mardi 3 mai 2011

Charles Auguste de Lespinay : contrat de mariage

Nous connaissons un peu mieux le seigneur de Linières, dont nous avons découvert les péripéties de son retour d’émigration, grâce à son procès en cour de cassation en 1804 contre le divorce de sa femme (article en janvier 2010). Sa vie d’officier émigré a dû être intéressante. S’il existe des documents qui en parlent, nous ne les connaissons pas malheureusement. Or il semble être resté longtemps dans les rangs des émigrés, on ne retrouve sa trace qu’en 1800, date officielle de son retour en France, avec peut-être un retour momentané à l’été 1797. Un "Lespinasse de La Roulière", émigré, a fait toute la campagne de 1792 dans l'armée des princes : est-ce Augustin-Charles ? (1). Dans nos récentes recherches d’autres informations concernant ce personnage sont venues s’ajouter, que nous publions ci-après.

Château du Pally (reconstruit au 19e siècle)
Nos investigations dans le registre paroissial de Chantonnay nous ont appris qu’il perdit sa mère, alors qu’il n’avait que dix ans. En effet, Marie Louise Félicité Cicoteau, mariée à 24 ans avec Alexis Samuel de Lespinay dans l’église de Saint-André-Goule-d’Oie est morte à l’âge de 37 ans. Elle est décédée au château du Pally (Chantonnay) le 8 mai 1763, et a été inhumée dans l’église de la paroisse Saint-Pierre de Chantonnay. Sa fille aînée était morte un an avant à Montaigu (25 avril 1762) et son dernier fils y était né 10 mois avant (29 juillet 1762).

Le Pally était la résidence principale du couple, avec de fréquents séjours à Montaigu où ils possédaient un « hôtel » en ville, comme il est écrit sur le registre paroissial. Ils y passaient la saison d’hiver. Entre les deux il y avait Linières où ils ne devaient qu’y passer.

Ils possédaient aussi aux abords de Montaigu la Petite Barillère et la Tonnelle (2). Montaigu avait aussi l’avantage de posséder une des rares écoles pour jeunes filles du Bas-Poitou, dirigée par les religieuses « Fontevristes » (3).

C’est à Montaigu que naîtront certains de leurs enfants et où seront inhumés l’aînée et le dernier d’entre eux. Ils y marieront aussi leur fille Henriette.

Cette disparition de Mme de Lespinay assez jeune explique sans doute que sa propre mère la remplace à Saint-André-Goule-d’Oie pour remplir ses devoirs à l’égard du personnel du domaine de Linières et des domestiques. Il s’agit de Marie Agnès Badereau, veuve Cicoteau, qui avait épousé en secondes noces le capitaine de vaisseaux Séraphin du Chaffault. Elle sera à nouveau veuve en 1777, sans enfant de son second mariage. Ainsi, elle est présente, avec son gendre Alexis Samuel de Lespinay, au mariage de Marie Madeleine Fluzeau avec Pierre Bordron le 23 mai 1769 (vue 271). Le marié était le frère de l’épouse du fermier de Linières, Jean Herbreteau. On la retrouve aussi avec son gendre le 1 juin 1778 (vue 91) au mariage de René Cheminant et Marie Soudeau à Saint-André. Le marié était jardinier au château du Pally à Chantonnay, et ses parents étaient originaires de Saint-Donatien de Nantes (domicile de sa fille avant son mariage). La mariée était originaire de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Montaigu.

Après la mort de sa mère, Henriette de Lerspinay, sœur de Charles Augustin, semble avoir vécu auprès de sa grand-mère maternelle à Montaigu, jusqu’à son mariage à l’âge de 18 ans.
Probablement en a-t-il été de même pour les trois garçons : Armand (âgés de 9 ans au moment du décès de sa mère), Charles Augustin (âgé de 10 ans) et Louis Alexis (âgé de 12 ans) et pour le bébé, Henri (mort à l’âge de 4 ans).

Marie Agnès Badereau a été marraine de son arrière-petite fille Henriette en 1783 à Montaigu, où elle est décédée le 3 juillet 1785 à l’âge de 77 ans (vue 49), dans la paroisse de Saint-Jean-Baptiste.

