mardi 2 octobre 2012

Les activités agricoles et les techniques utilisées à Linières de 1800 à 1830 (Première partie)

Un des intérêts des baux écrits de Joseph Guyet avec ses métayers entre 1800 et 1830, réside dans leur illustration des techniques utilisées en agriculture à Chauché et aux alentours.

Déjà, l’étude très précise de Louis Merle en 1958, "La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à la Révolution", donne des informations intéressantes. Mais l’aire géographique de la Gâtine poitevine, dans son étude, ne comprend pas la région de Chauché, se concentrant sur l’est vendéen et une partie des Deux-Sèvres. Certains critères mis en avant, comme les dates de débuts des baux, conduisent à ne pas confondre les deux régions, selon l’auteur.

La "Statistique ou description générale du département de la Vendée" de Cavoleau (1800), secrétaire général de la préfecture de Vendée, nous donne aussi des informations intéressantes sur les activités agricoles et les techniques utilisées dans notre bocage au temps de Joseph Guyet. Plus intéressant, car plus précis, est le même ouvrage annoté par A. D. de La Fontenelle de Vaudoré de 1844. Ces deux derniers documents sont accessibles par internet.

Toutes les informations puisées dans ces ouvrages, nous permettent de décrire l’activité agricole dans les métairies de Linières, car les clauses des baux viennent confirmer et illustrer ces informations. Plus que l’aspect juridique, c’est le contenu sur l’activité agricole révélé par ces baux qui est surtout intéressant. Et derrière l’activité, il y a les hommes et leur mode de vie.

Tous les baux écrits de l’époque n’entraient pas dans les détails de l’activité agricole. Ce n’était pas nécessaire car cette activité était encadrée par l’usage, qui s’imposait comme source prépondérante d’obligations en ce domaine. Nous disposons, à titre d’exemple de cette force de l’usage, d’un bail signé entre le propriétaire, un bourgeois de Luçon, et le fermier, un marchand du village de la Brossière, le 4 décembre 1743. Il s’agit d’affermer une borderie au village de la Ridolière de Saint-André-Goule-d’Oie (1). Rien n’est dit sur les obligations locatives ni les conditions d’exploitation. C’est pourquoi les baux de Joseph Guyet nous intéressent, car ils entrent dans bien des détails.

La charrue et les autres instruments de travail


Araire des Égyptiens
Le premier développement qui s’impose concerne l’état des techniques utilisées, à la base de tout pour décrire l’activité économique. Or la situation n’a pas beaucoup changé en ce domaine depuis le Moyen-Âge, qui avait vu la charrue remplacer l’araire héritée de l’antiquité. Les instruments et outils, qu’on appelait le cheptel mort, appartenaient au métayer. Étaient en métal, les socs des charrues, les dails, faucilles, serpes et quelques accessoires. Le reste était en bois : charrues, herses (de forme triangulaire), fourches, fléaux, charrettes (à deux roues) (2).


Charrue du Moyen Âge
 La charrue possédait un timon, ou aiguille en bois, qui s’articulait sur le joug des bœufs (pièce montée sur leur garrot), lui-même attaché avec des jouilles (lanières en cuir). Elle comprenait trois pièces principales :
-        Un cep, pièce en bois d’un mètre de long, se terminant à l’avant par une pièce triangulaire en métal, le soc. Un versoir ou oreille rejetait la terre que le soc avait soulevée. C’était une planche en bois disposée à angle aigu sur le cep.

-        Une perche de deux à trois mètres de long, se dirigeant vers l’avant, adaptée au cep et qui recevait l’effort de traction de l’attelage.

-        Le mancheron qui s’adaptait à l’arrière de la perche sur le cep et servait à manœuvrer l’instrument.

