samedi 3 avril 2010

les premiers seigneurs de Linières, les Drouelin

Le recoupement des diverses sources, ainsi que leur augmentation, nous permet de revenir sur les premiers seigneurs connus de Linières, anciennement Drollinière. Nous reprenons ici notre article d’avril 2010. Ces premiers seigneurs s’appelaient Drouelin, aussi écrit Droslin, Droulin, Droelin. On sait que l’orthographe s’est fixée bien après la période du Moyen âge dans les écrits de nos ancêtres.

Les membres de cette famille, on le sait, ont été seigneurs de Saint-Fulgent, Linières et la Boutarlière, ces deux derniers fiefs situés à Chauché, et probablement la Merlatière et la Jarry (Saligny). Ils possédaient aussi des domaines à la Barotière et la seigneurie de Badvielle ou Badiole à Beaurepaire. On se rappelle aussi que les Drouelin donnèrent leur nom au fief de la Drollinière, nom qui fut simplifié dans les années 1630 en Linière, par le propriétaire d’alors, un nommé Legras qui usurpait le titre de baron (Voir notre article de juin 2011 : Le faux baron de Linières).

Les premiers Drouelin


Le document le plus ancien connu de la famille Drouelin concerne Marie Drouelin. Il nous apprend que celle-ci fit don en 1238 à l’abbaye de Fontenay-le-Comte d’une rente de trois sous tournois sur la maison de Raoul de Gamaches à Lusignan. Il s’agit probablement de Raoul II de Lusignan, appartenant à une importante famille alliée au roi d’Angleterre, le comté d’Eu leur venant de Guillaume le conquérant (de Normandie), et aussi au roi de France par leur alliance avec les Capet de la branche dite de « Dreux ».

Aimery Drouelin est le premier seigneur connu de Saint-Fulgent. Il était seigneur de la Gatolière et de la Barotière. La Gatolière ou Gatelière à Saint-Fulgent porte encore les traces d’une maison de maître sur un espace un peu surélevé. Ce fut peut être vers 1280 le logis d’Aimery Droulin ou Drolin, seigneur de Saint-Fulgent (1).

Abbaye de la Grainetière
« De Monseigneur Aymeri Drolin, chevalier, 5 sols de rente ». C’est ce qu’on relève dans une reconnaissance des droits acquis de l’abbaye de la Grainetière (Ardelay) en mars 1291 par Renaud Barbou, bailli de Touraine, comme redevance due par le seigneur de Saint-Fulgent (2). Les textes où on lit qu’il serait décédé en 1282 paraissent en contradiction avec l’extrait que nous venons de lire. Mais peut-être y eu-t-il au moins deux Aimery Drouelin. On sait peu de choses sur lui, sinon qu’il serait né vers 1240, qu’il épousa une dame Agathe et qu’il eut au moins un fils appelé Maurice Drouelin. Cette histoire des Drouelin n’est pas facile à raconter. Les papiers de la famille ont disparu. Heureusement il y avait les moines de l’époque qui savaient lire et écrire, qui tenaient leurs comptes, et dont les archives ont été conservées. C’est le cas à l’abbaye de la Grainetière. Les nobles des environs les pourvoyaient de dons, souvent sous forme de rentes, et c’est comme cela que nous découvrons l’existence la plus ancienne des Drouelin, de manière bien parcellaire. L’abbaye de la Grainetière a été créée vers 1130 par l’abbaye de Fontdouce (commune de Saint-Bris-des-Bois en Charente-Maritime) avec l’appui du seigneur local, Gilbert de la Chaize, qui aurait offert pour sa construction un emplacement dans la forêt de Vendrennes.

Aimery Drouelin, seigneur de Saint-Fulgent, fit un don à la Grainetière en 1293 de deux setiers de seigle sur la Gatolière (3). Les archives de l’abbaye de la Grainetière font état d’un autre don le 4 février 1294. Cette famille de seigneurs de Saint-Fulgent a fondé la Drollinière de Chauché, ainsi que la Boutarlière, mais aussi vraisemblablement la Drolinière de Chavagnes-en-Paillers. Celle-ci relevait de la Guichardière (4). 

Après Aimery Drouelin, vint Maurice né vers 1270. En 1282 il est seigneur de la Drolinière (5). Maurice Drouelin eut plusieurs enfants, mais nous ne connaissons que son successeur le plus vraisemblable pour avoir été seigneur de Saint-Fulgent et de la Drolinière de Chauché, qui s’appelait aussi Maurice, né vers 1310 et décédé avant mai 1378 (6). En 1293, les textes évoquent aussi un Guillaume Drouelin, témoin à la Grainetière des dons d’Aimery Drouelin. Un autre Guillaume Drouelin, seigneur du Bois-Porchet (Beaurepaire), fit le 13 février 1374 un traité avec l’abbaye de la Grainetière relativement à une rente léguée à cette abbaye par feu Jean Drouelin son frère, pour y être inhumé. Ces deux seigneurs moururent sans postérité et leur nièce hérita de tous leurs biens (6). Nous ne connaissons pas le lien entre ces deux personnes et les autres membres de la famille Drouelin, seigneurs de la Drolinière, Saint-Fulgent et de la Boutarlière.

Aveu de Saint-Fulgent en 1343


Philippe VI
Maurice Drouelin, se qualifiant de valet (écuyer), fit un aveu au roi de France en 1343, seigneur en la châtellenie de Montaigu, de domaines à Saint-Fulgent, tenus de Montaigu à foi et hommage lige. Il devait son devoir de ligence à la demande de son suzerain. Le roi Philippe VI (roi de 1328 à 1350) est suzerain dans cet aveu, car il venait de confisquer tous les biens, dont Montaigu, de Jeanne de Belleville, bannie du royaume après l’exécution pour félonie en août 1343 de son mari, Olivier IV de Clisson. Celui-ci avait pris parti pour le clan des Montfort dans la succession du duché de Bretagne (mort du duc en 1341), à l’instigation du roi d’Angleterre, contre le clan des Blois-Châtillon soutenu par le roi de France, la guerre de Cent Ans ayant commencé en 1337. Dans ces circonstances on peut situer la date de l’aveu vers la fin de l’année 1343. La baronnie de Montaigu sera rendue au fils du supplicié, rallié au roi de France, après sa libération des Anglais grâce à Du Guesclin. Nous reprenons ici la transcription du texte de l’aveu par Amblard de Guerry (7), au lieu de son résumé par Maurice Maupillier.

Les domaines dénombrés dans l’aveu sont deux rentes et un droit de terrage : 22 sols et 8 deniers, 1 setier 3 boisseaux de froment et 4 chapons, et 4 setiers 64 boisseaux de seigle ou environ de terrage. Viennent ensuite les domaines tenus sous son hommage par plusieurs possesseurs :
-          D’abord son premier frère cadet, Jean Drouelin, qui tient sous son hommage en gariment (garantie) la métairie de la Véralie, affermée pour 8 setiers de blé environ. Aussi les landes de la Véralie dont il perçoit 10 sols en deniers et 1 setier et 3 boisseaux d’avoine. Aussi le Bois de la Véralie (12 boisselées), le Bois de la Tacrière (12 septerées environ de surface) et une garenne, lesquels ne sont pas assujettis au droit de rachat (à payer au suzerain en cas de mutation d’un bien noble).
-          Ensuite par hommage plain (simple) en gariment Morieneau de la Tacrière à 5 sols par an de service, dont le rachat est estimé à 60 sols ou environ à chaque mutation.
-        Par hommage plain Pierre Chevalereau pour ce qu’il tient à la Tacrière, à rachat et à cheval de service, dont le rachat est estimé 7 livres ou environ. La notion de cheval à service ici fait synonyme avec celle de rachat. 
-          Par hommage plain Perrez pour ce qu’il tient à la Courpière et à Levequere, à rachat et à cheval de service, dont le rachat est estimé 6 livres ou environ.
-       Par hommage plain Jean des Nouhes pour la moitié de la coutume (droit ou redevance) du terroir de Levequere qui peut valoir 2 setiers de blé ou environ (l’autre moitié appartient au déclarant Maurice Drouelin) qui vaut 1 setier de blé ou environ, et le quart des dîmes des bêtes qui valent 5 sols ou environ.
-        Par hommage plain messire Nicolas Chevalier, prêtre, à 6 deniers par an pour ce qu’il tient à la Valinère et à la Boucaucreysere de gaignées (terres labourables), gastes (terres non labourables) et prés journaux à 2 hommes ou environ, le tout occupant une surface de 15 septerées, dont le rachat est estimé 15 livres ou environ. Sur la Valinière il perçoit 100 sols et 4 chapons, et la coutume (redevance) sur la vigne des lieux. Sur la Boucaucreysere il perçoit 3 sols 2 deniers, une taille de 5 sols et la dîme des bêtes qui vaut 5 sols ou environ.
-        Par hommage plain Pierre Barreteau à 10 sols par an pour 3 mines (24 boisselées) de terre et un pré en journal à 1 homme,dont le rachat est estimé 30 sols ou environ à chaque mutation. 
-          Par hommage plain Jean Amoire pour 3 septerées de terre et un pré en journal à 2 hommes, situés à la Valinière, dont le rachat est estimé à 25 sols ou environ à chaque mutation.
-          Par hommage plain Jean Paupin pour 5 septerées de terre tant gaignée que gaste et un pré en journal à 1 homme, situées à la Courpière, dont le rachat est estimé à 25 sols ou environ à chaque mutation.
-       Enfin un nommé Leveque de Saint-Fulgent tient des domaines (blanc),dont le rachat est estimé 100 sols ou environ.
Tous ces domaines sont situés en la paroisse de Saint-Fulgent et valent à Maurice Drouelin le droit de haute basse et moyenne justice. Il en perçoit 40 sols par an, plus en setier de froment une valeur de 10 sols, en setier de seigle et d’avoine 8 sols chacun, dont le rachat est estimé à 12 livres ou environ à chaque mutation, sauf les bois et la garenne « qui ne courent pas en rachat ». Le texte se termine par : « Fait et donné sous mon sceau dont j’use en ma châtellenie de Saint-Fulgent le mardi empres (après) oculi (dimanche) mai l’an 1343 ».