Le site Gallica.fr vient de nous donner l’accès internet à un vieux livre édité chez Grimaud à Nantes en 1891, intitulé : Généalogie de la Maison de Lespinay. Les erreurs n’y manquent pas, mais à la page 196 son auteur, L. Maitre, nous livre le texte du contrat de mariage de Charles Augustin avec Mlle Félicité du Vigier. Il avait été signé dans l’abbaye Sainte-Croix, la veille du mariage religieux, avec le concours des membres de la famille. Mlle du Vigier était pensionnaire dans cette abbaye avant son mariage. Elle avait été baptisée le 9 juin 1772 dans l’église paroissiale de Saint-Paul à Poitiers (vue 42), et sa mère y fut inhumée 7 jours après, âgée de 18 ans (vue 42). Son père est mort l’année d’après (4). C’est un grand-oncle maternel qui s’occupa ensuite de gérer comme tuteur les biens dont elle avait hérité de son père, Charles Hilaire Luc Coulard, chevalier seigneur de Puyrenard et Galmoisin, demeurant en son château de Galmoisin paroisse de Saint-Maurice-la-Clouère, proche et au nord de Gençay (sud de Poitiers sur la route de Confolens) (5). La tante de la future épouse, Jeanne Louise du Vigier s’était mariée la veille de son mariage, 19 mai, à Jardres (Vienne), où ses parents résidaient dans leur logis de Fontenelles. Voici le texte d’origine de ce contrat de mariage de Charles Augustin de Lespinay avec Marie Marguerite Félicité du Vigier, en date du 20 mai 1788 :

« Par devant les notaires royaux, gardes-scel (6) à Poitiers, soussignés, furent présents :
Haut et puissant seigneur Charles-Augustin vicomte de Lespinay, chevalier, seigneur de Lynière, capitaine de cavalerie au régiment de Berry, fils majeur de haut et puissant seigneur Alexis-Samuel de Lespinay, chevalier baron de Chantonnay, Puybelliard, Sigournay et Givais, seigneur du Pally, la Bruère et autres lieux, et de feue haute et puissante dame Marie-Louise-Félicité Cicotteau, demeurant ordinairement au château de Lynière, paroisse de Chauché, étant actuellement en cette ville logé paroisse Sainte-Opportune (7), autorisée par l'effet des présentes par le dit seigneur baron de Lespinay, son père, présent établi logé au dit Poitiers, même paroisse Sainte-Opportune, d'une part ;

Haute et puissante demoiselle Marie-Marguerite-Louise-Félicité Duvigier (8), demoiselle mineure, fille de défunts haut et puissant seigneur Jean-Guy Duvigier (9), chevalier seigneur de Cognac, la Renardinière, le Teinturier et autres lieux et de dame Marie-Marguerite Cherprenet (10), émancipée d'âge, procédant sous l'autorité de Me Marie-Pierre Constant, prêtre écuyer, vicaire général du diocèse, chantre et chanoine de l'église cathédrale de cette ville, son curateur aux causes, et sous celle de maître Jacques-Nicolas Mallet, avocat en la sénéchaussée et siège présidial du dit Poitiers, tuteur de la dite demoiselle Duvigier, à l'effet de l'autoriser à son mariage, mon dit sieur abbé Constant et le dit Me Mallet présents établis qui autorisent la dite demoiselle Duvigier demeurant en cette ville paroisse de Saint-Hilaire-de-la-Celle, et la dite demoiselle Duvigier, en l'abbaye royale de Sainte-Croix paroisse de Sainte-Austrégézile du dit Poitiers (11), d'autre part ;

Entre lesquelles parties ont été faits les traités, clauses et conventions de mariage qui suivent :

Ceux du dit seigneur futur époux consistent tant en ce qui lui est échu de la succession de ladite feue dame Cicotteau, sa mère, qu'autrement, et ceux de ladite demoiselle Duvigier consistent en ce qui lui est échu des successions des seigneur et dame ses père et mère, et en les acquêts faits à son profit depuis leurs décès du revenu de ses immeubles.

