mardi 1 février 2011

Acte de notoriété du décès de Simon Charles Guyet



L’augmentation des documents numérisés mis en accès internet sur le site des Archives départementales de la Vendée, nous apporte chaque année son lot d’heureuses surprises. Et encore, ce n’est pas tout, son moteur de recherche est vraiment l’ami des chercheurs. On sait que le vrai problème d’un chercheur de documents d’histoire, comme les prospecteurs d’or d’autrefois, ce n’est pas d’explorer, mais de trouver. Il suffit désormais d’écrire : « Joseph Guyet » dans le moteur de recherche des Archives de Vendée, au bout du clic on obtient le certificat de décès de son père en 1793, dans les minutes d’un notaire de Luçon. Qui serait allé dans cette étude pour l’y trouver ?


Dans mon article sur Joseph Guyet, récemment publié en décembre 2010, j’avais rassemblé toutes les informations recueillies après mes recherches sur des registres paroissiaux, et les notes prises dans les diverses publications que j’avais pu lire à son sujet et à celui de ses proches. Mais j’étais resté dans l’ignorance de la date du décès de Simon Pierre Guyet. Reproduisons l'acte de notoriété du décès :

« Acte notarié constatant la mort de Charles Simon Guyet du 7 messidor an 3 (1)
Par devant le notaire public (2) à Luçon en présence des témoins ci-après nommés et soussignés ont comparu
Les citoyens René Rouillon (3) chasseur de la Vendée et François Bossard servant dans les hussards de Cholet- Pierre François Louis Marie Gentils receveur du droit d’enregistrement à Luçon- François Guinaudeau canonnier et Charles Durand réfugié à Gemme-de-la-Plaine, (4)
Étant tous présents à Luçon
Lesquels ont déclaré avoir parfaitement connu le citoyen Charles Simon Guyet maître de poste à Saint-Fulgent district de Montaigu département de la Vendée qui est tombé au pouvoir des rebelles et a été massacré par eux le quatorze mars mil sept cent quatre-vingt-treize (5) en la maison de Durand aubergiste du Chapeau Rouge à Saint-Vincent-Sterlanges, et est mort de ses blessures le lendemain quinze du dit mois de mars (6)
Ce que dessus les comparants affirment sincère et véritable pour en avoir une parfaite connaissance
Dont et le tout qui’allé fait et rédigé le présent acte pour valoir et servir ce qu’il appartiendra
Fait et passé audit Luçon étude de Pillenière (7) le sept messidor an troisième de la République Française une et indivisible en présence du citoyen Philippe Payneau propriétaire et Louis Porché aubergiste demeurant séparément audit Luçon qui se sont, ainsi que les comparants et nous notaire, soussignés après lecture faite. »


