samedi 4 janvier 2014

Les droits seigneuriaux des nobles dans le fief de la Chapelle Begouin à Chauché

Les nombreux documents de la seigneurie de la Chapelle Begouin à Chauché, se trouvant dans le chartrier de la Rabatelière, ne permettent qu’une approche partielle des droits seigneuriaux qui étaient pratiqués à la Chapelle, dans la période observée de la fin du 16e siècle au milieu du 18e siècle. Heureusement, les deux tiers de ces documents concernent ces droits, et parmi eux l’on trouve un papier censaire de 1723. Au total, ces documents semblent bien refléter les droits et devoirs du seigneur de la Chapelle Begouin. Ils paraissent représentatifs de la situation des droits seigneuriaux dans la région de Chauché et Saint-André-Goule-d’Oie, même si sous l’Ancien Régime les exceptions étaient fréquentes.

Comme on sait, il faut distinguer les terres nobles des terres non nobles pour apprécier les droits seigneuriaux. C’est pourquoi, nous présentons ici pour commencer les droits seigneuriaux des nobles eux-mêmes.


Les fois et hommages et le rachat



Pour le fief de la Chapelle, son seigneur devait la foi et hommage à son suzerain, le seigneur de Languiller. C’était en principe une cérémonie où le vassal portait à son suzerain la foi et hommage, puis lui jurait fidélité et lui offrait un devoir. Il y avait plusieurs types de foi et hommage. Le seigneur de la Chapelle Begouin devait un hommage lige sans ligence. L’hommage lige obligeait plus le vassal que l’hommage simple ou plein. Il était prioritaire en cas de pluralité d’hommages rendus par le vassal à plusieurs suzerains. La ligence était une obligation militaire de garde en un lieu donné pour une durée donnée, très pratiquée dans les fiefs voisins de Chavagnes-en-Paillers.

Pour le village voisin et fief de la Barotière, le seigneur de la Chapelle devait à son suzerain un autre hommage à rachat abonné à un éperon d’or et un cheval de service. Le rachat, aussi appelé cheval de service, représentait le droit payé par le nouveau vassal aux mutations de biens. Il représentait en général un an de revenus du fief dans la plupart des coutumes, et aussi dans le Poitou (1). À la Chapelle c’était un éperon d’or.

Ce droit de rachat pour la Chapelle Begouin et la Barotière a été racheté en 1580 par René Begaud, à son suzerain, moyennant le paiement comptant d’une somme de 800 livres (2). Jules de Belleville, alors seigneur de Languiller, a abonné le droit de rachat à 60 sols par chaque mutation du vassal de la Chapelle Begouin. L’abonnissement, comme on disait alors, consistait à transformer un dû au montant dépendant d’éléments variables, en une somme forfaitaire connue. Le nouveau montant devenait symbolique, ne pouvant être nul. Cette vente confirme le besoin d’argent frais de Jules de Belleville, qui a aussi vendu beaucoup de droits seigneuriaux de ses seigneuries du Coin Foucaud et des Bouchauds.

En tant que suzerain lui-même, le seigneur de la Chapelle tenait en gariment lignager le fief noble (hôtel et métairie) de la Pitière (3). En Poitou, dans la tenure d’un fief noble à gariment, l’aîné était chemier (chef de maison) du fief et les puinés étaient parageurs du fief. Seul l’aîné rendait la foi et hommage, engageant ainsi les parageurs et acquittant les devoirs de fiefs à leur décharge. II y avait plusieurs sortes de tenures en gariment. Si cette tenure était établie en vertu du lignage (cas de la Pitière) ou de la parenté, c'était la tenure en parage proprement dite. Si elle était établie par convention ou usage, elle ne se modifiait pas avec la fin du lignage, elle était dite en gariment ou part-prenant, ou part-mettant (4).

Le seigneur de la Chapelle tenait aussi le fief de la Barotière (Chauché) par un hommage plein ou simple dû par son vassal.

La Corère (Essarts)
Dernier fief tenu par le seigneur de la Chapelle, la pièce de terre d’un hectare environ appelée la Fraignaie, située aux Essarts sur le tènement de la Corère. Dans le registre d’insinuation de la seigneurie en 1721, on évoque le fief Brosset pour désigner cette pièce de terre. C’est qu’en 1598, son tenancier ou propriétaire qui en fait aveu s’appelait Jacques Brosset. Et ce nom est resté, alors que dans un aveu de 1684 pour le même fief le déclarant est François Heulin. On n’a pas réussi à vérifier si Brosset était un noble. En revanche on sait qu’Heulin ne l’était pas.

