jeudi 3 mai 2012

La naissance de la taille à Saint-André-Goule-d’Oie en 1479


Pays d’agriculture et d’élevage, la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie n’a pas fait parler d’elle dans les siècles de l’Ancien Régime. En dehors des documents ecclésiastiques et seigneuriaux, le premier document de nature civile que nous avons trouvé, où son nom apparaît en tant que paroisse, date du XVe siècle. 


Une livre de taille à payer en 1479 par les habitants de Saint-André-Goule-d’Oie




Louis XI
Il s’agit d’un compte particulier des impôts mis à la charge du Poitou par le roi Louis XI pour le déplacement de son artillerie de mai à août 1479. Les 11 831 livres payables par le comté du Poitou étaient réparties entre les quatre sièges des finances existants, à savoir Poitiers, Niort, Fontenay et Thouars. Puis dans chacun d’entre eux, les montants d’impôts étaient répartis entre les paroisses, elles-mêmes regroupées par châtellenies. C’est ainsi que Saint-André-Goule-d’Oie se voit imposé d’à peine une livre en 1479, mais ce seront 142 livres en 1480, 108 livres en 1488 et 10 livres en 1490 (1). De quoi s’agit-il ?

Nous assistons dans ce document à la naissance du premier impôt direct qui devint annuel, la taille royale. Il avait existé autrefois des tailles seigneuriales, ayant disparue en presque totalité à la fin du Moyen Âge dans le Poitou. À Saint-André-Goule-d’Oie on en a rencontré une à la Milonnière en 1609, de 15 deniers, à cause de la seigneurie de Languiller. Le nom de taille parait avoir désigné des redevances diverses, aussi appelées « aides ». Il y avait ainsi l’aide aux quatre cas, ou la taille aux quatre cas, due au seigneur par ses vassaux (lorsque lui-même ou son fils aîné était armé chevalier, pour la dot de sa fille aînée, le paiement d’une rançon et le départ en pèlerinage ou en croisade). La taille était appelée ainsi parce qu’elle avait désigné autrefois un bâton de bois fendu en deux et sur lequel le collecteur d’impôt (qui ne savait pas toujours lire ni écrire, ainsi que les assujettis), pratiquait des entailles pour marquer les sommes reçues. L’un des fragments du bâton lui servait de rôle (titre de créance fiscale), l’autre était laissé au débiteur en guise de quittance.

Le 2 novembre 1439, les États généraux, avaient approuvé l'entretien d'une armée permanente pour pouvoir chasser définitivement les Anglais hors de France. Pour cela ils instituèrent ce nouvel impôt permanent qui sera prélevé dans chaque famille du royaume, à l'exception des nobles et des clercs. Il était présenté comme un rachat du service militaire. Les délégués  accordent à Charles VII la permission de relever la « taille des lances » tous les ans, taille qui permet d'être exempté de l'engagement dans l'armée royale. Nous sommes à la fin de la guerre de Cent ans. Dans l’organisation sociale de l’Ancien régime, les principes voulaient que les clercs et les nobles, qui ne pouvaient se livrer à aucune activité lucrative, devaient être exemptés de cet impôt. Les premiers étaient voués à la prière, sans obligation militaire à racheter, et les seconds étaient voués à l'armée, sans faculté de rachat. Ainsi, les gentilshommes ne payaient pas la taille sur leurs biens nobles, obligés de participer aux convocations des bans. Mais il la payait sur leurs biens roturiers, ainsi que la dîme et la capitation, ancêtre de l’imposition personnelle et de la taxe mobilière.