Tout ce que dessus a été ainsi voulu, consenti, stipulé et accepté par les parties, à ce faire et accomplir ont obligé et hypothéqué tous et chacun leurs biens présents et futurs dont jugé et fait et passé au dit Poitiers au grand parloir extérieur de l'abbaye de Sainte-Croix, le vingt mai mil sept cent quatre-vingt-huit après-midi en présence de :

Haut et puissant seigneur Pierre-Marie Irland de Bazoges, chevalier, lieutenant-général en la Sénéchaussée et Juge présidial du dit Poitiers (12) ;
haute et puissante dame Henriette-Suzanne de Lespinay, son épouse, beau-frère et sœur du seigneur futur époux ;
Haute et puissante dame Marguerite-Magdeleine de Beaufort, veuve et seconde épouse de haut et puissant seigneur Jean Duvigier de Mirabal, aïeul de la dite demoiselle future épouse (13) ;
Haut et puissant seigneur Jean-Baptiste Duvigier, comte de Mirabal, capitaine à la suite des dragons (14);
Haut et puissant seigneur Jean-Louis-Hilaire Duvigier, chevalier garde du corps du Roi (15) ;
Haut et puissant seigneur Bertrand Guyot Duvigier de Mirabal, chevalier (16) ;
Haute et puissante dame Françoise Duvigier, épouse de haut et puissant seigneur Charles de Beaupoil de Saint-Aulaire (17) ;
Haut et puissant seigneur Joseph comte de Joubert, chevalier seigneur de Cissé, Haute et puissante dame Louise Duvigier, épouse de haut et puissant seigneur Joseph comte de Joubert (18) ;

tous oncles et tantes consanguins de la demoiselle future épouse ;

et très illustre et très révérende dame Madame Louise-Claude de Bourbon Busset, abbesse de la dite Abbaye de Sainte-Croix ;

Qui ont lu et ont signé.

En marge est écrit :
Enregistré à Poitiers le vingt-un mai mil sept cent quatre-vingt-huit, reçu soixante-quinze livres, insinué (19) au tarif soixante livres.
Signé : Charbonnel du Toral. Délivré la présente expédition comme dépositaire des minutes de M. Bourbeau, mon aïeul,
Signé : Bourbeau. »

Le contrat n’est pas d’une grande clarté, vu d’aujourd’hui, sur le régime matrimonial des époux, se contentant d’indiquer l’origine des biens propres de chacun seulement. Il adopte le régime de droit commun de la communauté des biens des époux, hors les biens propres comme ils sont définis. C’est pourquoi, après le séquestre mis par les autorités du district de Montaigu en juin 1792 suite à l’émigration de son mari, sur le domaine de Linières, Madame du Vigier s’empressa de faire une renonciation à la communauté des biens pour tenter de s’opposer à la confiscation des siens (20). Pour ceux qui lui appartenaient en propres dans la Vienne, les autorités les mirent rapidement en vente dès la fin de 1792, à cause de l’émigration du mari, sans aucune vérification du contrat de mariage. Elle ne les récupéra jamais.

Enfin il faut relever ici que mademoiselle du Vigier était non seulement orpheline de ses parents au jour de son mariage, mais aussi de ses aïeuls paternels et maternels, décédés avant ses parents (selon la sentence de sa curatelle), et que ses parents n’ont pas eu d’autre enfant (21). 