Dans cet aveu on retient le nombre de terres concédées par hommage avec rachat, habituellement appelé fiefs : 10, et de petites dimensions. En ajoutant ceux relevant de Tiffauges, dont la quinzaine d’arrière-fiefs dépendant du Puy-Greffier (8), la paroisse de Saint-Fulgent comprenait ainsi de nombreux petits-fiefs, comme à Chavagnes, Chauché et Saint-André-Goule-d’Oie. Ces fiefs étant des terres nobles, on ne peut pas en déduire néanmoins qu’en 1343 leurs possesseurs étaient tous des nobles, le texte de l’aveu restant muet sur ce point. À Saint-André, on a observé des petits fiefs possédés par des roturiers, voire devenir plus tard terres censives. C’est que les malheurs, climatiques, sanitaires et militaires de la fin du Moyen Âge ont décimé la nombreuse petite noblesse de la contrée. 

Le partage de la Drollinière et de la Boutarlière en 1342


La Boutarlière (photo X. Aimé 
dans son livre sur l’histoire des lieux)
Le seigneur de Saint-Fulgent et de la Drollinière avait partagé l’héritage de ses parents en juillet 1342, et la Boutarlière revint à un frère cadet, Jean (9).  Le tènement voisin de la Gandouinière, situé à l'est de la Boutarlière, fit partie de sa mouvance, alors que celui situé au sud, la Charillière, fit partie de la mouvance de la Drollinière jusqu’à la Révolution (10). À partir de ce partage la Boutarlière releva de Linière sous l’hommage que cette dernière en faisait au baron des Essarts. Linière relevait directement de la baronnie des Essarts.

Les seigneurs de la Boutarlière, cousins de ceux de Saint-Fulgent et de la Drollinière, leurs voisins, vont ainsi continuer à porter le nom des Drouelin avec Jean, seigneur du lieu en 1391 et valet. Un valet était à l'origine un serviteur d’armes au service d’un guerrier, assimilable à un écuyer. Cette année-là il concéda à plusieurs particuliers diverses pièces de terres. C’est un autre Jean Drouelin, probablement fils du premier, qui rendit en 1458 un aveu à Jean Moreau, habitant du Bourg-sous-la-Roche et seigneur de la Gernigaudière aux Brouzils (11).

En 1488 Jean Drouelin reçu un aveu de Bertrand de Saint-Hilaire, seigneur du Retail, pour les Drillères de Boulogne à cause de la Boutarlière. En 1518, c’est Gilles de Saint-Hilaire qui rend l’aveu à René Drouelin, seigneur de la Boutarlière. Il s’agit probablement d’un fils ou d’un frère de Jean Drouelin. René Drouelin, écuyer, épousa Jeanne Fouqueraud (12).

Le fils de Jean Drouelin, Maurice, eut une fille Catherine née vers 1460, qui se maria vers 1490 avec Guyon Bonnevin, lui apportant la Boutarlière en dot. Et Louise Bonnevin, sa fille née vers 1490, se maria en 1519 avec Antoine Gazeau, né vers 1495. C’est celui-ci qui reçut l’aveu de Jacques de Saint-Hilaire en 1531 (13).

Maurice Drouelin seigneur de la Drolinière et de Saint-Fulgent eut au moins deux filles Marie et Jeanne. Marie se maria en 1350 avec Guillaume Baritaud, seigneur de la Baritaudière (Chantonnay) et de Thénies (Saint-Germain-de-Prinçay). Elle lui apporta la Drollinière en dot. Jeanne, née vers 1340 se maria en 1365 avec Jean Cathus, lui apportant la seigneurie de Saint-Fulgent en dot, ainsi que la Jarrie et la Merlatière. Celui-ci était fils de Jean Cathus seigneur du Bois (près de Beauvoir-sur-mer), né vers 1310. Ils eurent au moins une fille, Catherine, née vers 1370, dame de Saint-Fulgent et aussi vraisembleblement de la Jarrie et de la Merlatière. Elle épousa en 1380 Sylvestre de Rezay. Les Rezay sont venus s’installer à la Merlatière à une date non repérée, et G. de Raignac pense qu’ils sont venus à la possession de la Merlatière et Jarrie par ce mariage. Sa petite-fille épousa, François de Bessay, descendant par son père de Louis VI le Gros (14).

Jeanne Drouelin et son mari Jean Cathus furent condamnés aux Grandes Assises de Poitiers, tenues du 1e mars au 31 mai 1378, par Miles 1e de Thouars (1327-1378) à lui rendre foi et hommage ainsi que les autres devoirs dus aux seigneurs de Tiffauges par Maurice Drouelin, chevalier, seigneur de Saint-Fulgent, père de ladite Jeanne (15). La seigneurie de Tiffauges, alors suzeraine de la seigneurie de Saint-Fulgent, appartenait à la vicomté de Thouars dès le XIe siècle (16). Le territoire de la paroisse de Saint-Fulgent se partageait donc entre deux suzerains : Tiffauges et Montaigu, et les textes indiquaient les seigneuries de Saint-Fulgent.

En 1365 Guillaume Baritaud de la Baritaudière, à cause de sa femme Marie Drouelin, et Jean Cathus son beau-frère, à cause de sa femme Jeanne, traitent avec la Grainetière à propos d’une rente d’un septier de seigle qui était due aux moines en vertu d’un don du seigneur de Saint-Fulgent (17).

Histoire de l’indivision du Bois de la Vrignaie et du Bois Thibaud (1342-1779)


La Jarrie en 2018
Catherine Cathus, dame de Saint-Fulgent et fille de Jeanne Drouelin et de Jean Cathus, épousa en 1380 Sylvestre de Rezay, seigneur de la Merlatière, la Jarrie (Saligny) et la Raslière (Merlatière). Cette dernière maison posséda longtemps la seigneurie de Saint-Fulgent. Et en 1598, dans un aveu à Thouars, elle cite dans sa mouvance deux bois ayant autrefois appartenu aux Drouelin, et qui sont indivis avec le seigneur de la Drollinière. Le premier est « une pièce de bois taillis garnis d’arbriers de gros bois et de futaie appelée les Vrignais, contenant 50 arpents de bois ou environ, tenant d’une part au bois de la Boutarlière, aux landes communes, d’autre aux terres du village de Villeneuve ». Le deuxième est « une autre pièce de bois taillis garnis d’arbriers de gros bois de futaie appelé le Bois Thibaud, contenant 6 arpents de bois ou environ » (18). En 1779, l’indivision féodale a cessé au Bois Thibaud, comme en témoigne une déclaration roturière du 15 avril de cette année-là de 9 teneurs faite au seigneur de Linières uniquement (19). L’autre partie du Bois Thibaud, appartenait alors au seigneur de la Rabatelière, successeur de la Merlatière. Dans le texte de 1779 on lit que ce bois touchait le chemin qui conduisait de la Morelière à Languiller, à celui qui conduisait du Landreau aux Essarts. L’espace avait pour voisins le bois dit de la Rabatelière, les tènements du Landreau et de la Porcelière, et le fief de Linières. Il nous semble que les éoliennes qui sont apparues récemment, occupent au moins en partie cet espace oublié de la mémoire des hommes. En 1765, une partie de l’espace est en landes et bruyères. C’était le cas lors de la vente le 27 octobre 1765 d’une pièce de terre en landes et bruyères située aux landes du Bois Thibaud (Chauché), contenant 4 boisselées. La boisselée de landes est vendue 3 livres, soit 4 à 5 fois moins que le prix d’une boisselée de terre labourable. Et l’acte met à la charge de l’acquéreur l’obligation « d’en faire les certes et obéissances au seigneur de Linières dont elle est roturièrement relevante et mouvante » (20).

Les liens féodaux dans la contrée au Moyen Âge


Cette histoire des Drouelin possède une portée intéressante. Que la même famille des seigneurs de Saint-Fulgent, se trouvant dans la mouvance du baron de Tiffauges et du seigneur de Montaigu, ait fondé un petit fief à la Drollinière, sur les terres du baron des Essarts, est un signe de bon voisinage apparemment. D’autant que ses membres viendront à la Boutarlière, toujours sur les terres des Essarts. Nous sommes probablement alors aux 12e et 13e siècles pour faire ce constat, époque également de la création des paroisses de Saint-André-Goule-d’Oie, Chavagnes-en-Paillers et Chauché. Saint-Fulgent et les Essarts existaient déjà, ainsi que la Chapelle de Chauché probablement. Ce fut une époque de prospérité et de paix relative, au sortir de la période précédente qui connut dans la région les invasions barbares et les luttes entre le comte du Poitou et le duc de Bretagne, auxquels s’est ajouté le comte d’Anjou.

Ces luttes ont dû contribuer à forger le paysage politique de la région, faisant de celle-ci un pays de frontière et d’affrontements probables. La féodalité locale parait s’être organisée dans cette confrontation. On trouve au nord les barons de Tiffauges et de Montaigu. En effet, la seigneurie de Saint-Fulgent, avec son château et sa prison, dépendait du baron de Tiffauges, et dans sa mouvance on trouve les fiefs du Puy-Greffier, de la Clavelière, de Rollin, et de nombreux domaines roturiers (la plus grande partie du bourg, des métairies, les moulins à vent de la Haute Clavelière et à eau de la Pesotière, plus tard la tuilerie de Boizard, etc.). Et le seigneur de Saint-Fulgent rendait un aveu à Montaigu pour le fief de la Thibaudière et ses dépendances, dont une petite partie du bourg (21). Et il y avait d’autres fiefs dont nous ne connaissons pas le lien féodal, comme la Roussière.

À Chavagnes il y avait une bonne douzaine de petits fiefs à ligence au service du baron de Montaigu, comme une ligne avancée de défense contre les envahisseurs du sud. Et on constate en 1343 que le baron de Montaigu avait sa mouvance sur la moitié du fief de Saint-André-Goule-d’Oie (bourg), l’autre moitié relevant de la Drollinière (22). En 1405 l’ensemble du fief est tenu du seigneur du Coin par le seigneur de la Drollinière (23). Les importants domaines du Coin à Saint-André, avec l’ensemble de la seigneurie, sont possédés depuis au moins 1372 par le seigneur de Languiller, et le château du Coin est en ruines en 1405. Nous sommes en pleine guerre de Cent ans, avec l’occupation temporaire de Saint-André par les Anglais et de Chavagnes par les Français, avec les ravages en même temps des famines et des désastres climatiques. Le 14e siècle, où on voit les domaines de la famille Drouelin se disperser, et apparaître et disparaître la seigneurie du Coin, a été un siècle de bouleversements dans l’organisation féodale locale. Et au sud, le baron des Essarts disposait de nombreux vassaux sur le territoire de la paroisse des Essarts, mais aussi sur celui qui deviendra les paroisses de Chauché et de Saint-André-Goule-d’Oie. C’était le cas du seigneur de Languiller à Chauché, qui était suzerain de la Chapelle. Aussi du seigneur du Coin, qui était suzerain du seigneur du Coudray et du fief de Saint-André (le bourg), concédé à Linières.

