lundi 2 janvier 2012

Emma Guyet-Desfontaines dans son intimité familiale

Ingres : Emma Guyet-Desfontaines
(musée Bonnat de Bayonne)
Comme son mari, Emma Guyet-Desfontaines a été dessinée par Ingres en 1847 à la mine de plomb et rehauts de blanc (voir au musée Bonnat de Bayonne). Avec ce dessin d’Ingres, nous avons presque mieux qu’une photographie. Il entre dans la psychologie du modèle, et tout son talent est de l’exprimer. On se souvient du mot de ce peintre : « le dessin est la probité dans l’art ». Emma n’ayant pas la beauté des modèles du peintre, il ne la montre pas de face. D’ailleurs le caricaturiste des habitués du salon d’Emma, J. A. Barre (1) a choisi de la dessiner en pied et de loin. Ingres choisit une position de côté pour mieux mettre en valeur les qualités personnelles de cette femme. Certes, il laisse deviner sa corpulence, et sa coiffure, passée de mode maintenant, ne l’avantage pas. La mode des cheveux coiffés en bandeaux plats apparut à partir de 1840 (2). Mais Ingres valorise l’essentiel en montrant l’expressivité et la mobilité de son visage, frappantes chez elle. On la voit rieuse, ouverte aux autres. On devine sa capacité d’entraînement, sa spontanéité et son envie de bouger. Son caractère séduit.

Quand on compare son portrait avec celui de son père, la filiation est frappante, ce qui n’est pas du tout le cas de son frère Amaury.

Sa fille Isaure Chassériau et son frère Amaury-Duval


Comme nous l’avons déjà indiqué le couple Guyet-Desfontaines n’eut pas d’enfant. Isaure Chassériau, fille issue du premier mariage d’Emma, adoptée comme sa fille par son beau-père, fut leur unique enfant.

Son frère Amaury habitait au no 2 rue Valois (3), où il avait son atelier de peintre dès 1834, à l’âge de 26 ans. Plus tard il déménagea, rue Saint-Lazare no 54, et il eut une autre adresse au boulevard des Batignolles no 21 à la fin de sa vie, ayant ainsi deux ateliers à Paris (4). Elle fait venir son frère chez elle aussi en 1836, lui donnant une chambre et lui offrant un espace pour servir d’atelier. Emma est une vraie mère pour son frère. Au temps de leur vie commune à l’Institut, quai Conti, Amaury a fait partie de la commission d'artistes et de savants désignée par Charles X pour aller en Grèce lors de l'expédition de Morée, comme dessinateur dans la section archéologie. Il est parti en janvier 1829, mais il a dû abréger son séjour à cause d’une fièvre qu’il y a contractée. Les lettres d’Emma à son frère, pour lui donner des nouvelles de la famille, lui raconter les parties avec des amis à Montrouge, chez elle ou chez les Nodier (« combien je t’ai regretté ! ») montrent cet attachement de la grande sœur. Elle lui écrit de Londres : « J’aimerais à voir de ta chère écriture, à lire ce que ton affection pour moi t’inspirerait, afin d’être heureuse pendant quelques jours. » (5) Mais quand elle apprend qu’il est malade, elle éclate : « Tu me connais, tu sais combien je t’aime, combien tu m’es nécessaire. Je t’ai cru perdu, et j’ai été folle un moment. » (6) Elle part à Marseille au mois de septembre 1829, où il a été rapatrié, pour le soigner. Adolphe Thiers lui avait écrit pour la consoler (7) :

« Ma chère amie,
J’ai appris hier soir la triste nouvelle qui est venue vous affliger. Je conçois votre douleur, mais elle est prématurée. À l’âge de votre frère, on brave une fièvre, et plus que cela, je crois et je souhaite que vous serez bientôt rassurée. Je vous remercie de votre aimable sollicitude pour moi ; j’ai trouvé un Strabon, et je n’ai pas besoin d’user de la lettre de change de votre père.
Je le remercie ainsi que vous. Si j’ai un moment avant de partir, j’irai vous voir et vous rendre un peu de courage. Adieu. Tout à vous.
                                                              A. Thiers »

Ce tempérament de mère dont fait preuve Emma Guyet se comprend par sa personnalité bien sûr, mais pas seulement. La maternité était devenue au début du XIXe siècle la passion du jour, une nouveauté pour une part dans la haute société (8).

La maison de Montrouge


François Gérard : Juliette Récamier
Le couple Guyet-Desfontaines disposait de la maison de Montrouge, au sud de Paris, pour profiter de la campagne proche de Paris. Pour aider financièrement son beau-père, Marcellin s’en était porté acquéreur. La célèbre Mme Récamier, entre autres grande amie de Chateaubriand, loua le pavillon de Montrouge. Le texte suivant nous en donne la circonstance : 

« Revenue à Paris à la fin de 1816, Mme de Staël effraya ses amis par le spectacle de son changement. Sa faiblesse était excessive ; elle n'obtenait le sommeil et on ne calmait ses douleurs que par l'opium.
Mme Récamier, profondément inquiète pour la santé de son amie, Mme de Staël, n'était pas moins alarmée par l’état de maladie de sa cousine, Mme de Dalmassy. Elle n’eût consenti en pareille situation à s'éloigner ni de l'une ni de l'autre ; cependant elle désirait donner à sa cousine le calme de la campagne et la vue d’un jardin, en conservant la possibilité de voir Mme de Staël tous les jours. C'est alors qu'on lui indiqua à Montrouge le pavillon de La Vallière, qui appartenait à M. Amaury Duval, de l’Académie des inscriptions, et dont le parc était encore presque intact ; elle le loua pour la saison. » (9)

La maison de Louveciennes


Les enfants Duval avaient leurs souvenirs à Montrouge, mais le pavillon fut loué pour éponger les dettes de leur père, ou plus exactement celles du premier mari, M. Chassériau (10). Le couple Guyet-Desfontaines préféra louer, dès 1835, un pavillon à Luciennes (devenue Louveciennes) en Seine-et-Oise (devenue ici les Yvelines). C’était la mode dans les classes aisées de la capitale de préférer l’Ouest parisien, on disait que l’air y était plus sain, alors que Paris voyait un afflux massif de provinciaux dans ses murs et conservait encore l’essentiel de sa structure urbaine du Moyen-Âge.

Ils y passaient l’été et y offraient à leurs amis un cadre nouveau de mondanités. « Nous avons reloué Luciennes. C’est là où je t’attends. C’est là où tu oublieras cette scélérate d’Italie, dans les délices de Capoue-Luciennes », écrit Emma à son frère qui est en Italie en 1836 (11). 

Un ami d’Emma, le compositeur de musique Henri Reber, lui écrit au cours de l’été 1841 : « Je suppose que la vie est toute autre à Luciennes (12) ; j’y pense bien souvent et désirais de tout mon cœur être un peu au courant de ce qui s’y passe. Je compte sur votre obligeance pour m’en écrire quelque peu. Je sais que ce n’est pas une indiscrétion que de vous prier d’une lettre, c’est pourquoi j’ai la fatuité de croire que vous voudrez bien me répondre et me donner de vos nouvelles les plus détaillées possibles. J’espère que vous êtes tous en bonne santé… Que fait Delsarte ? (13) Je ne doute pas qu’il soit souvent à Luciennes, c’est pourquoi je vous prierai de lui rappeler mes amitiés et de l’engager à travailler sa voix. » (14)

La maison de Marly


Villa "les Délices" à Marly le Roi
À la fin de l’année 1847, les Guyet-Desfontaines louent une maison à Marly-le-Roi dans un parc de 13 hectares, tout à côté de Luciennes et de Saint-Germain-en-Laye. Construite au début du 19e siècle, son propriétaire la nomma « les Délices », reprenant le nom de la maison occupée par Voltaire à Genève en 1755. Emma l’appelle « la maison verte » dans une lettre à son frère, qui se trouve alors dans le Massif Central pour un projet de décoration de la cathédrale du Puy (qui ne se fera pas) : « Enfin nous avons une maison de campagne ! Une belle, une …que je voudrais que tu visses, avant que les feuilles ne soient encore toutes tombées ! C’est à Marly-le-Roi sur le plus haut point du département, en pleine forêt, et avec une vue digne de l’Italie ; les aqueducs terminent un des côtés du tableau, et de l’autre on a la Seine, les forêts, tout ce qui était joli et beau à voir de Luciennes. Mirasse, que nous y avons mené hier, était comme un fou. C’est vraiment beau, grand, une occasion unique, des serres délicieuses et garnies de filles de l’air… Connais-tu cela ? Ce sont des bûches soutenues dans l’air, sur ces bûches de la mousse, et dans cette mousse des fleurs ravissantes et des plus rares (15). Tu pourras mettre tes élèves dans mes serres, et réaliser enfin ton grand projet de tabac français, poussant sur ta fenêtre. J’ai de plus, paons, biches, pigeons, poules, vaches …des fleurs comme s’il en pleuvait, et des orangers comme aux Tuileries ! Viens donc voir tout cela….
Ta lettre m’a bien amusée et bien fait rire. Comme je te vois d’une jolie force sur la chasse, je te préviens que dans mon parc, j’ai beaucoup de lapins, et qu’ils sont à ta disposition… Adieu, voilà le facteur, je te quitte bien triste en t’embrassant de cœur.
                                                                                               Mille tendresses
                                                                                               Emma Guyet » (16)

La « maison verte », était située dans le village même de Marly, au no 3 place du Verduron ou place de l’Eglise (actuellement place Victorien-Sardou). C’était une grande maison bourgeoise construite au début du XIXe siècle par l’architecte de la Madeleine, Jean Jacques Huvé. Son entrée se situait à côté de l’église Saint Vigor au centre du village. D’architecture simple mais aux dimensions importantes, avec trois étages, elle pouvait accueillir les nombreux invités du couple. Sentinelles détachées d’un vaste et magnifique parc, deux arbres immenses lui apportaient leur ombre à chacune de ses extrémités. Il se dégageait de l’ensemble un air d’importance, poussant certains à l’appeler « château », malgré la simplicité de ses lignes (17).