Cette charrue en bois ne labourait pas profond et nécessitait une paire, voire deux paires de bœufs. On attachait une paire supplémentaire de bœufs en la reliant à celle de derrière par un aplet (perche en bois). De plus, le laboureur devait appuyer sur la charrue à la force de ses bras pour l’aider à s’enfoncer dans la terre. On labourait en sillons séparés par des raïzes (entre-deux des sillons ou raies) le peu de terre remuée par le labour. Dans une première opération d’écrêtage, on divisait l’ancien sillon en trois parties : l’écrête du milieu restait en place et les deux côtés étaient rejetés dans les raïzes adjacentes par l’oreille de la charrue. Puis dans une deuxième opération de récurage, on fendait l’écrête du milieu, rejeté à droite et à gauche, en un ou deux passages, selon qu’il y avait une ou deux oreilles sur la charrue. Ces labours se faisaient au beau temps pour éviter de s’embourber dans les sols trop humides. Parfois on recommençait le labour du champ dans le sens perpendiculaire au précédent. On le voit, on ne labourait pas vraiment, on binait surtout, favorisant en même temps la croissance des "mauvaises herbes".

Les faucilles avaient de petites dents pour scier, plutôt que couper, les céréales.

Dail
Le dail (faux longue) servait à couper l’herbe. En ce qui le concerne nous avons une incertitude sur le moment de son apparition dans l’agriculture du bocage. Les historiens de la guerre de Vendée sont nombreux à l’avoir érigé en arme de guerre des insurgés.

La serpe servait pour l’entretien des haies, et le couteau à parer les sabots servait à fabriquer ces derniers. À titre d’illustration, indiquons que le bail de la métairie de la Roche au Roi (Saint-Fulgent) du 19 avril 1815 prévoit que « le bailleur accorde aux preneurs deux vergnes (aulnes) par an pour leur faire des sabots et le bois nécessaire à leurs charrues ; le tout leur sera préalablement désigné par le propriétaire ou gens de sa part. »
Le pic servait à extraire la cosse (au sens de racine profonde et non de bûche) des mauvaises plantes laissées par la charrue des labours.

Les engrais


           Au Moyen Âge                                           et maintenant                                                                
Les engrais ou pourrains, comprenaient les litières des animaux et les plantes pourries. Les fougères, ajoncs, genêts, bruyères, provenant des champs de landes, mais aussi les pailles, buailles (chaume), étaient répandues dans les trous des cours et des chemins pleins d’eau pour y pourrir. On abourrait (répandait) ainsi les ruages (chemins privés) pour obtenir un engrais appelé la bourrée, que l’on entassait en fumier avant de le répandre dans les champs. On utilisait un maximum de 25 m3 à l’hectare en Gâtine poitevine. Son utilisation était obligatoire dans la métairie et les baux interdisaient de la vendre. À titre d’exemple une clause du bail de la métairie de la Gagnolière (les Essarts), indique en 1826 que les fermiers s’obligent « de consommer sur les lieux tous les fourrages ainsi que les landes, ajoncs, et autres produits pouvant servir aux engrais. » En 1822, le bail de la métairie de la Fontaine (Saint-Fulgent) dit clairement : « ils convertiront en fumier pour l’engrais des dites terres, toutes les productions à ce destiné sans pouvoir en vendre ni détourner aucune partie en façon quelconque. » En 1824, le bail de la métairie du Bourg de Saint-André-Goule-d’Oie précise : « Il est interdit aux fermiers de faire aucun déplacement ou enlèvement de terre dans les jardins sous prétexte de l’employer pour fumier d’engrais sans la permission express du propriétaire. » C’est qu’il existait une pratique chez les mauvais métayers, bien à courte vue, consistant à répandre de la terre de jardin dans les champs en guise d’engrais. Leur précarité dans des baux de cinq ans peut aussi expliquer leur tentation pour cette pratique.

Par contre on ne relève aucune trace dans les baux étudiés de l’écobuage pour obtenir de l’engrais. Il n’était sans doute pas pratiqué dans la région mais l’a été ailleurs dans le bocage. Cela consistait à enlever au printemps des carrés de surfaces gazonnées et à les mettre en tas les uns sur les autres, la partie gazonnée en bas. Les tas séchaient jusqu’à l’été, puis on les brûlait alors à l’étouffé. Les cendres étaient enfin étendues sur la terre quelques jours avant les semailles. La méthode épuisait très vite les sols et coûtait cher. Les brûlis ont pu exister, mais sans qu’ils soient évoqués dans nos baux. Ils consistaient à produire des cendres, utilisées comme engrais, en brûlant des plantes sauvages (ajoncs, bruyères et fougères). Ils apportaient soude et potasse à la terre. L’usage des cendres du marais était marginal à cause de son coût, considéré comme élevé.