(1) 25 juin 1795
(2) La loi du 6-10-1791 avait transformé les « notaires royaux » en « notaires publics ». Ils n’étaient pas officiers chargés de l’état-civil, mais en tant que fonctionnaires publics, leurs actes avaient une force certaine, surtout compte tenu des circonstances.
(3) Ce témoin, comme les autres, nous est inconnu. Trois militaires, un fonctionnaire des impôts et un réfugié. Leur qualité est à la fois d’ « avoir parfaitement connu » C. Guyet et d’avoir « une parfaite connaissance » des circonstances et de la date de sa mort. Ce qui compte ici, on le sait, c’est la signature du notaire.
(4) Le mot « Saint » qui précédait la suite du nom de la commune a disparu, conformément à la loi d’alors. Il s’agissait de « déchristianiser » et « dénobliser » les noms. Mais notre brave notaire ne connaissait pas le nouveau nom de Saint-Fulgent et ne l’a donc pas utilisé. C’est bien excusable, tellement il y a eu de changements de noms. Pour mémoire, rappelons que « Saint-Fulgent » est devenu « Fulgent-des-Bois ». On retrouve ce nom utilisé dans l’acte de rachat de Linières en 1796, par exemple. Même remarque pour Saint-Vincent-Sterlanges.
(5) Le présent acte de décès a donc été rédigé plus de deux ans après la mort qu’il constate. Cela indique que l’acte résulte d’une demande auprès du notaire et qu’il a fallu se donner la peine de réunir tous ces témoins à Luçon, longtemps après les faits. Les fonctions politiques du gendre Benjamin Martineau et celles de son frère Ambroise à  Fontenay, chez les républicains de l’administration du département, ont peut-être été utiles pour aplanir les difficultés à cet égard.
Il paraît naturel d’obtenir cet acte ne serait-ce que pour ouvrir la succession d’un homme, qui plus est devenu riche, laissant une veuve et sept enfants âgés de neuf à vingt et un ans. Dans le désordre des batailles, combien d’actes de décès n’ont pas pu être rédigés ! Et à Saint-Vincent-Sterlanges, comme dans beaucoup d’autres communes du bocage, les archives actuelles de l’état-civil n’ont été conservées qu’à partir de l’an V, toujours à cause de la guerre civile. Quant aux actes reconstitués de cette période, il y en a eu très peu dans cette commune, et ne concernent pas C. Guyet;
Saint-Vincent-Sterlanges
(6) Ce qui s’est passé à Saint-Vincent-Sterlanges se recoupe bien avec les faits de guerre connus. Le 13 mars 1793, les jeunes de Saint-André-Goule-d’Oie, entraînés par Christophe Cougnon (demeurant à la Guérinière et régisseur à Linières), mettent en fuite une troupe de gardes nationaux venus de Fontenay sous les ordres de Charles Pierre Marie Rouillé. (a) C’est sans doute ce jour-là, sinon le lendemain en voyant la tournure des évènements, que Charles Guyet et son gendre Benjamin Martineau s’enfuient avec la troupe de Rouillé (ou la rejoignent) en direction de Fontenay-le-Comte. (b)
Le 13 mars les jeunes du canton se rassemblent au bourg de Saint-Fulgent autour de l’aubergiste Lusson et du procureur de la commune Gautier. (c) Ils convainquent le vieux capitaine d’infanterie Royrand, âgé de 67 ans (riche propriétaire d’une vingtaine de métairies et originaire de la Roussière de Saint-Fulgent et demeurant à la Burnière de Chavagnes), ainsi qu’un de ses neveux de Chavagnes-en-Paillers, de s’engager avec eux et de diriger les combats. (b)
Le 14 mars ils partent vers Fontenay et mettent en fuite à nouveau les gardes nationaux au village de la Brossière de Saint-André-Goule-d’Oie. (d) Ils les poursuivent, passent les Quatre-Chemins, Saint-Vincent-Sterlanges et arrivent à Chantonnay, où à nouveau le lendemain les Vendéens battent les gardes nationaux.
Qu’il y ait eu le 14 mars un massacre de « bleus » et de patriotes de Saint-Fulgent connus, dans l’auberge de Saint-Vincent-Sterlanges, est parfaitement concevable au vu des évènements que nous venons de rappeler.
(7) Acte de décès de Simon Guyet du 7 messidor an III, Archives de la Vendée, notaires de Luçon, étude (I) : vues 311 et 312 du registre numérisé.
Ce notaire, Jean Claude Pillenière s’était marié avec Marie Chauveau à Luçon le 25-1-1780 (vue 102), lequel était présent au mariage de B. Martineau en 1792 à Saint-Fulgent. Or le premier mari de Catherine Couzin, belle-mère de B. Martineau, était Jean Pillenière, fermier. Il y a donc un lien familial, mais non connu, entre la femme de B. Martineau et le notaire. (Voir note au mariage de C. Guyet et B. Martineau dans le dossier S. C. Guyet)