À la sortie de la guerre de Cent Ans, on pourrait dire que le ruisseau du Vendrenneau marquait la limite entre la sphère d’influence des Essarts au sud et celles de Tiffauges et de Montaigu au nord. D’ailleurs la paroisse de Saint-André a été soumise à la haute justice seigneuriale de la châtellenie des Essarts pendant tout l’Ancien Régime. Nous avons repéré une exception remontant au Moyen Âge, mais qu’on situe dans l’épaisseur du trait, si l’on peut dire. Le seigneur de la Valinière, de Saint-Fulgent, possédait des droits sur des parcelles du tènement de la Javelière, de Saint-André-Goule-d’Oie. Il en a cédé au moins une partie « au sieur Begaud, curé pour lors dudit Saint-Fulgent » en 1399 (24).

Dans ce constat, qui mériterait d’être approfondi bien sûr, l’implantation des Drouelin au Moyen Âge, à la fois dans les deux zones d’influences féodales, apparaît comme la fin d’un monde de liens seigneuriaux entrecroisés, signes d’affrontements probables. Il a laissé la place à une nouvelle répartition de ces liens, plus apaisée. Et si l’on devait écrire la préhistoire du canton de Saint-Fulgent, n’est-ce pas ainsi qu’elle pourrait commencer ?


(1) Maurice Maupilier, Des étoiles au lion d’or, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions (198), p. 57.
(2) Abel Cougnaud, Édition des Chartes de l’abbaye de Notre Dame de la Grainetière (vers 1130-1305), p. 75, UER Histoire Poitiers mémoire de maîtrise juin (197), Archives de Vendée : BIB MEM 219.
(3) Revue du Bas-Poitou, L. Chappot de la Chanonie, Une poignée de documents sur l’abbaye de la Grainetière (1890-A3), page 272.
(4) Annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée, Charles Gourraud, Histoire des villages de Chavagnes-en-Paillers (1876), page 169.
(5) www.Loipri.over-blog.com. Aussi G. de Raignac, De châteaux en logis, itinéraires de familles vendéennes, Bonnefonds, 1990, page 114.
(6) Maurice Maupilier, Des étoiles au lion d’or, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions (1989), p. 71.
(7) Aveu en 1343 de Saint-Fulgent à Montaigu, copie d’Amblard de Guerry dans son classeur d’aveux, no 402, d’un aveu original rendu au roi pour Montaigu en 1344 /1343, Archives Nationales, cote P. 47. Et Maurice Maupilier, Des étoiles au lion d’or, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions (1989), p. 71.
(8) Aveu du 23-6-1774 de Saint-Fulgent (Agnan Fortin) à la vicomté de Tiffauges (A. L. Jousseaume de la Bretesche), transcrit par Paul Boisson, Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 13. 
(9) Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière 150 J/C 17, mémoire en 1646 sur les conflits entre Linières et la Boutarlière.
(10) Partage du 22-10-1774 de 7,5 boisselées à la Gandouinière, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.
(11) Archives de Vendée, G. de Raignac, cartulaire de la Jaunaie, 8 J 100, page 60.
(12) Archives de Vendée, G. de Raignac, archives de Fonteclose, 8 J 109, vue 49.
(13) Archives de Vendée, G. de Raignac, archives de Fonteclose, fief du Boisreau, page 198.
(14) Idem (5).
(15) Cartulaire de Pouzauges, no 7, 7 bis, 12, et 13.
(16) Mémoire de la Société des antiquaires de l’Ouest, Marcel Garaud, Les châtelains de Poitou et l’avènement du régime féodal aux XIe et XIIe siècles, (1964) tome VIII.
(17) Idem (6).
(18) Aveu du 1-6-1598 de la Jarrie, Raslière et Merlatière, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1181, page 73.
(19) Notaires de Saint-Fulgent, Bellet : 3 E 30/126, déclaration roturière du 15-4-1779 de 9 teneurs du Bois Thibaud à Linières.
(20) Notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/118, vente du 27-10-1765 d’un champ de landes au Bois Thibaud.
(21) Idem (8).
(22) Aveu en 1343 de Jean de Thouars à Montaigu (roi de France) pour des domaines à Saint-André, no 389, Archives d'Amblard de Guerry : classeur d'aveux copiés aux Archives Nationales.
(23) Notes no 5 et 17 sur le bourg à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 3.
(24) Notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/5, reconnaissance de rente à la Javelière du 27-9-1770.

Emmanuel François, tous droits réservés
Avril 2010, complété en juillet 2023 

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lundi 8 mars 2010

Mme de Lespinay échappe à la mort par deux fois (1793-1794)


Nous avons raconté dans deux articles comment Mme de Lespinay, châtelaine de Linières, échappa par deux fois à la mort pendant la guerre de Vendée. D’abord en mars 2010 dans notre article intitulé La vicomtesse de Linières sauvée des noyades à Nantes, complété en octobre 2010 par un autre : La vicomtesse de Linières sauvée des noyades II. Le premier article était basé sur les Mémoires de la marquise de La Rochejaquelein. Le deuxième intégrait les deux passages consacrés par l’historien royaliste J. Crétineau-Joly en 1840 à Mme de Lespinay.

Le passage de la marquise de La Rochejaquelein, où elle fait allusion au sauvetage de la châtelaine de Linières, concerne l’histoire de sa femme de chambre Agathe Gingreau. Dans son récent ouvrage, Vendée les archives de l’extermination (2013), l’historien Alain Gérard, aborde cette histoire, avec diverses sources qu’il recoupe. Aussi il serait dommage de se priver du résultat de son travail. C’est pourquoi, nous reprenons nos deux articles pour n’en faire qu’un seul, modifiant celui de mars 2010 avec un nouveau titre : Mme de Lespinay échappe à la mort par deux fois (1793-1794).


Dans la Virée de Galerne


Mariée à l’âge de 16 ans en 1788 à Charles Augustin de Lespinay, Mlle du Vigier, sortant du couvent de Sainte-Croix de Poitiers, vint habiter Linières (Chauché). Elle y mit au monde deux filles : Henriette baptisée le 7 janvier 1790 et Pauline le 3 octobre 1791. Dans les semaines suivant cette dernière naissance, M. de Lespinay rejoignit l’émigration, comme beaucoup de nobles en activité habitant la Vendée. Il fut inscrit au chef-lieu du département, alors Fontenay le Comte, sur la liste des émigrés le 4 octobre 1793.

Mais entre-temps son domaine de Linières avait été mis sous séquestre à cause de cette émigration, en juin 1792, avec nomination d’un gardien sur place, inventaire des biens meubles et immeubles fait par les commissaires du district de Montaigu, et confiscation du fermage des quatorze métairies du domaine (1).

En mars 1793, le soulèvement général des populations avait embrasé la région du centre et du nord Vendée, est Deux-Sèvres, sud de la Loire-Atlantique et sud-ouest du Maine-et-Loire. La loi du 1e août 1793 donnait un ordre aux soldats de « destruction totale de la Vendée ». L’historien A. Billaud écrit : « Les incendies, les massacres, les viols ont eu ce résultat de vider une partie de la région, de la jeter sur les chemins avec ce seul souci : éviter la mort ». Les bleus s’attaquent même aux républicains de la région parfois, et beaucoup de déracinés en fuite de chez eux cherchent refuge auprès des armées vendéennes. Ce fut le cas de Mme de Lespinay.  

Elle fit partie de la cohorte des civils qui suivirent les combattants dans la Virée de Galerne. Cette expression désigne la traversée de la Loire effectuée par les armées vendéennes le 18 octobre 1793 pour rejoindre un hypothétique débarquement d’alliés sur la côte normande et d’improbables renforts en pays chouan et breton. Ils passèrent 35 000 combattants environ, plus 15 000 femmes, vieillards et enfants, fuyant leur pays après l’échec de la bataille de Cholet (2). La galerne désignait le vent du nord, c'est-à-dire la direction suivie.

Jean Sorieul : La bataille du Mans
Après une longue errance jusqu’à Granville, la colonne de Vendéens fait demi-tour et arrive au Mans le 10 décembre 1793. Malgré son jeune âge, Forestier fut désigné pour gouverner la ville. Henri Forestier était le fils d’un cordonnier de la Pommeraye (Maine-et-Loire), âgé de 18 ans en 1793. Il fut un des premiers à se rallier à Cathelineau. Il commandait en second la cavalerie et avait été nommé gouverneur de la ville du Mans pendant son occupation par les Vendéens.

Les malheureux Vendéens, fourbus, se reposèrent deux jours. Dans la nuit du 12 au 13 décembre les bleus attaquèrent et gagnèrent la bataille du Mans. Ensuite ils ont fait un massacre de tous ceux qui n’avaient pas réussi à s’échapper. La châtelaine de Linières échappa à ce massacre.

Dans ses mémoires, la marquise de La Rochejaquelein écrit « Marie Marguerite Louise Félicité du Vigier, née à Poitiers le 9 juin 1772, mariée en 1788 à Charles Augustin de Lespinay, vicomte de Linières, près Saint-Fulgent en Bas-Poitou, capitaine de cavalerie. Il émigra, sa femme suivit l’armée vendéenne et fut sauvée par Forestier dans la déroute du Mans ; elle se cacha, fut arrêtée et conduite à Nantes. » (3)

J. Cretineau-Joly écrit : « Forestier, blessé, traîne par la bride son cheval, blessé lui aussi, et sur lequel il a placé madame de l’Epinay et ses deux enfants. » (4)

On sait que l’ainée des petites filles, Henriette a survécut à la guerre de Vendée, peut-être dans les bras d’une domestique. Sa petite sœur Pauline, alors âgée de deux ans, est morte en février 1794 (5). L’acte de notoriété qui en fait état nous apprend que la mère l’avait confiée à une jeune femme âgée de 30 ans, Renée Jousseaume, demeurant au village de la Foliette à Bazoges-en-Paillers. La petite fille est morte dans ses bras, malgré les soins de Pierre Aubin, officier de santé demeurant à Saint-Fulgent. L’affirmation de Crétineau-Joly des deux enfants avec leur mère au Mans, n’est donc pas exacte. D’ailleurs il reste une interrogation : la petite Pauline a-t-elle été confiée à Renée Jousseaume avant de suivre les armées des insurgés, ou bien était-elle déjà en nourrice comme le faisaient alors les femmes des milieux aisés ? Et qui sait si les deux enfants ne sont pas restées à la garde de la même femme pendant la Virée de Galerne ?