Le couple Guyet-Desfontaines l’a louée d’abord comme « campagne », comme on désignait alors une résidence secondaire, y installant ses jardiniers. Il l’a achetée en 1854 et habitée souvent, puisqu’il figure en 1856 dans le recensement de la commune à cette adresse (18). Avec eux on relève la présence de leur petit-fils, M. de Brayer, de son précepteur, et de leur personnel de maison. Ce dernier comprenait un chef de cuisine, un cocher, une femme de charge, deux valets de chambres et une domestique. Habitent aussi à la même adresse le jardinier, Jean Lesueur, avec sa femme, son fils et sa fille et deux jeunes garçons jardiniers.

À côté d’eux se trouvait le château des Sphinx, alors propriété du comte de Béthune-Sully, dont la veuve était née de Montmorency-Luxembourg. L’auteur dramatique Victorien Sardou s’en rendit acquéreur en 1863.


Rachel en Roxane
Ils avaient aussi pour voisin, habitant près de l’avenue de l’Abreuvoir, Charles Henri Fitz-James (1801-1882). Son épouse, Cécile Marie Émilie de Poilly, qui y est décédé à l’âge de 42 ans en 1856, était une habituée des représentations chez les Guyet-Desfontaines, y jouant au piano notamment. Dans cette maison, les Fitz-James avaient succédé à la tragédienne Rachel. Celle-ci participa aussi à certaines représentations théâtrales chez les Guyet-Desfontaines (19).

D’autres amis célèbres du couple ont aussi habité Marly à cette époque et sont venus aux soirées et représentations organisées dans la villa « Les Délices » :
      Alexandre Dumas père, intime de la famille et acteur au théâtre des Guyet-Desfontaines, avait fait construire son château de Monte Cristo, près de Port Marly.
      Alexandre Dumas fils, qui hérita de la maison de Leuven, rue Champflour.
      La baronne Dupuytren, alors veuve du grand chirurgien, qui habitait la villa Le Chenil, sur la place du même nom, devenue place du général De Gaulle.
      Duveyrier, dit Mélesville, qui habitait la villa du Val Fleuri, aujourd’hui dans la rue Willy-Blumenthal. Cet auteur dramatique (1787-1865) joua avec son gendre et sa fille chez Guyet-Desfontaines. Sa fille Laure épousa Alfred Van der Vliet. Ces derniers habitèrent l’hôtel de Toulouse au no 46 de la Grande rue dans Marly.
      Victor Regnault (1810-1878), physicien célèbre et directeur de la manufacture de Sèvres a habité la place de l’Abreuvoir. Il était marié à Mlle Clément, une petite cousine d’Emma Guyet-Desfontaines.

Moins célèbre, mais intéressante à noter dans la vie des propriétaires du domaine de Linières, est la présence à Marly d’une sœur de cousins par alliance de Guyet-Desfontaines : Constance Legras de Grandcourt (1796-1877). Elle avait épousé en 1833 Joachim Franco, chef de bataillon au 107e régiment d’infanterie de ligne, domicilié à Metz. Ce dernier est mort à Marly-le-Roi en 1866. Ses deux frères s’étaient mariés avec deux sœurs Martineau, et vinrent s’établir chez elles à Saint-Fulgent, à deux kms du château de Linières.

Il est probable que cette résidence de Marly s’est transformée temporairement en résidence principale dans les années 1855/1856. Aussi en mai 1854 ils ont loué une maison située à Paris rue Duphot no 25 (20), où mourut leur fille Isaure. En effet, l’hôtel particulier de la rue d’Anjou a été détruit en 1861 lors du prolongement du boulevard Malesherbes. On sait aussi, qu’au moins dès 1855, Guyet-Desfontaines habita un hôtel qu’il avait acheté au no 13 de la rue de Tivoli, devenue ensuite rue d’Athènes. Marly a dû constituer un havre de paix, loin des travaux dans Paris et des embarras du déménagement.

J. A Barre : Guyet-Desfontaines
(1860)
Le suffrage universel, qui avait privé Marcellin de son siège de député de la Vendée en avril 1849, lui donna la fonction de maire de Marly-le-Roi du 26-6-1849 au 4-1-1852. Après la proclamation de l’empire par Napoléon III, il démissionna de son mandat de maire en signe de protestation. Il fut élu aussi conseiller général de la Seine-et-Oise.

Emma Guyet continua à recevoir ses amis à Marly comme à Paris, y organisant notamment des représentations théâtrales au bénéfice des pauvres de la commune.

Rappelons qu’en chemin de fer, Saint-Germain était à une demi-heure de Paris, une commodité nouvelle depuis 1837, quoique forçant à sortir de son quant à soi, puisqu’on entrait dans un des premiers services de masse de la société industrielle naissante. Emma Guyet ne manque pas de le souligner à sa manière quand elle écrit, relatant un voyage en chemin de fer à Londres, « Allons adieu. Je vais encore voir je ne sais quoi. Les chemins de fer sont tellement pareils aux nôtres, que je me crois toujours sur celui de Saint-Germain. On se presse autant pour y aller, on se précipite de même dans les voitures. C’est la même chose et on le manque aussi. » (21)

L’ouverture de cette ligne constitue un évènement historique. Les trains partaient de la place de l’Europe à Paris, en attendant l’ouverture de la gare de la rue Saint Lazare. Le son du cor donnait le signal du départ du train et il y avait trois classes appelées wagons (1,5 F), diligences (1,75 F) et coupés (2 F). Ces tarifs, valables les dimanches et jours fériés, étaient plus faible de 15 % en semaine pour les classes diligences et coupés. « On va à une rapidité effrayante et cependant on ne sent pas du tout l’effroi de cette rapidité. Malheureusement nous sommes négligents en France, et nous avons l’art de gâter les plus belles inventions par notre manque de soins ; on va à Saint-Germain en vingt-huit minutes, c’est vrai, mais on fait attendre les voyageurs une heure à Paris et trois quart d’heures à St Germain, ce qui rend la promptitude du voyage inutile. » (22)

Les vacances à Étretat


Falaises d'Étretat à marée basse
Un autre lieu comptera beaucoup pour la famille : Étretat. Il marque une nouvelle mode des milieux aisés : les bains de mer, conseillés par les médecins eux-mêmes. Déjà au milieu du 18e siècle avaient commencé les séjours à la mer (bassin d’Arcachon) et à la montagne (Pyrénées), mélangeant motivation thérapeutique et émotion procurée par la nature (23). Il est vrai qu’Emma souffrait de rhumatismes. Mais surtout, le séjour des vacances allait devenir une occupation distinctive de la plupart des rentiers. Autant dire que le château de Linières ne pouvait pas compter dans cette mode, perdu dans le bocage profond de la lointaine Vendée, et qui attendra encore avant que Nantes, puis Montaigu, soient reliées par le chemin de fer à Paris.

Le village d’Étretat en Normandie était devenu un lieu d’attraction pour beaucoup de peintres depuis 1820. C'est aussi à cette époque que l'on commença à bâtir des villas en style balnéaire. La construction de 1843 à 1845 de la route de Fécamp à Étretat, facilita l’accès à cette campagne du bord de mer. Surtout, la station succombe à la mode des bains de mer après 1845 grâce à Alphonse Karr (romancier d'inspiration romantique), auteur d'un roman à succès sur la ville, publié en 1836 : Histoire de Romain d'Étretat (Amaury-Duval a peint le portrait d’Alphonse Karr, exposé au salon de 1859). À la même époque la côte d’azur était aussi à la mode, mais était trop éloignée des parisiens, faute d’une ligne de chemin de fer en cours de construction.

Le premier document trouvé, signalant la présence des Guyet-Desfontaines à Étretat, date de 1850. Cette année-là, on compte « près de 200 baigneurs à la fois » et en 1852 s'ouvre un casino de planches et d'ardoises, sous l'égide de la Société des Bains de mer d'Étretat créée récemment, où l’on y donne des spectacles. La Plage d’Étretat sera le titre d’un des romans d’Emma Guyet publié en 1868.

Voici en quels termes Emma décrit les lieux à son frère :

« Mon cher ami,

                                   Tu nous as promis une visite et nous la voulons. Tu nous as dit que M. Marie (24) t’accompagnerait, il le faut absolument ; mais assez vite. Le temps est beau, la mer est belle, il ne faut pas trop tarder.
Ce qu’il y a de plus sûr, ce serait de m’écrire le jour de votre départ de Paris. J’enverrais alors une voiture à la station. Et en partance de Paris à 8 h du matin pour le Havre, vous prendrez vos places pour la station de Beuzeville où vous serez à 3 h. Là vous aurez une voiture envoyée par nous et vous serez ici à 5 h. Il faudrait mieux venir ici tout de suite et aller au Havre après.
Si vous aimez mieux le Havre d’abord, vous trouverez mille occasions de venir ici facilement en 2 h et demie.
Maintenant, qu’est-ce qu’Étretat ? Un endroit où, en arrivant on voudrait en repartir, et qu’on ne pense plus à quitter dès qu’on est triste ! C’est ravissant, un village à part de tout. Ce qu’on connaît, des bois au milieu du village, des sources d’eau claire et excellente, des maisons d’une propreté hollandaise (sauf les torchis), des promenades toujours nouvelles, et le tout d’une gaieté folle. Quant à la mer, admirable.
Chacun vit ici comme dans un château à 100 lieues de Paris. On est sans cesse dans la rue, aux fenêtres, habillés ou non, on s’apprête, on chante (il y a un piano), on se promène ensemble, on se baigne ensemble, sans aucune cérémonie. Moi, qui sais, et reste sur la rive, je ris de la quantité de mollets qui me passent sous les yeux.
Le poisson abonde, les crevettes sont pour rien. À chaque heure du jour arrivent des voitures les plus élégantes, des femmes charmantes qui viennent déjeuner ici et se baigner C’est un va et vient continuel. Une vraie rive d’Italie, rien n’y ressemble tant.
Nous manquons enfin du nécessaire et nous dormons à merveille ! Arrivez, …viens t’en assurer par toi-même.
Adieu, à bientôt. Je t’aime et t’embrasse.
                                                                                                            Emma Guyet » (25)

Espiègle, Emma ne peut pas s’empêcher d’évoquer la nudité des mollets des baigneurs. C’est que les femmes se baignaient alors vêtues d’une robe de bain et coiffée d’un bonnet, avec rubans pour les plus coquettes. Les cabines de bain sur les plages étaient donc indispensables pour se changer. Il fallut attendre un demi-siècle pour voir les jambes et les bras nus, et encore un autre demi-siècle pour voir le dos et le ventre. Ensuite, l’évolution s’accéléra aussi en ce domaine.