L’intervention des États Généraux


Les historiens soulignent une portée particulière à cette décision des États Généraux de 1439. En acceptant sans contrepartie ce nouvel impôt, les États annulent l’ébauche du système de gouvernement représentatif qu’ils avaient commencé d’esquisser lors de leurs réunions antérieures de 1355 et 1356. Ils avaient alors imposé le droit d’organiser par eux-mêmes la perception des impôts, celui de la périodicité de leurs réunions, et surtout le droit de désigner en partie les membres du conseil du roi. Les États Généraux étaient au nombre de trois, représentant les trois ordres de la société : la noblesse, le clergé et le tiers état. Chacun possédait ses propres règles de justice, d’impôts, etc. Le principe d’égalité instauré en 1789 a consisté à supprimer cette notion des ordres. Dans leur réunion en États Généraux, chaque ordre, composé de représentants élus, délibérait séparément, pour décider d’avis à donner au roi. Cette tendance des États Généraux à se faire reconnaître des pouvoirs politiques avorte ainsi en 1439, contrairement à ce qu’il allait advenir en Angleterre (2). Une autre occasion de même nature se présenta plus tard lors de la Fronde, mais le parlement se trompa alors de camp en soutenant les adversaires perdants du roi.

Vers l’armée de métier ?


À partir de cette époque de la fin de la guerre de Cent Ans, se met en place une armée permanente, dont les soldats sont recrutés chez les volontaires et par racolage, à côté des milices des villes recrutées par tirage au sort, et que la Révolution transformera en garde nationale.

Arthur III comte de Richemont
La transformation de la taille royale, jusqu’ici épisodique, en taille perpétuelle, permit la création d’une armée permanente au service du roi, ajustée à ses besoins militaires. Il s’agit d’une réforme essentielle du mode de fonctionnement des armées à cette époque. Elle fut associée au licenciement des compagnies inutiles qui dévastaient et pillaient les campagnes quand elles n’étaient pas employées à la guerre. Ces licenciements furent exécutés sous le contrôle rigoureux du connétable de l’époque, Arthur III de Bretagne, à partir de 1440.

Dans le même temps on prit une autre mesure, en définissant la composition stricte d’une lance dirigée par un noble. Celui-ci devant rendre des comptes du respect de l’ordonnance et de la discipline de ses hommes. Il s’agissait ainsi d’éviter que chacun ne s’équipe pour d’autres activités que la guerre et cesse la pratique si répandue du pillage entre les batailles.
Un féodal requis en guerre, ou homme d’armes, ne pourrait avoir que quatre chevaux pour son usage particulier. Sa suite se composerait d’un coutelier, de deux archers, d’un page (jeune noble en service) et d’un varlet (jeune noble en apprentissage). Le noble devait répondre de la conduite de ces cinq personnes, et veiller surtout à ce qu’on ne vexât point les gens de la campagne. On assigna à chaque noble, pour lui et pour sa lance, une solde qui devait être payée mensuellement d’après une revue ou montre (3).

On sait que quelques féodaux mécontents firent de cette mesure un des prétextes à la Praguerie en 1440 (allusion à la guerre des Hussites de Prague), organisée autour de la Trémoïlle, en disgrâce après avoir été premier ministre. Ce fut une révolte de quelques féodaux contre l’autorité royale, comme il y en eu tant.

Un impôt royal sans administration 


Les structures judiciaires, basées elles-mêmes sur les structures féodales, sont les seules existant à cette époque dans le royaume de France. Au sortir du Moyen Âge, il n’existait pas en effet de structures administratives, et les châtellenies serviront de cadre seulement au groupes de paroisses dans les circonscription financières des provinces. Les châtellenies étaient des juridictions féodales, en même temps la plus petite circonscription au Moyen-Âge. Dans d’autres provinces, la châtellenie pouvait s’appeler autrement (bailliage, prévôté, viguerie, vicomté). C’était le territoire soumis à la juridiction du châtelain, ou plutôt de ses fonctionnaires désormais. Au-delà de l’enchevêtrement des juridictions féodales, la paroisse apparaît alors la seule réalité sociale solide. C’est à elle que sera confiée l’organisation de la collecte de la taille, acquérant ainsi un caractère administratif.
Les paroisses des Essarts et de Saint-André-Goule-d’Oie dépendaient entièrement de la châtellenie des Essarts. Quoique la maison noble de la Coussaye aux Essarts, ait dépendu de la châtellenie de Lande Blanche, qui était une annexe de la commanderie de Coudrie, appartenant à l’ordre de Malte, comme la commanderie de Launay à Sainte-Cécile. D’autres paroisses dépendaient partiellement de la châtellenie des Essarts : Chauché (partie correspondant à l’ancienne paroisse de la Chapelle de Chauché), Boulogne, la Merlatière, Sainte-Cécile, Saligny, Saint-Martin-des-Noyers, Bourg-sous-la-Roche, Chaillé-sous-les-Ormeaux, l’Airière. En dépendaient aussi les châtellenies d’Aubigny (paroisse du même nom), de l’Aublonnière et de Morenne (paroisse de Sainte-Cécile) (4).

