samedi 1 décembre 2012

Le statut des métayers de Linières de 1800 à 1830

Nous connaissons les activités agricoles, les techniques employées, et les modes de faire valoir des exploitations agricoles dans les métairies de Linières de 1800 à 1830. Quel était alors le statut du fermage, c'est-à-dire les obligations des métayers et des propriétaires entre eux ? Nous ne reviendrons pas sur les deux types de baux en vigueur dans le domaine à cette période, évoqués en septembre 2012, ni comment on a abandonné progressivement le bail à colonage partiaire au profit du bail à prix fixe, déjà prépondérant.

Notre période d’observation est celle de la naissance du code civil de Napoléon en 1804 ; c’est une chance pour faciliter l’analyse. Il consacre pour la première fois en un seul recueil des lois éparses du domaine du droit civil, et pour une part il est l’aboutissement du travail des juristes de l’Ancien Régime, accéléré sous le Directoire. Mais aussi, il porte la marque de la nouvelle ère née de la Révolution française à partir de 1789. Dans le domaine qui nous occupe de la propriété foncière, cette nouvelle ère est le triomphe de la propriété individuelle avec un minimum de contraintes. L’article 544 du code civil indique toujours depuis cette époque : « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements. »

Ce texte marque la fin des privilèges ou servitudes de souveraineté politique dans les espaces privés. La souveraineté politique est désormais l’affaire uniquement de la nation, c’est à dire de l’appareil d’État. On a enlevé les parcelles de souveraineté détenues privativement par la noblesse (justice, commerce, etc.). Mais avec ces privilèges, il y avait des droits parfois (de glanage, de vaine pâture, etc.) au profit des populations, supprimés eux-aussi. La propriété individuelle est devenue libre. Mais dans ce triomphe de la propriété privée et individuelle, quelle place a été laissée à la main d’œuvre paysanne travaillant sur les propriétés d’autrui ?

La description des baux du domaine de Linières nous permet de répondre en grande partie. Les informations qui suivent concernent généralement tant les baux à colonage partiaire que les baux à prix fixe. Et quand ce n’est pas le cas, nous le préciserons.

Les fermages des baux à prix fixe


Dans les années 1820 la valeur médiane des fermages était d’environ 1 000 F par an pour 50 hectares en moyenne. Pour trois d’entre eux ils étaient plus élevés, 1 550 F à la métairie de Bellevue des Essarts, louée dans le même bail que celle de la Touche située à côté (ensemble 80 hectares. À la Roche au Roi de Saint-Fulgent (60 hectares), le prix montait à 1 600 F, et à la Godelinière des Landes-Génusson il était de 2 000 F (une surface importante aussi). Dans notre article publié en juillet 2014, nous avons pu préciser leurs surfaces : La fin du domaine et du château de LinièresOn a dit que les fermages avaient été fixés pour représenter, grosso modo, la moitié de la valeur des récoltes. Pour la plupart des métairies du domaine, qui étaient grandes, ce prix était bien inférieur à la moitié selon nos calculs.

Autant les prix de fermage nous paraissent presque stables dans les années 1820 sur un échantillon important de métairies, autant leur comparaison avec la période 1800-1810 est difficile à faire. Pour cette dernière nous n’avons que trois valeurs. Leurs montants pour les trois métairies concernées à sensiblement augmenté. Ainsi la métairie du bourg de Saint-André-Goule-d’Oie avait un fermage de 380 F en 1810, qui est monté à 600 F en 1824. De même le fermage de la métairie de la Roche au Roi est monté de 1200 F en 1807 à 1600 F en 1830. Celui de la métairie de la Gagnolière est monté de 700 F en 1803 à 950 F en 1821. Or il ressort de l’étude de P. Bossis, "Recherches sur la propriété nobiliaire en pays vendéen avant et après la Révolution" (1), que les montants des trois fermages que nous venons d’indiquer pour la période 1800 à 1810, sont en cohérence avec ceux du marché local de l’époque. En conséquence, on peut en déduire que les prix de fermage ont sensiblement augmenté à la fin des années 1810, pour se stabiliser ensuite. Est-ce un effet de rattrapage après la période de reconstruction postérieure à la guerre de Vendée ? Est-ce une pression du propriétaire qui changeait ses métayers souvent ? Nous n’avons pas d’éléments pour répondre.

Les paiements s’effectuaient, suivant l’usage, à terme échu annuel à la Saint Georges (23 avril). Dans deux cas seulement le paiement s’est effectué en deux échéances le 23 septembre (ou 1e novembre), et le 23 avril.

Le terme était payable « au château de Linière, commune de Chauché ou à tel endroit qu’il (le bailleur) lui plairait indiquer dans un rayon de 2 myriamètres et demi (5 lieues) autour de ladite métairie de la Fontaine. » (1826). Les distances indiquées ici équivalaient à 20 kms, le maximum rencontré, correspondant là aussi à l’usage en vigueur sous l’Ancien Régime.

Joseph Guyet n’était pas homme de lois pour rien, qui plus est chef au service contentieux de ministère des Finances. Il exigeait parfois des garanties à ses métayers. Elle pouvait être le plus souvent un rappel de la législation (article 1766 du code civil), comme aux Noues en 1824 et 1828 : « les fermiers seront tenus de garnir ladite métairie de bestiaux et d’instruments aratoires en quantité suffisante pour son exploitation et pour la garantie du prix de ferme et accessoires. » On a relevé une exigence plus concrète à Villeneuve en 1825 : le métayer « garnira la borderie de deux bœufs, deux vaches et deux noges (veaux d’un an) au moins pendant tout le cours du bail pour répondre du prix de ferme. »

Certaines garanties allaient bien au-delà, comme d’exiger des cautions ou des hypothèques. C’est le cas aux Noues en 1804, peut-être à cause du statut des deux métayers, deux jeunes frères Herbreteau. « Le citoyen Herbreteau père est caution pour ses deux fils contractants ». Il en est de même à la Mauvelonnière en 1828 où les métayers « donneront toutes hypothèques sur leurs immeubles, dont ils donneront le détail si M. Guyet fait enregistrer les présentes ». Est-ce parce que c’étaient deux femmes qui exploitaient ? En 1829 à la Roche au Roi (Saint-Fulgent), « les preneurs donneront hypothèque sur tous leurs biens. »

Autrement nous avons le cas de la grande métairie de la Godelinière (Landes-Génusson) en 1821, où les métayers sont deux frères et un beau-frère. Ils sont représentés par leur frère aîné qui se porte « caution solidaire de l’exécution du bail », « hypothéquant spécialement à ladite garantie tous les immeubles qui appartiennent tant à lui qu’à sa dite femme ». Il s’agissait d’une métairie de 30 ha à Saint-Aubin-des-Ormeaux. En 1825 les métayers ont changé et les nouveaux garantissent les « paiements du dit fermage à la sûreté duquel les preneurs hypothèquent une petite borderie sise au village des Petites Fontaines, susdite commune de la Bruffière, consistant en pré et terres labourables sans réserve, et qu’ils déclarent franche et libre de toute autre hypothèque. »

En 1823 le bail concernant ensemble les deux métairies de la Touche et Bellevue (Essarts) décrit l’hypothèque apportée par les métayers, comprenant une borderie située à Sainte-Cécile, et d’autres pièces de terre. Il s’agissait, en plus de l’exécution du bail, dans ce cas particulier de garantir le paiement à J. Guyet d’une somme de 1730 F. « qu’il leur a avancée pour peupler et garnir lesdites métairies ; laquelle somme ils s’obligent conjointement, solidairement, de payer au dit sieur Guyet en cinq paiements égaux d’année en année pendant le cours du bail, dont le premier aura lieu le 23 avril prochain ». On voit ici J. Guyet faire le banquier, alors qu’il n’existait pas de banque dans les campagnes.

La Godelinière (Landes Genusson)
Qu’était-il prévu en cas de retard de paiement ? La loi prévoyait la résiliation du bail comme sanction de sa non-exécution. Cette résiliation nécessitait un préavis motivé au métayer dans un délai de quinze jours (24 heures avant 1823), mais sans formalité judiciaire ; elle était de droit. Douze clauses abordent la question de la garantie de paiement sur les trente-deux baux étudiés, et on retrouve ce dispositif légal dans une clause concernant la Godelinière en 1825, par exemple : « Le dit sieur bailleur se réserve très expressément ici de faire résilier le bail à défaut du paiement du prix de ferme ci-dessus fixé, à l’époque et de la manière susdite par une simple notification de sa volonté à cet égard, et sans qu’il soit besoin de recourir aux tribunaux pour faire prononcer cette résiliation. »

Moyennant quoi certains baux de Joseph Guyet pouvaient prévoir des dispositifs plus pratiques et plus souples, mais toujours à l’abri d’une législation redoutablement efficace au bénéfice des propriétaires. D’abord il acceptait le cumul du retard jusqu’à deux ans avant de notifier une résiliation. Comment ne pas prendre en compte, en effet, les calamités météorologiques dans certains cas ? Ensuite il pouvait choisir, pour expulser, d’attendre la Saint-Georges prochaine ou, à son choix « celle qui arrivera un an après celle qui suivrait immédiatement la sommation, et ce sans aucun autre acte ou sommation, et à quelque époque de l’année que soit faite ladite sommation de payer. » (Bail de la Fontaine, 1829).

Ces garanties du code civil paraissent bien favorables au propriétaire, cependant elles sont moins radicales que celles en vigueur sous l’Ancien Régime. C’était alors la prison qui menaçait le preneur défaillant. Avec le notaire de Saint-Fulgent rédigeant les baux, le preneur s’obligeait « même par corps à tenir [demeurer] prison close, comme pour deniers royaux, attendu qu’il s’agit de ferme de biens de campagne » (2). La prison, ou prise de corps, n'était pas une sanction en punition d'un délit ou d'un crime, mais une façon d'obliger une personne à payer ses dettes, à la requête de son créancier. En fournissant des gages, le débiteur pouvait sortir de prison.  

 Les menus suffrages


Appelés parfois les faisances, les menus suffrages étaient une petite redevance en nature en sus du prix principal du bail. Ils étaient dus tant dans le bail à colonage partiaire que dans le bail à prix fixe. Ils se pratiquaient aussi pour le bail des moulins à vent et à eau. L’expression était aussi employée sous l’Ancien Régime pour désigner les menus profits attachés à une charge (emploi public).

Dans les baux de Linières, mais aussi ailleurs dans la région avant la Révolution, ces redevances en nature concernaient le plus souvent le beurre, la volaille, le cochon et les ruches d’abeille, parfois la production de lin. Tout se passe comme si le métayer devait payer, sous une forme forfaitaire et commode, le droit de garder le lait des vaches pour lui, d’élever de la volaille, des cochons et des abeilles pour son usage personnel. Si le propriétaire pouvait faire preuve d’imagination, voire de fantaisie en ce domaine, Joseph Guyet s’est contenté de suivre la tradition locale.

À partir de 1825 certains baux indiquaient, mais dans trois cas seulement, les valeurs de ces faisances pour un certain montant (10 F ou 40 F), pour la déclaration à l’enregistrement seulement.

Sur les trente-deux baux étudiés dans la période, il faut en éliminer un qui ne concerne qu’un défrichement de taillis. Ensuite quatre d’entre eux ne comportent pas de clause de menus suffrages. Ni les dates ni les quatre métairies concernées ne fournissent un indice d’explication à cette absence. Examinons pour les vingt-sept baux concernés en quoi consistait les menus suffrages.



La fourniture de beurre revient dans vingt-trois baux pour des quantités annuelles allant de 10 à 30 livres (5 à 15 kg), généralement livrables au mois de mai au propriétaire. Visiblement cette quantité varie avec le nombre de vaches sur la métairie. On a l’exemple de celle des Noues (Saint-André-Goule-d’Oie) en 1807 où il est indiqué : « Donneront les dits bailleurs pour menus suffrages au bailleur par chaque un an, 25 livres de beurre net et même 30 livres dans les années où ils auront 5 vaches ». On passage on voit le nombre réduit de vaches dans une métairie importante à cette date. Parfois, l’option est laissée au bailleur de se faire payer en monnaie plutôt que de se faire donner les produits. Cela nous donne des prix du kilo de beurre variant semble-t-il plus en fonction de l’interlocuteur que du prix du marché.

Dans dix-huit cas on donne des poulets à la Saint-Jean, dont le nombre varie de 4 à 12 par année, fonction aussi de l’importance des autres menus suffrages. Il en est de même des chapons de Noël dans dix-sept cas, dont le nombre varie de 4 à 6. Dans trois cas seulement sont évoqués les élevages d’oie, dont le produit est partagé à moitié. Peut-être faut-il rapprocher ce constat des baux à colonage partiaire, les seuls concernés dans ces trois cas. Il faut indiquer que la fiente des oies est un herbicide tenace, sans doute peu prisée pour la sauvegarde de la végétation dans les prés et les champs.