Les voyages à l’étranger


Une autre activité dans les milieux aisés de cette première moitié du XIXe siècle réside dans les voyages à l’étranger, voire en Orient. Stendhal (26) met à la mode la notion de « touriste » avec sa Chartreuse de Parme en 1839 (27).

Pont de Londres en 1795
Amaury Duval père avait noué des relations avec une famille d’Anglais, les Heath. Rien d’étonnant pour un ancien secrétaire d’ambassade au royaume de Naples et dans les États Pontificaux, et pour le directeur des Beaux-Arts en France. Emma était marraine d’une de leur fille, qui était venue faire un séjour à Paris au printemps 1829. Elle la reconduisit à Londres où elle comptait passer le mois de juin, y donner des leçons de musique et de chants et peut-être gagner un peu d’argent, laissant sa fille à Paris. La traversée de la Manche durait quatorze heures et elle était vécue comme une vraie expédition. Emma y a rencontré du succès. « …J’ai chanté, j’ai vaincu … On donnait bals et concerts pour la jolie dame de Paris » (28).

Avec son mari et Isaure (depuis que celle-ci a quitté son mari) ils vont régulièrement en Angleterre. En 1851, le fils de l’ami Augustin Jal, Anatole (29), fait aussi partie du voyage. On sait qu’après la Révolution de 1848, le roi des Français déchu et sa famille ont trouvé refuge dans la banlieue de Londres à Claremont. Alors les Guyet font leurs visites royales à l’occasion de leurs voyages. Ils resteront fidèles en effet aux Orléans jusqu’au bout.

Sans écarter la part d’exagération qu’Emma met parfois dans ses récits, elle nous livre une vision étonnante de ses voyages. Pour l’époque, visiter les Anglais représentait, apparemment, la découverte d’un monde aussi étrange que de nos jours la rencontre d’une tribu papou par des touristes européens !

Qu’on en juge par la lettre suivante d’Emma à son frère :

 « Londres ce dimanche 23 juillet
Mon cher ami,
J’imagine que peut être tu ne seras fâché d’avoir de nos nouvelles. Jusqu’ici il m’a été impossible de t’écrire, ne restant jamais plus d’un jour dans un endroit. Enfin me voici à Londres depuis hier, et vite je viens te dire comme nous sommes ! Si tu veux m’écrire poste restante au Havre, nous y serons dans une huitaine de jours. Avant, nous irons en Hollande. Il n’y a que 24 heures de mer, et pour des marins comme nous, qu’est-ce que 24 heures ? Nous comptons partir d’ici mercredi pour Rotterdam.
Notre voyage s’est assez bien passé, sauf les mauvais lits et toute espèce de bêtes ! Les Heath sont venus nous prendre à Brighton, et de là nous ont menés à leur maison de campagne. C’est délicieux ! Tous les enfants étaient réunis, quatre grands gaillards et les deux filles ! Tout cela beau et superbe. Mais deux de ces jeunes gens sont sourds et muets. C’est très triste à voir et très fatigant pour parler, joint à cela le peu de facilité pour la langue et tu auras une idée de l’agrément que nous avons eu ! J’avais renoncé à la parole.
Mon dieu que les anglais me sont odieux ! Quels gens, quelles mœurs, quels sauvages. 
Dans ce pays de liberté on ne peut porter une décoration sous peine d’être suivi ou hué. On ne peut se mettre à la fenêtre sans causer un rassemblement…
Hier soir nous avons été à l’opéra. J’ai vu la reine, qui est fort laide (30) et coiffée ! Puis la princesse Clémentine et son époux (31) ! Cela m’a fait un effet de revoir mes chers princes.
Je te quitte pour aller sous le tunnel (32). Je suppose que je resterai à la porte. De là nous irons à Windsor, voir le château et dîner. Il faut bien passer son dimanche. On ne peut même pas avoir de la bière à boire aujourd’hui. Rien ne se vend !..
Quand tu verras les dames Bertin et Lesourd (33), dis-leur que c’est mal à elles de ne pas avoir écrit un petit mot poste restante. Elles me l’avaient promis, surtout Mme Lesourd, pour le contrebandier à présent c’est trop tard puisque nous partons mercredi. Au Havre donc, poste restante, pour avoir de leurs nouvelles…………….
J’ai été sous le tunnel ! J’ai été à Windsor. Le château est admirable. Je n’avais jamais rien vu de pareil, un vieux gothique sans aucun ornement, de grosses pierres en grès, carrées, de grosses tours, de toutes formes. C’est superbe. Il y a énormément de Vandycke (34), d’Holbein (35), tous portraits de la famille royale. C’est très curieux…
Je t’embrasse tendrement.
Ta sœur
Emma Guyet
J’ai été prendre un bain. On a des baignoires en marbre, où on a la tête en bas et les pieds en l’air. Si on vous réchauffe son bain, on apporte un cric et on tourne à grand peine une manivelle. J’en ris encore. » (36)

Il ne faut pas oublier aussi que les Anglais étaient alors les « ennemis héréditaires » de la France depuis un siècle, avant d’être remplacés bientôt par les Allemands dans ce rôle. Ceci pourrait contribuer à expliquer  certaines violences de ton dans cette lettre.

La vallée du Rhin et l’Allemagne, Venise et l’Italie, la Suisse, et peut-être d’autres pays feront aussi partie de leurs destinations de voyages à l’étranger.


Sa fille Isaure, son petit-fils Marcel et son frère Amaury-Duval


Pendant ce temps le frère Amaury-Duval restait célibataire. Pourtant les bons partis ne devaient pas manquer et il fréquentait beaucoup de jolies femmes dans sa vie mondaine. Dans sa correspondance et ses notes nous le voyons sensible à l’attirance des femmes. Mais les encouragements de sa sœur n’ont visiblement pas suffi pour le conduire au mariage. Il est resté vivre chez elle et son beau-frère, partageant beaucoup de leur vie et de leurs fréquentations.

En 1854, le malheur vint frapper une première fois Emma Guyet. Elle perdit sa fille unique, comme nous l’avons indiqué dans l’article sur Isaure Chassériau. Qu’allait devenir Marcel, un enfant de douze ans quand sa mère est morte, alors que son père avait des devoirs et des droits sur lui ?

Pour la grand-mère, pas question de le lâcher et elle obtint gain de cause. « Nous avons été heureux, mon mari et moi, d’apprendre par Monsieur Guyet, que vous ne seriez ni inquiétée ni entravée dans vos projets sur ce cher enfant. Certes il ne saurait être sous une tutelle plus tendre et plus dévouée. » Ainsi s’exprime Louise Belloc dans une lettre à Emma. Nous aurons bien sûr l’occasion de revenir sur la vie de Marcel de Brayer. Mais dès maintenant, il nous faut souligner les liens très forts qui l’ont uni à sa grand-mère, sa deuxième mère.

Mottez : Amaury-Duval
(musée de la Roche-sur-Yon)
Ce qui veut dire en même temps que des liens très étroits se sont noués avec son grand-oncle Amaury-Duval. Ce qui veut dire aussi qu’il est entré à part entière dans le cercle riche et nombreux des amis de la famille. Il a été l’héritier de cette dernière dans tous les sens du terme.

De toute façon il semble bien que son père a été souvent absent pour son fils, alors même que les Guyet ont facilité les rencontres entre eux. Et ce père est mort à la fin de l’année 1863, alors que Marcel avait vingt-un ans.

Un détail révélateur noté dans le journal intime d’Amaury-Duval à la date du 1e janvier 1847 : « Le temps est magnifique, froid, mais pas un nuage au ciel. Visite habituelle aux grands-parents. Le soir à dîner mon oncle Guyet (37), Reber (38), Mottez (39). Ce matin, en allant chez Mlle Louise, (40) je vois la Seine prise. Le soir elle recommençait à couler. » On voit dans cet emploi du temps l’appartenance de l’oncle Amaury à la famille Guyet-Desfontaines, et dans la formulation, la place de Marcel déjà à six ans. C’est sa visite pour les vœux du nouvel an à Emma et Marcellin qui est notée, et non celle de ses parents. C’est typiquement un langage de grands-parents et de grand-oncle, déjà. Dans les mots utilisés ils reçoivent d’abord le petit-fils.

Et que de soucis son petit-fils a donné à Mme Guyet-Desfontaines ! Il n’y eu pas que l’accident grave arrivé à Linières en 1865, où Marcel a été blessé au visage. Il y eu aussi sa vie mondaine qui ne plaisait pas à la grand-mère. Elle voulait le marier et lui n’était pas pressé apparemment. Dans un testament de 1863, elle le fait son légataire universel bien sûr, étant légalement son seul héritier. Mais elle réserve un quart de la succession pour les enfants à naître de son petit-fils. Et pour s’assurer de la bonne application de ses dernières volontés, elle institue pour son exécuteur testamentaire son notaire et ami, Me Poumet. Dans un codicille elle indique que sa caisse de diamants est « pour l’offrir à la femme qu’il (Marcel) épousera et sans qu’il en puisse disposer autrement. » La grand-mère généreuse et inquiète tient à préciser aussi, comme si la loi ne l’avait pas prévu, qu’elle lui donne : « argenterie, bijoux, livres, tableaux, maisons, enfin tout ce que je possède, tout pour lui ! Qu’il en fasse un bon et sage usage ». Elle termine son testament par ces mots : « Je bénis mon enfant chéri. Que mon âme vive en lui ! » (41) Plus tard elle abandonnera cette réserve du quart de la succession, sans doute à cause de son illégalité, le code civil de l’époque ne le permettant pas de la part d’arrière-grands-parents pour les enfants de leurs petits-enfants.


