lundi 2 janvier 2012

De Brayer et la nouvelle église de Saint-André-Goule-d’Oie.

Lettre du curé de Saint-André-Goule-d’Oie à de Brayer en 1875

Le blason du propriétaire de Linières, au moment de la construction de l’église actuelle de la paroisse, Marcel de Brayer, est reproduit sur un des vitraux de l’église. Dans ses papiers personnels (1) nous avons retrouvé une lettre du curé de Saint-André à Amaury-Duval, évoquant ce vitrail. Le comte Marcel de Brayer est alors malade et se trouve, avec son grand-oncle Amaury-Duval, dans sa résidence parisienne, Linières étant sa deuxième résidence. Voici le texte de cette lettre :

                                                                                           « Saint-André-Goule-d’Oie 7 mai 1875
Monsieur,

J’ai appris avec beaucoup de plaisir que la santé de M. le Comte va s’améliorant. Je serais bien content de le voir à Linières, ainsi que vous, Monsieur, afin de causer ensemble des affaires de notre église. Elle s’élève rapidement, nous voici déjà rendus à la naissance des croisées.
Mes paroissiens vont me payer mes vitraux. Je pense que je n’en aurai pas assez à leur offrir. Sur onze croisées qu’il y aura dans la première partie de l’église, neuf m’ont déjà été promises. Il ne m’en reste plus qu’une d’un bas prix, qui sera au-dessus d’une petite porte d’entrée, et une des plus belles que je réserve pour M. le Comte. Elle sera placée dans le transept du côté droit, en entrant dans l’église. En face sera un vitrail de même grandeur qui sera payée par Mme veuve Chaigneau du Coudray (2). Voici le sujet de ce vitrail.
Il représentera Saint André offrant le Saint Sacrifice de la messe, à l’Élévation. Dessous l’autel, les âmes du purgatoire qui attendent leur délivrance par l’offrande de la messe, un peu à côté les vivants prosternés, à cause de l’élévation de l’hostie, implorent la divine miséricorde. Au-dessus, en haut du vitrail, Marie est à genoux devant son fils qu’elle regarde avec amour, d’une main lui montrant l’hostie consacrée, de l’autre empêchant l’ange de la justice divine de frapper les coupables.
Ce vitrail sera auprès de l’autel de la  sainte Vierge. Celui que j’offre à M. le Comte, sera auprès de l’autel de Saint Joseph. Voici le sujet que je désirerais mettre dans ce vitrail.
Vitrail dans l'église de
Saint-André-Goule-d'Oie
La Sainte Famille occupée au travail. Marie assise tient sa quenouille et son fuseau, Joseph auprès de son établi tient sa scie ou son rabot, l’enfant Jésus est au milieu. Il parle et Marie et Joseph écoutent dans le respect et l’admiration. Au-dessus un Père éternel et le Saint Esprit, avec des rayons lumineux qui descendent du Père et du Saint Esprit jusqu’à l’enfant Jésus. Je crois que ce vitrail ferait beaucoup d’effet. Ce serait un tableau parlant et rempli d’instructions.
Au-dessus du vitrail, d’un côté seraient les armes de M. le Comte, de l’autre son nom et celui de sa demeure.
Si M. le Comte pouvait écrire, je suis persuadé qu’il aurait déjà fait connaître ses intentions. J’attendrais bien une complète guérison pour connaître la décision, mais je craindrais que le vitrail ne fût pas prêt à l’époque voulue si on attendait trop tard à le commander. Tous les autres vitraux sont commandés depuis déjà 15 jours. Il faudra qu’ils soient prêts pour la Toussaint.
Si j’osais, je vous prierais, Monsieur, d’avoir l’obligeance d’en dire un mot à M. le Comte, quand vous jugerez le moment convenable, et de m’envoyer le dessin de ses armes, car je ne doute pas qu’il ne veuille avoir son nom et ses armes dans mon église, ce que tout le monde désire.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mon très profond respect.
Martin prêtre. »

On sait que l’église a été inaugurée le 19 août 1877 (3).

La nouvelle église de la paroisse


La reconstruction de l’église s’est inscrite dans une action générale du clergé vendéen au XIXe siècle. Parmi les 300 communes du département, un tiers d’entre elles va procéder à la reconstruction complète de leur église, et un autre tiers va apporter des modifications de restauration importantes. 15 % des chantiers se sont ouverts avant 1848, 25 % des reconstructions se sont entreprises sous le IIe empire. Plus de 50 % des dossiers sont ouverts après 1870. Ces précisions sont données dans un article sur « Les églises en Vendée au XIXe siècle : neutralité et éclectisme » de Marie Paule Halgand (4). Les destructions de la guerre de Vendée et la prospérité apportée par les progrès techniques au cours du XIXe siècle, ainsi que la vitalité de la population, ont favorisé le phénomène. Il faut y ajouter aussi l’action évangélique du clergé, qui fait dire à l’auteure de l’article cité que ces constructions témoignent d’un catholicisme « ostentatoire ».