Le fief était tenu « noblement à foi et hommage plein, baiser et serment de fidélité, et droit de rachat le cas advenant, et au devoir annuel à chacune fête de noël de neuf deniers. » Le texte de l’aveu reconnaît au seigneur de la Chapelle le droit de juridiction basse et droit d’assise selon la coutume (5). Ce dernier droit concernait essentiellement les roturiers, aussi nous l’évoquerons dans l’article concernant leurs devoirs seigneuriaux. Dans le papier censaire de 1723, au chapitre des cens et devoirs d’argent dus à la seigneurie au terme de noël, on trouve un montant de neuf deniers pour « une pièce de terre et pré de la Fraignaie au tènement de la Corère paroisse des Essarts, le propriétaire de ce domaine est à présent maître Nicolas Houillon notaire aux Essarts, neuf deniers, et il y a reconnaissance de ce devoir aux assises dernières » (6). 

Enfin nous savons que le seigneur de la Chapelle devait la rente noble de 112 boisseaux de seigle par droit de rachat et droit de cens annuel de trois deniers, payés par le seigneur de la Caducière (Brouzils). Le fief consistait ici en une rente, et non un domaine foncier comme le plus souvent.

Les lods et ventes


Dans les droits seigneuriaux on peut aussi compter les lods et  vente, aussi appelés vente et honneurs. C’étaient des droits payés au seigneur à chaque vente ou succession de biens immeubles, de 1/6e de la valeur des biens dans la coutume du Poitou. Nous n’avons trouvé qu’une quittance de paiement de lods et vente, donnée en 1729 par le seigneur de Languiller à l’acquéreur de la seigneurie de la Chapelle Begouin, mais sans indication du montant perçu. Les lods et vente étaient dus sur les tenures censives, c'est-à-dire des biens non nobles, même appartenant à des nobles.

La prééminence d’église


S’il est un droit seigneurial qui a compté dans les esprits sous l’Ancien Régime, c’est bien la prééminence d’église en faveur des seigneurs. On quitte les biens d’ici-bas avec cette question, pour entrer dans le domaine de l’honneur, consubstantiel à l’idée de chevalerie à ses débuts et composante essentielle de l’idée de noblesse ensuite. On ne va pas rappeler ici le régime accordé par l’Église aux patrons bienfaiteurs des églises et aux seigneurs haut-justiciers dans le Poitou au cours des cérémonies religieuses (priorité pour l’eau bénite, pour recevoir l’encens, place dans les processions, etc.) et dans l’église paroissiale (armes sur les murs et les vitraux). À la Chapelle Begouin, c’est sur le droit d’enterrement dans le chœur de l’église que s’est posé un problème.

Les seigneurs de la Chapelle avaient le droit d’y enterrer leurs morts. On sait ainsi, à titre d’exemple, qu’au début du 16e siècle, Christophe Bégaud et Jeanne Poitevin sa femme, y furent inhumés. Louise Begaud, fit son testament le 27 août 1540, dans lequel elle demande d’y être enterrée elle aussi (7). Ce droit était reconnu par l’Église, mais appliqué de manière laxiste depuis longtemps. Au concile de Braga en 563 elle avait interdit les enterrements dans les églises. Ces interdits furent répétés dans les conciles du Moyen Âge, sans être pourtant bien respectés, à cause des exceptions permises. Le dernier concile de Rouen en 1581 avait rappelé ces exceptions : les prêtres et les patrons d’église possédaient de droit la faculté d’être enterrés dans les églises, et par choix de l’évêque aussi les personnes qui « par leur noblesse, leurs actions, leurs mérites se sont distinguées au service de Dieu et de la chose publique » (8). Le patron d’église était son fondateur, souvent un seigneur laïc, comme probablement c’était le cas à la Chapelle Begouin. Mais ce droit avait pris le caractère d’une propriété transmise par héritage, dont bénéficiaient l’épouse du seigneur et ses enfants encore plusieurs siècles après la fondation.  