(1) Jean-Auguste Barre (1811-1896) a été sculpteur et médailleur. On lui doit un buste de Guyet-Desfontaines. Il fut témoin au contrat de mariage d’Isaure Chassériau.
(2) D’Almeras, La Vie parisienne sous Louis Philippe, Albin Michel (1925), page 408.
(3) Elle a porté le nom de rue Batave de 1798 à 1814.
(4) Testament d’Amaury-Duval du 26 février 1885, Archives nationales, études notariales de Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/1032.
(5) Amaury-Duval, Souvenirs, Lettre d’Emma à son frère du 1-6-1829, page 186.
(6) Amaury-Duval, Souvenirs, Lettre d’Emma à son frère du 22-8-1829, page 218.
(7) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 34, lettre d’A. Thiers à Emma Chassériau du 21-8-1829.
(8) D’Alméras, La Vie parisienne sous Louis Philippe, Albin Michel (1925), page 453.
(9) Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier (1859), page 299.
(10) Inventaire après le décès de M. Amaury Duval du 19 novembre 1838, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/776. 
(11) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 34, lettre d’Emma à Amaury-Duval du 8-5-1836.
(12) Par rapport à sa vie retirée en Dordogne où il travaille au château de  Montcheuil.
(13) François Alexandre Delsarte (1811-1871) a été ténor à l’Opéra-Comique, et professeur de chant.
(14) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 33 lettre de H. Reber à Emma Guyet du 15-7-1841.
(15) Orchidées.
(16) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 33, lettre d’Emma Guyet à Amaury-Duval du 18-10-1847.
(17) C. Neave, Marly rues demeures et personnages, 1983, page 95.
(18) Archives des Yvelines, recensement de Marly-le-Roi, 1856.
(19) Rachel (1821-1858), actrice de théâtre adulée, parmi les plus célèbres de son siècle.
(20) Inventaire du 29 mai 1854 après le décès de Mme de Brayer, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV 839.
(21) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 33, lettre d’Emma Guyet à Amaury-Duval du 23-7-1854.
(22) Delphine de Girardin, Lettre Parisienne du 1-9-1837.
(23) Serge Briffaud, Face au spectacle de la nature, dans « Histoire des Émotions des Lumières à la fin du 19e siècle », Seuil, 2016, page 57 et s.
(24) Sylvain Marie (1805‑1870), ami d’Amaury-Duval dès le collège, originaire d’Auvergne, Préfet. Il était aussi très lié à M. Guyet-Desfontaines, dont il fit la déclaration de décès en 1857 avec un autre ami, Jal.
(25) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 34, lettre d’Emma Guyet à Amaury-Duval du 5-9-1850.
(26) Marie-Henri Beyle dit Stendhal (1783-1842), est un écrivain, auteur du  Rouge et le Noir, La Chartreuse de Parme et Lucien Leuwen.
(27) Pierre Guiral, Adolphe Thiers, Fayard (1986), page 44
(28) Amaury-Duval, Souvenirs (1885) Lettre d’Emma à Amaury-Duval du 15-5-1829, page 195.
(29) Anatole Jal, architecte reconnu, mais aussi élève d’Amaury-Duval. Il a peint à Linières
(30) Victoria, reine d’Angleterre de 1837 à 1901. Des historiens confirment l’impression causée par la laideur de la reine sur notre « piplette » d’épistolière.
(31) Clémentine d’Orléans, dite « Mademoiselle de Beaujolais » (1817-1907), est une fille du roi des Français Louis-Philippe Ier. Après la Révolution de 1848, la princesse avait quitté la France avec son père et la plupart des membres de la famille royale.
(32) Le premier tunnel sous un fleuve a été construit dans les années 1826-1828 par l’ingénieur d’origine française Brunel (un émigré de la Révolution) à Londres. En 1854 il constituait une curiosité et ne servait qu’aux piétons pour passer sous la Tamise.
(33) Amies proches. La première, épouse du directeur du Journal des Débats, la deuxième, épouse d’un sous-préfet.
(34) Van Dyck (1599-1641) a été peintre du roi d’Angleterre Charles Ier et de sa cour de 1632 à 1634 et de 1635 à 1641. Il représente l’école flamande de la période baroque, avec Rubens.
(35) Hans Holbein le jeune (1498-1543) est un peintre et graveur allemand. En 1536, il est nommé peintre-valet de chambre du roi d’Angleterre Henri VIII et devint en peu de temps le portraitiste officiel de la cour d'Angleterre.
(36) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 33, lettre d’Emma à Amaury-Duval du 23-7-1854.
(37) Isidore Guyet, marié à Félicité Tardy, fils de Jacques, un frère de Simon Guyet (maître des postes de Saint-Fulgent lors de sa mort en 1793, tué par les royalistes à Saint-Vincent-Sterlanges).
(38) Henri Reber, professeur au conservatoire, compositeur de musique. Un habitué de Linières.
(39) Victor Mottez, peintre élève d’Ingres et ami d’Amaury-Duval. Il a peint à Linières.
(40) Louise Bertin, qui habitait à Bièvres au sud-ouest de Paris, est sœur des directeurs du Journal des débats. Elle fut musicienne et poétesse. V. Hugo a écrit les paroles d’un de ses opéras.
(41) Testament de Mme veuve Guyet-Desfontaines du 3 novembre 1863, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/898.

Emmanuel François, tous droits réservés
Janvier 2012, complété en septembre 2017

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dimanche 4 décembre 2011

Retour sur la paroisse de la Chapelle de Chauché

Dans deux articles publiés en janvier 2010 et décembre 2012, j’ai fait le point sur les informations recueillies au sujet de la paroisse de la Chapelle à Chauché. Celle-ci posait problème en ce sens qu’elle était inconnue des archives diocésaines et départementales, et en même temps citée régulièrement dans les actes notariaux. Puis on découvrit son église paroissiale au village de la Chapelle à Chauché, et son activité religieuse comme annexe de la cure de Chauché, allant en déclinant jusqu’au début du 18e siècle. Les recherches dans les papiers des notaires de Saint-Fulgent sous l’Ancien régime et dans le chartrier de la Rabatelière, permettent maintenant de reconstituer en grande partie ce que fut cette énigmatique "paroisse". Au passage, ces recherches nous ont permis de découvrir la seigneurie de la Chapelle Begouin, et à son sujet de publier quelques articles entre octobre 2013 et février 2014. Voici donc l’histoire de la paroisse de la Chapelle de Chauché telle que les documents découverts nous la racontent.

Réflexions sur l’origine de la paroisse de la Chapelle de Chauché


Gauthier de Brugges
Le document connu le plus ancien est le pouillé du diocèse de Poitiers à la fin du 13e siècle, avant la création du diocèse de Luçon, publié par l’évêque Gauthier de Bruges. On y découvre la paroisse de Chauché avec son église dans le bourg actuel, dédiée à saint Christophe. Mais déjà point de mention de la paroisse de la Chapelle. Or on sait par ailleurs que les paroisses de Chavagnes, Chauché et Saint-André-Goule-d’Oie sont nées aux 12e ou 13e siècles, à partir de prieurés fondés pour les deux premières par l’abbaye de Luçon, et pour la dernière par l’abbaye de Nieul-sur-l’Autise.

Ces fondations de paroisses à cette époque ont mis fin à un certain désordre régnant parfois auparavant. Certes l’Église a profité des donations des seigneurs, donnant des terrains aux abbayes pour fonder des prieurés et des tenures agricoles pour faire vivre ces prieurés. Mais certains seigneurs ont profité de la situation pour bâtir eux-mêmes des églises, allant jusqu’à créer des paroisses avec l’aide de religieux trop faibles pour leur résister. Est-ce ce qui s’est passé à la Chapelle ? Ne disposant d’aucun écrit, rien n’autorise à répondre dans un sens ou dans l’autre. Mais l’évêque Gauthier de Bruges à Poitiers, constituant le premier pouillé connu de son diocèse, mentionne la paroisse de Chauché et non pas celle de la Chapelle de Chauché.

La notion même de paroisse mérite attention. Elle fut longue à mettre en place au cours du Haut Moyen-Âge. À l’origine le mot de « parochia » désignait l’ensemble des fidèles fréquentant une église, et non pas une circonscription territoriale (1).

L’abbé Aillery indique en 1892 dans ses chroniques paroissiales à propos de l’église de la Chapelle : « suivant la tradition, cette église aurait été d’abord l’église paroissiale dont le chef-lieu aurait été transféré à Chauché » (2). Ce transfert est rapporté par la tradition orale selon lui, et malgré son emploi du conditionnel, un certain nombre d’indices donnent du crédit à cette explication.

Limites de Saint André-Goule-d'Oie
Tout au long de l’Ancien régime, et notamment dans les papiers de la seigneurie de la Chapelle Begouin du 16e au 18e siècle, on voit que l’étendue de la paroisse de la Chapelle comprend l’espace nord nord-est de la paroisse de Chauché, incluant les seigneuries de Languiller, la Pitière, la Boutarlière et Linières (anciennement Droelinière). Leurs territoires correspondants font toujours partie du territoire de la commune de Chauché, qui a repris celui de la paroisse de Chauché. Si donc on a transféré l’église paroissiale du village de la Chapelle à l’habitat situé plus au sud sur un promontoire rocheux, devenu le bourg de Chauché, on a conservé l’espace de l’ancienne paroisse de la Chapelle dans celui de la nouvelle paroisse de Chauché. Ce qui explique, selon toute vraisemblance, pourquoi la limite de la commune de Chauché, continue toujours au 21e siècle de venir border le bourg de Saint-André-Goule-d’Oie, incluant le fief de Linières et ses dépendances d’autrefois (Villeneuve, Guérinière, Vrignais, Mauvelonnière, Louisière, Morelière), ainsi que la Boutarlière. À sa création au 12e ou 13e siècle, Goule-d’Oie, devenant Saint-André-Goule-d’Oie, ses limites ont donc dû tenir compte de celles existant déjà des paroisses des Essarts, de Saint-Fulgent, et de la Chapelle de Chauché. Les Essarts dépendaient aussi de l’abbaye de Luçon. Il n’y a que Saint-Fulgent qui dépendait alors de l’abbaye de Saint-Jouan-de-Marnes (Deux-Sèvres).

Dans un aveu de la baronnie des Essarts au duché de Thouars le 13 mai 1677, on lit que le « droit de guet et reguet, haute, moyenne et basse justice et juridiction telle qu’a un seigneur baron peut appartenir » s’applique « entièrement » sur les hommes du fief de la prévôté des Essarts et ceux habitant « des bourgs et paroisses de Sainte-Cécile, Saint-André-Goule-d’Oie, la Chapelle de Chauché ». Le reste de la paroisse de Chauché, hors la Chapelle, n’est pas cité dans cette liste (3). Si le droit de guet et de reguet (guet relevé ou contrôlé pendant la nuit) avait disparu depuis longtemps à la date de l’aveu, remplacés par une redevance, la compétence de la justice de la baronnie des Essarts, était toujours en vigueur. Et on sait que le bourg de Chauché était tenu par le seigneur de Puytesson, où il avait droit de haute justice, et relevait des châtellenies de la Jarrie, Merlatière et Raslière (4).