(1) Lettre de Charles de Lespinay (7-1-2009)
(2) Annuaire de la Soc. d’Émulation de la Vendée, article de M. Loquet (1908), page 31
(3) Annuaire de la Soc. d’Émulation de la Vendée, article du Dr G. Mignen (1906), page 212
(4) Ferme du 12-12-1781 de la métairie de la Clielle, Archives de la Vienne, Dossier Mme Duvigier Lepinay : 1 Q 228 no 234.
(5) Ferme du 19-3-1774 de la métairie de la Moinerie et de la seigneurie du Teinturier, Archives de la Vienne, Dossier Mme Duvigier Lepinay : 1 Q 228 no 234. 
(6) Chargé de sceller les expéditions dans les tribunaux.
(7) Chez son beau-frère Irland de Bazoges (époux d’Henriette de Lespinay).
(8) Ses vrais prénoms dans l’ordre sont Marie Marguerite Félicité, selon l’acte de notoriété du 28 thermidor an 12 (16-8-1804) sur les noms et prénoms Couzin, du Vigier, Cherprenet et Lespinay par devant Vingtain notaire à Paris : Archives privées Fitzhebert (dossier no 2).  
(9) Jean Guy du Vigier, aussi seigneur de Régnier (commune de Dienné,Vienne), suivant le registre paroissial, était né le 15-7-1728. Il mort le 20-9-1773 (Archives Fitzhebert dossier no 2).
(10) Idem (8) : son nom est Cherprenet et non Charprenet, « qui est sa véritable manière d’écrire », en référence à son acte de décès et contrat de mariage et 4 actes concernant des membres de la famille de 1612 à 1739. 
(11) Cette petite église s’élevait dans l’enclave de l’ancienne abbaye de Sainte-Croix. Cette dernière avait son entrée à l’angle sud-est de la place de l’Évêché à Poitiers. Son nom de Saint-Austrégésile, était aussi vulgairement : Saint-Oustrille. Malgré son exiguïté, elle portait le titre d’église paroissiale, comptant 80 communiants avant la Révolution, dont le curé était à la nomination de l’abbesse. [Charles de Chergé, Guide du voyageur à Poitiers et aux environs, l’Etang, 1872]
(12) Le lieutenant est juge dans les cours de justice des grands fiefs comme le comté du Poitou. Irland de Bazoges (en Paillers) avait de la famille dans le haut clergé local. Son ancêtre, Robert Irland, s’était installé en France au milieu du XVIe siècle et avait été professeur de droit à Poitiers. L’emploi de lieutenant-général appartenait à sa famille après lui. L’ancêtre s’était disputé avec Calvin, lui jetant son bonnet à la tête. Sa maison a donné son nom à la rue des Écossais à Poitiers.
(13) Elle était une tante de la future épouse, son mari et le père de la mariée étaient frères.
(14) Cousin de la future épouse (1753-1792), fils de la précédente et du comte Jean Marie du Vigier (1704-1772). La lecture du Mémoire de la Société des Antiquaires de l’Ouest (1911) série 3 T4, page 40, nous apprend qu’un du Vigier se fit massacrer à Paris le 10 août 1792, jour où le roi fut arrêté. Des gardes nationaux défendaient les prisonniers, au nombre desquels se trouvait le chevalier du Vigier, mais la foule obtint de la section l’ordre de cesser toute résistance. Appelés un à un, les prisonniers furent égorgés par les manifestants sur la place Vendôme, devant la porte des Feuillants. La tête du journaliste Suleau, au nombre des victimes, fut promenée avec celles de deux autres victimes au bout d’une pique. Par ailleurs, nous savons que ce chevalier était un franc-maçon de Poitiers, suivant le chroniqueur. Cette victime serait Jean Baptiste du Vigier.
(15) Jean Louis Hilaire du Vigier, cousin, (et non pas oncle comme indiqué dans l’acte) de la future épouse, il était né le 14-1-1758 à Chauvigny dans la Vienne, fils de Jean Marie du Vigier et de Marguerite de Beaufort.
(16) Frère du père de la future épouse.
(17) Jeanne Françoise de Vigier (1750-1830), sœur du père de la future épouse.
(18) Jeanne Louise de Vigier, mariée la veille, le 19-5-1788, et divorcée en 1801, soeur du père de Félicité du Vigier. Son mari (1756-1836) se maria quatre fois. (www.boisetpaille.com)
(19) Ancien terme de palais : enregistré (dictionnaire Littré). L’insinuation avait été créée en 1539 pour percevoir une taxe lors de la transcription obligatoire de tous actes de donation et de tous contrats à titre onéreux sur les registres des greffes. C’est l’ancêtre du droit d’enregistrement moderne.
(20) On a une réitération de la renonciation à la communauté des biens du 5 pluviôse 9 (25-1-1801) par Félicité Duvigier, signée à Linières. [Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Guyet].
(21) Idem (8).


Emmanuel François, tous droits réservés
Mai 2011, complété en août 2021

POUR REVENIR AU SOMMAIRE