Le droit de cochon, c'est-à-dire celui d’élever un ou des cochons, était limité en nombre par le propriétaire, qui prélevait à titre de menus suffrages une somme d’argent. Dans les métairies de Linières on rencontre ce droit six fois dans notre échantillon de baux, et le propriétaire réclamait une somme, le plus souvent de 18 F par an à ce titre.






Vingt fois est mentionné le produit des ruches d’abeilles, soit qu’elles existent sur la métairie, soit que si elles venaient à exister, le métayer doit donner au propriétaire, quel que soit le type de bail là aussi, le produit des ruches, soit le miel et la cire en entier (une fois), soit la cire à moitié (cas le plus fréquent). Cela veut dire que le métayer gardait le miel généralement et donnait la moitié de la cire au propriétaire. Elle servait à fabriquer des bougies, d’un standing bien meilleur que celles fabriquées avec du suif. Ainsi à la Morelière (Chauché) en 1830 : « ils (preneurs) donneront au bailleur, outre le prix de ferme ci-après fixé, toute la cire que donneront les abeilles s’il y en a sur la métairie, laquelle sera fondue et mise à l’état de cire jaune et pain suivant l’usage, laquelle charge est évaluée 3 francs par an pour l’enregistrement seulement ». À la Roche au Roi (Saint-Fulgent) en 1829, Joseph Guyet, qui ne devait pas avoir « l’œil dans sa poche » écrit cette clause : « le bailleur aura, chaque année, la moitié du produit des abeilles qui seront sur la métairie, lesquelles sont recommandées en dépendre. » Il n’était donc pas question d’installer les ruches chez le voisin pour échapper à la charge.

À la métairie de la Touche (Essarts) en 1809, il est prévu que les preneurs « donneront leur lin après qu’il aura été suffisamment rouit ». C’est la seule fois où le propriétaire prend tout. Dans les neuf autres cas rencontrés pour le lin, il prélève à titre de menus suffrages de 3 à 6 livres (1,5 à 3 kg) de « beau fil de lin », souvent à l’option du bailleur remplaçant cette livraison en nature par l’équivalent en argent. Le prix au kg est de 3 F. Mais à la Godelinière (Landes-Genusson) en 1821, on précise de livrer « 8 livres de beau fil de lin de Châlonne ou à l’option de M. Guyet la somme de 40 F. » Ce lin provenant du Maine-et-Loire avait une qualité réputée, dont les prix tenaient compte à 10 F/kg.

On remarque que dans l’ensemble la somme des menus suffrages, variables d’un bail à l’autre, représentait un « menu » montant. Là où on forçait sur le lin et les ruches, on demandait moins en volailles par exemple. Deux fois on sort de l’ordinaire du « menu » habituel si l’on peut dire. Ainsi à la Mauvelonnière (Chauché) en 1828 il est prévu de livrer chaque année « 1800 pesants de bonne paille ». À la Grande Roussière en 1822, ce sont « 750 kg paille et 50 fagots de bois » que les métayers doivent livrer chaque année.

La règle était que le métayer devait porter ces produits à Linières, ou « pareille distance » ou « dans d’autres lieux indiqués » ou « dans un rayon de 5 lieues ». Ils étaient « rendables » suivant le mot des juristes.

Avec autant de métairies, ces petites quantités devaient fournir un flux tout à fait important de marchandises. Une quinzaine de métairies livrant 10 kg de beurre au mois de mai, 4 chapons à Noël, 6 poules à la Pentecôte, cela dépassait la consommation courante d’un régisseur, le propriétaire habitant Paris. Linières devait approvisionner les marchés des villes comme Montaigu, voire plus loin.

Les corvées et mandées


Enluminure : La corvée
Les corvées de l’Ancien Régime sont bien connues des livres scolaires, où elles sont décrites comme une de ses caractéristiques, et auxquelles on mit fin dans la célèbre nuit du 4 août 1789. Et pourtant, dans un bail de la Morelière de 1907, on lit : « Ils (preneurs) devront faire tous les charrues, corvées et mandées du bailleur avec hommes, bœufs et charrettes, à première réquisition et sans indemnités ». On se croirait en plein Moyen Âge en ce début du 20e siècle ! Mais ce que ne dit pas le texte du bail, c’est que cette formule recopiée par les notaires depuis des siècles, était encadré dans la pratique par les usages, tant sur le nombre de corvées que sur la distance à parcourir. Dans son édition de 1897, on peut lire dans un livre sur les usages locaux du canton de Saint-Fulgent (3), que ces corvées ne sont pas dues par le titulaire du bail à prix fixe. Ils sont dus en revanche par le titulaire du bail à colonage partiaire ou à métayage pour deux journées maximum par an, aller et retour, et à la condition pour le propriétaire de payer la nourriture des hommes.

Nous ne connaissons pas le régime fixé par la coutume à l’époque de Joseph Guyet. D’abord cette obligation concernait alors tous les fermiers, quel que soit le type de bail. Et on peut supposer qu’elle était plus contraignante qu’en 1907. Mais, là aussi, l’usage fixait des limites qui n’apparaissent pas dans les clauses des baux. En remontant dans le temps, nous savons que le nouveau coutumier du Poitou limitait les corvées à 12 jours par an, et 3 par saisons, à partir de l’époque de la Renaissance, pour ces corvées appelées aussi bians et exigibles à volonté. À la fin de l’Ancien Régime, le bailleur s’engageait à nourrir les personnes chargées des charrois, quand celles-ci étaient arrivées en sa demeure. Et les charrois non demandés pour une année, ne pouvaient pas être reportés l’année suivante. De plus, le déplacement était limité habituellement à une distance ne dépassant pas trois lieux à la ronde, c'est-à-dire 12 kms (4). Dans certains baux on a vu que les corvées pouvaient constituer un des rares objets de négociations lors de la négociation des baux. 

Mais il ne faut pas confondre ces corvées des métayers et fermiers avec les corvées féodales. Elles ne sont pas de même nature. Les corvées féodales étaient dues au seigneur à raison de sa souveraineté politique privée. On sait qu’avant 1789 ce dernier disposait personnellement de droits et d’obligations qui ont été supprimées définitivement (Ex. : droit de gué), ou qui sont passées dans le domaine public, comme par exemple le péage d’un pont ou d’un chemin, associé aux corvées pour l’entretien de l’ouvrage. Ces corvées féodales ont bien été supprimées par la Révolution, quitte à les ressusciter dans le cas de l’entretien des routes ensuite, mais alors dans une forme moderne de contribution en nature, adaptée à la société de l’époque, c'est-à-dire égale pour tous.

Poitevinière : moulin à eau
Les corvées dues aux propriétaires d’exploitations agricoles (parmi eux il n’y avait pas que des nobles), encadrées par la coutume pour éviter les abus, ont été formulées dans les baux de la même manière avant la Révolution et après. Elles constituaient un des éléments du mode de relation entre propriétaires fonciers et métayers dans une relation contractuelle de droit civil. Les notaires en reproduisaient la formule, y compris dans les fermes de moulins à vent et à eau. Nous en avons un exemple pour les moulins de la Poitevinière de Saint-Georges-de-Montaigu, alors que le propriétaire, le seigneur de Montaudouin, habitait son château de la Rabatelière, à plus de 10 kms, ou son hôtel de Nantes (5). C’était un travail gratuit au bénéfice personnel du propriétaire, en sus de l’obligation d’aller chercher les chaumes pour l’entretien des couvertures des bâtiments, et les transports des matériaux de réparation des bâtiments. Ces corvées et mandées concernaient tant les hommes que les femmes. Cela n’enlève rien, néanmoins, au poids des charrois répétés pour les métayers, dont la persistance dans le temps s’est renforcée en archaïsme au fur et à mesure que la charge s’allégeait.

La mandée se rapportait à l’ordre de venir chez le propriétaire suivant certaines faisances (moments de faire les choses), par exemple pour demander aux femmes de venir faire la lessive de Pâques. Dans certains textes des baux on utilise le mot de semonce à la place, sans aucun égard pour les âmes sensibles des siècles à venir ! La clause habituelle était la suivante : « Les preneurs s’engagent à faire, à la réquisition de M. Guyet, toutes corvées et mandées avec hommes, chevaux, bœufs, charrues, charrettes et autres instruments aratoires, et ce sans indemnités. »

Les entretiens locatifs et l’entretien des toitures


Au terme de l’article 1731 du code civil : « S’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. » On faisait néanmoins des visites des lieux, bâtiments et champs, au changement des fermiers. Pour les bâtiments, on vérifiait l’état des portes et fenêtres (fermetures, carreaux, gonds, vitres, etc.), de la cheminée, des enduits éventuels sur les murs, du sol (même en terre battue il devait être plat), du four et de l’évier, et bien sûr l’état des couvertures de la toiture. Celle-ci était encore parfois en chaume et nécessitait un entretien régulier.

Au regard de la législation une simple clause de son rappel aurait suffi, comme celle écrite par le notaire de Chavagnes pour le bail le plus ancien en 1800 concernant la Gagnolière (Essarts) : « Seront tenus les preneurs aux réparations locatives comme les fermiers sont tenus, les matériaux étant fournis par la bailleresse à l’endroit qui leur sera indiqué. »

Et pourtant, presque tous les baux insistent sur l’entretien du chaume de la toiture en particulier. La clause usuelle était celle-ci : « Seront aussi tenus lesdits preneurs à ferme de faire faire les recouvertures des bâtiments et logements d’icelle (de cette) métairie suivant l’usage et coutume du pays et toutes les fois que sera nécessaire, étant fournis de matériaux nécessaires qu’ils iront chercher dans les lieux qui leur seront indiqués. » (Morelière, 1806). Parfois on précise que ce travail devra être fait à l’expiration du bail, ou une fois pendant le cours du bail, ou « toutes les fois qu’il sera nécessaire et notamment à la fin du bail », ou encore « toutes les fois qu’ils en auront besoin et tous les 3 ans au moins ». En 1823 aux Noues, le bail introduit une précision : « les preneurs à ferme entretiendront les bâtiments de couverture et la feront refaire. » On est en droit de s’interroger sur la différence à faire entre un simple entretien du chaume avec son remplacement partiel en tant que de besoin, et son remplacement intégral. Sur les maisons du marais breton, les couvertures en chaume tiennent longtemps de nos jours et ne nécessitent pas un tel soin aussi fréquent, comme dans les baux de Joseph Guyet. La différence des matériaux et des techniques utilisées en est probablement l’explication. Nos recherches ne nous ont pas permis d’en savoir davantage. En particulier, qu’elle était la plante utilisée dans la région, et d’où provenaient ces matériaux qu’il fallait aller chercher là où le bailleur l’indiquait ? D’après l’Encyclopédie de d’Alembert, la paille de seigle était couramment utilisée. Néanmoins, il n’est pas sûr que le « chaume » ait encore été utilisé au début du 19e siècle dans toutes les métairies de Linières. Nous savons qu’un siècle plus tôt, les métairies du seigneur de la Rabatelière (Roche Mauvin, Racinauzière, etc.) avaient au moins une partie des toits de leurs bâtiments couverts en tuiles. Et on sait la force de l’habitude dans les études notariales, pour continuer à utiliser les mêmes formules de baux.
Dans quelques cas on en profite pour ajouter que les preneurs « souffriront [qu’il soit fait] sans indemnité les grosses réparations ». 

Néanmoins il fallut envisager de nouvelles constructions pour remplacer les anciennes. Ce fut le cas à la Gagnolière des Essarts où le bail en envisage le projet en 1822 et en 1826. Le preneur s’oblige « de supporter les constructions que le bailleur serait dans le cas de faire dans le cours du bail. » En 1822 « le propriétaire, dans la dernière année du bail aura droit de faire construire ce que, et où bon lui semblera, sur les dépendances de ladite métairie de la dite Grande Roussière. » Et « les preneurs feront les charrois que nécessiteront lesdites constructions si elles ont lieu ». En 1826 c’est sur la métairie de Bellevue (les Essarts) qu’un autre projet de construction est envisagé.