 Or les seigneurs de Languiller, Philippe Chitton et son fils Charles Auguste, se sont mis en tête à la fin du 17e siècle d’exercer ce droit pour les membres de leur famille, ce qui semblait être une nouveauté. Leurs prédécesseurs, les Eschallard et les Harpedanne de Belleville, ne vivaient pas à Chauché. C’est ainsi que le registre paroissial de Chauché a enregistré, le 23 septembre 1698, l’inhumation « dans le cœur de la Chapelle Begouin, annexe de Chauché, le corps de dame Bénigne de la Bussière, en son vivant épouse de messire Philippe Chitton écuyer seigneur de Fontbrune conseiller du roi prévôt général du Poitou, âgée d’environ cinquante-six ans … ». (9). Pire, à cette occasion on a déplacé la dépouille de René Bégaud, seigneur de la Chapelle décédé vers 1601, pour faire de la place à la nouvelle venue, dont la famille était originaire de la seigneurie de la Vrignonnière des Essarts.

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À cette époque le torchon brûlait entre les deux seigneuries, pourtant voisines de quelques kms. À propos de la métairie de la Girardière, que le seigneur de Languiller venait d’acquérir, ce dernier refusait de payer un droit de lods et vente dû au seigneur de la Chapelle, refusant de reconnaître qu’au moins une partie des terres étaient dans la mouvance de la seigneurie de la Chapelle. Le seigneur de celle-ci, en manière de rétorsion, refusait de payer depuis cinq années une rente annuelle de vingt sols, qu’il devait au seigneur de Languiller.

Militaires de métiers, les deux gentilshommes n’avaient plus le droit de vider leurs différents par un duel, comme cela se faisait autrefois. Louis XIV, continuant l’œuvre de son père, avait prescrit, par un édit de 1679 en son article 15 : « Les maréchaux de France connaissent en dernier ressort, de tous différents concernant le point d’honneur, des querelles entre gentilshommes et autres qui font profession des armes. » (10).

Jean II d'Estrées
Cette mesure était donc obligatoire et Daniel Prevost de Lestorière, seigneur de la Chapelle Begouin, qui avait saisi en février 1699 le présidial de Poitiers (11), dut suspendre son action et accepter le compromis proposé par Biet, serviteur de monseigneur le maréchal d’Estrée (12). Ce compromis chargea le lieutenant général de Lusignan (13), le sieur Percheron, de prononcer une sentence arbitrale, valant jugement, sur tous les sujets litigieux entre les deux gentilshommes de Chauché, fixant les modalités de sa rémunération à 1 000 livres, les délais de production des preuves des parties et le partage des frais de procédures.

Percheron rendit sa sentence arbitrale le 25 février 1700 (14). Elle donna raison à M. de Lestorière sur les problèmes de la métairie de la Girardière. Sur le droit d’enterrement, elle essaya de satisfaire les deux adversaires.

Sur le fondement du droit acquis et du droit de seigneurie, le juge décida de garder le seigneur Prévost de Lestorière « dans sa possession actuelle du droit de sépulture dans l’église de la Chapelle Begouin, à cause de sa terre et seigneurie de la Chapelle ». L’argument peut sembler court, ignorant le droit de patronage comme fondement du droit de sépulture. Il était reconnu par l’Église au fondateur de l’église et ensuite à ses héritiers. Il est probable dans notre cas, mais non cité explicitement. En revanche le droit de sépulture reconnu dans le Poitou au seigneur de haute justice ne s’appliquait pas aux seigneurs de la Chapelle et de Languiller, ne possédant tous deux que le droit seigneurial de basse justice pour le premier, et de moyenne justice pour le second.

Sur le déplacement de la tombe de René Begaud de la Begaudière, gentilhomme de la chambre du roi précise le juge, celui-ci n’est pas d’accord et ordonne que cette tombe « sera rétablie aux frais du dit seigneur de Languiller ».