Sur la page suivante, l’aveu énumère les paroisses où sont situés les domaines de la seigneurie de Languiller, vassale des Essarts. Parmi elles, on lit : « … la Chapelle de Chauché, le Grand Chauché … ». Cette appellation de la paroisse du « Grand Chauché » est révélatrice de l’absorption de la paroisse de la Chapelle de Chauché, par la nouvelle paroisse créée sur un territoire plus vaste. On sait que le baron de Montaigu était suzerain d’une partie de redevances sur le fief du bourg de Saint-André en 1343 (5), et avant la fin du 14e siècle il s’était replié des terroirs situés à l’est de Chavagnes-en-Paillers au profit du baron des Essarts. La haute justice de ce dernier sur tout Saint-André-Goule-d’Oie parait donc postérieure à la création de la paroisse.   

La non existence "officielle" de la paroisse de la Chapelle de Chauché est aussi confirmée dans le registre paroissial de Saint-André. On n’y voit aucune mention de la paroisse de la Chapelle, s’agissant des paroissiens fréquentant l’église de Saint-André alors qu’ils habitaient sur son territoire. Dans les actes de baptêmes les concernant, le curé de Saint-André indiquait leur paroisse officielle de Chauché. Dans les actes de mariage il indiquait la permission préalable du curé de Chauché de donner la bénédiction nuptiale à un paroissien étranger à Saint-André.

L’église paroissiale de la Chapelle et ses paroissiens


Si le seigneur de la Chapelle Begouin s’est vu dépouiller du siège de l’église paroissiale, son église près de son hébergement du lieu de la Chapelle, a continué d’être desservie par le clergé du bourg de Chauché. On l’appelait quelques siècles plus tard la chapelle Begouin, du nom de la seigneurie fondatrice.

Schéma de M. J. Gris
La chapelle Begouin se trouvait au milieu du village, le long du chemin qui conduit de la Chapelle à la Limouzinière. Les recherches récentes de M. Joseph Gris permettent de la situer sur la parcelle no 53 du cadastre napoléonien de 1838. Le cimetière se situait aussi le long de la même route un peu plus loin vers la Limouzinière : parcelle no 83 en triangle sur le cadastre napoléonien (sections F6 et F7). Les traces de bâtis situées plus vers l’ouest de la Chapelle correspondent vraisemblablement au village contigu de la Galoctière, aujourd’hui disparu. 

Si dans les papiers de la seigneurie de la Chapelle Begouin on a continué longtemps, mais épisodiquement, à désigner de « bourg » le village de la Chapelle de Chauché, il n’existe pas de registres paroissiaux de la paroisse du même nom. Pourtant l’usage du mot bourg était réservé dans la région à la désignation du lieu où se trouvait l’église paroissiale. Elle était le lieu de rassemblement des fidèles le dimanche, et par conséquent un point d’attraction pour certaines activités artisanales et commerciales.
Néanmoins les habitants des environs ont fréquenté longtemps la chapelle Begouin, comme en témoigne le registre paroissial de Chauché. Sur celui-ci on relève à titre d’exemple un baptême le 17 avril 1602 (vue 26/91) par Normandin, « curé et recteur de l’église de Chauché et de la Chapelle », de Jacques Durcot, dont un parrain est « Jean de Montsorbier, écuyer seigneur dudit lieu de Montsorbier, demeurant à présent en la maison noble de la Pitière, paroisse de la Chapelle de Chauché ».

En 1609 la première page du registre des enterrements porte le texte suivant : « Guillaume Jounaudeau recteur de Chauché en Poitou 1609 - Papier ou catalogue de ceux qui ont été enterrés aux cimetières des églises de Chauché et La Chapelle. » Ce registre note des enterrements à la Chapelle jusqu’en 1668. Cette mention de la Chapelle n’est pas reprise dans les registres de baptêmes et de mariages. Et à partir de 1668, le registre commun aux baptêmes, mariages et enterrements ne fait pas non plus mention de la Chapelle. Le 3 mars 1671 on lit dans le registre paroissial de Chauché (vue 41/80) : « a été enterrée dans l’église de ce lieu …le corps du défunt maître Pierre Chanteau vivant prêtre, dernier curé de ce lieu de Chauché et la Chapelle… ». Il ressort de cette lecture du registre paroissial de Chauché que s’il n’existait pas de paroisse officielle de la Chapelle de Chauché, le curé de Chauché se disait aussi curé de la Chapelle, jusqu’au milieu du 17e siècle, c'est-à-dire pendant environ cinq siècles ! Il faut se rappeler à cet égard que le curé primitif de la paroisse de Chauché a d’abord été l’abbé de l’abbaye de Luçon, puis l’un des chanoines du chapitre de Luçon, déléguant sur place un curé desservant. Ce curé primitif ne devait vouloir connaître sur place qu’une seule paroisse, la sienne, même si la réalité était plus compliquée.

La Chapelle de Chauché
Tout se passe comme si les habitants de la Chapelle et des environs, attachés à leur église, ont continué de vouloir la fréquenter, et les curés de Chauché ont accédé à leur demande. Ce n’était pas une paroisse au sens organisationnel que l’église donne à ce mot, mais on continuait par la force de la tradition à l’employer, de temps en temps. Ainsi en parcourant les registres paroissiaux de Chauché on relève les diverses indications suivantes :

-        enterrement le 5 février 1671 (vue 40/80) « dans l’église de la chapelle Begouin ou de Chauché »
-        enterrement le 24 janvier 1612 au « cimetière de La Chapelle » (vue 6/84). Dans d’autres actes on indique « le grand cimetière de la Chapelle ». Peut-être désigne-t-on alors celui proche du bourg et du fief de la Barotière, lequel dépendait du fief de la Chapelle Begouin.
-        Inhumation de René Bousseau, sieur de la Vrignaye, demeurant à la « Chapelle de Chauché alias Chapelle Begouin » le 23 mars 1668 (vue 84/84) dans « l’église de la Chapelle »
-        bénédiction nuptiale dans « l’église de La Chapelle Begouin annexe de Chauché » le 6 octobre 1706 (vue 34/127)
-        « ce sont tous les actes de baptêmes, mariages, mortuaires qui ont été faits dans la paroisse de Saint-Christophe de Chauché et la Chapelle Begouin son annexe … ont été transcrits dans le présent registre pour obéir à l’ordonnance … ». Voilà ce qu’écrit le curé à la fin de son registre pour l’année 1675 (vue 17). La Chapelle Begouin était vue comme une annexe pour le clergé.

En plus de cet attachement des habitants à l’église de la Chapelle Begouin, il faut se rappeler que le seigneur du lieu y possédait le droit de s’y faire enterrer, signe honorifique qui comptait beaucoup dans les familles nobles.

Le seigneur de Languiller s’attribue des droits honorifiques sur l’église


Nous savons que dès 1310, le seigneur de la Chapelle Begouin demeurait à la Bégaudière de Saint-Sulpice-le-Verdon. Le fief de la Chapelle sera pour ses propriétaires un fief parmi d’autres, où il n’habitait pas. Mais il avait un droit de patronage sur l’église du lieu, comme étant très probablement son fondateur. Et à côté se trouvait un cimetière longtemps utilisé.

Les seigneurs de la Chapelle pouvaient donc exiger la poursuite du service du culte dans les termes du titre initial de fondation que nous ne connaissons pas. Dans la pratique on en fit une annexe de la cure de Chauché, y exerçant le service religieux à la demande, pour satisfaire à cette exigence du droit de patronage des seigneurs, et aussi pour répondre aux vœux de certains habitants.

Languiller
Nous avons raconté dans un article publié en janvier 2014 : Les droits seigneuriaux des nobles dans le fief de la Chapelle Begouin à Chauché, la querelle provoquée avec une certaine arrogance par le seigneur de Languiller, Charles Auguste Chitton, au sujet de l’enterrement de sa mère le 23 septembre 1698 dans la chapelle Begouin (vue 70/97 du registre de Chauché). On apprend que si les seigneurs du lieu n’habitaient plus sur place, ils s’y faisaient enterrer, dans le chœur de l’église encore au début du 17e siècle. Charles Auguste Chitton a osé déplacer la sépulture d’un seigneur de la Chapelle dans le chœur de l’église pour faire de la place à la dépouille de sa mère, invoquant son droit de suzerain, douteux par ailleurs. Philippe Chitton, son père, d’une noblesse toute récente, tenait beaucoup à ce type de prérogative. On l’a vu aussi essayer de ressusciter auprès de l’évêché de Luçon son droit de présentation à la chapelle de Fondion à Saint-André-Goule-d’Oie (voir l’article publié en novembre 2014 : La chapelle de Fondion à St André Goule d'Oie).

Le 18 février 1732 encore (vue 12), dans la chapelle Begouin, la fille du seigneur de Languiller épousa Pierre René Gabriel de Vaugiraud. Était-ce devenu un « must » pour cette famille de Languiller d’avoir « son » église en « s’installant » dans celle de son vassal ? On en a l’impression.

La paroisse de la Chapelle inconnue chez l’évêque et officielle chez les notaires !


Et les bourgeois, seigneurs et notaires continuaient à désigner parfois la Chapelle comme la paroisse où se trouvaient situés leurs domaines. Mais là ce n’est plus le droit qu’il faut mettre en avant, plutôt l’usage ou la tradition semble-t-il, même si elle étonne. Ainsi en 1631, Jacques Moreau, fermier de la Drollinière (devenue Linières), est présenté dans un acte notarié à Fontenay-le-Comte comme « sieur du Coudray, demeurant au lieu noble de la Drollinière paroisse de la Chapelle de Chauché ».  

Si, comme on vient de le voir, les registres paroissiaux de Chauché sont sans ambiguïté sur l’inexistence de la paroisse de la Chapelle, et clairs sur l’activité annexe du culte célébré dans l’église du lieu, on continuait donc à entretenir la fiction de l’existence de la paroisse. On le comprend venant des seigneurs locaux attachés à des droits honorifiques. C’est plus étrange venant du curé de Chauché. Or on a un exemple en ce sens.