S’agissant des chemins de servitude (les ruages) de la métairie, leur entretien devait être assuré par les métayers suivant l’usage. Une seule clause le précise à la Roche au Roi de Saint-Fulgent en 1815 : « Ils (preneurs) tiendront les chemins de servitude de ladite métairie en bon état. » Mais à la Morelière en 1830, le bailleur a dû rappeler aux preneurs qu’ils devront « relever en terre et pierres le ruage de la métairie de manière à ce que les eaux grasses n’y séjournent pas et qu’elles puissent s’écouler. »

Les fosses, appelées aussi réservoirs, devaient être curées tous les cinq ans, de même que les lavoirs. On voit dans la visite de la métairie de la Roche au Roi du 10-5-1824, une remarque faite sur ce point dans le procès-verbal des experts : « la fosse de la Doué de la Roche en mauvais état pleine de boue ».

L’impôt foncier


           Marinus Van Reymerswaele : 
     Le receveur et son assistant
L’impôt foncier, par nature assis sur le patrimoine, était payé par les métayers et non par les propriétaires au temps de Joseph Guyet. Il avait été créé par la loi du 23 novembre 1790. Il remplaçait « les cens, charges et devoirs seigneuriaux et féodaux dus et accoutumés être » de l’Ancien Régime. Ce mot de devoirs, comme celui de charges, désignait les différentes taxes et assimilées (terrage, etc.) dues au seigneur pour un domaine particulier.

L’abolition sans indemnités de ces taxes seigneuriales avait bénéficié aux bourgeois propriétaires fonciers et aux paysans qui vivaient de l’exploitation de leurs propres terres (6). De même pour les anciennes dîmes. « Le véritable bénéficiaire de la suppression de la dîme ne fut pas presque toujours le cultivateur, mais le propriétaire du sol. La Constituante décide en effet le 1e décembre 1790 que les propriétaires seraient fondés à ajouter le montant de l’ancienne dîme aux loyers » (7). On sait que la « pilule » n’est pas passée toute seule dans certaines régions françaises, mais nous n’avons pas d’échos concernant la région de Chauché. Les notaires, dans cette période difficile, sont restés légalistes évidemment dans la rédaction des clauses. On a l’exemple de Frappier, le notaire de Saint-Fulgent, qui dans un bail du 27 mars 1791 concernant la métairie de la Maison Neuve (Les Herbiers), indique que le prix du fermage est sans diminution des « cens, rentes et charges et devoirs ci-devant seigneuriaux et féodaux », s’ils sont dus, précise-t-il, et « sans approuver aucun » (8). Ces dernières précisions étaient courantes sous la plume des notaires, mais bienvenues dans le cas présent, où le propriétaire était le marchand Louis Merlet de Saint-Fulgent, professant des opinions favorables à la Révolution. Et le notaire de continuer à écrire que les preneurs paieront la taille au prorata des terres taxées à ce titre, et « suivant qu’il est ou sera réglé par les décrets de l’Assemblée Nationale ».

Malheureusement ce n’est pas dans les baux qu’on pourra connaître les montants des impôts et apprécier leur poids dans les revenus, une question pourtant essentielle en ce domaine. De toute façon, il n’y avait pas que l’impôt foncier, le seul concerné ici, qui avait été transformé par la Révolution. La présente étude est loin de résumer la question des charges fiscales avant et après la Révolution. D’autres de nos recherches paraissent montrer néanmoins l’importance plus grande des anciennes charges féodales, à cause du droit de terrage surtout, par rapport aux nouveaux impôts fonciers supportés par les paysans.

Tous les baux étudiés, sauf le premier en 1800 concernant la Gagnolière, traitent de la question, et dans un style insistant. C’est la forme qui est ici intéressante, reflétant sans doute les soucis causés par le remplacement des taxes féodales par de nouvelles contributions. Sont concernées par l’impôt à payer sur la métairie et ses dépendances, « toutes les impositions et contributions ». Mais cela pourrait ne pas suffire, d’autres précisions sont ajoutées au gré des précautions des rédacteurs de baux pour le compte du propriétaire. Voici celles que nous avons relevées :

-        « sous quelques dénominations qu’elles puissent être et à quelles sommes elles puissent se monter »
-        « foncières et autres, de quelques façons qu’elles puissent être »
-        « ordinaires et extraordinaires, mis ou à mettre sur la métairie affermée, pour quelque cause et objet que ce soit »
-        « sans répétition (redemander) contre M. Guyet et sans diminution du prix de ferme ci-après. »
-        « payés et acquittés en entier, au lieu et place du bailleur »
-        « en vertu de quelque loi et autorité qu’ils soient établis, de façon que le propriétaire ne soit aucunement inquiété ni recherché à ce sujet, à peine de dommages, intérêts et dépens. »

De plus, on s’engageait à en donner quittance au bailleur chaque année, de droit ou s’il l’exigeait. 
Si nécessaire, en cas de bois ou prés réservés par le propriétaire dans la métairie, on précisait qu’il fallait aussi payer l’impôt correspondant à cette réserve.

Dans le même esprit, les fermiers payaient les frais d’enregistrement et de notaires des baux, rédigés sur papiers timbrés.

Les cas fortuits et de force majeure


Il s’agit là d’un sujet tout à fait important dans l’activité agricole, compte tenu des aléas climatiques et des maladies du bétail. Les dispositions de la loi sur les cas fortuits étaient peu adaptées aux calamités agricoles. Par contre des dispositions concernaient le bétail.

Les conséquences de la maladie fortuite du bétail étaient à la charge du fermier si le bailleur pouvait prouver une faute à son encontre. Sinon on partageait la perte à moitié dans les baux à colonage partiaire et les baux à cheptel de fer. Mais si la perte du bétail était totale, seul le bailleur supportait la perte. Dans ce cas, le preneur devait néanmoins « rendre compte des peaux de bêtes ». Mais on pouvait, par clauses insérées dans les baux, faire supporter la totalité de la perte au métayer, même par cas fortuit et sans sa faute, ce que fit Joseph Guyet.

En matière de force majeure le code civil prévoyait en son article 1730 que s’il avait été fait un état des lieux entre le bailleur et le preneur, celui-ci devait rendre la chose louée suivant cet état, excepté ce qui avait péri ou avait été dégradé par vétusté ou force majeure. Cela concernait en pratique les bâtiments, mais laissait une fois de plus en dehors du droit les calamités agricoles. Soyons clair, l’époque n’imaginait pas d’intervention humaine pour réparer ou atténuer les conséquences des faits de la nature sur l’activité elle-même. Un propriétaire comme Joseph Guyet non plus, nous allons le voir.

Les baux à colonage partiaire partageaient de droit par moitié les pertes et les gains entre le propriétaire et le métayer, et ceux de Joseph Guyet n’abordaient même pas ce point. En revanche il était traité dans presque tous les baux à prix fixe, puisque la loi en laissait la possibilité. La clause indiquait : « Les cas fortuits et de force majeure prévus ou imprévus, même ceux dits extraordinaires, seront à la charge des fermiers qui renoncent à s’en prévaloir pour obtenir une indemnité ou diminution quelconque. » Cette position de principe très dure ne devait pas l’empêcher, peut-être, de se montrer compréhensif en cas de difficultés financières de ses métayers après une calamité. Mais au moins il était libre dans sa position et son appréciation de la situation. Là aussi, comme pour l’impôt foncier, on relève des nuances sans réelle importance dans la rédaction de la clause, fonction de la recherche de perfection des rédacteurs pour mettre le bailleur à l’abri de toute adversité procédurière.

Cette vision juridique, pas toujours réaliste, était plus facilement envisageable pour un propriétaire habitant Paris, par ailleurs homme de lois, et ayant fait de la gestion du contentieux judiciaire son métier. S’il avait résidé à Linières, il aurait partagé, sauf personnalité blindée à toute épreuve, avec ses métayers, les soucis résultant des calamités dans une proximité humaine plus embarrassante pour la défense de ses intérêts.

La durée des baux


Dans leur très grande majorité les baux signés étaient prévus pour une durée de cinq ans. Une minorité l’était pour trois ans ou pour sept ans. Les règles d’assolement de l’époque pouvaient inciter à des durées de trois, six ou neuf ans. Le fait que les arbres têtard avaient un cycle d’émondage de cinq ans ne nous parait pas inciter à retenir cette durée pour expliquer ce choix. Les « gis » devaient avoir tous les âges ne dépassant pas six ans au moment du changement éventuel du métayer tout simplement. Nous n’avancerons pas, en conséquence, d’explications à la durée favorite de Joseph Guyet. D’autant que son père avant la Révolution semblait préférer les baux de sept ans.

Tous les baux commençaient et finissaient, sans exception, à la Saint-Georges (23 avril). Il s’agissait d’un usage incontournable dans la région, déjà existant avant la Révolution. On sait que cette date diffère de celle du 29 septembre en vigueur dans la Gâtine poitevine, qui était la Saint-Michel. En arrivant à la Saint-Georges, le fermier entrant semait son fourrage et certaines céréales, mais il attendait le mois d’octobre suivant pour semer son blé froment. Et l’année de son départ à la Saint-Georges il devait revenir l’été suivant pour le récolter. Sauf défrichements, il commençait ses labours en avril, préparatoires à ses semailles de seigle en septembre et de blé en octobre. Petit inconvénient financier : il payait son dernier fermage en partant, avant la récolte de blé du mois de juillet suivant. En arrivant à la Saint-Michel le fermier entrant semait son blé tout de suite en octobre, qu’il récoltait avant de partir l’année de son départ. Mais pour le seigle, semé en septembre, il devait venir le récolter l’été d’après son départ.

Des différences dans les règles d’assolement, liées au type de culture, ont sans doute existé entre les deux régions de la Saint-Georges et de la Saint-Michel. Si ce sont ces différences qui justifient le choix différent de ces deux dates de départ des baux, nous ne les avons pas repérées. Une autre explication est peut-être à rechercher en dehors de ces considérations techniques, dans le champ plus culturel des fêtes en vigueur dans les pays de Saint-Michel et de Saint-Georges .

Dans les baux à prix fixe, où le métayer était libre de son exploitation, il fallait prévoir des dispositions pour s’adapter aux inconvénients résultant de la date du changement, dans les deux cas de la Saint-Georges ou de la Saint-Michel. S’agissant des changements à la Saint-Georges les baux de Linières rappelaient les usages en vigueur dans la région dans le cadre des dispositions générales de la loi. Le métayer sortant devait, dès le 1e février, laisser la moitié des prés hors de tout pacage, pour laisser une herbe à couper à son successeur dès son entrée. En temps normal il aurait en effet commencé à faire pacager par son bétail au moins une partie des prés avant la Saint-Georges. De même il devait laisser une surface minimale de terre en guéret sans être pacagé, conformément à la coutume, c'est-à-dire libre pour tout ensemencement. Le fermier sortant devait aussi laisser à son successeur une quantité fixée de paille et de foin, généralement celle qu’il avait trouvée lui-même à son arrivée. Cette quantité variait de un millier (une demi-tonne) à deux milliers.

Si le bail était écrit, il cessait de plein droit à l’expiration du terme fixé, sans qu’il soit nécessaire de donner congé. S’il était verbal, il ne cessait qu’après la signification d’un congé.

Cette durée du bail pouvait être réduite en cas de vente de la métairie. Deux fois, Joseph Guyet a envisagé cette possibilité dans un bail. En 1829 à la Roche au Roi et en 1826 à Bellevue. Dans ce cas il a repris le dispositif de la loi : « Il est également convenu que dans le cas où M. Guyet viendrait à vendre les objets compris dans la présente ferme, la faculté de résilier est réservée, mais sous la condition que le fermier recevra à titre d’indemnité une somme égale au quart des fermages qui seraient dus pour le terme du bail qui resterait à courir, la faculté de résilier ne pouvant dans ce cas s’exercer qu’en prévenant le fermier au moins 18 mois d’avance. »

Remarquons que la sortie avant la fin du métayer n’était pas évoquée, confirmant l’impression d’une législation et d’une pratique des baux au service de la propriété.

Enfin, par quatre fois, une clause de reconduction tacite prévoit que dans ce cas le bail ne serait reconduit que pour une année reconductible et qu’il pourrait être mis fin au bail après préavis d’un an signifié à l’autre partie. Compte tenu de la fin automatique des baux écrits, on ne comprend pas l’intérêt de la clause. Il est vrai que les cas se rencontraient puisqu’un certain nombre de baux étaient parfois conclus après la date officielle d’entrée à la fête de Saint-Georges. On couchait par écrit avec retard ce qui avait été verbalement convenu.

Les changements de métayers


Ce qui frappe dans l’analyse des baux est la précarité des métayers, leur changement était fréquent. Sur onze métairies étudiées, deux seulement gardent les mêmes métayers pendant 11 et 16 ans. Cinq d’entre elles les gardent en moyenne de 8 à 10 ans, et quatre les gardent de 6 à 7 ans.