Remarque
Encore un compatriote massacré ! Les mots employés par habitude dans les livres pour désigner les ennemis en présence, de « Vendéens » d’un côté et de « bleus » de l’autre, contribuent à masquer cette réalité, qu’on s’est aussi battu entre Vendéens dans cette guerre civile. Le commandant des gardes nationaux, Charles Rouillé le jeune, était avocat-avoué et électeur du district des Sables-d’Olonne. (a) Quant aux gardes nationaux sous ses ordres, beaucoup étaient Vendéens sans doute, de la région de Fontenay-le-Comte.
D’ailleurs, des chercheurs notent le comportement de certains révolutionnaires locaux, comme ayant contribué à attiser le climat de guerre civile, avant, pendant et après le soulèvement.
Benjamin Martineau, le gendre de Charles Guyet, et tous les Guyet, vont porter dans leur cœur la haine de la devise de leurs adversaires « Dieu et le roi ». Nous le constaterons dans les années à venir dans l’histoire de Linières, avec le fils Joseph Guyet qui en deviendra propriétaire.

Ils ont tenu à faire attester de la sépulture de leur père par neuf personnes : sept de Sainte-Cécile, une de Saint-Vincent-Sterlanges et une de Saint-Germain-de-Princay. « Lesquels dits comparants ont dit et déclaré devant nous dits notaires avoir une parfaite et entière connaissance que le feu citoyen Simon-Charles Guyet, propriétaire demeurant au bourg de Saint-Fulgent, est décédé au bourg de Saint-Vincent-Sterlanges en la demeure de la citoyenne Petit, veuve Durand, le 15 mars 1793, vieux style an 2 de la République, le corps duquel dit feu Guyet a été inhumé le lendemain dans le cimetière de ladite commune de Saint-Vincent-Sterlanges, ce que les dits comparants déclarent être sincère et véritable et que foi doit y être ajouté … ». C’est ce qu’écrit en son étude le notaire Gabriel Benesteau de Sainte-Cécile, un cousin des enfants Guyet, le 12 germinal an 12 (8). 


(a) Revue du Souvenir Vendéen no juin 2009, page 22 (article de J. Biteau)
(b) M. Maupilier, …Saint-Fulgent sur la route royale, Herault (1989)
(c) L. de La Boutetière, Le chevalier de Sapinaud …, Salmon (1982), page 32
d) A. Billaud, La guerre de Vendée, Lussaud (1967)

(8) Notoriété du 12 germinal an 12 (3 avril 1804) du décès de Simon Guyet, Archives de Vendée, notaire de Sainte-Cécile, étude A, Gabriel-Jean-Louis Benesteau, 3 E 15 21-2, accessible en ligne : vue 254 à 255/514.