C’est l’occasion de rappeler que moins de 10 % des participants à la Virée de Galerne y ont survécu. On sait que leur chemin à pied dans le froid, la pluie, la boue, la faim, les maladies, au milieu des cadavres, fut un calvaire d’une rare cruauté pour les 50 000 personnes environ qui ont fait partie de cet exode pendant deux mois et demi en plein hiver.

Arrêtons-nous un instant sur le mot Bas-Poitou employé par la marquise de La Rochejaquelein. Elle désigne la Vendée par son nom d’Ancien Régime, manière d’afficher ses opinions en faveur de la monarchie. D’ailleurs sur le mot de Vendée, ce qu’elle en dit est intéressant : « En 1793, nous prenions le titre « de royalistes du pays insurgé »…Les républicains nous donnaient exclusivement, même dans la rédaction des jugements, le nom de « brigands et brigandes » : cette dénomination nous paraissait tellement ridicule, qu’au lieu de nous fâcher elle nous portait à rire. » Puis elle poursuit en indiquant que l’expression « brigands de la Vendée » est apparue dans les écrits des républicains après les premières batailles. Enfin elle explique qu’avec le temps, certains combattants des pays insurgés, y compris dans une partie du Maine-et-Loire, des Deux-Sèvres et de la Loire-Atlantique, formaient le vœu de garder ce nom de Vendée dans une nouvelle province qui devait émerger du sang du sacrifice, avec le retour espéré de la monarchie. Dans son livre, « Par principe d’humanité… La terreur et la Vendée » (1999), l’historien Alain Gérard a montré comment la guerre de Vendée a été voulue par les montagnards au sein de la Convention, le mot « Vendée » devenant pour ses membres synonyme de contre-révolution dès le début du printemps 1793. Ainsi, le hasard a aidé à choisir le nom du département et la politique, dans les deux camps, l’a imposé ensuite. « Vendée », une fierté ou un opprobre pour les générations qui ont suivi.

Sauvetage de la noyade racontée par la marquise de la Rochejaquelein


La mémorialiste indique dans son témoignage qu’après le Mans, la vicomtesse de Lespinay « se cacha, fut arrêtée et conduite à Nantes. » Crétineau-Joly précise, lui : « Cette pauvre mère, … ne retrouve plus ses deux enfants qui ont suivi son fatal itinéraire depuis le Mans jusqu'à Ancenis. ». Aucun des deux écrivains n’a pu écrire sans se renseigner auprès de la famille. Il se trouve que l’historien a écrit quatre tomes et la mémorialiste un seul. À notre avis les deux récits se complètent sur ce point.

On sait qu’après le Mans les Vendéens se sont précipités vers la Loire pour retourner au pays. « Dès le 13 décembre la ville de Laval voit arriver les premiers fuyards de l’armée en déroute » (A. Billaud). Le 16, ils arrivent près d’Ancenis. Forestier fait alors partie des officiers autour du généralissime H. de La Rochejaquelein. Ils ne pourront pas passer le fleuve occupé par les bleus. La cohorte des Vendéens en déroute part vers Nort, puis Blain, pour périr à Savenay les 22 et 23 décembre 1793. Forestier ira jusqu’aux environs de Blain, d’où il s’échappera pour rejoindre des combattants bretons.

Mme de Lespinay a donc été capturée près d’Ancenis, c’est à dire dans les jours proches du 16 décembre 1793. Sa capture est une chance dans l’immédiat, car beaucoup de fuyards ont été massacrés en cours de route. Cela dépendait des compagnies et des chefs républicains. Mais elle fut emmenée à Nantes à la fin de l’année 1793. Carrier y régnait en maître alors, et les noyades dans la Loire avaient déjà commencé à suppléer aux prisons insalubres, aux fusillades et à la guillotine pour éliminer les ennemis.

Mme de Lespinay était destinée aux noyades. Elle en réchappa.

Nos deux auteurs racontent ce deuxième sauvetage, là aussi en se complétant. Mais avant de citer la marquise de La Rochejaquelein, il faut situer le contexte de son récit. Celle-ci raconte l’histoire de sa propre servante, Agathe Gingreau, échappant elle-aussi à ses bourreaux. Et dans ce récit, elle a croisé le chemin de Mme de Lespinay.

Pour raconter l’histoire d’Agathe Gingreau, nous allons reprendre le texte de l’historien Alain Gérard. Il fait intervenir des personnages singuliers : Fouquet, Lamberty, deux préposés aux noyades par Carrier, l’envoyé en mission à Nantes de la Convention, l’ordonnateur des tueries et noyades. C’étaient des hommes de mains prêts à tout, nommés à cause de leur dévouement adjudants généraux (grades d’officiers généraux dans l’administration ou l’état-major des armées de la Révolution française). Lamberty, ancien carrossier, avait des aides : Lalouet, Pierre Robin, O’Sullivan (Irlandais fameux pour sa férocité) et Théodore Lavaux (un gamin aide camp). Voici ce qu’écrit A. Gérard (6) :

« … Terminons par ce qui pourrait bien donner matière à un conte philosophique et qui permet de moins désespérer de l’humanité. C’est l’histoire d’Agathe Gingreau, qui a été élevée en même temps que le futur général vendéen Lescure, et devenue femme de chambre de son épouse, la future marquise de La Rochejaquelein. Farouchement attachée à ses maîtres, elle les suit lors de la Virée de Galerne et s’enferme même neuf heures durant dans la voiture où Lescure vient de mourir, afin de préserver encore un temps sa jeune épouse. À la fin de 1793, elle appartient au groupe de cavaliers vendéens rendu sur la foi de l’amnistie et aussitôt fusillés. Est-ce d’être une femme ? Pour sa part, elle est enfermée dans l’Entrepôt.
C’est à partir de là que nous bénéficions de deux sources parallèles et complémentaires, qui révèlent de façon exceptionnelle les univers mentaux des extrémistes et des Vendéens. Le 15 février, la veille du départ de Carrier pour Paris, le Comité révolutionnaire lance un mandat d’arrêt contre Fouquet, l’un des noyeurs, et bientôt c’est le tour de Lamberty. Suit un procès qui aboutit à l’exécution des deux principaux préposés aux noyades. Quant aux autres, Lalouet est comme nous l’avons vu a passé du côté des plus forts, Robin a pu s’enfuir, tandis qu’à Nantes Lavaux reste l’objet de poursuites et O’Sullivan sera rattrapé plus tard par le procès de Carrier. À aucun cependant on ne reproche les noyades, mais au contraire d’en avoir préservé quelques femmes, dont la fameuse Agathe. Du coup, ils sont triplement coupables, et de « grossière lubricité », qui prouve qu’ils ne sont pas des Purs, et d’avoir contrevenu aux arrêtés commandant de rapporter les brigands en prison, et en définitive de complicité de contre-révolution.
Le récit que la marquise de La Rochejaquelein a recueilli de la bouche de sa femme de chambre, ne diffère pas vraiment quant aux faits, mais infirme cette interprétation très idéologique. À l’Entrepôt, Lamberty, apercevant cette « brune piquante » de 26 ans, fanfaronne. « Brigande, as-tu peur ? » lui lance-t-il. « Non, général, puisque nous venons nous réunir à la République » réplique la futée. Et l’autre, peut-être impressionné par tant d’aplomb, de lui prédire que bientôt elle fera moins la maligne, et qu’elle pourra alors en appeler à sa protection. Une dizaine de jours plus tard, réalisant qu’elle va être noyée, Agathe le fait venir et il l’emmène pour profiter de l’aubaine. Et c’est alors qu’il se heurte à une résistance inattendue : plutôt que d’être déshonorée, la fille veut mourir. Le scélérat est-il impressionné à ce point par un tel courage ? De céder à la résistance de cette brunette lui permet-il de se réhabiliter à ses propres yeux ? Comment le savoir ? Toujours est-il qu’il prend sur lui de la protéger. La suite permet de discerner d’autres remords secrets. O’Sullivan, celui-là même qui a dénoncé son propre frère et l’a fait guillotiner, parait poursuivi par ses cauchemars et surtout par le désespoir de sa femme. Il persuade Lamberty d’emmener la Vendéenne chez lui. Six semaines plus tard, Fouquet et Lamberty étant incarcérés au Bouffay, le jeune Robin, venu supprimer Agathe et avec elle une preuve contre ses complices, cède à son tour aux prières de la brigande. Réfugiée chez Lavaux, celle-ci est finalement incarcérée jusqu’à la fin de 1794, où elle peut bénéficier de l’amnistie. Singulière histoire en définitive, difficile à comprendre au regard du sens commun, que celle de ces noyeurs subjugués par le courage de la petite vendéenne, et guillotinés pour une bonne action. Bonne il est vrai au regard de la morale naturelle, mais criminelle pour les purs. »

Revenons au récit de la marquise de La Rochejaquelein : « Ce même Lavaux avait déjà chez lui la vicomtesse de Lespinay : dans une des noyades (dans la Loire), elle avait été sauvée par un volontaire qui était dans le bateau ; au milieu de la confusion, des ténèbres et des cris, il lui avait donné sa capote, son chapeau et son fusil et l’avait emmenée comme son camarade. Dès le lendemain de l’entrée d’Agathe chez Lavaux, on vint l’arrêter, la demandant nommément à Mme Lavaux ; celle-ci assura de ne pas connaître de Vendéenne et la désigna comme sa sœur ; la garde voulut emmener cette honnête personne en prison ; alors ma femme de chambre se dénonça elle-même et fut mise au Bouffay (prison de Nantes). Mme de Lespinay, inconnue et réfugiée dans le haut de la maison, se cacha et fut sauvée. » (7)

Le volontaire dont parle Mme de La Rochejaquelein, le sauveteur dans le bateau de la châtelaine de Linières, était un membre de la Garde Nationale, un « bleu » comme disaient les Vendéens. C’était souvent des jeunes gens engagés volontairement pour défendre l’ordre public et les nouvelles autorités nées de la Révolution.