Les terres du bocage, acides et grasses, nécessitaient, plus qu’en plaine, des moyens pour améliorer leur fertilité. On a par exemple une indication d’une sorte de gisement de marne à la métairie de la Roche au Roi (Saint-Fulgent), lors de sa visite du 10 mai 1824 (3). Les experts notent alors que dans le champ de la Landette, le long de la grande route, qu’« il y a été tiré de la terre de maçon ». Les engrais étaient réservés aux céréales nobles et il en manquait pour les fourrages, et pour envisager de créer des prairies artificielles. 

Mine de charbon de Faymoreau (Vendée)
On sait qu’à partir de 1840/1850, c'est-à-dire peu de temps après la période observée, va se produire progressivement dans la région la révolution des charrues en acier et du chaulage des terres (avec la chaux), qui va transformer l’agriculture du bocage. La naissance de la sidérurgie va apporter de nouvelles charrues, nées en Angleterre à la fin du 18e siècle et retournant la terre en profondeur. On attendra avant d’en voir apparaître en Vendée. Le charbon de Faymoreau va permettre de chauffer les premiers fours à chaux, en particulier vers Chantonnay, produisant la chaux en plus grande quantité à un coût abordable (4). Il faudra ensuite encore attendre la construction des routes pour amener ce nouvel engrais partout dans le bocage.

C’est le fils de Joseph Guyet qui connaîtra ces progrès à la fin de sa vie, et surtout ses successeurs. Les baux de notre période ne s’appliquent qu’aux techniques d’avant, que nous venons de décrire. Et de ces techniques, il s’en suit un système ancestral d’assolement des terres, peu productif.

Les règles d’assolement


En général une métairie comprenait une petite part en pairies naturelles, ouches, jardins et vergers, et le reste en trois parties, la première ensemencée en grains et cultivée de fourrages, la deuxième en jachère annuelle et la dernière en jachère permanente, qu’on appelait pâtis ou landes.

Les terres étaient emblavées (ensemencées) deux années (la première en blé, la deuxième en d’autres espèces de céréales ou plantes fourragères), puis laissées en guéret (terre labourée non ensemencée), c'est-à-dire en jachère (repos) la troisième année, le tout pendant un cycle de six à huit ans. Après quoi le champ était abandonné à lui-même pour devenir un pâtis, servant au pâturage, qu’on appelait aussi une lande. Il entrait en jachère permanente, quoique ce dernier mot ne soit pas à prendre au pied de la lettre. Mais si cette terre ne produisait pas d’elle-même des genêts par exemple, on en plantait avec les dernières semailles qui précédaient l’abandon en jachère permanente. Puis on cultivait ces landes en laissant une largeur suffisante entre les sillons, où poussaient genêts, ajoncs, bruyères, fougères, suivant la nature du sol. On laissait les plantes croître pendant trois ou quatre années, avant de faire pacager le champ. On a vu que les genêts servaient à fabriquer les bourrées (engrais de plantes pourries), mais on pouvait aussi les vendre, ainsi que les ajoncs, pour alimenter les fours à chaux et à tuile de la région. Ainsi les jachères permanentes subsistaient de six à dix ans et ensuite on les défrichait pour les convertir en terres labourables, mettant fin à un cycle complet d’assolement de la terre.

Ces règles de jachère étaient gravées dans le marbre. La coutume du Poitou qui s’appliquait sous l’Ancien Régime, écrit dans son article 104 pour les terres labourables seulement : « Quant aucun tient terre à terrage (5) au pays de bocage, il doit à tout le moins avoir emblavé la tierce partie, l’autre tierce tenir en guérets (terre en repos) et l’autre tierce partie laissée en pâturage (pâtis). Et au pays de plaine, il doit emblaver la moitié et l’autre moitié avoir en guérets » (6).

Ces règles, appliquées avec des accommodements propres à chaque petite région, quoique souffrant des calamités climatiques, étaient une exigence pour le propriétaire qui ne voulait pas voir épuiser le sol. Le métayer entrant voulait une surface suffisante de terre à ensemencer. Le collecteur d’impôts voulait des revenus constants d’une année sur l’autre. La taille répartie entre les propriétaires était répercutée sur les métayers, et l’appauvrissement de ces derniers constituait une charge pour les autres. Elle était répartie en effet au sein des paroisses entre les familles en fonction du revenu apparent.