Dans une sentence du 17 mai 1688, le grand sénéchal du Poitou avait tranché un conflit portant sur la propriété de la métairie de la Girardière (Chauché). Le jugement avait donné raison à Bénigne de la Bussière (la Girardière faisait partie de ses biens propres), femme du seigneur de Languiller, moyennant 400 livres offerts à ses adversaires dans un procès. La somme de 400 livres constituait une enchère valable pendant trois mois. Et le texte du jugement précise : «  à l’effet de quoi ladite enchère sera lue et publiée au prône des messes paroissiales où lesdits lieux sont et situés et assis, et affichée par notre greffier contre la porte de l’auditoire de la cour … ». C’était de pratique normale à l’époque de demander au curé de telles annonces à la fin de leur sermon, comme de lire aussi certains édits ou ordonnances royales nouvelles. Les conceptions d’un état moderne qui naîtront avec la Révolution française vont, d’une part confier aux municipalités nouvellement créées l’information des citoyens, à travers le garde-champêtre, et d’autre part confier la publication de certains actes judiciaires à des journaux (au nom de la séparation du pouvoir administratif et du pouvoir judiciaire).

Attestation du curé Madeline
(Archives de la Vendée)
La sentence judiciaire précisait l’appartenance de la métairie de la Girardière à la paroisse de Chauché, et le domicile de Mme de la Bussière à la paroisse de la Chapelle de Chauché. Et le curé de Chauché signe l’année d’après une attestation comme quoi il a bien fait l’annonce demandée par la dame de Languiller : « Je soussigné prêtre-curé de la Chapelle de Chauché certifie à qu’il appartiendra avoir lu et publié au prône de la messe dite en cette paroisse par moi cejourd’hui en l’église de ce lieu 17 mai 1689 ». Et il signe : « Eustache Madeline, curé de la Chapelle de Chauché » (6). Eustache Madeline est bien connu comme curé de Chauché dans le dictionnaire des Vendéens (voir le site internet des Archives de Vendée). Le temps d’un acte officiel il s’est transformé en curé de la Chapelle de Chauché ! Il a certainement lu l’annonce au prône de la messe, mais celle-ci a-t-elle été célébrée en l’église Saint-Christophe du bourg de Chauché ou dans la chapelle Begouin, ou dans les deux ? Le document indique la chapelle Begouin, mais on hésite à le croire. En 1726 c’est à l’issue de la messe paroissiale de Chauché qu’étaient faites les annonces à caractère profane, comme la prochaine adjudication d’un bail sur l’Oiselière par exemple (7).

Cette paroisse de la Chapelle existait dans les papiers du duché de Thouars au 16e siècle, comme en témoigne son acte d’érection en duché en juillet 1563 par le roi Charles IX. Il comporte la liste des paroisses comprises dans la baronnie des Essarts, et on y trouve : « … Chauché, la Chapelle de Chauché …». Le texte a beau être signé du roi de France, cette liste n’a pas bien sûr force de loi, mais cette présence de la Chapelle de Chauché a persisté jusqu’au duché de Thouars (8). Quoiqu’on dispose d’autres listes dans les papiers du duché de Thouars aux Archives nationales, où la distinction n’est pas faite entre les deux paroisses.

Le compte de décimes de 1646 dans le diocèse de Luçon ne cite pas la paroisse de la Chapelle, pas plus que le fichier historique du diocèse de l'abbé Delhommeau (9). Cette paroisse n’existe pas officiellement. Alors est-ce seulement par charité envers la dame de Languiller, attachée à l’ancienne paroisse de la Chapelle, que le curé de Chauché s’est transformé en curé de la Chapelle de Chauché, le temps d’une attestation en 1689 ? On peut légitimement en douter. Une question vient alors à l’esprit : dans le transfert de l’église paroissiale du village de la Chapelle vers le bourg, qu’a-t-on promis en compensation au seigneur et aux habitants de la Chapelle ? Nous n’avons pas de document sur la création de la paroisse de Chauché, ni sur ce transfert que nous venons d’évoquer sur la foi d’une tradition orale. Mais l’accumulation de nos observations conduit à cette question. La communauté des fidèles de l’ancienne paroisse de la Chapelle, dans son sens plus spirituel que matériel, n’aurait-elle pas été garantie officiellement d’être reprise et administrée par la nouvelle entité paroissiale ? Faute de document, nous ne pouvons pas répondre, mais nous pensons que la question de pose.

Des revenus pour sa fabrique


Boninière
Elle se pose d’autant plus que l’annexe de l’église du bourg à la Chapelle n’avait pas qu’une dimension spirituelle, elle avait des revenus propres. Nous en avons découvert un au 18e siècle concernant une rente foncière annuelle et perpétuelle de six boisseaux de seigle due par les teneurs de la Boninière à Saint-André-Goule-d’Oie (10). Dans une reconnaissance faite le 26 décembre 1768, 25 teneurs (propriétaires et habitants) du village reconnaissent devoir cette rente à la mi-août, requérable sur le lieu du village. Nous donnons en annexe le nom de ces 25 personnes.

On apprend à cette occasion que les villageois avaient cessé de payer la rente en 1738. Mais le nouveau fermier de Languiller, Pierre Cailleteau, se disant « fabriqueur en charge de ladite fabrique de la Chapelle de Chauché », intenta un procès contre eux en 1766. Alors, les récalcitrants changèrent d’avis pour aboutir à la reconnaissance en 1768 de leur redevance et à l’engagement de payer trente années d’arrérages. La rente ne représentait qu’environ un quintal de seigle par an, mais on avait tenté d’y échapper. Nous ne savons rien de l’origine de la rente, mais elle revêtait le caractère de bien d’Église, et de ce fait elle était inaliénable et imprescriptible.

Les rentes foncières étaient souvent perpétuelles. Le temps était figé dans l’esprit des gens des anciens siècles, n’emportant pas de notion de mouvement, voire de progrès. Alors ces rentes pouvaient venir de très loin, ayant chacune leur histoire. L’exemple du testament de Louise Begaud, sœur de Jean Begaud, seigneur de la Chapelle Begouin au milieu du 16e siècle, peut illustrer cette réalité. Elle habitait dans la maison seigneuriale de la Chapelle Begouin, et le 27 août 1540, elle fait signer son testament par un notaire (11). Après avoir demandé d’être enterrée dans l’église de la Chapelle Begouin aux côtés de ses père et mère, elle fait des dons au curé de Chauché. D’abord une rente annuelle et perpétuelle de 15 sols pour dire une grand’messe à chaque fête de la visitation de la Vierge Marie (2 juillet) dans l’église de la Chapelle Begouin. Elle lègue aussi une rente de 10 sols et un boisseau de seigle au même curé et à ses successeurs, pour dire à titre perpétuel, dans la même église, une messe de requiem à son intention chaque année aux vigiles de mars. On sait que toutes ces rentes n’ont pas été perpétuelles dans la réalité, mais on en a vu aussi de très anciennes exister encore au milieu du 18e siècle. On constate avec ce testament, à la fois que le seul clergé en exercice est celui du bourg de Chauché, mais que grâce à lui, on pratique toujours le culte dans la chapelle du bourg de la Chapelle Begouin.

Avec la rente de la Boninière perçue en 1768, la notion de paroisse prend de l’épaisseur, puisqu’on constate l’existence d’une fabrique chargée de gérer son temporel, comme l’on sait. Normalement, le fabriqueur était désigné par l’assemblée des habitants de la paroisse dans la région, ce qu’on hésite à croire s’agissant d’une paroisse sans existence reconnue par l’évêque du diocèse. Or s’il est une caractéristique propre à la religion catholique, c’est bien la force de son organisation, de sa structure et de sa hiérarchie. On n’adhère pas à cette religion en s’organisant à sa guise dans les territoires, qui plus est dans des structures officielles comme les paroisses, ayant un rôle dans le fonctionnement de l’État monarchique, comme nous l’avons déjà vu. Il nous paraît ainsi que la notion de fabrique avait aussi peu de consistance officielle que celle de paroisse à la Chapelle Begouin, et pourtant elle a existé dans certains documents. Il y a donc bien une énigme à propos de cette paroisse de la Chapelle, probablement liée aux conditions de son remplacement par la paroisse de Chauché dans les temps anciens du Moyen Âge.

En 1766, le fermier de Languiller n’avait qu’un seul patron, aussi propriétaire de la Rabatelière et de la Chapelle Begouin, M. de Montaudouin. Ce fermier était Pierre Cailleteau (1739-1784), le père du futur maire de Chauché à partir de 1799, Jean Marie Cailleteau, évoqué dans mon livre, Les châtelains de Linières à St André Goule d’Oie, le poète amateur sur son registre d’état-civil, qui a divorcé en mairie M. et Mme de Lespinay de Linières. Pierre Cailleteau, était né à la Chapelle et son père, Nicolas, avait été aussi fermier du château de Languiller (12). Sa position professionnelle, son attachement à l’église de la Chapelle, sa connaissance des droits attachés aux seigneuries et à l’église, sont sans doute à l’origine de son initiative de faire reprendre le versement de la rente due sur le village de la Boninière. On peut aussi aisément supposer que le besoin d’entretien de cette église exigeait de la rigueur dans la gestion des ressources possibles.

En plus des propriétaires de la Boninière, on a découvert qu’au village du Pin, le seigneur de Languiller a créé une rente de 2 boisseaux de seigle par an pour la fabrique de la Chapelle de Chauché. Surtout il l’a fait au début du 18e siècle, après avoir acheté et repris les droits seigneuriaux sur le village, vendus par un lointain prédécesseur un siècle et demi auparavant. Ce faisant cette création n’a rien coûté aux habitants du Pin. À la place, il a supprimé la part du prieur de Saint-André-Goule-d’Oie et celle du temple de Mauléon dans le prélèvement des récoltes au titre du droit de terrage. . Le temple de Mauléon était un lieu-dit où se trouvait une commanderie d’hospitaliers appartenant à l’ordre de MalteVoilà bien qui confirme la place toujours vivante de la Chapelle Begouin un siècle seulement avant sa disparition (13).