Le Caravage : Enterrement de sainte Lucie
Mais au profit de ce dernier, le juge ajoute, sans recherche du droit applicable : « attendu qu’il est seigneur suzerain, avons ordonné qu’il prendra si bon lui semble une autre place dans le cœur de ladite église pour sa sépulture et celle de ses successeurs, qui ne pourra lui être contestée par le dit seigneur de la Chapelle Begouin ». La motivation de cette dernière décision, sur le principe de suzeraineté, semble bien pauvre et faible au regard des règles de l’Église. On est tenté de l’expliquer par sa nature, une sentence arbitrale en dernier ressort, et non un jugement susceptible d'appel. Peut-être aussi prend-elle sa source dans certaines habitudes héritées de la justice mérovingienne. Celle-ci cherchait avant tout à concilier les litigeants, au temps de la personnalité des lois, plutôt qu’à appliquer le droit. On cherchait la paix plutôt que la justice, ce qui constituait une régression par rapport à la pratique du droit romain (15). Le jugement n’était qu’un dernier recours auprès d’une autorité supérieure, et on préférait la médiation et la négociation, à une époque qui n’imaginait pas, comme la nôtre, la prééminence d’une sphère publique sur la sphère privée. Mais il faudrait rester prudent à cause de la hiérarchie des normes juridiques de ces temps très anciens. Dans des lettres patentes de 1312 le roi de France l’établissait ainsi en commençant par la norme la plus impérative :
- la jurisprudence d’abord,
- les constitutions et ordonnances,
- puis la coutume à laquelle il assimile la coutume écrite des pays du midi,
- enfin, en dernier, l’équité et la raison (provenant du droit romain), ces dernières n’ayant pas de valeur officielle, selon le roi (16).
Toujours est-il que désormais, à l’aube du 18e siècle, le seigneur de Languiller venait d’acquérir un droit reconnu d’enterrement dans cette église de la Chapelle Begouin. On sait que Languiller fut vendu en 1745 au seigneur de la Rabatelière, qui avait acheté la seigneurie de la Chapelle de Chauché en 1729. Il habitait Nantes et les sépultures dans l’église de la Chapelle s’arrêtèrent au cours du 18e siècle. Mais le droit honorifique attaché aux chapelles et églises gardait tout son prestige. C’est ainsi qu’on lit dans le procès-verbal du 18 octobre 1779 du partage de sa succession, que le seigneur de la Chapelle avait « tous ses droits honorifiques en l’église de ladite Chapelle de Chauché comme patron et fondateur d’icelle » (17).


(1) Voir notre article : La saisie féodale de la Mancellière à St André Goule d’Oie.
(2) Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 74, Chapelle Begouin, vente du 8-9-1580 des droits de rachats de la Chapelle Begouin par Jules de Belleville.
(3) Selon G. de Raignac, la Pictière de Chauché appartenait aux Aymon de la Petitière d’Aizenay, avant de passer aux Montsorbier de la Braslière. Les lieux furent transformés en ferme avant la Révolution [De châteaux en logis, itinéraires des familles de la Vendée, Éditions Bonnefonds, (1997) T8 page 171].
(4) Joseph Nicolas Guyot, Pierre Jean Jacques Guillaume Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, (1784) Volume 8, page 135 et s.
(5) 150 J/C 78 : chapelle Begouin, aveu de J. Brosset à René Begaud du 15-12-1598, et dossier C 79 : aveu de François Heulin à Daniel Prevost du 15-6-1684.
(6) 150 J/C 84, seigneurie de la Chapelle Begouin : papier censaire de la seigneurie de la Chapelle arrêté le 23 janvier 1723, 12e page. 
(7) 150 J/C 71, seigneurie de la Chapelle Begouin, testament du 27-8-1540 de Louise Begaud.
(8) Philippe Ariès, L’homme devant la mort, Seuil, 1977, page 54.  
(9) Archives de Vendée, registre paroissial de Chauché : enterrement de Bénigne de la Bussière, épouse Chitton, le 23-9-1698 (vue 70/97).
(10) Daniel Jousse, Traité de la justice criminelle de France, Debure père libraire (1771), page 381.
(11) Tribunal traitant en premier ressort les différents entre nobles de la sénéchaussée du Poitou.
(12) Jean II d'Estrées (1624-1707), maréchal de France en 1681. Voir Wikipédia.
(13) On désignait ainsi un magistrat.
(14) 150 J/C 84, seigneurie de la Chapelle Begouin, sentence arbitrale de Percheron entre les seigneurs de Languiller et de la Chapelle du 25-2-1700.
(15) B. Demezil, Des Gaulois aux Carolingiens, PUF (2013), page 100.
(16) Françoise Hildesheimer, Rendez à César, l’Église et le pouvoir, Flammarion, 2017, page 167.
(17) Partage du 18-10-1779 de la succession de René de Montaudouin seigneur de la Rabatelière, page 50, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 68. 

Emmanuel François, tous droits réservés
Janvier 2014 complété en octobre 2020

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