Terre en jachère
Certains baux de Linières ont tenu à rappeler au respect de ces règles. Ainsi le bail des métairies de la Touche et de Bellevue (les Essarts) en 1823 dispose que les métayers « promettent de labourer, fumer, cultiver, ensemencer par soles de saisons convenables ». En 1826, la clause ajoute qu’ils s’obligent : « de lever (premier labour) chaque année une quantité convenable de landes et de les laisser en bon état de culture et de se conformer pour l’ensemencement et les guérets à l’usage des lieux. » En 1822 le bail de la métairie de la Fontaine (Saint-Fulgent) comporte cette clause : « Ils (fermiers) laboureront, cultiveront, sèmeront et ensemenceront les terres par soles et guérets sans pouvoir les surcharger ni dessaisonner. Ils laisseront quantité de guérets anciens et nouveaux lors de leur sortie, suivant les usages locaux. » Parfois le propriétaire met les points sur les « i », montrant qu’il surveille l’application des règles, comme à la métairie de la Mauvelonnière (Chauché) : les fermiers « s’obligent également à jeter à plat et à laisser en bonne nature de pré et en état de fauche le pré dit le pré Long des Landes qu’ils ont ensemencé depuis plusieurs années. » Et cinq ans plus tard il précise pour le même pré : « le pré dit le pré Long des Landes, devant être en nature de pré au terme du présent bail, il ne pourra être labouré, les preneurs devront le faucher et le laisser en bonne nature de pré à faucher. »

Ce respect des règles d’assolement conduisait le propriétaire à surveiller les défrichements des jachères permanentes. Il avait adopté des durées de baux de cinq ans en général, n’intégrant pas le cycle, parfois du double, de ces jachères souvent appelées landes. Ceci l’amenait à inclure des clauses propres à ces défrichements et propres à chaque bail dans la moitié des baux de l’échantillon étudié. Elles concernaient tant les baux à colonage partiaire que les baux à prix fixe. Il y en avait de deux sortes : celles qui désignaient les champs à défricher et les travaux à y faire (40 %), et celles qui fixaient une surface à défricher dans un temps imparti (60 %).

Métairie des Noues (Saint-André)
Ainsi pour la métairie des Noues (Saint-André-Goule-d’Oie) en 1816, il est indiqué que les preneurs s’obligent « de lever (premier labour) pendant le présent bail les deux champs des Landes et le champ Bruleau ». En 1823 à la Mauvelonnière (Chauché), « les preneurs s’obligent à lever, dégâter (enlever les plantes sauvages) et mettre en bon état de labour le champ des landes de la moitié actuellement en landes qui sera laissée en nature de terre labourable et en bon état à la fin du présent bail ». En revanche pour la métairie du Bourg (Saint-André-Goule-d’Oie), la clause indique en 1824 et 1828 que les preneurs « s’obligent à les dégâter et mettre en bon état de labour la quantité de cinq boisselées de landes. » De même, pour la métairie de la Grande Roussière (Saint-Fulgent), le bail précise en 1822 que les preneurs « … défricheront annuellement 72 ares 90 centiares ou 6 boisselées, mesure locale, de landes. Néanmoins cette quantité n’est pas rigoureusement exigée chaque année, pourvu qu’il s’en trouve à l’expiration du présent bail 3 ha, 64 a, 50 c, 30 boisselées de défrichés, qu’ils renfermeront dans une clôture morte dont le bois sera pris sur ladite métairie. »

À cette occasion nous voyons le notaire indiquer les surfaces avec les deux mesures employées. Celles que tout le monde utilisait, la boisselée, et celle qui avait seule valeur légale, et que le notaire était bien obligé d’écrire, l’hectare avec ses subdivisions. Si la mesure légale était la même pour tous, la boisselée variait en fonction des anciennes juridictions seigneuriales de l’Ancien Régime. Le notaire précisait parfois quelle mesure locale il appliquait. Faute de le faire ici, cela veut dire qu’il s’agit de la mesure locale du lieu loué. Il faut savoir que la boisselée de Saint-André était celle des Essarts (1216 m2) et d’une partie de Chauché. L’autre partie de Chauché appliquait la mesure de la Jarrie, dite de la Rabatelière (1046 m2). Enfin à Saint-Fulgent, la boisselée valait 1215 m2, comme on le voit dans notre exemple. C’est à la fin du 19e siècle qu’on décidera d’unifier la valeur d’une boisselée pour tout le canton de Saint-Fulgent à 10 ares ou 1000 m2 (7). C’est dire que la boisselée a survécut longtemps dans l’usage, malgré son défaut de valeur légale et ses différences de valeur entre communes. 

