C’est
le 27 avril 1797 que naît Marcellin Benjamin Desfontaines. Sa naissance est
déclarée dans le 4e arrondissement de Paris, où se trouve l’adresse
de sa mère, Marie Marguerite Félicité Duvigier (page 120 de mon livre, Les châtelains de Linières à Saint-André-Goule-d’Oie), épouse
du vicomte Charles de Lespinay et châtelaine de Linière. Le père de l’enfant
n’est pas le mari, mais qui est-ce ?
Le
père déclaré est Denis François Desfontaines et la mère est toujours mariée, à
cette date, au châtelain de Linière parti se battre contre les autorités
révolutionnaires dans les rangs des émigrés à l’étranger, comme la plupart des
nobles du Bas-Poitou.
Les
recherches sur ce père déclaré, menées sur le registre paroissial de Saint-André-Goule-d’Oie, ne donnent pas d’information confirmant son existence. Avant cette année
1797, on trouve des Desfontaines à la Frissonière des Essarts sur le registre
de Saint-André, à la Milonnière et à la Maigrière, mais aucun ne porte les prénoms
de Denis, François.
Dans
mon livre j’écarte l’hypothèse d’un prête-nom et je ne conteste pas la
sincérité des informations inscrites sur cet acte de naissance. Et pourtant, le
coté insolite de la situation peut mettre en doute l’existence de ce père
dénommé Desfontaines. Peu de temps après, en effet, Mme Duvigier (son nom de
jeune fille avec la particule accolée au patronyme) va vivre avec Joseph Guyet,
puis se marier avec lui après avoir divorcé. Mais il paraissait difficile qu’un
juge accepte qu’une mère puisse adopter son fils naturel plus tard, ou alors,
il faut accepter l’idée de la complicité d’un fonctionnaire dans une magouille
sur l’état-civil à cette époque. C’est cette dernière idée que je n’ai pas osé adopter.
Dans
sa thèse de doctorat sur Amaury-Duval, Véronique Noël-Bouton-Rollet, évoque la
famille du peintre et la place importante qu’y a tenue Guyet-Desfontaines, son
beau-frère. Elle aussi a tenté de percer le mystère de la naissance de ce
dernier. Son analyse est différente de la mienne. Elle pense que Desfontaines
est un prête-nom, le vrai père étant naturellement Joseph Guyet.
Sa
réflexion se fonde sur le jugement du juge de paix en 1824, décidant de
l’adoption de Marcellin Desfontaines par M. et Mme Guyet. Il est maintenant
disponible aux Archives de Vendée (1). Le juge s’appuie sur l’état de notoriété
établissant l’impossibilité dans laquelle est l’administration de justifier « du
consentement ou de décès des père et mère », selon les actes reçus du
juge de paix de Fontenay-le-Comte et du juge de paix du 4e
arrondissement de Paris. Qu’on ne retrouve pas trace de Denis François
Desfontaines, rien de surprenant. Cultivateur, selon ce que rappelle le
jugement, en Vendée, où s’est déroulée une guerre civile meurtrière, quoi
d’étonnant ? Mais la mère s’appelait Joséphine Félicité Duverger, elle
aussi disparue ! La disparition des parents naturels étant acquise aux
yeux du juge, il examine ensuite les autres éléments légaux de l’adoption et
prend la décision demandée par les intéressés.
Copie
du jugement d’adoption
Source : Archives départementales de la Vendée |
La
sagacité du juge a-t-elle été prise en défaut, en distinguant la mère naturelle
de la mère adoptive malgré l’apparence ? En effet, l’acte de naissance
désignait la mère ainsi : Joséphine Félicité Duverger ; et la mère
adoptive est désignée ainsi : Marie Marguerite Félicité Duvigier. Plutôt,
il a dû fermer les yeux volontairement. Pourquoi ? S’il y a eu un marché
ou une influence, nous n’en avons pas la trace. Tout au plus, il semble que les
mœurs administratives n’étaient pas aussi rigoureuses que de nos jours. Pour
prendre un exemple constaté par les historiens, rappelons-nous que Talleyrand a
su « magouiller » l’état-civil pour donner une situation à une de ses
filles naturelles, née en 1803 de ses amours avec une femme mariée (Mme Gand),
et alors que lui-même était encore évêque. Il est vrai qu’il était ministre.