Sauvetage de la noyade racontée par Crétineau-Joly


Jacques Cretineau-Joly (1803-1875)
Crétineau-Joly décrit plusieurs noyades du conventionnel Carrier dans la Loire, appelées par dérision, notamment des « immersions patriotiques ». Et à cette occasion il raconte l’histoire de la châtelaine de Linières. Quand il publie son livre en 1840, son fils est député de la circonscription des Herbiers en Vendée. Il a dû prendre ses précautions avant d’écrire une histoire aussi personnelle sur sa mère. Voici l’histoire probablement validée par la famille (8) :

« Au milieu de ces immersions patriotiques, il se présente sur les bords de la Loire un sergent d’artillerie nommé Hocmard. Il vient pour réclamer sa sœur que les noyeurs ont comprise dans leur contingent de victimes. Il a obtenu de Carrier l’autorisation si rarement accordée de la retirer des galiotes.
Sa sœur est déjà en Loire, morte par conséquent.
À la vue de toutes ces femmes qui attendent, sous un froid de janvier, le sort auquel il n'a pu arracher sa sœur, le sergent Hocmard est saisi d'une sainte pensée. Il s’ap­proche de celle qui vient de lui dire que sa sœur a cessé de vivre. Il jette un manteau sur ses épaules nues, puis se présentant aux satellites de la mort : « Voici ma sœur et son laisser‑passer », dit‑il en affectant une joie alors loin de son âme. C'était la vicomtesse de l'Epinay que ce noble soldat venait de sauver.
Cette pauvre mère, préservée des noyades par un prodige, ne retrouve plus ses deux enfants qui ont suivi son fatal itinéraire depuis le Mans jusqu'à Ancenis. L'un est mort de faim ; l'autre, conservé par le dévouement d'une domestique, qui mendiait pour donner du pain au fils de ses maîtres, ne résista pas longtemps à cette misère de toutes les heures. Madame de l'Epinay fut plus heureuse ; elle survécut et, d'un second mariage avec M. Guyet-Desfon­taines, elle eut un fils, aujourd'hui député de la Vendée. »

Les noyades de prisonniers à Nantes en 1794
La mémorialiste parle d’un volontaire, notion vague, lequel pouvait bien être le sergent d’artillerie qu’indique l’historien. Les deux auteurs décrivent le départ des lieux de la noyade avec similitude (la capote sur les épaules). Crétineau-Joly est plus précis en nommant le sauveteur, en expliquant sa motivation et son autorisation. Celle-ci est parfaitement plausible. Pour l’obtenir il fallait être proche de Carrier ou de ses hommes de mains. Lavaux, chez qui est réfugiée Mme de Lespinay ensuite en est un, et les motivations de ces hommes peuvent être diverses.

Crétineau-Joly donne une précision : c’est en janvier que Mme de Lespinay a été sauvée de la noyade. Au vu du récit d’A. Gérard, Mme de Lespinay était encore chez Lavaux vers la fin février 1794. Un détail pour nous, mais une éternité pour la victime ! Pire : on sait que c’est en février 1794 qu’est morte sa deuxième fille, âgée de 2 ans, Pauline (9).

Conclusions


L’historien comme la mémorialiste sont imprécis sur la seconde vie de la vicomtesse de Lespinay après son divorce. Ce n’est pas étonnant puisque les familles de Lespinay et Guyet se sont violemment opposées dans le divorce qui a suivi entre M. et Mme de Lespinay, le domaine de Linières changeant de mains par la même occasion. Et puis la naissance de Guyet-Desfontaine a fait l’objet d’une fausse déclaration à l’état-civil sur le nom des parents. Bref, pas facile d’y voir clair dans ces itinéraires personnels, et il nous semble que les approximations relevées chez les deux auteurs en ce domaine méritent l’indulgence.

Par contre, la version de Crétineau-Joly comprend une erreur de taille au sujet des deux filles de Mme de Lespinay, qu’elle avait emmenées dans la Virée de Galerne. L’aînée a survécut et est morte en 1811. Crétineau-Joly affirme ici son décès, erreur factuelle qui se double d’une description romanesque de la mort, bien dans son style, mais portant à la méfiance.

De plus, cette histoire du sergent Hocmard ne convainc pas dans sa totalité. Mme de Lespinay ne s’est pas réfugiée d’elle même chez Lavaux, l’aide de camp de Lamberty. Le sergent Hocmard, probablement en garnison à Nantes, n’a pas pu emmener chez lui sa « sœur de substitution ». Mais pourquoi l’avoir mise entre les mains de Lavaux, alors que sa vraie sœur avait bien un endroit où vivre avant sa capture et qu’il fallait gérer la supercherie sur l’identité de la rescapée ? Faute de réponse à cette question, on est en droit d’hésiter entre la version bien plus discrète d’une femme comme la marquise de La Rochejaquelein, qui a vu mourir son mari et son bébé dans la Virée de Galerne, et la version peut être trop précise du récit de J. Crétineau-Joly.

A-t-on tout dit ? Cette question nous conduit à soulever un sujet délicat et malaisé, celui du viol. La souffrance intime qui s’en suit impose très souvent le silence aux victimes, on le sait. Que Mme de Lespinay ait voulu le cacher si elle en a été victime, quoi de plus normal ? Mais celle-ci devait raconter une histoire plausible pour garder son secret en elle. Il ne reste plus qu’à le respecter s’il y a lieu, comme peut-être Mme de La Rochejaquelein l’a fait dans ses mémoires.

Celle-ci s’y révèle dans toute sa vérité, et parmi ses lecteurs il faut relever les impressions d’un républicain radical comme Clemenceau, le « chouan bleu », comme on l’a parfois appelé assez justement. Il a écrit : « Je relis en ce moment les mémoires de Mme de la Rochejaquelein. C’est bien. Il y a un idéal. Et pour défendre cet idéal il y a quelque chose de buté, de borné, de sauvage, qui me plaît » (10).

D’autres historiens ont repris l’histoire de Mme de Lespinay sauvée des massacres du Mans et des noyades de Nantes. Ainsi en 1930 G. Gautherot dans son livre très engagé côté blanc, L’épopée vendéenne. Sa version du sauvetage de la noyade fait intervenir la femme de chambre de la vicomtesse de Lespinay. Un officier républicain (non nommé) indique à cette dernière qu’il va chercher un manteau pour la sauver. Mais au retour il se trompe et revêt la femme de chambre de son manteau. Alors celle-ci réagit : « vous vous trompez, dit-elle simplement, voilà ma maîtresse ; moi je ne suis rien ». Et l’historien termine son récit par cette courte phrase « Elle suivit ses bourreaux » (11). Il n’indique pas sa source documentaire et son livre est écrit en noir et blanc : les héroïques vendéens d’un côté et les infâmes massacreurs républicains de l’autre. L’héroïsme de cette hypothétique femme de chambre n’est pas invraisemblable, mais il manque de preuve dans ce livre. 

Enfin pour terminer, on ne peut s’empêcher de faire le lien, après ces terribles épreuves qu’a traversées la jeune vicomtesse de Lespinay, âgée alors de 21 ans, et sa rencontre amoureuse avec un compatriote âgé de 2 ans moins qu’elle, deux ans plus tard. Voir notre article sur son divorce en janvier 2010.


(1) Archives de Vendée, notaire Allard des Herbiers : 3 E 019, acte de notoriété du 12 germinal an 11 demandé par B. Martineau (vue 202/492).
(2) P. Greau, La Virée de Galerne, Pays et terroirs Cholet (2012), pages 67 et 99.
(3) Mémoires de la marquise de la Rochejaquelein, Mercure de France (1984), page 413.
(4) J. Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire  (1840) T 1, page 458.
(5) Archives de la Vendée, justice de paix de Saint-Fulgent : 4 U 25/31, acte de notoriété du 21 vendémiaire an 10 de la mort de Pauline de Lespinay.
(6) Alain Gérard, Vendée les archives de l’extermination, édition du CVRH (2013), page 270.
(7) Idem (3).
(8) J. Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire  (1840) T 1, page 527.
(9) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, Mme Duvigier/Lespinay.
(10) Jean Martet, Le silence de M. Clemenceau, Albin Michel, 1929.
(11) G. Gautherot, L’épopée vendéenne, Mame et fils, 1930, page 287.

Emmanuel François, tous droits réservés
mars 2010, complété en août 2019

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mercredi 10 février 2010

Les liens familiaux entre Amaury-Duval et Gaston de Marcilly

La numérisation récente par Google d’un livre mis à disposition sur internet, nous donne une bonne information sur les liens de famille entre les Guyet, les Duval, les de Brayer et les de Marcilly, tous propriétaires de Linières au XIXe siècle. Il s’agit de « L’état civil d’artistes français – billets d’enterrements ou de décès depuis 1813 jusqu’à nos jours » réunis et publiés par Hubert Lavigne ». Le livre a été édité par J. Bauer, libraire de la Société d’histoire de l’art français, en 1861, 2 rue des St Pères à Paris. Nous y trouvons le « Billet de faire part du décès de Amaury Duval père du peintre » en 1838. En voici d’abord le texte à la page 4 du livre :

Amaury-Duval : Amaury Duval (père)
M. Amaury Duval, peintre d'histoire, Mme Guyet-Desfontaines et M. Guyet-Desfontaine, membre de la chambre des députés ; Mme Isaure Chasserieau ; M. Alexandre Duval, membre de l’Académie française et Officier de la Légion d'honneur, et Mme Alexandre Duval ; M. Henri Duval, homme de lettres ; Mme Guézou ; M. Isidore Guyet, homme de lettres ; M. Tardy, conservateur des hypothèques à Pithiviers, et Mme Tardy ; Mme Clément et M. Clément, officier supérieur attaché au dépôt de la guerre, chevalier de la Légion d'honneur ; Mme veuve Mazois ; M. et Mme Edmond Duval ; M. et Mme Perron ; M. Alexandre Guézou ; M. Aristide Guézou ; Mme de Marcilly et M. de Marcilly, colonel d'artillerie, officier de la Légion d'honneur ; M. et Mme Reannier ; Mme Victor Regnault et M. Victor Regnault, ingénieur des mines ; M. Eugène de Marcilly ; M. et Mme Richard ; Mme Félicité Tardy ; M. Richard Duval ; MM. Henri et Tomy Perron ; M. Léon Regnault ;
Ont l'honneur de vous faire part de la perte douloureuse qu'ils viennent de £aire en la personne de M. Amaury Duval, membre de l'Institut, vice-président de l'Académie des inscriptions et belles lettres, officier de la Légion d'honneur, leur père, beau-père, grand-père, frère, beau-frère, oncle, grand-oncle et arrière-grand-oncle, décédé en sa demeure à Paris, le Lundi, 12 novembre 1838, à l'âge de 79 ans.