À Saint-André-Goule-d’Oie, l’ancienne église était devenue insuffisante à cause de l’augmentation de la population (1525 habitants). Elle avait une surface totale de 230 m2, dont 185 m2 seulement pour les fidèles, une fois déduits le chœur, les petits autels et les fonds baptismaux. Sa disposition rendait son agrandissement impossible (5).

Église de Saint-André-Goule-d'Oie
inaugurée en 1877
C’est la fabrique (6) de la paroisse qui a porté le projet entièrement, pour un montant total du devis s’établissant à 75 880 F. L’architecte du département, Victor Clair, en a dessiné les plans, et un nommé Tillot en a dirigé un temps les travaux. Il a réalisé aussi le perron du château de Linières (7). Un emprunt de 10 500 F à 5 % sur 10 ans a été souscrit auprès de Pierre Fonteneau, après autorisation préfectorale du 9 juillet 1874. Une indemnité de secours du ministère de l’intérieur et des cultes a été accordée le 11 février 1874 pour un montant de 10 000 F. Mais on avait demandé 15 594 F. et on manqua d’argent. La construction du clocher fut ajournée pour cette raison, ce qui explique probablement la bénédiction officielle de l’édifice trois ans plus tard que prévu. L’autofinancement de la fabrique représentait 35 % du devis et les souscriptions particulières 30 %. Le conseil municipal n’a pas participé au financement, ayant alors la charge d’un montant de 24 centimes additionnels aux quatre contributions, pour la construction des routes et de l’école des garçons à la même époque (5).

La commission départementale des bâtiments civils, dans sa séance du 16 août 1873, a émis un avis favorable au projet de l’église de Saint-André-Goule-d’Oie et à son style néo-gothique. On lit que « La construction nouvelle est conçue dans le style de la plupart des églises nouvellement érigées dans le département » (8).

Le vitrail de Marcel de Brayer


La portée de la lettre du curé se lit dans le texte même. Il propose au jeune comte de reproduire ses armes et son nom sur un vitrail, pour le remercier en tant que donateur. Et il n’est pas le seul, chacun des vitraux de l’église porte l’inscription de la personne ou de la famille qui l’a financé. Dans le chœur, un des vitraux porte l’inscription : « don des paroissiens », provenant de la quête auprès des moins fortunés. La reproduction des armes du comte de Brayer sur un vitrail n’a donc rien à voir avec une survivance du droit du seigneur haut justicier dans le Bas-Poitou, avant 1789, de faire reproduire ses armoiries dans les églises du ressort de sa justice (9). Il y avait aussi les armes des seigneurs de Linières inscrites dans le chœur de l’ancienne église, mais là aussi, cette inscription relevait d’un droit désormais abolit (10).

On peut voir aujourd’hui, tel que le décrit le curé dans sa lettre, le vitrail dans le transept du côté droit de l’église de Saint-André-Goule-d’Oie. Il représente bien la sainte famille occupée au travail. Dans sa partie basse, on remarque deux blasons.

Blason de Michel de Brayer
À droite celui du général Michel de Brayer (1769-1840). Napoléon l’avait fait baron en 1810, puis comte en 1815 pendant les Cent Jours. Marcel de Brayer est son petit-fils et a porté le titre de vicomte, hérité de son père, mort en 1863. Le titre de comte était porté par le frère aîné de son père, Lucien de Brayer, qui fit une carrière militaire, puis diplomatique en Amérique du sud (consul de France au Paraguay). Le blason représente en bas un renard au-dessus d’un pont à six arches et dans la partie supérieure quatre dessins : un chevron avec trois points, un sabre, un serpent qui se mord la queue et une faucille. En langage héraldique la description est la suivante : « Écartelé : au 1er, de sable au chevron alaisé d'argent accompagné de trois besants du même ; au 2e, des barons militaires ; au 3e, de pourpre au serpent en cercle d'or se mordant la queue ; au 4e, d'azur à la faucille d'argent ; le tout soutenu d'une champagne de gueules chargée d'un pont de huit arches (11) d'argent sommé d'un renard passant du même. »

Blason d'Amilcar de Brayer
Le blason de gauche est celui d’Amilcar de Brayer (1813-1870), le troisième fils du général Michel de Brayer (12). Militaire de carrière lui aussi, il portait le titre de baron. Il devint général en 1864 et fut nommé comte par Napoléon III la même année. Célibataire, il obtint le 3-11-1869, l’autorisation de transmettre son titre nobiliaire à son neveu Marcel de Brayer (13). C’est ce qui advint après sa mort à la tête de ses troupes le 16 août 1870 lors de la bataille de Rézonville (Meurthe-et-Moselle).