Et puis on découvre aussi une rente de 4 boisseaux de froment prélevée en 1740 sur le fief des Vrignières à Chauché, près du bourg, au profit de la fabrique de la Chapelle de Chauché (14). On la voit apparaître pour la première fois en 1726 (15), et c’est une initiative de Charles Chitton qui avait récupéré la suzeraineté sur les Vrignières dans une transaction en 1720 (16) entre lui et le seigneur de la Rabatelière, lequel la possédait auparavant.

La démolition controversée de l’église au village de la Chapelle en 1792


Vint la Révolution française et la mise en place d’un nouvel ordre politique. L’assemblée constituante créa ex nihilo les départements pour remplacer les anciennes provinces ayant chacune un statut propre. Puis elle créa les communes, avec l’aide des directoires des départements. Ceux-ci ont parfois regroupé plusieurs paroisses pour définir les limites des communes à créer. À Chauché et les environs, les communes reprirent les limites des paroisses existantes. Puis avec la constitution civile du clergé, on décida que chaque département aurait son évêché et chaque commune aurait sa paroisse, sauf dans les grandes villes avec plusieurs paroisses. Cette présentation chronologique des évènements est essentielle pour comprendre pourquoi l’énigmatique paroisse de la Chapelle n’avait plus sa place dans la nouvelle organisation. Les mystères et ambiguïtés laissés par l’Histoire devaient disparaître dans la logique du monde nouveau en création !

Sauf qu’il y a des hommes, compliqués par essence, derrière cette rationalité des principes et des lois nouvelles. Les républicains de Chauché s’opposèrent aux « catholiques romains » attachés à leur chapelle Begouin. Ils décidèrent de sa démolition. Peut-être aurait-elle subi le même sort, sans eux, que la chapelle de Fondion à Saint-André-Goule-d’Oie, laissée en ruines par les prieurs de Saint-André au cours du 18e siècle, chargés de l’entretenir pourtant et disposant de revenus pour le faire. Sans insister sur le sort de la chapelle de l’Oiselière à Saint-Fulgent, dont l’évêché lui-même décida de sa démolition à la même époque. De plus les républicains de Chauché bénéficiaient de la compréhension du clergé local, qui prêta serment à la constitution civile du clergé. Le curé fut élu par les révolutionnaires du district de Montaigu à sa cure, où il avait été nommé autrefois par l’évêque. Mais il préféra démissionner pour prendre une autre cure proche de Nantes. Le vicaire, Pierre Charbonnel, fut élu pour le remplacer.

 Dans le registre paroissial de Chauché il écrit en 1792 : « Dans le mois de septembre mil sept cent quatre-vingt-douze, l'on a démoli la chapelle Begouin, située au village de la Chapelle, en cette paroisse ; l'on dit que c'était autrefois l'église paroissiale de Chauché. Pierre Charbonnel curé de Chauché » Considéré comme intrus, sa cure de Chauché fut pillée par les insurgés vendéens qui l’emmenèrent comme prisonnier. Puis il fut libéré lui aussi par le fameux geste de Bonchamps à Saint-Florent-le-Viel en octobre 1793 : « grâce aux prisonniers ! ».

En signant « curé de Chauché », le mot « curé » a été rayé ensuite, pour inscrire en dessous le mot « intrus », lui aussi rayé. À côté est écrit : « Note : cette démolition fut demandée par le parti républicain de la paroisse au district de Montaigu qui l’accorda au grand regret des catholiques romains »

Une fois la chapelle Begouin démolie, restaient les décombres et l’enclos du cimetière, le tout à vendre comme tous les biens d’Église. Le 26 mars 1798, le notaire Jean Gabriel Marceteau en a réalisé une estimation (17). Il était accompagné ce jour-là sur les lieux de Louis Merlet, commissaire du directoire exécutif près l’administration municipale du canton de Saint-Fulgent. Voici dans son procès-verbal d’estimation comment le notaire décrit les biens à vendre : « L’emplacement de cette chapelle, compris le plan d’entrée, contient quatre-vingt-dix pieds de long sur vingt-huit de large dans lequel sont les pierres et décombres de ladite chapelle, sont sur l’emplacement, lequel confronte du levant et nord à la citoyenne Merlet, du midi au citoyen Basty et du couchant au chemin de Chauché à la Limouzinière.
Plus l’ancien champ du Repos du vieux cimetière de ladite chapelle situé près ledit village de la Chapelle commune Chauché, contenant une boisselée en triangle, joignant du levant à un taillis de la citoyenne Merlet, du midi au chemin de la Chapelle au moulin, du couchant audit chemin de la Limouzinière. » Nous n’avons pas établi de lien entre la propriétaire à la Chapelle nommée Merlet et son homonyme Louis Merlet de Saint-Fulgent. La surface de la parcelle de l’église faisait 380 m2. Le chemin descendant au milieu du village du moulin dit « de la Chapelle », près de la Borelière, est ici bien indiqué, passant le long du cimetière. Ce dernier ne nécessita pas, semble-t-il, de déplacements de sépultures au moment de la vente. Il est appelé « champ du repos » suivant la nouvelle expression à la mode chez les révolutionnaires au moment de la Terreur, pour remplacer le mot cimetière, trop catholique à leur goût. La mort était devenue pour eux « un sommeil éternel » (18).

Les deux petits terrains sont estimés à 100 F en capital, les décombres à récupérer : 180 F, et les vingt pieds de chêne futaie dans l’ancien cimetière : 80 F. Ce qui fait un total de 360 F, valeur 1790 suivant l’ordre de mission reçu.

La vente par adjudication eut lieu le 21 mai 1798 (19) à Fontenay-le-Comte. On ouvrit l’enchère aux ¾ du prix estimé comme d’habitude. Au final l’enchère fut remportée par François Bossard demeurant à Villeneuve commune de Chauché (près du Bourg), pour 1 600 F. Malgré une multiplication de l’enchère par 4.4, le prix restait très en deçà de l’inflation des prix connue entre 1790 et 1798, constituant un enrichissement pour l’acquéreur, dû-t-il emprunter pour cela. Plus tard, Joseph Guyet, propriétaire de Linières, lui prêta d’ailleurs de l’argent. Les enfants Bossard vendront à la châtelaine de la Rabatelière, Thérèse de Martel, le 21 décembre 1826, l’emplacement de la chapelle avec ses décombres pour 240 francs (20).

Thérèse de Martel avait hérité de la borderie et de la métairie de la Chapelle, plus leurs bestiaux pour une valeur de 826 F, dans le partage du 27 germinal an 5 (16-4-1797), de la succession de Bonne Montaudouin, sa tante restée célibataire. Cette succession avait été incluse avec huit autres successions des familles alliées Montaudouin et du Plessis, comprenant des émigrés parmi les héritiers. Les biens de ces derniers étant confisqués, il y eut un partage entre la République et les autres héritiers résidant en France, réalisé en avril 1797 par l’administration du département d’Ille-et-Vilaine (résidence des émigrés). Le lot échu à Thérèse de Martel incluait la Chapelle en Vendée, et les métairies de l’Isle Gaudin à Sainte-Croix-de-Machecoul, de la Bauge à Saint-Hilaire-de-Chalon, plus la terre de la Basseville, ces trois drniers objets en Loire-Atlantique (21).

S’il est un fait qui se dégage avec force de l’histoire de la paroisse de la Chapelle de Chauché et de sa chapelle Begouin, c’est bien l’attachement dont elles ont été l’objet pendant une si longue période. Ne saura-t-on jamais à quel point la démolition de la chapelle a constitué pour certains habitants, une de ces blessures permettant de comprendre la révolte vendéenne en mars 1793 ?

Cette interrogation est renforcée par notre dernière découverte : un mandat et une procuration du 2 février 1792 donnés par 39 propriétaires de la Chapelle de Chauché à Jacques Guesdon et Jean Marchand, pour participer à l’enchère de la mise en vente de l’église de la Chapelle, le 3 février 1792 au district de Montaigu (22). Ainsi, le curé Charbonnel ne dit pas tout dans sa courte mention de la destruction de la chapelle, et on comprend mieux que cette mention ait subie des ratures, révélatrices d’un conflit dans la commune à son sujet.

Plessis-le-Tiers
À lire les noms, professions et demeures des mandants, on relève des personnes demeurant sur la paroisse de la Chapelle de Chauché, même éloignées de sa vie paroissiale comme Jean Herbreteau qui habitait Linières. Seulement deux d’entre eux n’habitent pas à Chauché, mais à Saint-André : Jacques Guesdon et Jean Marchand. Ils demeurent au village du Plessis-le-Tiers, et on soupçonne qu’ils devaient posséder des terres sur la paroisse de Chauché, comme ils possédaient aussi une petite borderie à la Porcelière. Mais d’autres habitent ailleurs à Chauché. On trouve ainsi la veuve du fermier de Languiller, Anne Roy, aussi mère de Pierre Cailleteau, le futur maire républicain de Chauché. Elle habite alors le bourg de Chauché, comme d’autres personnes citées : François Le Loup chirurgien, Pierre Deniau menuisier, Alexandre Auvinet armurier, François Renoleau tisserand, Claude Tournerie et François Eriau, tous les deux maréchals, et Mathurin Forestier (aubergiste). D’autres habitent dans des villages de Chauché en dehors des limites de la paroisse de la Chapelle.

Ils sont tous attachés à l’église de la Chapelle et donnent mandat à deux des leurs pour aller le 3 février à Montaigu participer aux enchères de la mise en vente de l’église, « jusqu’à la somme de 3000 livres ou environ ». Ce n’est pas une promesse de don à la légère. Ils s’engagent dans un acte notarié signé au bourg de la Rabatelière, promettant aussi d’y engager leurs biens.

Leur démarche décrite par les notaires est intéressante à citer : « lesquels ci-dessus nommés ont déclaré, qu’ayant appris qu’il devait se vendre demain trois du présent mois par messieurs composant le directoire du district de Montaigu la Chapelle de Chauché avec les deux petits cimetières en dépendant, ils se seraient réunis et concertés ensemble pour en faire l’acquisition commune, étant tous d’un même avis et consentement à cet égard… ».  Nous sommes en février 1792, et on ne sait pas ce qui s’est passé à Montaigu, seulement que l’église a été démolie au mois de septembre suivant.