La châtellenie des Essarts, entrant dans le ressort de la justice du duché-pairie de Thouars, était rattachée aussi au siège des finances de Thouars. À ce dernier étaient aussi rattachées les justices de Tiffauges, Mortagne et Montaigu, celle-ci comprenant Bazoges, Chavagnes, les Brouzils, Vendrennes (depuis 1447), l’Herbergement-Ydreau et en partie la Rabatelière.

La justice de la châtellenie de Saint-Fulgent, qui relevait par appel du marquisat de Montaigu, ne s’étendait que sur une partie de la paroisse. Il semble que quelques maisons du bourg relevaient directement de la justice de Montaigu. La plus grande partie de la paroisse relevait en appel de Tiffauges.

La haute justice de Chauché (partie autre que l’ancienne paroisse de la Chapelle de Chauché)était celle de Puytesson, relevant de la Jarrie (Saligny). Celle-ci faisait partie à partir du 17e siècle de la vicomté de la Rabatelière, Jarrie et Raslière. Nous avons plusieurs déclarations roturières à Languiller au 17e siècle qui confirment que le bourg de Chauché était un territoire de ces châtellenies à cause de Puytesson et de la Jarrie (5).

Non loin se trouvait Saint-Martin-des-Noyers, qui dépendait en partie de la châtellenie de la Grève, avec la paroisse du même nom, et celle de Sainte Catherine de l’Airière, qui a disparu depuis. Cette châtellenie de la Grève n’avait pas d’officiers de justice et les affaires étaient traitées par la justice des Essarts. Elle dépendait néanmoins du siège des finances de Fontenay-le-comte, comme celle de Mouchamps comprenant Saint-Vincent-Sterlanges.


Carte Cassini (18e siècle)

La "démocratie participative" pour remplacer les fonctionnaires


Dans le Poitou, pays d’élection (6), ce fut l'intendant qui répartira plus tard la taille entre les paroisses de la province. Puis dans les paroisses elle était répartie entre les contribuables en fonction de leurs revenus présumés. Elle était perçue par des collecteurs nommés par l'assemblée des chefs de familles aisés de la paroisse, appelés aussi asséeurs. Pour assurer la rentrée de l'impôt, tous les habitants aisés d'un village étaient solidaires vis-à-vis du Trésor. L'imposition personnelle se basait sur le feu, c'est-à-dire l'âtre autour duquel sont rassemblés le chef de famille, ses enfants, même mariés, et ses domestiques. Seul le nom du chef de famille est indiqué dans les registres. Son montant est fixé arbitrairement en fonction des capacités présumées de la population. En pratique c’était un impôt sur les revenus, mais il se cotait sur les apparences de fortune. Les paysans développèrent alors un réflexe de défense : paraître le plus pauvre possible. On le voit, on est loin de la "démocratie participative", la formule consistant à pallier l'absence d'administration tout simplement.

Nous avons trouvé des procès-verbaux d’assemblée d’habitants de la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie, au XVIIIe siècle, dont l’ordre du jour était uniquement occupé à délibérer sur des problèmes de collecte de la taille. Voir l’article publié en septembre 2013 : Les assemblées d'habitants à St André Goule d'Oie au 18e siècle.

Une autre conséquence de cet impôt est d’avoir poussé au développement du bail à partage de fruits ou colonage partiaire, au lieu du bail à fermage en valeur fixe dans l’agriculture (contrairement à l’Angleterre). C’est que, moins l’argent paraissait, et mieux cela valait (7). Cette idée avancée par certains historiens ne se vérifie pas à Saint-André-Goule-d’Oie. Le bail à valeur fixe y a été largement majoritaire dans la contrée au 18e siècle.