Enluminure
Le défrichement consistait à araser le sol après avoir enlevé les érondes (ronces) et coupé tous les genets, ajoncs etc. qui se trouvaient dans la lande. On enlevait les mottes d’herbes pour dégager la terre arable sous-jacente. L’opération s’appelait pelage, et certains journaliers s’en faisaient une spécialité, on les appelait des « peliers » (8). En novembre et décembre on labourait avec un fort attelage de bœufs. Un deuxième labour et hersage s’effectuaient au début du printemps suivant, qu’on recommençait à la fin du printemps. En août on labourait une quatrième fois pour former les sillons et on recommençait une cinquième fois pour les semailles en octobre. L’année suivante on semait souvent sur un seul labour.

Ces règles d’assolement, on l’aura compris, résultait de l’état des techniques utilisées. Elles ont déterminé elles-mêmes l’orientation de l’activité agricole vers la culture principalement, ne faisant presque de l’élevage que son accessoire sur les sols pas assez humides et trop acides. En final, on va constater que la richesse produite va dépendre de la taille de l’exploitation. Compte tenu de la part d’environ un tiers à la moitié de sa surface utile à la culture, produisant les trois quarts des revenus, une borderie de 5 ha produisait peu de richesse et enfermait son propriétaire exploitant dans une économie de subsistance, l’obligeant même le plus souvent à une activité complémentaire. Par contre, une métairie de 40 ha, produisait de la richesse pour le métayer, bien au-delà du fermage à payer. On comprend aussi pourquoi le métayage de la petite borderie ne pouvait exister qu’en association avec d’autres surfaces à cultiver. Sa dimension réduite ne pouvait offrir, à elle seule, qu’un espace de propriété. 

Mais ce constat pour la grande métairie trouve sa limite dans le coût de la main d’œuvre. Il était réduit dans les communautés familiales composées du père et de ses enfants, ou de plusieurs frères et beaux-frères. Cette communauté ne pouvait exploiter une trop grande surface sans faire appel à une main d’œuvre supplétive qu’il fallait payer. Au-delà d’une certaine surface, la création marginale de richesse diminuait sensiblement.

Quand, à partir des années 1840/1850, la révolution de la charrue en métal et du chaulage des terres va modifier les règles d’assolement, et augmenter les possibilités d’élevage, on va voir les exploitations se démembrer pour répartir les revenus sur un plus grand nombre d’entre elles. En devenant plus petites elles se sont adaptées à la dimension intangible des communautés de métayers. C’est que la structure de ces communautés familiales n’a pas changé tout au long du 19e siècle, et la révolution technique, ne concernant que l’outil de travail, a été mise à leur service dans un premier temps, ne faisant que retarder, semble-t-il  dans un deuxième temps, l’exode rural. Au départ, outil d’adaptation à une nécessité technique, les communautés familiales étaient devenues une norme sociale. Elles disparurent au 20e siècle avec l’évolution des mœurs.  


Les défrichements de bois


Les bois futaie (à usage du bois de charpente) et les taillis (à usage de bois de serpe ou chauffage) étaient souvent réservés par le propriétaire dans les baux des métairies pour garder le produit des ventes. Les coupes devaient alors obéir à l’Ordonnance royale des eaux et forêts, celle-ci ayant pour but de réserver à l’État la priorité du bois de charpente nécessaire aux constructions des bateaux (9).

Les défrichements de landes que nous venons de décrire ne sont pas à confondre avec des opérations de défrichement entreprises par Joseph Guyet pour mettre des bois en culture, continuant ainsi l’œuvre commencée dans la région au Moyen Âge. Nous avons rencontré la première aux Essarts sur la métairie de Bellevue en 1823. Le propriétaire s’engage à arracher une gîte (bois ou taillis), dans le cours des deux premières années de la jouissance des preneurs. De leur côté les preneurs s’engagent à défricher, cultiver et ensemencer comme les autres terres cette gîte au fur et à mesure qu’elle sera arrachée.