Avec cette liste de noms on a une idée des personnes faisant partie des "catholiques romains". L’adjectif employé souligne qu’avec l’obligation nouvelle des prêtres de prêter serment à la constitution civile du clergé, les autorités, qui deviendront républicaines dans quelques mois, obligeaient les catholiques à se couper du pape, c’est-à-dire à devenir schismatiques. Parmi elles il est intéressant de noter le nom de « François Bossard fermier demeurant audit lieu de la Chapelle ». C’est lui qui acheta les décombres de la Chapelle six ans plus tard. On ne saura pas ce qu’il voulait en faire, puisque nous savons que ses enfants revendront l’emplacement en l’état à la châtelaine de la Rabatelière. Il avait été élu commandant de la garde nationale de Chauché en 1790 et subit de ce fait à la fin de cette année des agressions verbales d’un certain Jacques Cauneau, de Chauché, motivées par son engagement politique (23). Le même commandant de la garde nationale à Saint-André fut un royaliste engagé, et cette agression à Chauché révèle un engagement à la fin de 1790 en faveur de la Révolution. Cet engagement politique de François Bossard se confirma en 1799 quand il devint président de la municipalité cantonale de Saint-Fulgent.

Quant à Jacques Guesdon et Jean Marchand, qui ont dû se rendre au district de Montaigu, il nous faut rappeler la triste fin de Jacques Guesdon et de Jean Marchand. Ils étaient beaux-frères. Pour Jean Marchand nous savons qu’il fut tué par des habitants de Saint-André au tout début de la guerre de Vendée en mars 1793, le même jour que le maire de la commune, un nommé Guesdon. Ils reprochaient à ce dernier d’avoir dressé la liste des conscrits de la commune qui allaient être tirés au sort pour être enrôlés comme soldats. C’était une obligation du maire, indépendante de ses opinions politiques. On ne connaît pas ce Guesdon maire, mais avec cet acte notarié du 2 février 1792 concernant la Chapelle Begouin, on découvre un indice sérieux qu’il s’agit du Jacques Guesdon cité dans cet acte. Reste à trouver la preuve désormais.

Dans le tableau des maisons incendiées pendant les troubles de la Vendée dans la commune de Chauché, établit par le maire de Chauché en 1809, on relève la maison de Jude Piveteau, incendiée en 1793 à la Chapelle, et valant à l’époque 11000 F. Il l’a entièrement reconstruite après les troubles (24).   
En 1851 Pierre Louis Cailleteau est conseiller municipal de Chauché. Il a saisi le curé de Chauché de son projet de construire une petite chapelle au village de la Chapelle, dédiée à Marie. Il veut rappeler le souvenir de l’ancienne église démolie. Il en financera la construction, et en fera don à la fabrique de Chauché avec une rente perpétuelle de 30 F pour les frais d’entretien. Il a des biens et pas de descendance. Il décédera le 23 mars 1852 à La Limouzinière de Chauché. Ancien adjudant, puis capitaine dans l’armée de Charette, il combattit aux Cent Jours, et fut percepteur des communes de Chauché, la Rabatelière et la Copechagnière. En récompense de son engagement il reçut un fusil d’honneur sous le régime de la restauration monarchique (25). Son frère, Jean-Marie Cailleteau, a été maire d’obédience républicaine puis orléaniste, apparemment d’opinions politiques fermes mais avec un comportement pacifique. Il s’oppose au projet, qui d’ailleurs n’aura pas de suite. C’est que le curé est contrarié, lui qui doit orienter en ces années 1850 les dons des fidèles vers le financement de la construction d’une école des filles, suivant les consignes de l’évêché de Luçon (26). Lui non plus n'est pas favorable au projet. 


(1) J. P. Guitton, La sociabilité villageoise dans la France d’Ancien Régime, Hachette (1979), page 22.
(2) Abbé Aillery, Chroniques paroissiales de Chauché (1892), page 342.
(3) Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1136, aveu des Essarts du 13-5-1677, pages 2 et 3.
(4) Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1181, aveu du 1-6-1598 de la Jarrie, Raslière et Merlatière, page 9.
(5) Aveu en 1343 de Jean de Thouars à Montaigu (roi de France) pour des domaines à Saint-André, no 389, Archives Amblard de Guerry : classeur d’aveux copiés au Archives Nationales.
(6) Archives de Vendée, Chartrier de la Rabatelière : 150 J, Milonière en Chauché : F 34, titre de propriété de la Girardière avec un additif de 1689 du curé de la paroisse de la Chapelle de Chauché.
(7) Communication du 1-1-1726 de Chevalier à Bourot de 10 pièces du procès, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 18, page 11.
(8) Mémoire de la Société de Statistique du département des Deux-Sèvres 1870 série 2 tome 10 page 249.
(9) Correspondance de T. Heckmann en 2010, directeur des Archives départementales de la Vendée.
(10) Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/5, reconnaissance d’une rente foncière perpétuelle due solidairement à la fabrique de la Chapelle Begouin de Chauché, par toutes les personnes exploitant une terre au village et tènement de la Boninière, le 26 décembre 1768.
(11) 150 J/C 71, testament du 27-8-1540 de Louise Begaud.
(12) Correspondance de J. Gris en 2014.
(13) 150 J/G 56, déclaration roturière du 2-9-1740 de François Mandin pour domaines au Pin.
(14) Déclaration roturière du 16-5-1740 de Pierre Robin à Languiller pour les Vrignières, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 50.
(15) Déclaration roturière du 12-2-1726 de J. Auvinet pour les Vrignières, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 51.
(16) Transaction du 1-9-1720 entre Chitton et Bruneau, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 49. 
(17) Archives de Vendée, sommier des estimations de domaines nationaux faites dans le canton de Saint-Fulgent an IV – an VI, la chapelle Begouin : 1 Q 218 no 181.
(18) Claude Quétel, Crois ou meurt, histoire incorrecte de la Révolution française, Perrin, 2019, page 312.
(19) Archives de Vendée, vente de biens nationaux, emplacement de l’église de la Chapelle Begouin du 2 prairial an 6 : 1 Q 263 no 1188.
(20) 150 J/ C 85, vente du 21-12-1826 de l’emplacement avec ses décombres de l’église de la Chapelle Begouin, par les enfants de François Bossard et de Marie Roy, à Thérèse Montaudouin, châtelaine de la Rabatelière demeurant no 6 place Louis XVI à Nantes.
(21) Archives de la Vendée, domaines nationaux : 1 Q 342, no 117, partages Montaudouin/Duplessis et République de 1796 et 1797.
(22) Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent, étude Chateigner : 3 E 30/125, mandat du 2-2-1792 pour participer à l’enchère de la mise en vente de la Chapelle de Chauché.
(23) Affaire François Bossard/Jacques Cauneau, jugement du tribunal du district de la Roche-sur-Yon en 1791, Archives de la Vendée : L 1771.
(24) Archives de la Vendée, destructions immobilières pendant la guerre de Vendée : 1 M 392, commune de Chauché.
(25) P. Gréau, Les armes de récompense aux vétérans des armées de l’Ouest, La Chouette de Vendée, 2019, page 113 et 175.
(26) Lettre du 7-3-1851 de M. Libaudière, curé de Chauché, à l’évêque : AD85 – AHD Luçon – SM64/2-2, vues 24 à 26.

Annexe : Les propriétaires et habitants de la Boninière de Saint-André-Goule-d’Oie en 1768 :
« Par devant nous, notaires royaux de la sénéchaussée de Poitiers soussignés, ont comparu en leurs personnes, établis en droit et dûment soumis :

-        maître Mathurin Roy, demeurant à la Loge, paroisse de Mesnard ci-devant Barotière,
-        Jean Chaigneau, bordier demeurant à la Boninière,
-        André Millasseau aussi bordier, Jacques ou Jean Richard, Pierre Charrier, journalier, Mathurin Faupier, André Fonteneau, journaliers demeurant à la Bourolière,
-        André Fonteneau demeurant à la Morelière,
-     Étienne Blandin, bordier demeurant à la Porcelière,
-        François Mandin demeurant à la Forêt,
-        Jean Charpentier, Jacques Chastry, journalier, Marguerite Chastry veuve André Robin demeurant à la Bergeonnière,
-        Pierre Rondeau aussi journalier demeurant à la Jaumarière, Jean Michaud, bordier demeurant au même lieu,
-        Nicolas You demeurant à la Gandouinière,
-        Jean Chaigneau, François Moreau, Louis Rochereau aussi bordier, Jean Rochereau laboureur, Pierre Chaigneau aussi bordier, Louis Micheleau tailleur d’habits, André Boudaud bordier, Pierre Marchand, journalier, Jeanne Robin veuve Jean ou Jacques Braud, demeurant les derniers au village de la Boninière,
-        Pierre Piveteau demeurant à Villeneuve,
-        André Chatry demeurant à la Guérinière, les deux derniers de la paroisse de Chauché et les autres du bourg et paroisse de Saint-André-Gouldois,
-        François Crépeau, marchand demeurant à la Haute Clavelière, [] Piveteau laboureur, Jacques Cougnon bordier, Jean Badreau, meunier demeurant à la Basse Clavelière,
-        Augustin Martin, bordier demeurant à la Chaunière, paroisse de Saint-Fulgent,
-        Marie Millasseau demeurant au bourg de Saint-Fulgent,
les tous teneurs, exploiteurs et détenteurs du village et tènement de la Boninière, susdite paroisse de Saint-André de Gouldois, faisant et contractant tant pour eux que pour les autres teneurs dudit village et tènement (1),
lesquels en cette qualité ont reconnu et confessé, reconnaissent et confessent de bonne foi qu’il est bien et légitimement dû sur et à cause dudit lieu, village et tènement de la Boninière, à la fabrique de la Chapelle Begouin de Chauché, par chacun an et en chacun terme, jour et fête de Notre Dame en août, la rente foncière, annuelle et perpétuelle de six boisseaux de blé seigle, mesure réduite des Essarts, requérable sur ledit lieu de la Boninière … »

(1) Effectivement cette liste n’est pas complète. Il y manque en particulier Louis François, un frère de mon ancêtre, cité en 1782 dans une déclaration roturière des teneurs de la Bergeonnière.

Emmanuel François, tous droits réservés
Janvier 2010, et repris en décembre 2014 et complété en juin 2023

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