En 1844, de La Fontenelle de Vaudoré explique que le fermage était élevé dans le bocage à cause de la concurrence entre fermiers, qui étaient nombreux. L’examen attentif des rares informations qu’on peut recueillir sur les métayers précédents, lors de la conclusion des baux, ne permet pas d’argumenter dans ce sens pour le domaine de Linières entre 1800 et 1830, sauf pour la hausse sensible du montant des fermages à la fin des années 1810.

Au lendemain de la guerre de Vendée, on n’imagine pas les fermiers faisant pression sur les propriétaires, allant au plus offrant. De plus, les conséquences de la guerre sur la qualification des métayers ne peuvent pas être passées sous silence. Le métier vivait avant tout de ses savoir-faire, plus que de ses savoirs. Dans ses décisions au jour le jour pour organiser ses travaux, dans ses regards sur la terre et les animaux, il y avait une somme de savoir-faire chez le métayer, nés de l’expérience accumulée au cours des années, et transmise de génération en génération. Certains jeunes nés pendant ou après la guerre ont été moins bien préparés que d’autres, n’en doutons pas, à exercer leur métier.
 
Les Noues (Saint-André-Goule-d'Oie)
On voit de rares cas où la fin du bail a été anticipée avant le terme initialement prévu. On connaît une sommation à payer envers un métayer défaillant. D’un autre côté on voit des cas où les baux se sont succédés dans une même famille. On voit aussi des fermiers venir de la ferme de la Boutarlière (au Noues en 1807), du château de Saint-Fulgent (à la Fontaine en 1830), de Puitesson (à la Gagnolière en 1827), autant de métairies appartenant à de riches propriétaires comme Joseph Guyet. Si l’explication de Vaudoré s’applique à la région étudiée, ce n’est pas avant le tournant des années 1820. Mais dans la décennie 1820, au contraire, nous n’observons pas cette concurrence des métayers dans le prix des fermages, plutôt stables.

Pourtant, on a pu observer avant la Révolution, l’intérêt des petits propriétaires de borderies à prendre des métairies en fermage, comme pour accéder à un niveau plus grand de richesse. A titre d’exemple, André Gréau, propriétaire d’une borderie du Coin (Saint-André), loue celle-ci pour neuf années, de 1776 à 1785,  à un domestique des Landes-Génusson, Puaud. Puis il loue lui-même la métairie des Sablons (Saint-Martin-des-Noyers), de 1776 à 1778, faisant partie de la baronnie des Essarts (9).

En cherchant à comprendre les regroupements, puis les divisions opérées dans trois métairies, on a l’impression d’un propriétaire manquant de main d’œuvre qualifiée et s’adaptant au marché du travail. On a ainsi la métairie de la Touche aux Essarts, louée aux Bonneau de 1811 à 1822. En 1822, il leur loue dans le même bail, en plus, la métairie de Bellevue située à côté. Cinq ans plus tard, les métayers changent et le propriétaire confie les deux métairies à deux autres métayers qui se partagent l’ensemble à égalité. Les deux baux totalisent le même fermage qu’avant. On voit là que le propriétaire agrandit la surface à exploiter par la même communauté de métayers pour produire plus de richesse. Puis, il revient en arrière pour s’ajuster à la capacité de nouvelles communautés de métayers. Rappelons-nous que la meilleure garantie de toucher son fermage, pour un propriétaire, résidait dans la réussite de ses métayers.

On observe le même phénomène à la Godelinière des Landes-Génusson, comprenant une métairie et une borderie l’une à côté de l’autre. En 1821 il loue les deux à trois frères, et cinq ans plus tard il fait deux baux à des métayers différents, se partageant cet ensemble à égalité. Voici le texte : « ils partageront par moitié et à leur gré ladite propriété de la Godelinière conjointement avec Mathurin Papin et Marie Mainguet, preneurs de l’autre moitié de cette propriété par bail passé en présence de … ; M. Guyet n’entendant pas se charger de ce partage pour s’épargner des désagréments. Cependant il sera fait de manière à ce que les bâtiments de la métairie soient occupés par un ménage, et ceux de la borderie par l’autre. »

En 1832, on incorpore dans le bail de la Gagnolière, la borderie de la Vallée située sur la même commune des Essarts.

Nous pensons que, de manière générale la précarité, au sens moderne du mot, des métayers sur leurs exploitations, caractérisait les mœurs de l’époque. En comparaison de la réalité d’avant la Révolution, la période ici étudiée semble marquer une continuité sur ce point.

Cette précarité entraînait une mobilité des métayers entre villages et entre paroisses voisines. Les efforts d’adaptation nécessaires étaient alors, toute proportion gardée, aussi importants qu’à notre époque la mobilité d’un département à l’autre ou d’une région à l’autre. La vie sociale d’alors était généralement plus prégnante que chez beaucoup de personnes de l’époque moderne, vivant dans l’individualisme ambiant des milieux urbains. C’est un aspect souvent ignoré par certains historiens de la guerre de Vendée, qui décrivent les paysans d’autrefois isolés dans leurs fermes, à l’horizon bouché par le clocher de leur église paroissiale. Cette généralisation ne nous paraît tenir compte de la mobilité des métayers.

Il y a aussi un fait à ne pas négliger pour expliquer cette précarité : la maladie sévissait avec des conséquences fatales parfois à cette époque. Elle pouvait mettre en cause la capacité d’une communauté de métayers à faire face aux travaux exigés sur la métairie.

Une question aussi se pose : comment les propriétaires choisissaient leurs métayers ? Nous savons que l’affermage au plus offrant a pu être pratiqué avant la Révolution, par annonce publique à l’issue de la messe, faite par le sergent royal de Saint-Fulgent (10). Pour Linières nous ne disposons d’aucun document sur ce point.

Les rapports humains


À la lecture des baux de Joseph Guyet, on constate le poids écrasant du propriétaire face au métayer légalement démuni en face de lui.

Leurs rapports humains devaient correspondre aux normes de civilité de l’époque. Les normes républicaines, avec le tutoiement de rigueur entre « citoyens » « libres » et « égaux », n’ont certainement pas été pratiquées dans un milieu rendu rétif à tout ce qui venait de la Révolution française. Mais avaient-elles conservées les pratiques de l’Ancien régime ? Nous n’avons pas de document concernant le domaine de Linières ou même la commune de Saint-André-Goule-d’Oie, pour décrire avec précision ces rapports humains et les codes de civilité employés à la veille de la Révolution.

Qu’en était-il en particulier de cette coutume d’autrefois, le baiser du fermier, consistant en une accolade donnée par le fermier, la fermière et quelques fois toute la famille, au propriétaire appelé « note maître », en guise de salutations ? Cette pratique existait fréquemment dans le Bas-Poitou à l’égard des nobles. Sur leurs domaines, les propriétaires roturiers devaient une déclaration censive, rédigée par des notaires, suivant des formules proches de l’aveu pratiqué entre nobles : « Sachent tous, que vous, écuyer René de Montaudouin, seigneur des vicomtés de  la Rabatelière, Jarrie et Raslière, seigneur de la Roche Chauché, la Mancellière, la Robretière, la Rennardière, Chavagnes et autres lieux, j’ai Nicolas Baudoy Texier, faisant tant pour moi que pour mes frères et sœurs demeurant …, tiens et avoue tenir roturièrement de vous mon dit seigneur … , comme héritier du défunt Baudoy mon père les domaines qui suivent … » (11). Les baux des métairies du même seigneur étaient rédigés suivant des formules très proches de celles utilisées par Joseph Guyet. Avec des relations juridiques de nature différente, baux (métayer) ou déclarations roturières (propriétaire), il apparaît que les relations de civilité du seigneur avec les chefs de famille des domaines situés dans sa mouvance, étaient empreintes d’un respect profond et familier en même temps. Ce respect prenait la forme du baiser du fermier, faisant penser à l’acte d’hommage pratiqué entre nobles. Il est probable qu’il se pratiquait dans les métairies de Linières au temps du vicomte de Lespinay. Dans ce cas, la subordination du fermier parait double dans les rapports humains : à l’égard du seigneur et à l’égard du propriétaire. Mais on voit mal qu’il ait pu être pratiqué à l’égard du propriétaire agriculteur à qui on louait quelques pièces de terre, ou au fermier général, bourgeois voire artisan dans le bourg.

Il semble que ce baiser a commencé d’être abandonné dans les débuts du 19e siècle. A ce moment-là les rapports humains sont devenus plus contractuels, et surtout l’intérêt a pris une place plus grande pour les gouverner. Cet aspect apparaît nettement dans la vie des baux de Linières que nous avons étudiés.

On serait tenté d’ajouter que cette évolution, au sortir de la Révolution française, est peut-être due à la déclaration des droits de l’homme, avec ses principes d’égalité et de fraternité entre les hommes, mais est-ce si sûr ? Celle-ci a été enterrée en grande partie dans le régime de la terreur révolutionnaire puis de la dictature de Napoléon. Elle a servi de boussole ensuite aux politiques tout au long du 19e siècle pour que ses principes soient traduits effectivement dans la loi en France, mais environ un siècle plus tard.  


Cependant, la Révolution a apporté deux autres chamboulements d’effet immédiat, sans doute plus déterminants pour faire évoluer ces rapports humains. D’abord elle a libéré la propriété, dans un premier temps plus sûrement que les droits de l’homme. Cette libération a consolidé les droits du propriétaire et remplacé ses « devoirs » par des « obligations ». Les usages de l’Ancien Régime protégeaient pour une part le faible contre le fort, et pas seulement dans les corporations supprimées pour cause de liberté, tout en comportant en même temps une part d’arbitraire au profit du « maître ». Avec le nouveau code civil de 1804, la liberté contractuelle, encadrée par la même loi pour tous pour éliminer l’arbitraire, a consacré les droits importants du propriétaire foncier face à des métayers peu protégés. Ces droits ont alors dominé les rapports entre les hommes. C’est cette évolution politique, sans doute plus importante que les tables de la loi des grands principes de 1789, qui nous semble expliquer l’effacement de la notion d’hommage respectueux, à la base de la disparition du baiser du fermier.

Le deuxième chamboulement apporté par la Révolution, ce sont les changements nombreux de propriétaires. On sait l’importance dans le bocage vendéen des ventes de biens nationaux, qui ont permis à de nombreux bourgeois d’acquérir des propriétés des nobles. Le cas de Linières est un peu plus compliqué puisque c’est la femme du noble émigré qui a racheté le domaine avant de le revendre à son compagnon et futur mari, le bourgeois Joseph Guyet. Mais cela revient au même. Ce fils du maître de poste de Saint-Fulgent, par ailleurs favorable à la Révolution, ne pouvait pas inspirer la même considération pour les métayers que le vicomte Charles Augustin de Lespinay, le propriétaire d’avant la Révolution. Et Joseph Guyet n’était sans doute pas demandeur de cet hommage d’un autre temps. Il croyait en un monde d’hommes libres et égaux en droits, et il s’intéressait avant tout aux rendements de l’exploitation. Et puis il habitait Paris, ce qui en matière de relations humaines crée de la distance aussi, si l’on peut dire.

Cette disparition du baiser du fermier, à Linières probablement à l’époque de Joseph Guyet si elle y a existé, a accompagné l’évolution dans les rapports juridiques et économiques entre propriétaires et métayers. Cette évolution a été marquée par la disparition des seigneurs féodaux dans les métairies de leurs anciennes mouvances. Mais on l’a vu dans cette étude, la condition même du métayer n’a pas été impactée notablement par la Révolution, qui a surtout bénéficié aux propriétaires. Dépourvu de tout lien avec les nouveaux rapports juridiques, ce baiser a pu continuer de se pratiquer encore dans les années 1860 dans certaines métairies comme aux Essarts, chez le baron de Lespinay (12), comme une survivance des normes de civilité du temps passé. Cette survivance était liée à celle du statut de la noblesse, rescapée de la Révolution, même si ses droits féodaux avaient disparu.

La révolution des techniques nouvelles (charrues en métal et usage de la chaux) à partir des années 1850, a amélioré sensiblement le sort de tous les paysans, quitte à amorcer un mouvement d’exode rural. Mais les rapports humains ne semblent pas en avoir été impactés. On saluait toujours respectueusement le propriétaire de l’expression « note maître ». Cette expression exprimait l’état de ces rapports humains, en cohérence avec les mœurs et les valeurs de l’époque dans le bocage. C’est que le propriétaire continuait de jouir du statut consolidé dans son intérêt par le code civil de 1804, après que la propriété féodale l’eut créé et rendu central dans l’organisation sociale (organisation de la solidarité des teneurs). L’expression « note maître » ne s’adressait pas au seigneur en tant que tel, mais au propriétaire, comme en témoigne l’appellation de « maîtresse Cailleteau » qui apparaît dans les comptes du château de la Rabatelière en 1759, s’agissant de la veuve du fermier général de la seigneurie de Languiller, des roturiers. C’était fréquemment la même personne, d’où la confusion souvent faite d’associer l’expression à une soumission au seigneur d’Ancien Régime.  