Aux Landes-Génusson, Joseph Guyet vend sa superficie de bois qui est sur la pièce de terre dite du Bois de la Cure, faisant normalement partie de la métairie de la Godelinière, à Gabriel Maillard forgeron demeurant au bourg de la commune, le 24 octobre 1827. Le prix de vente est de 200 F et le délai maximum pour faire les coupes et arrachages est fixé au mois de mai 1830. Après quoi, les portions de terrain seront déblayées et labourées de suite « de telle manière que la pièce de terre soit mise en bonne et pleine culture. »

C’est une autre opération de même nature qui est convenue dans le bail de Villeneuve (Chauché) signé le 8 juillet 1829, Joseph Guyet afferme la métairie pour le prix de 720 F par an pendant sept ans, durée inhabituellement longue chez lui. Les nouveaux fermiers, originaires du bourg des Brouzils, sont trois couples : Bossu, Brodu et Belamy. Ils s’engagent à garder le métayer actuel dans le même statut de colonage partiaire et sont donc autorisés à sous-affermer, c’est le seul cas rencontré de sous-affermage. De même, « Il est observé qu’une partie des bâtiments de Villeneuve est occupée par la veuve Fonteneau qui est fait à titre de bail verbal. Les preneurs sont chargés de l’exécution de son bail ou de le résilier si bon leur semble à leurs risques et périls. » L’objet principal du bail est de défricher le bois futaie de la métairie « pour mettre en emblaison (ensemencé) en 1836. Le bailleur fait faire les fossés et les preneurs feront les haies. Le champ de Vergnasse sera dégâté (enlever les plantes sauvages) puis ensemencé et ensuite mis en pré. Seront également mis à plat et laissé en nature de pré deux ans au moins avant la fin du bail les deux parties du pré dit Etang de la Morlière qui se labourent actuellement, alors que le métayer était tenu de mettre à pré. Il est interdit de faire pacager sur les nouveaux prés ainsi disposés dans les temps et saisons pluvieux et où les bestiaux seraient dans le cas de faire des dégradations. » Ce défrichement ne concerne pas néanmoins le bois taillis connu sous le nom de Gîte des Vergnais et celui connu sous le nom de Petite Gîte de la Pague.

Dans le même esprit de restructuration de l’espace dédié à l’agriculture, Joseph Guyet a entrepris de faire creuser par les métayers un important fossé dans la métairie du bourg de Saint-André-Goule-d’Oie, en 1828. Il s’agissait de partager le champ du Martinet en deux parties égales par un nouveau fossé de trois mètres de large, garni de gazon mais aussi planté « tout du long de plants d’aubépine et de jets d’arbres de bonne semence de trente mètres de distance, greffés à bons fruits ensuite. »

Article à suivre …

(1) Bail du 4-12-1743 de P. Coutouly à F. Fluzeau, Archives départementales de la Vendée, Don Boisson : 84 J 30. 
(2) Louis Merle, La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à la RévolutionÉditions Jean Touzot, SEVPEN, Paris, 1958.
(3) Visite du 10 mai 1824 de la métairie de la Roche au Roi, Archives de la Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, papiers Guyet : 3 E 30/138. 
(4) Statistique ou description générale du département de la Vendée de Cavoleau, annotée par A. D. de La Fontenelle de Vaudoré, 1844.
(5) En Poitou le terrage était un droit très répandu de gerbes de blé et de légumes dus au propriétaire par le tenancier d'une terre cultivée. Accompagné d’un cens, c’était une simple charge foncière. S’il était seul, sans le cens, c’était un droit seigneurial emportant les autres (lods et ventes etc.).
(6) Cité par L. Merle dans l’ouvrage indiqué ci-dessus (note 4).
(7) Archives de la Vendée, Usages locaux du canton de Saint-Fulgent (édition 1897).
(8) Livre de recettes en argent de la Rabatelière (1730-1768), Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/K 6, pages 42, 54, 103 et 118.
(9) Ferme du 12-7-1786 de la métairie des Renardières, Archives de la Vienne, Dossier Mme Duvigier/Lepinay : 1 Q 228 no 234.


Emmanuel François, tous droits réservés
Octobre 2012, complété en août 2021

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