Il nous permet de confirmer des informations obtenues par ailleurs, surtout par Amaury-Duval dans son livre de souvenirs. Ils reconstituent les liens de parenté entre Amaury-Duval et son successeur au 5e degré, Eugène de Marcilly, qui avait 16 ans l’année de ce décès en 1838.

De plus, le travail de Mme Véronique Noël-Bouton-Rollet apporte des précisions utiles pour établir certains liens de parenté. Elle est l’auteure d’une thèse récente (2007) de doctorat à la Sorbonne, en Histoire de l’art moderne et contemporaine, intitulée : « Amaury-Duval, l’homme et l’œuvre. » c’est un immense travail, constituant la référence pour connaître Amaury-Duval.

Pour mieux situer ces liens familiaux, nous avons repris ci-après les noms indiqués dans le faire part, en les rangeant par liens de parentés avec le défunt, puis nous avons ajoutés des précisions sur les liens existants entre eux.

Père et beau-père : M. Amaury Duval, Mme Guyet-Desfontaines et M. Guyet-Desfontaine
Grand-père : Mme Isaure Chasserieau
Frère : M. Alexandre Duval et Mme Alexandre Duval ; M. Henri Duval ; Mme Guézou (née Pineu-Duval)
Beau-frère : M. Isidore Guyet (marié à Gilberte Tardy, sœur de l’épouse du décédé) ; M. Tardy (frère de l’épouse du décédé) et Mme Tardy
Oncle : Mme Clément (Adèle, fille de Alexandre Duval) et M. Clément ; Mme veuve Mazois (Jenny-Malvina, fille de Alexandre Duval) ; M. (fils de Henri Duval) et Mme Edmond Duval ; M. et Mme Perron (fille de Henri Duval) ; M. Alexandre Guézou (fils de Mme Guezou) ; M. Aristide Guézou (fils de Mme Guezou) ; Mme de Marcilly (née Adélaïde Guezou, fille de Mme Guezou) et M. de Marcilly (Bénigne, Pierre Louis)
Grand-oncle : M. et Mme Reannier (?) Mme Victor Regnault (fille de Adèle Clément) et M. Victor Regnault ; M. Eugène de Marcilly (fils de Adélaïde Guezou, né le 6-3-1822)
Liens de parenté non établis : M. et Mme Richard (?) ; Mme Félicité Tardy (?) ; M. Richard Duval (?) ; MM. Henri et Tomy Perron (?) ; M. Léon Regnault (?). Parmi ces derniers, existe un lien d’arrière grand-oncle avec le décédé.

Ce texte du faire part, suscite aussi quelques remarques et commentaires divers de notre part :

1- Amaury-Duval se fait désigner comme peintre d’histoire, comprenant l’histoire religieuse, où il s’est le plus exprimé.

2- Isidore Guyet, le beau-frère du décédé et le cousin de l’ancien propriétaire de Linières, Joseph Guyet, est présenté comme homme de lettres. Il a surtout été journaliste, accessoirement parolier de chansons, et il a réalisé une bonne édition de Voltaire.

3- Eugène de Marcilly est cité dans ce faire part en tant que petit-neveu. Il a 16 ans au jour du décès et c’est lui qui héritera de Linières, suite au décès d’Amaury-Duval, en 1885, 47 ans plus tard. Il aura alors 63 ans.


Emmanuel François, tous droits réservés
février 2010, modifié en août 2014

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samedi 16 janvier 2010

Pierre Maindron, un combattant vendéen honoré

À la page 158 de mon livre, Les châtelains de Linières à Saint-André-Goule-d’Oie, je cite le nom de tous les premiers fermiers et domestiques habitant Linières. C’était en 1846, date du premier recensement nominatif par villages à Chauché. C’est ainsi que nous rencontrons la famille Maindron, avec l’aïeul, Pierre, âgé de 80 ans. Il mourra à Linières quatre ans plus tard.

Il est indispensable de revenir sur cet homme à nouveau. De nouvelles informations ont été découvertes à son sujet, depuis la deuxième version de mon article en juin 2010. D’abord le livre de René Valette : « Une poignée de héros » (1902), disponible aux Archives de Vendée dans le fonds du comte de Chabot. De même, les publications de la Société d’Émulation de la Vendée, disponible aux Archives de Vendée, donnent des comptes rendus intéressants sur les comices agricoles de cette époque. Enfin, l’étude des lettres à ses électeurs de Guyet-Desfontaines (Bibliothèque Nationale) nous a permis de mieux comprendre ses opinions politiques. C’est pourquoi nous reprenons notre article dans une dernière version, plus complète, remplaçant la précédente de janvier 2011.

Pierre Maindron fut capitaine dans l’armée de Charette et c’est à ce titre que la postérité a gardé son souvenir. De plus, ayant été un habitant de Linières, l’histoire du domaine ne pouvait que s’intéresser au personnage.


Capitaine dans l’armée de Charette

 

Il était né à la Bleure de Chauché à l’époque, le 24 septembre 1766 (vue 49). Ce village a été rattaché à la Rabatelière dans les années 1970 (1), et il y a une plaque sur la maison de sa naissance.

Ses parents, Jean Maindron et Jeanne Drapeau, étaient devenus métayers à la Bleure le 23 avril 1760, venant de la Roche Mauvin (2). Ils s’étaient mariés en 1751. Jean Maindron arrentera quelques petits biens situés à Doullay (Saint-Fulgent), lui venant de son père Pierre Maindron, en 1774, moyennant une rente foncière annuelle et perpétuelle de 12 livres, à laquelle s’est ajoutée la somme de 48 livres qu’il a reçue comptant (3). Comme d’autres petits propriétaires, il préféra devenir métayer d’une grande exploitation, plutôt que de vivoter sur une petite exploitation lui appartenant. C’était le cas aussi des Boisson à la Roche Mauvin et des François à la Télachère.  

Remarqué, dit-on, pour son intelligence, Pierre Maindron était cocher au château quand la guerre de 1793 se déclencha. L’historien Valette est peut-être trop précis sur ce point, car dans les livres de comptes du château de la Rabatelière, ce détail n’est pas confirmé (4). La réalité doit être un peu différente. Au début de la guerre, on lui aurait demandé d’aller cacher ses chevaux dans les marais de Machecoul, demeure de René Thomas Montaudouin, pour les soustraire aux réquisitions.

Thérèse Montaudouin, cohéritière de la Rabatelière par son père, avait épousé en 1780 dans l'église de Sainte-Croix de Nantes, René de Martel, baron de Rié. Ce dernier décéda en 1785 à l’âge de 32 ans, laissant une fille unique, qui mourut peu de temps après lui. La jeune veuve ne se remaria pas et resta à Nantes, le temps de la Révolution, dans son hôtel particulier de la place de la Liberté (actuellement place Foch).

Pierre Maindron fit partie des jeunes du canton de Saint-Fulgent qui suivirent Charles Aimé de Royrand dans le premier combat important du centre de la Vendée à la Guérinière en mars 1793. C’est alors qu’il alla récupérer l’un des chevaux de Mme de Martel à Machecoul, Robine, c’était son nom. Il semble que ce soit Baulmer probablement, le régisseur des Montaudouin pour leurs propriétés du marais, qui lui fournit la jument « Robine », selon l’abbé Boisson (5). Il fit alors partie de la cavalerie vendéenne.

Il ne voulut pas traverser la Loire en octobre 1793 pour suivre l’armée vendéenne et il alla rejoindre Charette qui en fit un de ses capitaines et un de ses aides de camp. « Toutes les missions qui demandaient intelligence, audace et célérité, Maindron en était chargé par Charette. S’agissait-il de rappeler sous les drapeaux six ou sept paroisses pour un cas pressant, pendant une seule nuit, Maindron à cheval parcourait le pays, assignait les rendez-vous, et aux premières lueurs de l’aurore il était de retour au quartier général. » (6).

Le 13 octobre 1794 il fait partie de la division royale de Montaigu, commandée alors par Pierre Dejean, ainsi que le montre sa signature dans un acte de baptême à la Copechagnière (vue 2 du registre clandestin numérisé), avec d’autres officiers et soldats. Dans une liste des officiers de la Vendée militaire publiée en 1887, on relève son nom ainsi : « Maindron, capitaine de Charette, 1793 à 1796 à Chauché » (7). Alors que Charles Henri de Sapinaud avait remplacé le général de Royrand après 1793 dans l’armée du Centre. Un de ses faits d’armes mémorable s’est déroulé au logis de la Boutarlière à Chauché. Mais il est utile d’abord d’en décrire le contexte en reprenant les explications de l’historien G. Lenotre (8).


L’affaire de la Boutarlière en février 1796


Depuis le traité de la Jaunaye, conclu entre les républicains et Charette le 17 février 1795, une paix relative régnait en Vendée, rompue ensuite de part et d’autre pour promesses non tenues. Le général républicain Hoche veut capturer Charette en ce début d’année 1796 et y parviendra le 23 mars 1796 dans les bois de la Chabotterie. Mais entre-temps des contacts existaient entre les ennemis pour tenter l’arrêt des combats.

C’est ainsi que Hoche a fait parvenir un ultimatum pour la reddition de Charette à son subordonné, le général Gratien, le 12 février 1796. Ce dernier envoie alors un message au curé de la Rabatelière, qui servait d’intermédiaire, pour faire parvenir ce message à Charette. C’est un paysan que le curé envoie contacter Charette personnellement. Mais le général républicain Travot, au courant de rien, apprend le 15 février au matin que Charette a couché à la Boutarlière (Chauché). En y arrivant, ses soldats aperçoivent le paysan messager, le tuent et découvrent sur le cadavre le message du général Gratien. Embarrassé, Travot encercle la Boutarlière et voit Charette en sortir avec sa troupe d’une centaine de cavaliers et cinquante fantassins ; il les laisse passer sans attaquer, renvoie à Gratien la lettre qu’il vient de découvrir et s’installe dans la ferme de la Boutarlière évacuée par les soldats vendéens. C’est donc ce matin du 15 février que se place l’action de Pierre Maindron, telle qu’elle est racontée dans un article de la revue du Souvenir Vendéen (9).

