de ces moyens coercitifs », écrit-il le 22 mars 1799 (16).

Le 13 juin suivant, juste avant de démissionner de son poste, il réitère ses critiques contre l’emploi des huissiers pour faire rentrer les impôts, qui risque de provoquer la révolte. Après avoir évoqué les troubles à l’ordre public dus au brigandage et à des bandes royalistes, il écrit : « Je dois le dire parce que je veux le bien de mon pays, si l’on exige toutes les contributions de l’an 6, de l’an 7, et bientôt de celles de l’an 8, la malveillance parviendra peut-être à ranimer les feux de la révolte. Le moment ne permet guère au peuple de reprendre les armes, mais la saison qui suit immédiatement les récoltes et l’ensemencement amènera peut-être des catastrophes si l’on ne relâche pas de ses prétentions » (17).

On l’aura compris, même d’un montant nettement plus faible que l’ancien droit de terrage, la taxe foncière a été très difficile à faire payer dans ce pays en ruine. En ne l’allégeant pas à partir de 1815, même le roi Louis XVIII a déçu dans la contrée.

La contribution personnelle et mobilière


La contribution personnelle et mobilière, créée par la loi du 13 janvier 1791, était divisée à cette époque en plusieurs taxes pesant sur les signes extérieurs de richesse : l’habitation principalement et les revenus. Dans les grandes villes s’ajoutaient d’autres éléments dits somptuaires : les domestiques, les chevaux. Les rôles étaient normalement arrêtés et signés par les membres de la municipalité. Ensuite ils étaient remis au percepteur de la commune chargé de son recouvrement. Notre documentation n’en fait qu’une très brève allusion.

La patente


La contribution des patentes, créée le 2 mars 1791, dans le principe en contrepartie de la suppression des corporations, imposait aux commerçants et aux artisans de se faire délivrer une patente pour pouvoir exercer leur métier. À cette occasion on prélevait une nouvelle taxe. Dans les campagnes de la contrée on rencontrait quelques métiers particuliers (chirurgien, arpenteur) gérés dans des jurandes appelées ensuite corporations. Le roi prélevait des taxes sur elles. Mais les commerçants et artisans des villages et des bourgs des campagnes exerçaient leurs métiers librement, sans faire partie de jurandes et à l’abri des taxes du roi.

A leurs yeux, la Révolution avait eu grand tort d’imiter sur ce point la législation d’Ancien Régime. Et ils étaient très nombreux, souvent exerçant leur métier en plus de l’exploitation agricole de quelques lopins de terre. Si la révolution industrielle a inventé les ouvriers paysans, leurs prédécesseurs d’avant les usines avaient été des artisans-paysans. Le montant de leur patente était fixé en fonction de la valeur locative des locaux utilisés, que l’activité soit bénéficiaire ou déficitaire. Et quel que soit son niveau, la contribution portait les stigmates de la nouveauté.  

Dans le courrier des commissaires cantonaux on voit bien que sa réinstauration connut des difficultés. Ainsi Merlet écrit à Fontenay le 27 mars 1797 : « le droit de patente s’établit insensiblement dans le canton ». Il pense que bientôt il sera généralisé (18). Le 8 juillet suivant il affirme y être arrivé avec l’aide de la garde nationale ! Il ajoute : « Je crois qu’il ne serait pas bon de leur parler de cela d’ici quelque temps ».

Son successeur Martineau est du style des militants politiques qui aiment s’abuser de rhétorique. Il écrit le 28 août 1798 : « les patentes sont toutes prises et le zèle des administrés de ce canton à s’acquitter de cette dette envers la patrie est édifiant » (19).

Le 17 février 1799 il doit se justifier que les valeurs de la patente n’augmentent pas assez. Il adresse l’état général des patentes du canton et ajoute : « Il m’a été impossible d’obtenir des agents une évaluation plus forte des loyers. Tous ont déclaré consciencieusement qu’ils ne voyaient que les auberges de Recotillon et de la veuve Sapin (dans le bourg de Saint-Fulgent) qui put supporter l’augmentation » (20). Sophie Savaton, veuve de l’aubergiste Lusson, un des meneurs de la révolte vendéenne à Saint-Fulgent en mars 1793, vécu à partir de 1795 avec François Recotillon. Tous deux, d’obédience royaliste, tenaient l’auberge du Lion d’Or (21). En 1799 l’hôtel du Chêne-Vert tenue par la veuve Sapin périclitait et celle-ci dû vendre en 1803 le mobilier de l’hôtel (22).

La contribution des portes et fenêtres


La contributionn des Portes et Fenêtres a été instaurée par la loi du 24 novembre 1798, comme si dans le canton de Saint-Fulgent cela ne suffisait pas. Mais les difficultés financières du Directoire sont connues, et on ne saurait s’en étonner. Alors nécessité fait loi. Cette taxe était fondée sur le nombre et la taille des fenêtres et autres ouvertures des immeubles. 

Encore un nouvel impôt ! Dans le domaine fiscal, les révoltes suscitées par les initiatives des gouvernements, ne sont-elles pas plus sensibles à la nouveauté qu’à l’injustice à laquelle on s’habitue ? Alors on devine comment ce nouvel impôt fut accueilli dans le canton de Saint-Fulgent ! Gardons à l’esprit que certaines habitations relevaient encore de la cabane, d’autres du rafistolage de bâtiments détruits par les « bleus ».