Qui plus est, faute d’instruction généralisée exigeante, le propriétaire jouissait en plus d’une position d’élite politique dans la société rurale d’alors. On le retrouvait en priorité dans le conseil municipal (13). À la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, le contexte juridique de ces rapports n’avait pas sensiblement changé. Il faudra pour cela attendre le milieu du 20e siècle.

Conclusions


En dehors des charges pesant sur les métayers, on voit que les activités agricoles et les modes de relation entre les bailleurs et les preneurs n’ont été que peu concernés par les réformes de la Révolution française. L’époque observée se situe à la fin d’une longue période historique dans le domaine agricole, et une autre révolution allait bientôt se produire, avec l’arrivée de nouvelles techniques, ouvrant une nouvelle période, celle qu’on pourrait appeler « des progrès techniques. » 
 
Nous voyons que Joseph Guyet a conduit une politique de valorisation de son domaine, importante, et exigeante pour un habitant de Paris. Pour commencer il a dû prendre en charge les conséquences de la guerre de Vendée. De plus, il a saisi des opportunités pour acheter et vendre des métairies et au final il a agrandi son domaine. Après sa mort le 30 mai 1830, sa succession a été déclarée au bureau de l’Enregistrement de Montaigu le 2 novembre 1830 (14), avec une liste de 12 métairies, un moulin et un petit bois. Le 20 octobre précédent avait été déclarée au bureau des Herbiers la métairie de la Godelinière (15). Et le 26 octobre au bureau de la Roche-sur-Yon, étaient déclarées les quatre métairies des Essarts (16). L’ensemble des revenus annuels déclarés se montait à une somme de 15 800 F.

Le déclarant est à chaque fois Joseph Gourraud, juge de paix de Saint-Fulgent, comme fondé de pouvoir de Marcellin Guyet-Desfontaines, le fils et unique héritier de Joseph. Le juge de paix était un neveu de Joseph Guyet, ayant épousé une fille d’Étienne Martineau à Saint-Fulgent.

Au mois de septembre 1830, Marcellin Guyet-Desfontaines a signé deux baux établis par Jean Guyet le régisseur, un mois avant sa mort survenue le 31 octobre 1828 et laissés depuis sans signatures. En prenant contact avec ses métayers il a régularisé ainsi le bail de la métairie des Noues et celui de la métairie du Bourg de Saint-André-Goule-d’Oie. Pour ce dernier, le fils, qui signe : Guyet, avait écrit en bas du bail : « Ce bail étant resté sans être signé par M. Jean Guyet, aujourd’hui pour suppléer à cette irrégularité, nous Marcellin Benjamin Guyet-Desfontaines, notaire à Paris, au nom et comme seul héritier de M. Joseph Guyet, mon père, d’une part, et François Landrieau, y dit nom et qualité, avoir déclaré vouloir que le dit bail soit exécuté dans toutes ses dispositions, suivant sa forme et teneur jusqu’à son expiration, comme il l’a été jusqu’à ce jour ; se confirmant et rectifiant en tant que de besoin ; en foi de quoi nous avons signé. Fait double à Saint-Fulgent le 5 septembre 1830, lu et approuvé Guyet - Lu et approuvé Landrieau fils ».
Le fils mesure-t-il alors les efforts de son père pour reconstruire des bâtiments, défricher des bois, regrouper des terres, parvenir à généraliser des baux à prix fixes et agrandir le domaine ?


(1) P. Bossis, Recherches sur la propriété nobiliaire en pays vendéen avant et après la Révolution, Société d’Émulation de la Vendée (1973), page 123. Le rachat de Linières en 1796 s’est fait à un prix moyen de 13 200 F par métairie, c’est à dire dans la partie haute de la fourchette de prix dans l’étude de P. Bossis pour la période. En retenant le rapport moyen de 4 % à l’hectare qu’il indique, une métairie rapporterait un fermage de 530 F, cohérent avec les valeurs rencontrées dans les trois baux de Linières des années 1800. Néanmoins, comparé au prix d’achat d’autres biens nationaux à la même époque (ex. la Roche Mauvin), le prix de Linières est particulièrement faible.
(2) Ferme de la Boutinière de A. Tinguy à N. Audureau du 7-9-1766, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/4.
(3) Archives de la Vendée, Usages locaux du canton de Saint-Fulgent, édition 1897, BIB 597
(4) Ferme de la Boutinière de A. Tinguy à Roy du 7-6-1771, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/6. 
(5) Ferme des moulins de la Poitevinière du 18-8-1765, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/4. 
(6) Helmut Berding, La Révolution, la France et l’Allemagne deux modèles opposés de changement , Édition de la maison des sciences de l’homme, 1989, page 75
(7) Marcel Garaud, Histoire générale du droit privé français de 1789 à 1804, Recueil Sirey, Paris, 1958, page 404
(8) Ferme de la Maison Neuve (Herbiers) du 27-3-1791 de L. Merlet à Godet, Archives de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/13. 
(9) Ferme du 11-10-1775 de la borderie du Coin de Gréau à Puaud, Archives de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/8. Et ferme du 9-12-1774 du Sablon (terre des Essarts) de C. Guyet à Gréau, notaire de Saint-Fulgent, Frappier 1773-1774 : 3 E 30/7.
(10) Ferme du fermier de Languiller, Jacques Cailleteau, en 1775, Archives de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/8.
(11) Déclaration roturière de Baudry pour la Droslinière (Chavagnes) du 16-11-1744, Archives départementales de la Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/F 17.
(12) C. de Sourdeval, Le général baron de Lespinay, Annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée (1868/1869), page 124.
(13) A. Huitzing, Modes de faire-valoir et changement social à Saint-André-Goule-d'Oie de 1840 à 1976, Annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée (1980), page 41 et s.
(14) Archives de Vendée, Bureau des registres de déclarations de mutations de Montaigu (vue 67)
(15) Archives de Vendée, Bureau des registres de déclarations de mutations des Herbiers (vue 47)
(16) Archives de Vendée, Bureau des registres de déclarations de mutations de la Roche-sur-Yon (vue 42)

Emmanuel François, tous droits réservés
décembre 2012, complété en août 2014

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mardi 6 novembre 2012

Les activités agricoles et les techniques utilisées à Linières de 1800 à 1830 (deuxième partie)

Nous présentons ici la deuxième partie de l’activité agricole des métairies de Linières, telles qu’elles existaient pour l’essentiel depuis le Moyen Âge, jusqu’à la veille de la révolution des techniques utilisées, à partir des années 1840/1850 en Vendée.

Les cultures


Nous connaissons la liste des cultures dans le bocage vendéen par Cavoleau. Mais il nous paraît préférable de rester au plus près de Linières. Pour cela, rendons-nous le 21 février 1790 à Saint-Fulgent, à la métairie de l’Oiselière, appartenant encore à cette époque au chapitre de Luçon. Ce jour-là on signe le bail de la métairie. Le bailleur est « Simon Charles Guyet maître de poste, fermier du revenu temporel de l’Oiselière », le père de Joseph, qui sous-affermait à colonage partiaire (devenu bail à métairie) la métairie à des cultivateurs, Maindron et Enfrin (1). Dans le texte du bail on donne la liste des cultures pratiquées, soit : froment (blé), seigle, baillarge (orge distique ou orge de printemps), orge (de mars), avoine, pois, fèves, lin et vigne.

D’habitude, le premier labour s’effectuait en avril. Début juin le deuxième labour était suivi d’un hersage. Un troisième labour s’effectuait en août dans les terres humides et fortes (argileuses), accompagné d’engrais. Le dernier labour (le troisième dans les terres légères et le quatrième dans les terres fortes) précédait les semailles d’octobre.

Le blé froment (blé d’aujourd’hui ; à l’époque le mot blé, seul, désignait toutes les céréales) était la céréale noble dont les excédents étaient vendus dans la région nantaise. On râtelait (binait) les sillons avec un marochon (bêche) pour enlever les herbes parasites au début du printemps. Puis on bêchait en avril et on sarclait à la main jusqu’à la floraison, toujours pour éliminer les chardons, ravenelles (radis sauvages), ail sauvage, oseilles (rumex), etc. Sans ce travail, le rendement diminuait sensiblement. En moyenne on obtenait ainsi 10 quintaux à l’hectare, à rapprocher des 25 à 30 quintaux obtenus dans les mêmes champs dans les années 1950 et à 75 quintaux obtenus de nos jours.

Champ de seigle
Pour leur consommation habituelle, les habitants cultivaient le seigle. Pour une même quantité que le blé froment, on fabriquait plus de pain avec le seigle. Ce dernier était la première récolte des landes défrichées, alors que l’avoine était leur dernière récolte, que l’on obtenait sans fumure, dans une terre qui était destinée à la jachère permanente ensuite.

Nous n’avons pas relevé de culture de méture ou méteil. C’était une récolte que l'on obtenait en semant ensemble des grains de différentes natures. Le mot désignait aussi un mélange de grains pour faire du pain. Dans le Bas-Poitou, était composé le plus souvent d’orge d’automne avec un peu de froment.

La récolte du blé a été bien décrite par Louis Merle dans son livre sur la Gâtine poitevine. On peut penser que les techniques étaient les mêmes à Chauché à cette époque. Cela commençait par les métives (moisson) en été, où l’on coupait le blé, assemblé tout de suite en gerbes. Celles-ci restaient d’abord à « soleiller » pour sécher les herbes folles qui se trouvaient mélangées avec les épis. Ensuite on mettait les gerbes en meules sur le champ, les épis vers le centre pour mieux les protéger des effets de la pluie. On rentrait ensuite les gerbes au bord de l’aire de battage.

Alors venait le temps des batteries. C’était le battage des épis au fléau, travail pénible au soleil avec de nombreux passages sur les épis retournés. Dans les métairies on engageait des méstiviers, payés et nourris par les métayers, pour faire face aux quantités de gerbes à battre. 

Avec une raballe en bois (râteau) on entassait le grain en tas. Il fallait alors le vanner, c'est-à-dire séparer les grains de leur balle (enveloppe) par ventilation. Le batteur muni de sa pelle en bois, en forme de grande cuillère, en projetait vivement le contenu à contre vent, en lui faisant décrire une courbe de 3 à 4 m de rayon. Le partage du blé avec le propriétaire se faisait sur l’aire à la fin du vannage. Et dans les greniers en hiver, on nettoyait les grains à l’aide de la grelle ou grelleau (crible) ou de la herpe (tamis).

Moulin à vanner le blé
Quand on lit dans les baux à colonage partiaire que les grains partagés doivent être « bien vannés et qu’ils seront nets de toutes impuretés », on voit le travail important qui se trouve derrière la formule simple, et comme légère, laissée sur les vieux documents par la plume des notaires. Enfin indiquons tout de suite que dans les années 1840 les rouleaux sont venus aider à battre le blé, puis les premières machines à vapeur ont fait leur apparition dans les années 1850, pour remplacer l’usage des fléaux et des rouleaux. Mais on a continué encore à vanner séparément avec des machines, mues à bras souvent (2).

Le mil était cultivé, généralement sur de petites surfaces, fournissant une graine dont la farine ajoutait de la saveur à la farine de seigle. Dépourvue de son écorce il donnait une bouillie dont se contentaient les moins riches. Sa culture ne réussissait qu’à force de binages répétés, exécutés par les femmes et les enfants.

Le blé noir, ou sarrasin, servait de fourrage pour le bétail.

Le lin était semé fin septembre ou début mars sur de petites surfaces, produisant en moyenne une trentaine de kilos de fils de lin par exploitation.

 Le bétail et les fourrages


On trouvait généralement de quatre à dix bœufs dans les métairies et la moitié de vaches. Chaque année ou presque on vendait une paire de bœufs, remplacée pour les labours par les naissances des années précédentes. C’était soit des bœufs aparagés (dressés à travailler en paire) pour les labours, soit des bœufs gras destinés à l’abattage. Le commerce des bestiaux se faisait dans les foires, à l’Oie et aux Essarts, proches de Linières. À cette époque la vache avait en priorité une fonction reproductrice et accessoirement laitière, voire de trait. La race dominante était la parthenaise, dont on avait renforcé la robustesse par croisement avec des taureaux importés de Suisse, à la fin du 18e siècle.

On élevait des moutons pour la laine, sur la ferme de Linières par exemple.