Marcel de Brayer a donc fait reproduire sur son vitrail les deux blasons qu’il a portés, en tant que vicomte d’abord (représenté à droite), puis en tant que comte (représenté à gauche). Ce dernier comprend dans sa partie basse un renard au-dessus d’un pont à six arches et dans sa partie haute trois dessins : une fleur, un chevron avec trois points et un serpent qui se mord la queue. Les deux blasons sont surmontés d’une couronne comtale et portent la même devise, choisie par le général Michel de Brayer et reprise par son fils : « Bien aimer, bien servir ».

On ne saurait oublier d’indiquer ici que les titres nobiliaires portés par Marcel de Brayer n’avaient pas d’existence légale stricto sensu. L’usage pour les enfants de Michel de Brayer, de porter le titre de vicomte pour le second fils et de baron pour le troisième fils, et encore plus pour le petit-fils de reprendre le titre de vicomte de son père, devaient être autorisés par ordonnance royale, ce qui n’eut pas lieu ici. Et même l’accord donné par le garde des sceaux pour que le comte Amilcar de Brayer transmettre son titre à son neveu, devait être approuvé par une ordonnance du chef de l’État. Ce qui aurait été impossible, avec l’avènement de la République après 1870. Néanmoins, la pratique du jeune Marcel de Brayer était monnaie courante, on appelait ces titres des titres de courtoisie. Était aussi monnaie courante la pratique de l’ajout de la particule « de » devant son nom, pour faire plus noble, et qui ne se justifiait pas, dans son cas, ni au regard de la législation sur l’état-civil ni au regard des règles habituelles les plus anciennes sur le statut nobiliaire. Sans exagérer dans l'ironie, on peut observer que l’envie de noblesse, chez beaucoup de membres de la « haute société », semble s’être accrue après la nuit du 4 août 1789 qui l’avait abolie.

La lettre du curé est datée du 7 mai 1875, et on y apprend la maladie de Marcel de Brayer, cloué au lit dans sa résidence parisienne, rue d’Athènes. On sait qu’il mourut le 19 juin suivant, d’une grippe mal soignée selon Amaury-Duval, son grand-oncle qui deviendra son héritier.

Ce dernier a donc confirmé au curé de Saint-André-Goule-d’Oie l’accord de son petit-neveu pour reproduire les armes sur le vitrail, mais sans retenir la suggestion du curé de mettre son nom et celui de sa demeure à Linières.

Une dernière remarque sur cette mort prématurée. Elle se situe à la veille d’une importante baisse de la mortalité des adultes et des enfants, due à de nouveaux progrès décisifs de la médecine et à l’amélioration de l’hygiène publique et privée.


(1) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 34, lettre de Martin à Amaury-Duval du 7-5-1875.
(2) Son mari, Jean François Chaigneau, est mort le 15-12-1869 à l’âge de 35 ans. Il était alors maire de Saint-André depuis quelques mois, ayant remplacé Augustin Charpentier en juillet 1869.
(3) Abbé Aillery, Chroniques paroissiales de Saint-André-Goule-d’Oie, (1892) T1, page 280.
(4) Bruno Foucart, Françoise Hamon, L'architecture religieuse au XIXe siècle : entre éclectisme et rationalisme - 2006 - Architecture - 363 pages.
(5) Archives de la Vendée, Saint-André-Goule-d’Oie (1 O art.632).
(6) Patrimoine d’une église administré par un conseil, aussi appelé fabrique.
(7) Lettre de Victor Cesson à L. de la Boutetière du 21-11-1901.
(8) Archives départementales de la Vendée, registre des procès-verbaux de la commission départementale des bâtiments civils : 4 N 61.
(9) Annuaire de la SEV, Les juridictions Bois-Poitevine, (1889).
(10) Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière 150 J/C 17, positions contradictoires sur la dépendance de Saint-André-Goule-d’Oie à Linière et factum de M. du Plessis Clain contre M. La Brandasnière dans un mémoire de 1646.
(11) Le blason original possède huit arches, contrairement à la reproduction sur le vitrail.
(12) C’est par erreur que certaines informations sur internet en font le père de Marcel de Brayer.
(13) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 33, lettre d’Amilcar de Brayer du 6-11-1869.

Emmanuel François, tous droits réservés
Janvier 2012

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