« Charette avait dû s’enfuir précipitamment du logis dans la nuit du 14 au 15 février 1796, pour échapper à une patrouille républicaine de Travot. Y ayant oublié son portefeuille sur la cheminée, contenant des papiers importants, Pierre Maindron réussit à le récupérer en fonçant, sabre au clair, contre un groupe de soldats voulant l’empêcher de sortir du logis



Dans la revue de l’association du Souvenir Vendéen, François Chatry retrace la journée de l’association du dimanche 10 septembre 2000 dans la région, consacrée à honorer la mémoire de Pierre Maindron (1766-1850) :
- Inauguration de la plaque fixée sur le mur de clôture à l’entrée du château de la Rabatelière, en l’honneur de Pierre Maindron. On y notait la présence de Gabriel Maindron, un de ses descendants, qui a montré le sabre de son aïeul, un cadeau de Charette, dit-on. Ou plutôt une récompense attribuée à la Restauration (10).
- Visite de la Boutarlière où Pierre Maindron a réalisé son glorieux fait d’armes,
- Visite de Linière où il est mort, après un arrêt dans l’église de Saint-André pour voir la Croix de Charette. Enfin, repas chez Debien.

Revenons au récit de René Valette : « Maindron avait dans sa monture un précieux auxiliaire. C’était une bête de taille, possédant beaucoup de sang et sautant avec aisance les plus hauts obstacles. Dans un combat, Maindron aidé de Robine était capable des plus incroyables prodiges. On le voyait partout à la fois, le sabre en l’air, frappant d’estoc et de taille, et toujours insaisissable pour ses ennemis. Cerné, un jour, par des hussards, il va être très certainement massacré. Il n’en est rien. Poussant Robine à toute vitesse, il se fait jour à travers les rangs ennemis, et une fois encore échappe au danger.

Robine fit toute la grande guerre sous le capitaine Maindron. Et ni l’un ni l’autre ne reçurent la moindre blessure. La vaillante bête mourut, longtemps après la guerre, à la ferme de la Fesselière, dépendant également de la belle terre de la Rabatelière. Elle était âgée de 30 ans. Sa noble maîtresse avait voulu lui accorder tous les privilèges des Invalides. » 


Au service de la châtelaine de la Rabatelière et du roi, maire de Chauché (1796-1830)


Pierre Maindron se maria en 1798 avec Jeanne Cauneau. Leur union fut bénie dans une grange du village de la Maigrière, de Saint-André-Goule-d’Oie, au pied d’un autel improvisé, par l’abbé Brillaud, vicaire de Saint-Fulgent, qui se cachait toujours dans les environs avec le curé Allain de Saint-André (11).

Il vécut à la Chapelle de Chauché dans la propriété de sa femme après la guerre. Dans le même temps il continuait à s’occuper des affaires de Mme de Martel, René Thomas Montaudouin étant mort en octobre 1802. Celui-ci avait été radié de la liste des émigrés le 22 novembre 1801. Ses deux enfants survivants sont morts, l’un le 25 février 1791 (Françoise, 2 ans), l’autre le 10 mars suivant (Thomas, 6 ans). Et sa femme mourra le 10 mai 1802 (12). Ainsi voit-on Pierre Maindron représenter la seule châtelaine de la Rabatelière désormais dans un acte de transaction devant le notaire de Saint-Cécile pour l’extinction d’une rente le 19 décembre 1805 (13). Il fait de même dans un acte d’échange devant le notaire de Chavagnes de lots fonciers à la Benetière le 24 décembre 1812 (14). En 1806 Sorin, le fondé de pouvoir de la châtelaine écrit à cette dernière : « Il faudra que Maindron aille chez le juge de paix des Essarts et lui remettra les projets de citations ci-joint, et le priera de s’y conformer. Il s’assurera du jour où il faudra comparaître, afin qu’il s’y trouve. Il emportera avec lui les procurations » (15).

Dès 1802 il déclare occuper le poste de régisseur au château de la Rabatelière dans la déclaration à l’état-civil de la naissance de son fils, Thomas René Marie, à la date du 25 floréal an 10 en mairie de Chauché (vue 20). Il déclare sa demeure à la Chapelle de Chauché. Le plus intéressant est de consulter le registre paroissial clandestin de Chauché pour le baptême du même fils, à la date du 1e mai 1802 (vue 18). Le parrain est « « messire René Thomas de Montaudouin, et la marraine est Thérèse de Martel », frère et sœur. Ils sont absents à la cérémonie et représentés par un oncle et une tante du bébé. De retour d’émigration et ruiné, la femme de René Thomas de Montaudouin venait de mourir le 20 floréal précédent. Lui-même mourra à Nantes cinq mois après (16). 

Pierre Maindron et Jeanne Cauneau eurent 10 enfants, dont 4 morts très jeunes et un mort à l’âge de 16 ans. On voit Pierre Maindron faire un prêt à un de ses neveux demeurant à la Bichonnière (Chauché), Pierre Cauneau (1783-1830), meunier. Ce dernier avait été tiré au sort pour servir dans l’armée active, c’est-à-dire à cette époque devenir soldat de Napoléon. Comme cela était alors possible, il se fit remplacer par un conscrit moyennant finance. Il versa 700 francs au conscrit à Fontenay, après que l’incorporation de ce dernier fut acceptée, en mars 1804. Pierre Maindron accompagnait son neveu à Fontenay, et c’est lui qui avança l’argent. L’oncle et le neveu convinrent ensuite devant le notaire de Chavagnes d’un prêt sur 4 ans avec 7 % d’intérêts (17). Pierre Cauneau se maria deux mois plus tard avec Jeanne Perrine Cailleteau, le 21 mai 1804 à Chauché (vue 50). Il était le fils de Louis Cauneau (1759-1801), frère de Jeanne (1775-1849), l’épouse de Pierre Maindron (18).

Le neveu Pierre Cauneau avait un frère, Jacques (qui épousa Jeanne Roy des Landes Jarry à Chauché). Celui-ci agressa verbalement dans un cabaret de Chauché vers la fin 1790 le capitaine des gardes nationaux de Chauché, François Bossard. Puis il l’accusa en juin 1791 d’une tentative d’assassinat sur sa personne au retour d’une foire des Essarts, ce qui conduisit François Bossard en prison à la Roche-sur-Yon. Ce dernier en sortit disculpé au bout de quelques mois, et les témoignages figurant dans son dossier montrent clairement la fausseté des accusations portées contre lui (19). Or il se trouve que ce François Bossard était un cousin de Jeanne Perrine Cailleteau, la future belle-sœur de l’accusateur (2e épouse du frère Pierre Cauneau). Jacques Cailleteau (père de Jeanne Perrine), était le frère de Marie Anne Cailleteau qui avait épousé René Bossard (père de François). Ces cousins se divisèrent profondément pendant la guerre de Vendée, et même entre frères au sein des Cailleteau, dont l’un fut maire de Chauché dans le camp des révolutionnaires.

Pierre Maindron continua plus tard cette fonction de régisseur au château de la Rabatelière. En 1820 il habitait toujours la Chapelle, étant devenu maire de Chauché (20). Le 4 vendémiaire an 14 (26-9-1805) il renouvela le bail d’une métairie lui appartenant (ou venant de sa femme) à la Chapelle. Les métayers sortants étaient les Charrieaux, et les entrants étaient la communauté de la veuve Piveteau, son gendre Louis Begaud et un autre jeune parent, Pierre Piveteau, tous venus de la Télachère (Chavagnes). Le bail était à partage des fruits à moitié entre le bailleur et les preneurs, évalué pour les droits d’enregistrement à 450 F de revenus annuels (21). À cette date il est difficile de déduire la surface du bien loué de ce montant. En principe on était sur une petite métairie, mais était-elle en cours de réhabilitation après les ruines de la Guerre de Vendée ? Auquel cas le prix en tenait compte comme on en a des exemples à cette époque. Ce bail signifie-t-il que ses fonctions auprès de la châtelaine de la Rabatelière l’occupaient à plein temps, préférant louer sa métairie ? On ne sait pas répondre. Ce bail, prévu pour durer 7 années de 1806 à 1813, s’interrompit par accord amiable au bout de 3 ans (22).

Le 16 juin 1807 Pierre Maindron achète pour 1 200 F 4 petites pièces de terre et un toit à bestiaux à la Bichonnière, plus au Bouchollet (les deux à Chauché), une petite maison, un toit à bestiaux et deux planches de jardin. Aux mêmes vendeurs, les héritiers Piveteau, il achète une rente de 15 F par an moyennant 200 F (23). On n’a pas là de fortes valeurs, mais un fait significatif d’un homme qui amasse des biens. Et 1810 il achète la moitié d’une borderie pour 600 F payés comptant à la Bichonnière de Chauché à René Caillé et Jeanne Mesnard sa femme (24). Autre fait significatif, il est propriétaire en 1808 des bestiaux peuplant une borderie à la Chapelle occupée par sa mère (Jeanne Drapeau), son frère (François Maindron époux de Jeanne Aulneau) et sa sœur (Jacquette Maindron). Pour fixer les droits d’enregistrement ils ont été estimés à 790 F (25).

Après la Révolution, Mme de Martel racheta l'église, la cure, et ce qui leur appartenait avant la guerre, et elle fonda une école de filles avec une rente pour l'entretien des religieuses institutrices. Après sa mort en 1827, la terre de la Rabatelière fut acquise l’année d’après des héritiers de Mme de Martel par le comte Charles-Henri-Marie de la Poëze, d'une famille originaire de l'Anjou, et alors établie en Touraine, mais qui, au XVIIIe siècle, fut représentée en Bas-Poitou par divers de ses membres. C’est alors que Pierre Maindron aurait quitté le château de la Rabatelière pour prendre la ferme du château de Linières.

En 1815 il s’enrôla sous les ordres de M. de Puitesson, établit à Chauché, pour combattre le retour de Napoléon de l’île d’Elbe qui avait chassé le roi Louis XVIII. Il s’y distingua dans son titre de capitaine de cavalerie. On sait que de Puitesson, faisant partie de l’armée du comte de Suzannet (habitant Chavagnes-en-Paillers), participa, notamment, au combat contre la troupe du général Travot le 18 mai 1815, près de l’Aiguillon. Il y eut des batailles rangées contre une armée napoléonienne commandée par le général Lamarque. Une de ses divisions était commandée par le général Brayer, le grand-père du futur propriétaire de Linière de 1868 à 1875.