On élevait aussi des chevaux comme bête de somme et parfois pour la monture. À la Roche au Roi (Saint-Fulgent) on était tenu « de fournir au propriétaire ou à gens de sa part un cheval lorsqu’il ira ou enverra sur ladite métairie. » (Bail signé le 19 avril 1815). Aux Noues (Saint-André) en 1830, alors que le bail est à prix fixe, on fait un cas particulier pour une jument : « le bailleur aura droit à tenir sur la métairie une jument dont le prix sera payé moitié par lui et l’autre moitié par les fermiers, les bénéfices et les produits de cette jument seront partagés par égale portion ou mieux par moitié. » La jument avait été évaluée 180 F.

Dans les baux à colonage partiaire, le bétail, possédé à moitié, était prisé (évalué) par deux experts représentant l’un le propriétaire et l’autre le fermier, à l’entrée en jouissance. Ces experts étaient souvent des propriétaires voisins faisant autorité. La valeur qu’ils fixaient au départ du bail s’appelait la souche morte (bail de la Gagnolière en 1800). La même opération était répétée à la sortie du bail, et l’on partageait les pertes ou les bénéfices à moitié. Les ventes et achats réalisés en cours de bail étaient à valoir sur l’estimation de sortie, mais ne pouvaient se faire qu’avec l’accord des deux parties.

Il est arrivé, mais semble-t-il peu fréquemment, que Joseph Guyet loue à son fermier à prix fixe du bétail lui appartenant. Des règles propres s’appliquaient alors sur ce qu’on appelait le cheptel de fer. Dans ce type de bail, le fermier s’engageait à fournir, à l’expiration du contrat, du bétail d’une égale valeur à celui reçu à l’entrée en jouissance. On a ainsi un bail à la métairie de la Fontaine (Saint-Fulgent) qui stipule en 1826 : « reconnaissent les preneurs que M. Guyet leur a baillé avec ladite métairie des bestiaux à titre de cheptel de fer pour une valeur de 1330 F suivant l’estimation qui en a été faite entre le bailleur et les preneurs, et ils rendront à leur sortie des bestiaux de pareille valeur, conformément aux articles 1821 et suivants du code civil. ». Dans le bail suivant de 1829, la clause a été reprise, mais en bas du texte a été ajoutée après coup la courte phrase suivante : « les bestiaux donnés à titre de cheptel de fer par l’article 18 du présent ont été remboursés à M. Guyet le 9 novembre 1831. »

Les pâtis (landes) nourrissaient ce bétail à la belle saison, et en hiver on pouvait compter sur des fourrages, mais en quantité limitée. De plus, les prairies naturelles étaient insuffisantes. La révolution à venir de la charrue en métal et de la chaux va débloquer cette insuffisance des fourrages. L’élevage va prendre alors de l’ampleur et enrichir les agriculteurs. Mais au temps de Joseph Guyet, les techniques utilisées freinaient les cultures de fourrages.

À cette époque dominaient principalement le rèbe (chou-rave) et le chou. On semait le rèbe vers la mi-août, son bulbe et ses feuilles étaient consommés pendant l’hiver. Le chou était semé en pépinière à la mi-mars. On plantait ensuite les jeunes plants en juin dans des champs labourés au moins trois fois, et en octobre. On récoltait les feuilles dès la fin août, jusqu’à fin janvier, suivant les espèces.
On cultivait d’autres fourrages ou assimilés bien sûr, mais en quantité moindre à cette époque : sainfoin, vesce, trèfle, et aussi maïs, carottes, topinambours et pommes de terre.

Les haies et les arbres


« Les champs sont entourés de haies épaisses, élevées, d’arbres, de futaies, dont on coupe les branches tous les sept ans, de sorte que le pays présente l’aspect d’une forêt. » Ainsi s’exprime Cavoleau en 1800 dans sa "Description abrégée du département de la Vendée". A. D. de La Fontenelle de Vaudoré précise que les haies avaient de deux à trois mètres de haut avec des arbres au milieu, dont quelques-uns étaient conservés en haute tige et les autres abattus à deux ou trois mètres de hauteur. Le Bocage est un pays où sont nombreux les bois, bosquets et buissons. Il est né en Vendée avec les défrichements du Moyen Âge, puis les haies sont devenues plus nombreuses au fil du temps. Les paysages de Bocage sont œuvres humaines et artificielles avant tout, et les haies étaient un témoin de l’intervention humaine aussi certain qu’un tesson de poterie (3).


La Révolution avait renforcé le droit de clore les champs. Ainsi l’article 4 du décret du 28 septembre 1791 (titre 1, section 4) édictait que : « Le droit de clore et de déclore ses héritages résulte essentiellement de celui de propriété, et ne peut être contesté à aucun propriétaire. L'Assemblée nationale abroge toutes lois et coutumes qui peuvent contrarier ce droit ». L’objectif était de limiter le droit de parcours et de vaine pâture permettant dans certaines conditions de faire paître le bétail dans les champs d’autrui après la récolte ou dans les bois d’autrui. Cela arrangeait les plus démunis, mais pas les propriétaires qui dominaient à l'Assemblée Nationale désormais.

Un arbre têtard est un arbre dont la tête a été élaguée à 2 ou 3 mètres du sol, et sur laquelle un recépage a provoqué le développement de bourgeons formant des branches coupées régulièrement, tous les cinq ans dans les métairies de Linières, des Essarts, aux Landes-Génusson. Le têtard était souvent un chêne, mais aussi un aulne, un frêne, un saule, un orme, etc. (3). Son émondage constituait la récolte du métayer qui en consommait une partie pour son chauffage et pouvait vendre le reste. Pour faire des bûches, à mettre dans la cheminée du métayer, certains propriétaires accordaient le droit d’abattre un arbre têtard par an (4). Nous n’avons pas rencontré cet usage dans les clauses écrites des baux étudiés. C’est aussi avec ces branches que le métayer fabriquait les barrières des champs. Il devait aussi conserver l’épaisseur nécessaire à la haie pour remplir sa fonction de clôture. Ce travail d’hiver (selon la règle coutumière, du 1e novembre au 15 mars) était rude et mettait à l’épreuve l’adresse et la résistance physique des hommes. Après avoir émondé (coupé) les branches, ils les fagotaient (mettre en gerbe tenue par une rorte - lien en bois souple) et les émouchaient (mettre les fagots en tas). On vendait les fagots par cordes, équivalentes à 3 stères ou 3 m3.

Dans les baux à colonage partiaire, les coupes dans les taillis et les bois étaient partagées avec le propriétaire. Seuls les bois des haies étaient exclusivement réservés aux fermiers.

Villeneuve (Chauché)
Dans les baux à prix fixe, Joseph Guyet se réservait, suivant l’usage, les taillis, futaies, bois, fournilles (menu bois et branchages pour mettre en chauffe le four et allumer une cheminée), gîtes, giborages, dans ses métairies pour les faire exploiter à son profit. Il les désignait dans ses baux. Il demandait aussi aux métayers d’entretenir les fossés et les haies qui les entouraient et tolérait à certaines conditions d’y faire pâturer des chevaux. Ainsi dans la métairie de Villeneuve en 1825 : « Le pacage du bois-futaie du Vergnais étant réservé à la métairie, les fermetures, même dans la partie qui joint le champ des Essarts comprise dans la présente ferme, seront faites et entretenues par le fermier ou colon de la métairie. » Auparavant le bailleur avait précisé que le « gîte du Vergnais, dont ils (preneurs) n’auront que le pacage, sera également à la charge du fermier pour les fermetures, sans pour cela qu’il puisse prétendre à prendre le bois des haies autrement que pour les clôturer s’il y a lieu. »

Les haies comportaient un fossé pour l’écoulement des eaux sur les côtés, servant à drainer les eaux de ruissellement. Et sur le rejet des fossés on plantait des arbres. Ainsi le bail de la métairie de la Touche (Essarts) précise en 1823 : « Ils (preneurs) promettent et s’obligent de bêcher et sarcler les plants des fossés nouveaux que le sieur bailleur fera faire dans le cours du bail. »

Les haies maintenaient aussi l’humidité des champs et leur fertilité microbienne à cause de la faune qu’elles favorisaient.

On voit qu’elles avaient une place déterminante pour se chauffer et se procurer un revenu. Mais l’ombre des arbres et leurs racines rendaient inculte sur une largeur d’au moins un mètre le pourtour du champ le long des haies. À cela il faut ajouter l’épaisseur des haies (environ deux mètres), soustraites aux cultures. C’est donc environ 8 % des terres qui étaient sacrifiés aux avantages apportés par les haies.

Il ne faut pas oublier leur fonction de clôture, quoique les « haies mortes » existaient aussi. À cet égard la barrière avait une grande importance. Généralement elle était constituée de deux taillers (pieux verticaux), bien enfoncés dans le sol à chaque extrémité, dont le bois était fourni par le propriétaire. Le métayer fournissait les barrons (traverses en bois), parallèles au sol et glissant dans les trous des taillers ou attachés à ces derniers par des rortes (liens d’osier). Lors des visites de fermes, les experts portaient une attention particulière sur l’état de la barrière de clôture et l’âge des gis (rejeton) des plantes dans les haies. Les règles de la coutume précisaient cette économie de la haie que nous venons de rappeler. Les clauses des baux nous en donnent un aperçu.

Arbre têtard
Le bail de la Morelière, signé en 1830, indique sur ce point que les preneurs « jouiront d’émonder les haies et arbres têtards, se conformant à l’usage pour ce qu’il faudra laisser pendant le cours du bail et à leur sortie pour l’entretien des clôtures, mais ils ne pourront en abattre ni par pied ni par tête sans le consentement de M. Guyet ou gens de sa part ; ils s’obligent d’entretenir les arbres fruitiers existant et d’en planter au moins dix par an ». Cet usage concernant le cinquième à conserver était précisé dans le langage de l’époque de cette manière : « n’ébrancheront que ceux (arbres des haies) qui ont ordinaire de l’être en temps et saisons convenables, en observant d’en laisser de 5 têtes l’une comme il est d’usage pour la clôture des haies des lieux » (bail de la Morelière de 1806). Le bail de la métairie de la Touche (Essarts) en 1823 est encore plus précis : « Ils (fermiers) ne pourront abattre par pied ou par tête aucun arbre mort ou vif sans le consentement du sieur bailleur ; ils émonderont ou ébrancheront seulement ceux qui ont coutume de l’être en temps et saisons convenables, seront tenu d’en laisser de cinq têtes une pour la clôture des lieux ; de distribuer ou partager les coupes par cinquième, de manière à ce qu’il y en ait une entière de tous les âges postérieurs, le tout conformément à l’usage ; ils seront tenus de planter par an sur chacune des dites métairies (la Touche et Bellevue) la quantité de dix pieds d’arbres à fruits, tels que pommiers, poiriers, cerisiers. » À Villeneuve (Chauché) en 1825, il est indiqué : « Il ne coupera (le preneur) par pied ni par tête vifs ni morts aucun arbre sans le consentement du sieur bailleur qui marquera ceux qu’il lui donne pour chauffage et pour ses charrues ; il aura cependant les branches des têtards qu’il sera tenu d’émonder en temps et saison convenable, en en laissant pour la clôture des haies. » On voit ici que Joseph Guyet va plus loin que l’usage pour donner du bois de chauffage avec ses arbres, sans doute une situation particulière, car le cas est rare. Pour se chauffer, le métayer disposait habituellement des haies et des arbres têtards. Au passage de la métairie de la Mauvelonnière (Chauché) du bail à colonage partiaire au bail à prix fixe en 1823, Joseph Guyet, qui rédige le bail, insiste sur l’entretien des arbres : « Les fermiers élèveront tous les arbrisseaux susceptibles de l’être comme ainsi ils grefferont et enterreront (bineront) en bons fruits les sujets qui croîtront. »

Compositions d’une haie.