Et après le décès ?
Imaginer ce qui s’est passé juste après la mort du 15 mars 1793, est une question intéressante à explorer. Pour cela, on ne dispose d’aucun document, mais on peut néanmoins retenir d’abord des faits connus :
- La fille aînée de Simon Guyet, Catherine, accouchera à Saint-Fulgent le 3 août suivant (baptême clandestin le lendemain par le vicaire insermenté et avec le maire royaliste et combattant comme témoin, vue 10/78 du registre clandestin).
- Son mari, le révolutionnaire extrémiste Benjamin Martineau, avait fui Saint-Fulgent en même temps que son beau-père, n’assistant peut-être pas à son décès, puisqu’il ne témoigne pas devant le notaire de Luçon, Pillenière, dans la rédaction de l’acte de notoriété. Ce notaire était un ami de la famille, présent à son mariage en 1791 à Saint-Fulgent, et Luçon était à l’abri des révoltés Vendéens.
- Avant que la Convention n’ordonne au printemps 1794 aux habitants de s’éloigner « à plus de 20 lieues » du département de la Vendée, des républicains s’étaient déjà réfugiés vers le nord (Nantes), ou vers le sud (Sainte-Hermine, la Chapelle Thémer etc.), après le début de la guerre en mars 1793.
- Les comités communaux royalistes mis en place après la révolte de mars 1793 ont eu pour consignes de mettre en demeure leurs ennemis de combattre à leur côté ou de quitter la contrée (1). Ils ont aussi confisqué les biens « volés » à l’Église par les républicains lors des ventes de « biens nationaux » en 1791. On le constate à Saint-André, où René Robin, acquéreur de la métairie de Fondion (ancien bien d’Église), s’est vu confisqué ses revenus au moins pour l’année 1794, et n’est rentré dans la disposition de son bien qu’en 1795 (2).
À partir de ces faits, on peut imaginer avec vraisemblance que des garçons comme Charles Jacques (21 ans en 1793 et premier fils de Simon Guyet) ait été envoyé à Champagné (sud vendéen à l’abri des combats) dans la famille de sa mère, où il se mariera. Joseph (19 ans en 1793), était peut-être déjà à Paris chez son oncle Jacques Guyet pour y faire des études de droit. Auguste Jacques, 10 ans en 1793, a pu rester à Saint-Fulgent avec sa mère, sa grande sœur enceinte et sa petite sœur de 9 ans. On hésite sur le cas de Pierre Louis (18 ans), et de Louis René (17 ans). À cette époque, on entrait « dans la vie active » beaucoup plus tôt que maintenant et plusieurs hypothèses sont possibles les concernant.
Quant à s’occuper des affaires de Simon Guyet, il est à craindre pour ses héritiers que les comités communaux royalistes, dans un premier temps, en ait fait leur affaire. Sauf dans le Marais, où la famille (peut-être le gendre Martineau) s’en est certainement occupé. Pas sûr que l’oncle de Paris soit venu à Saint-Fulgent pour déranger les comités royalistes (actif d’avril à environ octobre 1793), et s’exposer ensuite à la haine des républicains sévissant chez les habitants. Son frère Jean Guyet de Sainte Cécile a peut-être pu essayer de s’occuper des affaires de sa belle-sœur. Également François Rouillon de Sainte-Cécile, mari de la sœur Marie Louise Guyet, à moins que bon républicain, il n’ait été obligé de chercher refuge en dehors de la contrée. Mathurin Guyet, autre frère aubergiste à Saint-Michel-Mont-Mercure, y était officier municipal et a dû se réfugier à Sainte-Hermine au plus tard en février 1794 (3). Enfin Claude Rathié, maître chirurgien à Montaigu, veuf d’une autre sœur, Jeanne Guyet, n’était certainement pas le bienvenu dans certaines métairies de son beau-frère, mais il a peut-être pu s’occuper de certaines autres s’il ne s’est pas réfugié lui aussi hors de la contrée.
N’oublions pas que de mars 1793 à décembre 1794, Saint-Fulgent et les environs a perdu au moins 20 % de sa population, et que, pendant ce temps, certaines métairies n’ont certainement pas été capables de produire un revenu, sinon de survie pour leurs métayers. Dans le meilleur des cas il faudra attendre 1795 pour que l’ordre commence à revenir dans le respect des propriétés des uns et des autres (traité de la Jaunaie en février 1795).
L’acte de notoriété du décès de Simon Guyet est de juin 1795, préalable à l’ouverture de la succession. Entre temps, il paraît certain que les frères et sœurs de Simon et de son épouse ont aidé matériellement sa famille. Mais on ne sait pas comment.
(1) Claude Petitfrère, Conseils et capitaines de paroisse : des comportements démocratiques en Vendée ? Actes du colloque La Vendée dans l’Histoire, Perrin, 1994, page 67 à 80.
(2) Acte de non conciliation entre Robin et Allain concernant des bestiaux sur la métairie de Fondion, justice de paix de Saint-Fulgent du 28 messidor an 4, Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 73-1.
(3) Acte de naissance de Louis Teillet le 16-2-1794 à Saint-Hermand (devenu Sainte-Hermine).


Emmanuel François, tous droits réservés
Février 2011, modifié en février 2024

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