La population de Saint-André-Goule-d’Oie au milieu du 16e siècle


Le feu étant la plus petite unité de répartition de la taille, va devenir l’unité de base pour le décompte de la population sous l’Ancien Régime. Ce décompte s’est opéré par les dénombrements réalisés sous l’autorité des intendants, qui comptaient les feux. En revanche, les comptes rendus des visites diocésaines, comptaient les communiants,

Pour Saint-André-Goule-d’Oie, nous disposons d’un chiffre de 1 000 communiants en 1533. Ce chiffre ne comprend pas les enfants, ni les protestants, ni certains privilégiés. S’agissant de cette paroisse, seule la première catégorie d’exclus, les enfants âgés de moins de quinze ans, (8) est à prendre en compte. Normalement, les paroissiens de Chauché fréquentant l’église de Saint-André n’étaient pas compris dans ce chiffre, sans que nous en soyons absolument sûrs dans les décomptes réalisés. Si c’est bien le cas, cela veut dire que la population de la paroisse était d’environ 1 200 habitants à cette date.

Le dénombrement de 1709, réalisé par Charles Saugrain, donne un chiffre de 258 feux pour la paroisse de aint-André-Goule-d’Oie (9). Mais ce chiffre ne parait pas crédible. On voit Saint-Fulgent avec 210 feux seulement, la Rabatelière avec 60 feux et Chauché avec 217 feux. La paroisse des Essart, avec 407 feux, est qualifiée de ville, ce qui veut dire qu’elle comportait au moins 2 000 habitants (10). Dans son avertissement introductif, l’auteur écrit dans un nota : « On doit regarder le nombre de feux de chaque lieu comme plus curieux que sûr, parce qu’il n’y a rien de plus sujet au changement ; mais comme donnant cependant une idée approchante de sa consistance et de sa grosseur ». La remarque s’applique bien à aint-André-Goule-d’Oie.


(1) L. de la Boutetière, Rôles des Tailles en Poitou au XVe siècle, Mémoire de la Société des Antiquaires de l’Ouest (1878), page 499.
(2) L. B. Mer, Histoire des Institutions Publiques jusqu’à la Révolution, 1967 (Faculté de droit de Nantes).
(3) Alexandre Mazas, Arthur III de Bretagne (4e édition, 1875), page 210 et 232.
(4) Beauchet-Filleau, Mémoire sur les justices royales, ecclésiastiques et seigneuriales du Poitou, (époque de 1787-1789), Mémoires de la société des antiquaires de l’Ouest (1884), page 417 et s.
(5) Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 42, Languiller, Fiefs Toillet et Lantruère, aveu du 4-5-1611 de Jean Gaucher à Languiller pour le fief de Lautruère Loriau.
(6) L'intendant, représentant du gouvernement royal, répartissait les impôts avec l'aide des "élus" au niveau local, d’où le mot de « pays d’élection ».
Dans les pays d'États (régime propre à certaines provinces), comme la Bretagne, la fiscalité était réglée par une négociation entre les trois ordres de la province, c'est-à-dire une assemblée représentative de la noblesse, du clergé, et du tiers-état, et l’intendant. Les États en assuraient la répartition entre les diocèses et les paroisses.
Il existait un autre régime particulier, dit d’imposition, pour le Roussillon, l’Alsace, la Lorraine et la Corse, les dernières provinces annexées au royaume de France, respectivement en 1659, 1681, 1766 et 1768.
(7) L. Rerolle, Du colonage partiaire …, Chevallier-Marescq (1888), page 208.
(8) D’après M. Maupilier, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions (1989) page 94.
(9) Charles Saugrain : Dénombrement du royaume par généralités, élections, paroisses et feux (1709) – Google books – Généralité de Poitiers et Élection de Mauléon, page 237.
(10) M. A. Corvisier, La société française au XVIIIe siècle, 1968, page 42 (Faculté des lettres de Nantes).

Emmanuel François, tous droits réservés
Mai 2012, complété en août 2014

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