Très peu de textes nous informent du nom des arbres, arbustes et lianes composant les haies dans la contrée. Les souvenirs d’anciens y suppléent pour le début du 20e siècle et la fin du 19e siècle. C’est sans certitude qu’on les projette sur un passé plus lointain. On a un exemple précis néanmoins en 1828 dans un champ du bourg de Saint-André loué par Joseph Guyet, de création d’une haie associée au creusement d’un fossé de 90 cm de large et 90 cm de profondeur. La terre était jetée sur un côté, formant un talus semé de gazon et garni de plants d’aubépine « en suffisante quantité ». Le talus retenait l’eau, la filtrait et l’obligeait à pénétrer dans la terre. Et tous les 3 mètres on planta des « jis » (rejets) d’arbres, sur lesquels plus tard on greffa des fruitiers. Ces derniers ne sont pas indiqués, mais on pouvait trouver des poiriers, noyers, néfliers (meliers), cormiers. Les pêchers, souvent non greffés, étaient plantés dans les haies des vignes, voire au milieu d’un rang, d’où le nom de pêches de vigne de leurs fruits. L’aubépine ne drageonne pas et de ce fait assurait la fixité des limites dans le temps en véritable amie des propriétaires. On pouvait aussi trouver des pruneliers ou épine noire dans les haies, base d’un apéritif très prisé. Avec lui on fabriquait aussi des balais solides pour nettoyer les aires et autres surfaces à usage agricole. L’églantier (ou églantine, rosa canina), servait en particulier pour y greffer des variétés de rosiers des jardins. Le bois de chèvrefeuille faisait des bâtons de conscrits. Les lianes fendues et préparées de ronce (ou éronde) servaient de ligatures en vannerie. Le houx servait d’arbre de noël. Les fagots de fournilles servaient à lancer un feu avant d’y mette à brûler des branches épaisses et des cosses (bûches). Ils étaient constitués de ronces, aubépines, chèvrefeuille, et aussi de branches de sureau, troène, genêt, noisetier (coudrier).

Les espèces d’arbres utilisées dans les haies avait des usages subsidiaires en fonction de leurs qualités particulières. Citons pour la menuiserie la préférence pour le chêne, le noyer et le poirier. L’ébénisterie et la sculpture privilégiaient les bois durs du poirier, du cormier (notamment pour les pignons des axes dans les moulins). Le frêne était prisé des charrons. Les charpentiers préféraient le chêne, le châtaigner et l’orme pour les charpentes et les lattes. L’orme et l’aulne était une matière première importante pour fabriquer des sabots et des jougs de bœufs. Les arbres têtard, à cause de la dureté des nœuds de bois au grain serré, avaient leur utilité particulière, notamment pour fabriquer des jougs bœufs avec du frêne et de l’orme, à la fois dur et léger. Le houx et le châtaigner fournissaient les manches d’outils des connaisseurs, mais aussi la galle (bâton) pour battre la mogette ou la canne (et bâton de marche), ou l’aiguillon des bœufs (châtaigner). On passait la branche coupée d’abord dans un four pour dégorger la sève, puis on l’écorçait et on l’affinait avec une plane (couteau en fer à 2 poignées rondes). La vannerie, au temps où le plastique n’avait été inventé, fournissait des paniers et des dessous pour sécher les fruits, ou reposer des crêpes (sur des crépoués). Les célèbres paniers de coutin étaient fabriqués avec des branches de châtaigner. Avec la paille sauvage, longue et rigide, appelée palène (ou guinche, la molonia caerula des scientifiques), tressée et ligaturée avec une liane (ronce), on fabriquait des bourgnes ou palissins ou paneton (contenant des céréales ou produits alimentaires), des bournées (ruches) ou des baillottes (pour recevoir les bébés emmaillotés). Les branches de troène servaient à fabriquer les larges paniers pour sécher les fruits.

Des usages variés avaient besoin d’arbres bien particuliers : les piquets de vigne en châtaigner, les comportes de raisins, porte-verres dans les caves et bâtons de conscrits en frêne, les rameaux bénis avant Pâques par le curé en buis ou pin parasol, la baguette du sourcier ou de chasseur de vipère en noisetier, sans parler du vin de noix et de la piquette (vin de cormier).

Les fougères venaient parfois compléter les litières de paille du bétail, et fournir un matériau pour les couvertures des bâtiments en végétal séché. Les genêts servaient aussi aux couvertures, mais sans qu’on ait une source sûre pour connaître le matériau principal utilisé dans le Bocage pour ces couvertures de maison en végétal. En le brûlant dans les landes et pâtis, leur cendre apportait de l’azote au sol. On appelait osier vert, les jeunes branches du saule, un bois blanc tendre de peu de valeur qui brûle bien qui était très utilisée en vannerie. Mais le saule ne se trouvait pas dans les haies, de même que les pin parasols, qu’on plantait pour marquer la naissance de l’aîné des garçons.

Architecture d’une haie

Parmi des ronces, aubépines et autres lianes et arbustes formant une haie, il y avait des ouvrages particuliers. Les arbres tortillards d’abord, élagués régulièrement pour produire des bois durs et noueux, poussaient en hauteur à côté des arbres têtards, dont on coupait les branches régulièrement (3, 5 ou 7 ans selon les lieux), en limitant sa hauteur définitivement. Les plisses obtenues par le couchage d’une branche à la hauteur désirée près du sol, fournissaient des branches épaississant la haie. La musse était un passage étroit de faible hauteur et épaisseur, bouchée par un fagot d’épines pour laisser passer un homme. L’échala était une échelle d’un mètre de large fixée solidement dans la haie pour permettre le passage par escalade, lui-même inaccessible aux animaux. Les barrière (1 battant) ou clions (2 battants), obstruaient l’entrée du champ ou du pré et comprenaient une partie ouvrante.

Entretien d’une haie

Le paruchage (ou débroussaillage) consistait à couper les épines pour maîtriser la hauteur et l’épaisseur des buissons. Pour cela une grande blouse de coton bleu, se boutonnant dans le dos, couvrait le corps du cou jusqu’à mi-jambe. Un cuir épais protégeait le cou et avant-bras gauche. La main gauche, qui tirait les épines, était protégée par une mitaine en cuir dur. La main droite, qui tenait les outils de coupe, était protégée par un cuir souple sur les doigts et le pouce s’articulant sur la paume. Des coudes, guêtres et sabarins (talons de cuir dans les sabots) complétaient l’équipement fabriqué sur mesure par le cordonnier.   

On travaillait à deux dans les jours les plus froids, quand l’émondage des branches gelées des arbres était impossible. Le premier homme paruchait et le deuxième derrière, fagotait les fournilles coupées avec des rotes (liens en frêne, chêne - quescus sessiflora -, orme) préparées à l’avance, à l’aide d’une serpe. La formation et la composition du fagot des diverses épines et essences végétales, obéissaient à un savoir-faire, de même que leur alignement sur l’aire de travail. Au paruchage et à la fabrication des fagots, s’ajoutait le plissage des branches d’arbres.

L’élagage ou émondage des têtards donnait des fagots de bois (de branches) et des bûches. On montait sur la tête de l’arbre avec une échelle pour couper les branches avec une cognée à petit manche. On laissait une branche, dite tire-sève pour assurer la reprise jusqu’à la fin d’une période de 5 ans dans la contrée, où on recommençait l’élagage. Les arbres fruitiers, bien sûr, n’étaient pas émondés. Selon la taille des branches coupées on triait les perches, les grosses branches pour faire des bûches, des petites pour les manches d’outils et les branchettes pour les fagots de bois. Ces derniers étaient rassemblés en mouches (60 fagots environ) sur le champ. Puis ils étaient transportés et mis en un tas définitif dans la cour de la ferme, suivant, là-aussi, un savoir-faire précis. Tout ce travail devait être terminé à Mardi-Gras.  

Source : Christian Hongrois, Bocage Vendéen des haies et des hommes, La Geste, 2024.


 L’entretien des prairies naturelles et des chaintres, et l’interdiction de la chasse


À cette époque les prairies naturelles représentaient environ de 10 % à 15 % des terres. Elles se situaient dans les zones humides pour produire de l’herbe à faucher dès le début du printemps, puis du foin à la fin du printemps. Ne rapportant pas de fruits à partager, elles nourrissaient les animaux voués en final à la culture. Il n’y avait pas encore de prairies artificielles, faute de l’engrais nécessaire, ou si peu.

Les petites parcelles en zone quasi marécageuse, parfois pourvues d’une source, s’appelaient des noues, qu’on fauchait quand la météo s’y prêtait. Les bandes de prés le long des ruisseaux, où l’on plantait des peupliers ou des vergnes (aulnes) s’appelait des vergnayes ou vergnasses.

À côté de ces espaces dédiés au bétail, existaient d’autres espaces pour les cultures qui, comme les précédents, n’étaient pas compris dans les règles d’assolement. Dans cette catégorie on trouvait les parcelles de jardin bien sûr, réservées à l’usage du fermier, et aussi les ouches. Celles-ci étaient des petites parcelles, souvent à proximité des bâtiments d’habitation, réservées à l’origine à l’usage de l’occupant des lieux, comme une prolongation du jardin. Le fermier y choisissait son usage à l’origine : pré ou culture de toute sorte ou verger. Au fil du temps le mot a perdu de son sens originel et on y trouvait principalement diverses cultures.

L’entretien de ces prairies naturelles était aussi réglementé par la coutume. Les clauses des baux de Joseph Guyet permettent de s’en faire une idée. Il fallait arracher les épines et les broussailles qui pouvaient y pousser et étaupiner, autrement dit « faire prendre les taupes », afin que ces prés « soient fauchables de haies en haies », c'est-à-dire à l’état de « faux courante » comme on disait. Le bail de la métairie de la Gagnolière (Essarts) indique en 1800 que le fermier « élaguera les prés de toutes épines et halliers (buisson) de façon qu’ils soient fauchables de haies en haies, abattra et égaillera (éliminer) les taupinières de façon que les dits prés soient bien unis ; fera et entretiendra les rouères (rigoles d’écoulement des eaux) ». Les fermiers devaient aussi pratiquer de nouvelles rigoles pour mieux agouter (écouler) l’eau.

Dans certaines métairies on trouve une clause concernant les chaintres. On appelait chaintre, la partie non labourée qui suit la haie, avec souvent des fossés en bout de champ, perpendiculaires au sens d’écoulement naturel des eaux, afin de recueillir celles-ci. Ils se remplissaient de bonne terre emmenée par les ruissellements, qu’il fallait récupérer pour la remettre dans le champ. En 1822, le bail de la métairie de la Fontaine (Saint-Fulgent) indique que les preneurs « charroieront les chaintres des pièces de terre qu’ils emblaveront. » En 1823 le bail des métairies de la Touche et de Bellevue (Essarts) précise l’obligation de « de charroyer les chaintres des champs ensemencés en se conformant pour cela aux usages et coutumes du pays ». Ce sens du mot chaintre, tel qu’il apparaît dans les baux de Linières, est plus restreint que celui donné par Louis Merle dans son étude sur la Gâtine poitevine. Il désigne de ce mot l’espace, dédié à l’herbe et inculte, qui se trouvait le long des haies des champs. Il précise même que ces chaintres servaient de passages quand les fondrières des chemins rendaient ceux-ci impraticables. Il est possible que cette définition, plus large et englobant celle que nous avons rencontrée à Linières, pourrait s’appliquer au bocage de Chauché et des environs.

Cette rigueur imposée au fermier sur l’entretien des prairies naturelles, n’empêchait pas la coutume de réserver un statut privilégié au propriétaire chasseur de gibier, naturellement au détriment des cultures. Il était interdit au fermier de chercher à détruire le gibier. Et les oiseaux et bêtes sauvages pouvaient prospérer dans les landes et les haies. La chasse était un privilège des propriétaires des fiefs avant la Révolution, souvent des seigneurs. Cependant le droit des fiefs de l’Ancien régime interdisait de « chasser à cheval ou à pied sur les terres ensemencées depuis que le blé est en tuyau » (coutume du Poitou). La règle avait aussi interdit l’affermage du droit de chasse ou garenne, et l’administration des eaux et forêts « devait y tenir la main » (veiller à l’application) (5). Dans la pratique la chasse constituait bien un privilège seigneurial, y compris avec l’affermage du droit de chasse, qui fut aboli le 4 août 1789, et y compris avec son contournement par des braconniers

Des abus de braconnages s’en suivirent, et un décret du 30 avril 1790 dû réglementer le droit de chasse. Les propriétaires pouvaient chasser sur leurs terres closes sans restriction, et sur leurs terres non closes sauf en période fixée d’avance pour la sauvegarde des récoltes. Les propriétaires fonciers ont jalousement conservé ensuite ce privilège pendant longtemps. Dans son décret du 28 septembre 1791 sur la police rurale, l’Assemblée nationale avait édicté en son article 39 : « Conformément au décret sur les fonctions de la gendarmerie nationale, tout dévastateur des bois, des récoltes, ou chasseur masqué, pris sur le fait, pourra être saisi par tout gendarme national, sans aucune réquisition d'officier civil. »

Dans trois métairies de Joseph Guyet on repère une clause rappelant ce que la loi rendait déjà obligatoire. De là à penser que les métayers avaient besoin de ce rappel à l’ordre, nous franchirons volontiers le pas. Les coupables désignés à la postérité sont ainsi les fermiers de la Fontaine et de la Grande Roussière à Saint-Fulgent et ceux de la Morelière à Chauché. Au fermier il « est fait expresse défense de chasser sur ladite métairie et d’y tendre des pièges, lacets ou autres instruments propre à prendre ou détruire le gibier, ce droit étant réservé pour le propriétaire ; ils ne laisseront chasser personne sans la permission du bailleur ; ils feront à cet égard toutes diligences et poursuites nécessaires. »

Les vignes


La culture de la vigne obéissait à deux régimes différents.  Nous en avons un exemple à Sainte-Florence-de-l’Oie dans l’acte d’achat du fief de Puyberneau en 1775, où se trouvaient à la fois des vignes à pied et à complant. Ce bail particulier, appelé baillette de vigne à complant, obéissait à des règles définies dans des baillettes à complant (actes unilatéraux du bailleur), tenant compte du temps nécessaire à la montée en production de la vigne, à la durée de vie des ceps et aux soins particuliers dont ils ont besoin. Les journaux de terre de vigne (1 journal valait 50 ares environ) étaient traditionnellement appelés des « fiefs » en Bas-Poitou. C’est dire si les dénominations commerciales modernes des vins vendéens puisent leurs racines dans les profondeurs de leur histoire ! Le cultivateur complanteur possédait un droit de plantation de la vigne, indépendant de la propriété du sol. Il donnait en contrepartie un sixième ou un cinquième de la vendange au bailleur, à condition de cultiver suivant les règles de la coutume du Poitou officialisées dès le 16e siècle (6).