Après le second retour du roi au pouvoir, Pierre Maindron fut récompensé pour son passé de combattant. En 1823, il reçut une modeste pension viagère de 100 F. sur la cassette du roi, et un sabre d’honneur, « seule preuve qui reste à ses enfants des glorieux services de leur père. Ils conservent aussi précieusement le vieux sabre qui tant de fois s’est rougi du sang républicain », écrit René Valette.

Chauché

Pierre Maindron, ainsi qu’en témoigne cet engagement militaire, était un fervent soutien des Bourbons. Sous la Restauration monarchique, il accepta les fonctions d’adjoint et de maire de Chauché. En effet, sur le registre d’état civil de Chauché, on relève qu’il a occupé le poste d’adjoint au maire à partir de 1813 jusqu’en 1830, avec une interruption de mai 1818 à novembre 1823, où il occupa lui-même le poste de maire. Dans l’état de nomination au 1e janvier 1826 en tant qu’adjoint au maire de Chauché, Auguste Querqui de la Pouzaire à cette époque, il est indiqué qu’il est né le 24 septembre 1766 et qu’il est « ancien officier de l’armée royale vendéenne » (26). L’adjoint et le maire, dans les petites communes, étaient nommés par le préfet et leur rôle consistait nettement à relayer la politique de l’exécutif, y compris dans ses aspects partisans. D’ailleurs, après la Révolution de juillet 1830 qui chassa Charles X de son trône et installa le roi-citoyen, Louis Philippe d’Orléans, Pierre Maindron et Auguste Querqui de la Pouzaire démissionnèrent en guise de protestation contre la prise de pouvoir des libéraux orléanistes dont faisait partie Guyet-Desfontaines, le propriétaire de Linières. C’est à ce moment-là aussi que le nouveau pouvoir, ennemi des Bourbons, lui supprima sa pension d’ancien combattant vendéen.

C’est pour avoir signé « un libelle dirigé contre l’administration supérieure de ce Département et ayant pour titre : Réponse à la proclamation du préfet par intérim du département de la Vendée, en date du 21 novembre 1815 » que le maire de Chauché, M. Puitesson, fut suspendu de ses fonctions le 31 décembre 1816.

Pierre Maindron va officier ainsi ensuite sur le registre d’état civil de la commune de 1817 à mai 1818 en tant qu’adjoint, puis de mai 1818 à novembre 1823 en tant que maire. Ensuite, M. Puitesson redeviendra maire à nouveau jusqu’en 1825.


La fin de sa vie à Linières de 1830 à 1850

Ingres : portrait de Guyet-Desfontaines

Adjoint aussi longtemps à la mairie de Chauché et maire légitimiste de la commune pendant cinq ans et demi, cela n’a pas empêché Pierre Maindron de travailler pour le député orléaniste Guyet-Desfontaines. Propriétaire de Linières, ce dernier était connu pour son engagement politique favorable à la nouvelle monarchie de Juillet, « usurpatrice » pour les légitimistes. Il défendait les acquis de la Révolution et ne portait pas dans son cœur les rois Louis XVIII et Charles X, qu’il accusait, entre autres, de manquer de patriotisme. On l’a entendu répondre à la chambre des députés au ministre Guizot, rappelant qu’il était allé trouver Louis XVIII en 1814 à Gand, pendant les Cent Jours, pour lui recommander une politique de la Charte qui soit « constitutionnelle » et non « réactionnaire », à la différence de la première restauration : « Et pendant ce temps-là, la France courait aux combats » (27).

Pierre Maindron fut remplacé au château de la Rabatelière par les nouveaux propriétaires, de la Poëze, laissant la place vers 1832 à un jeune homme de 24 ans, Jean Renou (28). C’est alors que Guyet-Desfontaines le récupéra.

Cet engagement à Linières, entre deux hommes appartenant à des camps politiques opposés, est moins étonnant qu’il n’y parait au premier abord. En premier lieu, nous savons que les deux hommes en présence, le propriétaire et le fermier, sont intelligents.

En deuxième lieu, il n’était pas facile de trouver sur place un fermier républicain, voire orléaniste.

Et puis en troisième lieu, il y a les compétences du fermier. L’époque était au progrès dans l’agriculture (engrais, machines, plantes fourragères) et à son encouragement, notamment par les concours des comices agricoles, créés à cet effet. Or les Maindron de Linières se distingueront. Les fils de Pierre Maindron obtiendront des prix au comice agricole de Montaigu-Saint-Fulgent :

-    En 1857 le 2e prix pour la catégorie taureaux reproducteurs 1 à 2 ans (récompense de 45 F.) et le 1e prix (24 F.) pour la catégorie génisses (est indiqué : Maindron aîné Linières) et le 3e prix (20 F.) pour la catégorie génisses (est indiqué : Maindron jeune)
- en 1859 le 1e prix pour la catégorie taureaux (récompense de 50 F.) et le 3e prix dans la catégorie brebis (récompense de 15 F.)

En quatrième lieu, il ne faut pas oublier que les orléanistes comme Guyet-Desfontaines adoptaient une position de juste milieu en politique. Elle prédisposait ainsi le député à une ouverture d’esprit naturelle à l’égard de l’ancien combattant Pierre Maindron. Le député voyait ce dernier plutôt comme une victime des excès de la Révolution. Tous deux étaient monarchistes, mais se séparaient sur la branche à servir, légitimiste ou orléaniste. Ils n’avaient pas le même regard sur la Révolution, le légitimiste rejetait tout de la Révolution et l’orléaniste n’en rejetait qu’une partie.

Que Pierre Maindron ait conquis l’estime du châtelain de Linières et suscité du regret à sa mort, se comprend assez bien, malgré les divergences d’opinions politiques.

Ses liens familiaux avec la famille des meuniers, nommés aussi Maindron, sont confirmés par sa présence à Saint-André comme témoin d’un mariage le 2 juillet 1832, alors qu’il habitait à Linières (vue 340). La mariée s’appelait Thérèse Maindron, fille de François Maindron, farinier demeurant à la Gandouinière. Elle épousait Jean Richard de la Bourolière, fils d’une famille très éprouvée pendant la Guerre de Vendée.

C’est à Linières qu’il s’est éteint le 14 août 1850 (vue 11 sur le registre de Chauché), âgé de 84 ans. Son épouse y était morte l’année d’avant le 18 juin 1849 (vue 40). Et le 25 juin 1849 (vue 41) naissait à Linières un petit-fils, Jean Marie, fils de Marie Augustin Maindron, 46 ans, et de Jeanne Richard, 35 ans.


(1) Archives de Vendée, délimitation de la commune de Chauché en 1937 : 1 M 290.
(2) Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/E 36, ferme du 9 janvier 1759 de la métairie de la Bleure.
(3) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/7, vente du 6-5-1774 d’héritages à Doullay de Jean Maindron laboureur (Bleure) à Jean Maindron journalier (Doullay).
(4) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 30, notes sur Pierre Maindron. Et Livre des recettes et dépenses de 1785 à 1789, Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière, : 150 J/I 55.
(5) 7 Z 46-3, notes sur Pierre Maindron, combattant vendéen.
(6) René Valette, Une poignée de héros, (1902), dans Archives de Vendée, fonds du comte de Chabot. Le chroniqueur est un écrivain combattant de la cause royaliste, dans une époque de fortes tensions avec les gouvernements républicains. Il s’en suit une présentation militante, ajoutant des détails suggestifs invérifiable à des faits bruts recueillis par des témoignages vers le milieu des années 1800. La trame des faits est néanmoins crédible.
(7) Collectif dirigé par Alexis des Nouhes, Généraux et chefs de la Vendée militaire et de la chouannerie, 1887, réédition en 1980 no 230, page 109.
(8) G. Lenotre, Monsieur de Charrette, Hachette (1924), page 270.
(9) Souvenir Vendéen No 213 (décembre 2000).
(10) P. Gréau, Les armes de récompense aux vétérans des armées de l’Ouest, La Chouette de Vendée, 2019, pages 112, et 177.
(11) Archives de la Vendée, consulter bibliothèque numérisée, sélection thématique, guerre de Vendée, bibliothèque de Chabot, notices biographiques BR 118, page 6 (vue 6).
(12) 7 Z 64, les Montaudouin, arbre généalogique de Thomas René Montaudouin.
(13) Archives de la Vendée, don Boisson : 84 J 29. Voir aussi le répertoire du notaire Gabriel Benesteau de Sainte-Cécile, étude A, à la date du 28 frimaire an 14, vue 5.
(14) 150 J/F 32, échange du 24-12-1812, de deux petits lots fonciers au village de la Benetière (Chauché) entre Thérèse Montaudouin et Louis Piveteau.
(15) 150 J/A 11, 2 projets d’actes du juge de paix des Essarts pour la Brosse Veilleteau et la Veronnière.(16) Idem (6). 
(17) Archives de Vendée, notaires de Chavagnes, Bouron : 3 E 31/21, aide de Pierre Maindron à Pierre Cauneau pour payer un conscrit (30-3-1804).
(18) Merci à Pierre Cauneau, descendant de leur frère Jacques Jude Cauneau. Le 31-8-2017.
(19) Affaire François Bossard/Jacques Cauneau, suite à la plainte de Cauneau le 3 juin 1791, Archives de Vendée : L 1771.
(20) Archives de Vendée, recensement de Chauché en 1820, vue 13. Merci à Joseph Gris ne m’avoir donné la précision de la résidence à la Chapelle.
(21) Ferme du 26-9-1805 de la métairie de la Chapelle de Pierre Maindron, Archives de Vendée, notaires de Chavagnes-en-Paillers, Bouron : 3 E 31/22.
(22) Bouron : 3 E 31/23, Résiliation du 30-3-1808 du bail de la métairie de la Chapelle de P. Maindron.
(23) Bouron : 3 E 31/23, Achat du 16-6-1807 de divers biens par Pierre Maindron.
(24) Bouron : 3 E 31/24, Achat du 20-9-1810 d’une moitié de borderie par Pierre Maindron.
(25) Bouron : 3 E 31/23, Acte du 16-12-1808 de propriété d’un cheptel par Pierre Maindron.
(26) Archives de Vendée, nomination des maires par le préfet, dossier 2 M 90.
(27) François Guizot, Histoire parlementaire de la France, discours de Guizot, Levy frères (1863) T3.
(28) Idem (5).


Emmanuel François
janvier 2010, et complété en août 2021