Il
ne faut pas non plus négliger une autre explication : le juge a pu
préférer en l’occurrence l’humain au droit. La fausse déclaration de naissance
date de 27 ans en arrière, et accorder l’adoption dans le cas d’une filiation
soupçonnée d’avoir été cachée est, à l’évidence, une prise en compte de la
réalité humaine et de l’intérêt de l’enfant. Ce dernier sera avocat, puis
notaire à Paris, et enfin député de la Vendée et maire de Marly-le-Roi.
Ajoutons
que la copie ci-dessus de l’acte de naissance de Guyet-Desfontaines indique que la mère
déclarée à la naissance habitait au no 40 rue du Four (2). Il s’agissait de la
rue du Four-Saint-Honoré dans le 4e arrondissement division place Vendôme. Alors que Mme
Duvigier (avant Mme de Lespinay) habitait rue Saint-Honoré no 41, suivant son acte
de divorce en 1800, c'est à dire la même adresse. Enfin, l’avocat de M. de
Lespinay, dans sa plaidoirie en cour d’appel pour annuler le divorce, avoue que
des amours de son ex-épouse avec Joseph Guyet est né un enfant. Et l’on sait
qu’il n’y eu pas d’autre naissance ensuite, comme l’ont vérifié les juges de
l’adoption en 1824.
Copie
de l’acte de naissance
|
En retenant l’idée d’une déclaration de naissance avec
un faux nom du père, la vie, pendant la
période révolutionnaire, de Félicité de Lespinay née du Vigier, prend un
éclairage tout simple.
Laissée
seule avec deux bébés à Linières par son mari, parti combattre à l’étranger à
la fin 1791, persécutée par les bleus dès 1792, elle suit en 1793 la cohorte des
réfugiés civils qui se joignent aux combattants vendéens dans la Virée de Galerne.
Elle y retrouve probablement un oncle de son mari, âgé de 65 ans, Louis Gabriel
de Lespinay de Beaumont, puisque celui-ci perdra la vie à Dol en novembre 1793.
Elle échappe aux massacres du Mans en décembre 1793 et est condamnée à la noyade
à Nantes le mois suivant. Elle réussit à échapper à ses bourreaux, et se réfugie on ne sait où. En mars 1795 elle est à Blois, sans qu’on sache
depuis combien de temps et pourquoi. Probablement a-t-elle dû
s’éloigner « à
plus de 20 lieues » du département de la
Vendée, suivant l’arrêté de Hentz et Francastel, deux conventionnels en mission
en Vendée, s’appliquant aux réfugiés, mêmes « patriotes », pour
parfaire la déportation de la population. Le 4 mai elle est à Saint-André-Goule-d’Oie et le
lendemain 5 mai à Nantes, où elle y est encore au mois de juillet suivant (3).
Une
relation personnelle et intime l’unit ensuite avec Joseph Guyet, un jeune
bourgeois fils d’un important fermier et propriétaire foncier et
ancien maître de poste du relais de Saint-Fulgent. Début août 1796 elle
devient enceinte et rachète elle-même Linières, avec l’aide financière de
Joseph Guyet. Sur
ce point, voir notre article publié en janvier 2010 : Le divorce de Lespinay/du Vigier en 1800.
À la
naissance de Marcellin en avril 1797, Joseph Guyet fait une fausse déclaration
sur l’identité du père. Il déforme un peu le patronyme de la mère, ajoutant
une erreur dans ses prénoms. Le couple, illégitime car la dame de
Linières n'était pas encore divorcée, ne voulait pas révéler son existence par
cette naissance. L’époque est connue pour son désordre et une certaine
déliquescence des mœurs politiques, favorisant cette fausse déclaration.
Le
jeune couple élève donc son enfant à Paris, sachant qu’on ne retrouvera pas les
parents déclarés officiellement au moment de la procédure légale d’adoption
le moment venu. Si nécessaire on présente l'enfant comme un petit vendéen
rescapé de la guerre et adopté par le couple (il s'appelle Desfontaines). Les
intimes de la famille savent que ce sont ses vrais parents qui l'élèvent.