Pour Joseph Guyet, la vigne, comme les bois et taillis, étaient réservée par le propriétaire, et sa culture continuait d’être réglée par les usages. C’est ce qui explique sans doute qu’on en parle peu dans les trente-deux baux étudiés, seulement six fois dans quatre métairies.

Dans une courte clause du bail de la Mauvelonnière en 1828, il est écrit : « les fermiers seront tenus de recevoir et soigner le produit du complant de la vigne de la Mauvelonnière qui est réservé au propriétaire. » Un peu plus précise, est la clause du bail de la métairie de la Touche (Essarts) en 1822 : « la vigne dépendant de la métairie de la Touche demeure réservée au sieur Guyet, mais les preneurs s’obligent à la cultiver à moitié, comme avant les présentes, et lui donneront toutes les façons nécessaires. Ils y planteront des provins où il en manquera, la fumeront même, s’il est reconnu qu’elle en a besoin. » Ce partage à moitié est du colonage partiaire et non plus un bail à complant, mais remplacer les ceps morts par de nouveaux (provins) et fumer si nécessaire, représentait une charge significative, en plus du travail normal de la vigne, très réglementé avec des travaux précis à faire chaque saison (les façons). En 1826, le propriétaire fait un geste pour tenir compte du travail d’entretien et de replantation nécessaire. « Pour contribuer à la dépense, M. Guyet, à titre d’indemnité, abandonne la part qui lui revient dans la récolte de cette vigne pour la présente année 1827 ; en conséquence la vigne devra être maintenue en bon état de culture et laissée à la sortie bien plantée et n’avoir besoin d’aucune réparation à peine de tous dommages et intérêts. »

Dans le même esprit on a le bail de la Godelinière (Landes-Genusson) en 1821 qui précise : « les preneurs bêcheront et entretiendront la vigne qui fait partie de la ferme, la tailleront, replanteront et y feront des provins de manière à ce qu’elle soit convenablement plantée. » Et cinq ans plus tard on écrit : « Ils (preneurs) donneront à la vigne dépendant de ladite propriété toutes les façons usitées en cette contrée et la provigneront s’il est nécessaire. »

À la métairie de la Roche au Roi (Saint-Fulgent), le bail de 1815 réserve au propriétaire « le complant de deux fiefs de vigne qui était précédemment réunis à ladite métairie ». En 1829, changement de formule à nouveau : le propriétaire incorpore la vigne dans le bail de la métairie en se réservant un cinquième de la récolte : « en y joignant (à la métairie) le produit du complant, au cinquième, qui est dû sur les deux fiefs de vigne dépendants de ladite métairie. » Cette clause était celle des baux à complant d’autrefois.

Le matériel vinicole appartenait au propriétaire et celui-ci fournissait les fûts nécessaires au stockage de son vin. À la Roche au Roi, on trouve une exception, révélant un cas particulier. En bas du bail en cours, signé en 1829, on a ajouté : « Je soussigné, fondé de pouvoir de M. Guyet, certifie que le petit pressoir à vin qui existe sur la métairie de la Roche au Roi appartient en toute propriété au fermier Pierre Arnou qui l’a fait faire à ses frais de main d’œuvre et de matériaux. Saint-Fulgent le 15 septembre 1832 ».

Il ressort de ces clauses que le régime appliqué, tantôt ressemble à celui des complants d’autrefois, tantôt en diffère. Sans doute éloigné par principe de l’ancien droit féodal, auquel on assimilait le complant, le propriétaire semble s’être peu soucié de le maintenir. D’autant que les preneurs possédaient le droit de vendre leurs ceps de vigne et de le transmettre par héritage. C’était une manière d’introduire un étranger dans la métairie, peu compatible avec le caractère exclusif qu’avait pris le droit de propriété lors de la Révolution. Nous en avons un exemple avec un acte de rachat rédigé par le notaire de Saint-Fulgent, Frappier, le 27 juillet 1791. Les huit propriétaires d’une vigne d’à peine un hectare à Chavagnes-en-Paillers, la revendent au propriétaire du sol pour 181 livres. Ils l’exploitaient « à la cinquième partie des fruits y croissant et à quelques deniers de cens envers le seigneur Montaudouin (de la Rabatelière) comme propriétaire du fief de la Robretière » (7). Si la propriété de la vigne était transmissible, elle n’était pas absolue.  En cas de mauvais entretien de la vigne, le propriétaire du sol pouvait la reprendre à son compte. Or les clauses de Joseph Guyet, qui insistent sur le remplacement des ceps, ne sont pas cohérentes avec ce droit de la propriété de la vigne propre aux complants.

Rappelons qu’on a voulu abolir le régime du complant au moment de la Révolution, assimilé à un droit féodal ; il y eut discussions, puis après avis favorable du Conseil d’État, le gouvernement prit la décision exceptionnelle de le maintenir dans la Loire Inférieure. Il s’agissait pour les vignerons du muscadet de conserver la propriété des pieds de vigne, quitte à continuer de rétribuer le propriétaire du sol. Les Vendéens obtinrent le même régime en justice ensuite (8).

Les étangs


Nouvel étang des Noues (Saint-André)
Il y en avait un, qu’on appelait réservoir, à la métairie des Noues à Saint-André-Goule-d’Oie, et réservé au bailleur. En 1807 le bail indique : « le bailleur pourra faire mettre du poisson dans les fossés et réservoirs qu’il fera pêcher tout seul et quand bon lui semblera, le poisson devant toujours lui appartenir en entier ». Les enfants ne savaient pas plus lire les baux que leurs parents, mais on imagine la coutume bien connue de tous…

À la métairie de la Godelinière (Landes-Génusson) en revanche, il confie en 1821 l’exploitation des étangs aux métayers, en prenant sa part, alors qu’il s’agit d’un bail à prix fixe. La clause indique que les preneurs « jouiront des 3 étangs ou réservoirs, M. Guyet se réservant de prendre aux pêches qui seront faites par eux dans le cours du bail 36 carpes à son choix par chacune des dites pêches, ainsi que la moitié des anguilles ; les dits étangs et réservoirs seront laissés à l’expiration du présent bail suffisamment empoissonnés. Les preneurs les ayant reçus garnis du poisson nécessaire, et s’obligeant en cas de pêche de le repeupler en présence du bailleur. L’entretien et réparations des dits étangs ou réservoirs seront à la charge des preneurs. »

Le charbon de bois


En 1826 à la métairie de la Gagnolière des Essarts, il est indiqué : « de ne pouvoir faire du charbon sur ladite métairie ou avec le bois en provenant. » Et la même année à la métairie de Bellevue, toujours aux Essart, le bail prévoit la même clause. Cette production était-elle une spécialité locale ?


(1) Bail de l’Oiselière du 21-2-1790 de C. Guyet à Maindron et Enfrin, Archives de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/13.
(2) Annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée (1856-A2), page 145.
(3) Christian Hongrois, Bocage Vendéen des haies et des hommes, La Geste, 2024, pages 105 et 121.
(4) Ferme de la Boutinière de A. Tinguy à Roy du 7-6-1771, Archives de Vendée, Etude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/6.
(5) J. B. L. Archer, Traité des fiefs sur la coutume du Poitou, (1762), tome II, chapitre 12
(6) Douteau, Mémoire sur les complants du département de la Vendée 18 février 1822, Société d’Émulation de la Vendée, 1895 page 115, et 1896 page 59. 
(7) Rachat d’un complant de vignes à Chavagnes le 27-7-1791 par de Montaudouin, Archives de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/13. 
(8) Idem (6).


Emmanuel François, tous droits réservés
Novembre 2012, complété en juillet 2024

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mardi 2 octobre 2012

Deuxième édition des « châtelains de Linières à Saint-André-Goule-d’Oie »

Le livre que j’ai édité moi-même en 2009 étant épuisé, j’ai hésité pour envisager une deuxième édition.

La portée limitée du sujet traité ne permet pas d’envisager un élargissement sensible du public touché par la première édition.

La poursuite des recherches, tant sur Linières que sur Saint-André-Goule-d’Oie, n’est pas terminée et une nouvelle édition devrait nécessairement modifier et compléter le contenu édité en 2009.

Mais il reste des lecteurs potentiels, même s’ils sont devenus rares, qui cherchent à acquérir le livre. On leur répond depuis un an qu’il est épuisé, ce qui est dommage.

Or l’arrivée des sites internet d’éditeurs en ligne apportent une solution tout à fait intéressante pour produire un livre dans cette situation. Certes, ils ne possèdent pas les mêmes atouts qu’un éditeur traditionnel, ayant pignon sur rue, pour promouvoir et distribuer leurs livres auprès des distributeurs habituels et ceux qui vendent sur internet. Mais les châtelains de Linières à St André Goule d’Oie n’ont pas nécessairement besoin de ce type d’exposition habituelle sur son marché.

En revanche, ces nouveaux éditeurs savent concevoir et imprimer un livre à un prix abordable et adapté à un public réduit.

Ils proposent sur leur site des options de fabrication du produit : format, reliure, impression, papier, au choix de l’auteur. Leur logiciel permet ensuite d’accueillir les fichiers composant le livre, de composer une couverture et d’obtenir un numéro ISBN. C’est l’auteur qui crée lui-même le produit en maîtrisant son coût de fabrication. Cette création se présente sous forme d’un fichier de données numériques prêt pour l’impression.

Les nouvelles machines industrielles d’impression numérique opèrent comme les imprimantes personnelles, à la demande. Il n’y a plus de stock de livres à imprimer d’un coup pour l’éditeur. Le clic d’un acheteur sur le site de l’éditeur déclenche l’impression du livre et son envoi par la poste, dans un délai égal à celui de la commande d’un vieux livre déjà imprimé et stocké sur un site de vente par internet ou chez l’éditeur.

Bien sûr, la conversion des fichiers provenant d’un logiciel de traitement de texte en fichiers PDF demande un paramétrage particulier qu’on ne trouve pas dans OpenOffice. Bien sûr, l’auteur se retrouve seul pour les relectures du texte et concevoir une infographie présentable. Mais le site de l’éditeur accepte généralement les corrections à venir de l’auteur.

Passons sur le nombre de sites d’éditeurs en ligne, dont le service offert n’est pas à la hauteur de la description que nous venons de faire. Leur prix est très variable. Pour ma part j’ai choisi un site qui ne demande aucune participation financière de l’auteur, permettant en même temps de fixer un prix de vente compétitif.

De plus il prévoit, au choix, la possibilité d’une édition en livre électronique, que je n’ai pas prise pour l’instant. Son usage en France est confidentiel en ce moment, mais 15% des nouveaux livres publiés aux USA bénéficient en 2011 de cette nouvelle forme de lecture sur écran plat, les liseuses.
C’est ainsi que je me suis résolu, dans ces conditions, à une deuxième édition des châtelains de Linières à St André Goule d’Oie. Elle ne comprend pas de photos, pour limiter le coût d’impression, mais la plupart sont accessibles par internet. Le texte a été revu bien entendu et complété, principalement dans la période révolutionnaire, pour Marcel de Brayer et Amaury-Duval.


J’invite maintenant les curieux à utiliser le lien suivant pour faire connaissance avec la deuxième édition du livre (ctrl + clic gauche) : http://lulu.com/spotlight/efrancois




















Le nouveau sommaire a été mis à jour dans mon site (voir janvier 2010)



Emmanuel François