La première commune à fournir un état des portes et fenêtres fut la Rabatelière le 28 février 1799. On aimerait savoir comment les agents chargés de dresser les états ont travaillé pour compter les fenêtres surtout. Ont-ils compté les ouvertures fermées par des planches ? On détecte une difficulté de ce genre dans une lettre de Martineau en juin 1799, quand il envoya un autre état des portes et fenêtres « qui m’a valu tant de reproches de votre part, et de la part du ministre des finances une lettre de mécontentement. Il faut avouer qu’on sent bien peu la position difficile d’un agent particulier des contributions dans un pays où il y a tant à faire… » (23). On connaît son âme sensible …

Le droit d’enregistrement


Louis XIV avait inventé au début du 18e siècle le centième denier, payé par tous, ainsi appelé car l’impôt était fixé à 1% de leur valeur dans certains cas de mutation des biens. La Révolution élargit le nombre de cas du paiement de la taxe. En 1830 et 1857 la taxe était toujours de 1% de la valeur des biens en cas de succession directe. C’est au 20e siècle que les taux pour les droits de succession ont atteint des niveaux mettant en cause la conception même de la propriété héritée de la Révolution, exclusive et sacrée. Mais non sans une certaine gêne à voir la législation alambiquée les concernant.
Les lods et ventes pour les biens censifs, les droits de franc-fief et le rachat pour les biens nobles, demeuraient supprimés. Leurs montants n’étaient pas négligeables.

Au terme de la documentation étudiée concernant le canton de Saint-Fulgent, il nous faut constater les lacunes documentaires. La charge fiscale est d’abord affaire de mesure, même si les visions qu’elle suscite relèvent parfois de fantasmes divers dans la société politique française. Nous avons pu le faire pour la contribution foncière, mais ce n’est pas suffisant. Et puis il serait intéressant de connaître les réactions des habitants avant la guerre de Vendée, en 1791 et 1792. Nous n’avons pas trouvé de documentation se rapportant à Saint-André-Goule-d’Oie et ses alentours pour ces deux années.

Abbé Louis Delhommeau (1937)
(d’après une photo conservée aux 
Archives historiques du diocèse de Luçon)
Pour terminer, il nous faut indiquer que la rédaction de cet article s’est appuyée en presque totalité sur les recherches de l’abbé Paul Boisson (1912-1979), comme en témoignent les sources indiquées ci-après. Professeur d’Histoire au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, et aumônier à l’hospice de Saint-Fulgent, ses travaux historiques sur le canton de Saint-Fulgent sont précieux. Il avait lu ce qui s’était écrit sur la guerre de Vendée, mais il ne s’en est pas contenté. Il est allé à la source des documents originaux pour les confronter entre eux. En vrai historien, il a mis son sens critique au service de la recherche des faits. En plus de la foi catholique, il eut la religion de la vérification des faits. C’est sur eux que notre récit s’appuie, et nous y avons ajouté nos explications les concernant. Il a légué ses papiers au diocèse de Luçon, classés ensuite par l’abbé Delhommeau, archiviste du diocèse. Les originaux des lettres de Merlet et Martineau au commissaire du département à Fontenay-le-Comte, sont conservées aux Archives départementales de la Vendée sous la cote L 237. Article à suivre : « Les persécutions antireligieuses dans le canton de St Fulgent (1796-1799) ».


(1) R. Secher, La Vendée – Vengé, Perrin, 2006, page 237.
(2) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 30 messidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(3) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 15 thermidor an 4 de Merlet au commissaire du département.
(4) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 20 frimaire an 5 de Merlet au commissaire du département.
(5) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 13 prairial an 5 signée de Merlet au commissaire du département.
(6) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 109-4, tableau de l’organisation des administrations municipales du département de la Vendée, avec les observations propres à faire connaître la véritable situation de chaque canton au 1e prairial an 5. Voir aussi aux Archives de la Vendée : L 182.
(7) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 21 prairial an 5 de Gérard au commissaire du département.
(8) Médiathèque de Nantes, collection Dugast-Matifeux : 1e série vol 25, lettre du 24 messidor an 5 des administrateurs du canton de Saint-Fulgent au Conseil des Anciens.
(9) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 11 fructidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(10) Jacques Hussenet, « Détruisez la Vendée ! », Éditions du CVRH, 2007.
(11) Patrick Molé, François Cougnon un capitaine de paroisse dans la guerre de Vendée, 1990, mémoire de maîtrise d’Histoire, Paris Sorbonne IV, Archives du diocèse de Vendée, bibliothèque.
(12) A. de Guerry, Les chavagnais tués pendant la Révolution dans « Vendée 1793 La mémoire retrouvée autour de l’œuvre d’Amblard de Guerry », Recherches vendéennes no 25 (2020), pages 67 et s.
(13) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 17 nivôse an 6 de Merlet au commissaire du département.
(14) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 25 thermidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(15) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 11 fructidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(16) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 2 germinal an 7 de Martineau au commissaire du département.
(17) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 25 prairial an 7 de Martineau au commissaire du département.
(18) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-I, lettre du 13 prairial an 5 de Merlet au commissaire du département.
(19) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-II, lettre du 11 fructidor an 6 de Martineau au commissaire du département.
(20) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 29 pluviôse an 7 de Martineau au commissaire du département.
(21) Archives de Vendée, notaires de Chavagnes, Bouron : 3 E 31/18, convention de société du 20 ventôse an 6 entre Sophie Savaton et François Recotillon.
(22) Archives de Vendée, notaires de Montaigu étude F, J.-M. Brethé, achats du mobilier et meubles par les frères Guyet à la veuve Sapin le 3 frimaire an 12 (25-11-1803), vue 81.
(23) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre du 25 prairial an 7 de Martineau au commissaire du département.

Emmanuel François, tous droits réservés 
Décembre 2016, complété en juillet 2021