En
1800, Charles de Lespinay reparaît officiellement, mais son domaine appartient désormais
à sa femme, qui le revend à Joseph Guyet, un mois avant le prononcé du divorce
par le maire de Chauché, facile et expéditif, en décembre 1800. Félicité
Duvigier et Joseph Guyet se marient civilement en 1804 (4). Charles de
Lespinay, toujours civilement émigré (il ne sera rayé de la liste des émigrés
qu’en 1802), n’a pas droit au chapitre : le divorce est de droit alors au
bénéfice des épouses d’émigrés par simple procédure administrative. Il fera un procès contre ce divorce en 1802,
qu’il perdra jusqu’en Cour de cassation en 1804. Il mourra en 1807. Félicité
perdra ses deux filles Henriette et Pauline, nées de Lespinay. À partir de
1811, Marcellin sera son unique enfant. L’année d’après, Félicité et Joseph
Guyet se marieront à l’église à Paris.
Germaine
de Staël
|
Que
la naissance adultérine ait été cachée en 1797, on n’est pas étonné au regard
des mœurs de l’époque. On peut seulement se demander pourquoi le divorce a été
demandé si tard, presque quatre ans après. Il semble que le jeune couple ait
tenté de trouver un accord tacite sur ce divorce avec l’ex-mari, moyennant une
contrepartie patrimoniale autour du domaine de Linières. Mais le mari a rejeté
tout arrangement, préférant attaquer judiciairement le divorce, perdant tout de
ce fait : son domaine et la garde de sa fille.
Quant
au changement de propriétaire de Linières, c’est une situation bien compliquée
où les points de vue opposés sur l’émigration et la vente des biens nationaux, se
prolongeant dans la guerre civile, relèvent de choix politiques
irréconciliables. Tout au plus, peut-on remarquer que les nouveaux propriétaires
sont devenus par la suite d’indéfectibles défenseurs de la Révolution,
évidemment. Quant aux anciens propriétaires, leur ressentiment a pu durer
longtemps, on ne peut pas s’en étonner. Et le ressentiment n’était pas que
patrimonial à Linières.
Dans
cette situation, la restauration monarchique n’a rien pu faire d’important pour
faire bouger les choses. La conservation des biens acquis nationalement a été
promise par Louis XVIII aux anciens révolutionnaires, comme faisant partie du prix
à payer pour son retour sur le trône en 1814. La politique d’indemnisation
ensuite par l’État des émigrés spoliés, n’a pas suffi à faire oublier les
confiscations révolutionnaires. D’ailleurs, à ce titre, il semble qu’en mai
1829, Félicité Guyet a été reçue au château du Pally à Chantonnay, chez le
marquis Alexis de Lespinay, pour s’y voir remettre sa part des indemnités
versées par l’État en compensation des ventes en bien national des propriétés
de son ex-mari, Charles de Lespinay. En effet, la loi du 27-3-1825, appelée par
ses adversaires le « milliard des émigrés » parce qu’elle limitait
ses indemnisations aux nobles spoliés, avait permis de verser en Vendée 15,2
millions de F. à 321 propriétaires.
(1) Archives
de Vendée, Papiers de famille du général baron de Lespinay (1789-1920), familles
alliées, succession de Guyet-Desfontaines : 44 J 16, acte
d’adoption du 13-7-1824 de Guyet-Desfontaines.
(2)
Fiche Coutot de Paris ancien : naissance de Marcellin Benjamin
Desfontaines le 7 floréal an V. Et reconstitution d’acte d’état civil du 10-02-1872,
acte de naissance de Guyet-Desfontaines du 7 floréal an 5 : Archives privées Fitzhebert
(dossier no 2).
(3) Inventaire des certificats de résidence de Mme
Duvigier entre décembre 1792 et juillet 1795
Archives de la Vienne, dossier de Mme Duvigier : 1
Q 174 no 14.
(4) Le
8 septembre 1804 selon les Archives de Vendée, Papiers de famille du général baron
de Lespinay (1789-1920), familles
alliées, succession de Guyet-Desfontaines : 44 J 16, acte
d’adoption du 13-7-1824. Un autre document donne la date de 1802, mais il
ressort de ce que nous savons de la procédure judiciaire sur le divorce, que
cette dernière date parait douteuse. Et il n’existe pas de fiche Coutot pour
cet acte, qui a probablement eut lieu à Paris.
Emmanuel
François, tous droits réservés
Août
2010, complété en octobre 2018POUR REVENIR AU SOMMAIRE