dimanche 1 juin 2014

Les Moreau de Saint-André-Goule-d’Oie du 16e aux 18e siècle

Le moteur de recherche des Archives départementales de la Vendée

C’est dans le chartrier de la Roche-Guillaume que se trouve une documentation se rapportant à cette importante famille de Saint-André-Goule-d’Oie au 17e siècle : les Moreau. Situé sur la commune de Landevieille (canton de Saint-Gilles-sur-Vie), sur le versant méridional du lac de Jaunay, l’ancien hôtel noble de la seigneurie de la Roche-Guillaume a été remplacé par un château construit au 19e siècle. Ses papiers et titres de propriété (chartrier) ont été confiés aux Archives de la Vendée où on peut les consulter. Pourquoi la Roche-Guillaume ?

Cette seigneurie, vassale de Brandois, a été acquise pour 13 000 livres le 1e septembre 1740 par François René Joseph de Vaugiraud (1712-1790), seigneur de Rosnais et Marie Lodre, son épouse (1). L’acquéreur était le fils de Pierre de Vaugiraud (1661-1731) et de Marie Desnos, dame de Rosnais, et aussi petit-fils de Renée Moreau de Saint-André-Goule-d’Oie, qui avait épousé en 1650 René de Vaugiraud, seigneur de Logerie (Bazoges-en-Paillers). Les héritages ont donc conduit les papiers de la famille de Renée Moreau à la Roche-Guillaume. Encore faut-il découvrir ce parcours, mais pour cela, le moteur de recherche des Archives de la Vendée a radicalement transformé la notion d’érudition, et a même rendu inutile la chance dont les chercheurs ont parfois besoin. Il lui suffit de quelques secondes pour remplacer les années de travail des érudits d’autrefois. 

Archives départementales de la Vendée
Ces papiers de la famille Moreau  nous donnent des informations sur les personnes, qu’on ne trouve pas sur le registre paroissial de Saint-André-Goule-d’Oie. Beaucoup des pages de ce registre, dans la période du 17e siècle, ont subi les dégâts d’une mauvaise conservation et sont devenues parfois illisibles. Malgré certains manques, l’histoire des Moreau de Saint-André-Goule-d’Oie présente ainsi une consistance intéressante, grâce aux archives de la Roche-Guillaume. Et parmi elles un document est riche de renseignements, avec ses 155 pages : l’inventaire après-décès en 1666 du mobilier, vaisselle, linge et papiers de Pierre Moreau, prieur de Saint-André-Goule-d’Oie. Les nombreuses informations tirées du document sont exceptionnellement notées par les numéros de pages entre parenthèses dans le texte qui suit, plutôt que par des notes en fin d’article.


Les premiers Moreau du Coudray connus aux 16e et 17e siècles


Le premier Moreau connu est « Nicolas Moreau, prêtre demeurant à Saint-André », à cause de quatre achats qu’il a effectués dans le bourg de la paroisse en 1522, 1526 et 1542 (2). On a bien un Moreau du Coudray cité dans la liste des droits d’hommages dus à la Boutarlière en 1509, mais sans pouvoir faire un lien avec la famille évoquée ici, même s’il est probable (3). Après lui on a la première génération connue des Moreau qui a vécu à la fin du 16e siècle et au début du 17e siècle : trois frères et une sœur. D’abord Laurent Moreau, sieur du Plessis, marié à Marguerite Legeay. Cette dernière a fait une déclaration roturière le 21 mai 1614 pour un moulin à vent qu’elle possédait à la Boutinière (4). Ensuite François Moreau, sieur de la Treille, qui est mort en octobre 1609 (page 34). Il avait épousé Jeanne Thoumazeau, et vers 1605 il était défendeur devant les assises de Languiller qui lui réclamaient, avec 16 autres propriétaires dans le Bourg de Saint-André, leurs déclarations roturières et l’exhibition et édition de leurs contrats de transports de biens (5).

François Moreau avait un autre frère, Jacques Moreau qu’on voit signer un acte d’achat en 1576 (page 152). Et enfin Marie Moreau qui épousa Nicolas Thoumazeau. Ensemble les trois frères et la sœur ont fait le 7 septembre 1609 un contrat d’échange de certains domaines étant au bourg de Saint-André avec Philippe Proust (page 122).

Paul Nassivet : Vue de Nantes
Jacques Moreau s’était marié avec Jeanne Laheu, et c’est probablement lui qui habitait à Nantes à la fin de sa vie en 1614, étant mort avant 1617. Après eux leur fils François Moreau sieur de la Treille mis fin au conflit qui opposait sa famille contre le seigneur de la Boutarlière, pour reconnaître la mouvance de la Boutarlière sur le fief de Saint-André (page 153). Il fit deux achats sur le tènement des Gâts, et un autre le 26 octobre 1620 dans le fief du Coudray pour 38 livres. Le dernier acte notarié signé de lui est de 1630, et nous ignorons quand il est décédé. Marié à Renée Chitton (décédée en 1646), il associa aussi ses enfants, Jacques et René Moreau à ses affaires. En témoignent 13 obligations faites ensemble à leur profit, et un sous-seing privé du 27 août 1625, aussi 4 achats à Villeneuve. Un autre fils, Pierre Moreau, devint prêtre, officiant presque toute sa vie à Saint-André-Goule-d’Oie.

Jacques Moreau sieur du Coudray (vers 1600-1644)


Les deux frères Jacques Moreau, sieur du Coudray, et René Moreau, dit sieur de Villeneuve (Chauché), continuèrent à travailler ensemble après la disparition de leur père. En 1631 ils firent un échange pour acquérir une rente de 20 boisseaux de seigle sur le tènement des Suries. Cette année-là ils achetèrent aussi ensemble des terres et une masure au bourg de Saint-André (en 5 petits achats), une terre au tènement des Bruères près du Coudray, des terres à Villeneuve (8 achats à 6 propriétaires différents). Ils achetèrent aussi des biens à la Porcelière en 1634, à Landouinière (Chauché) en 1633 et 1634, une maison au Coudray en 1636, des terres au Gâts en 5 achats entre 1629 et 1635, etc.

On est tenté d’établir un lien entre cette accumulation de petits d’achats de terre en 1631 par ces riches bourgeois, et la situation de misère régnant alors dans l’Ouest de la France. Citons l’historien Le Roy Ladurie : « la famine relayée par l’épidémie explique l’extraordinaire poussée de la mort au printemps 1631 à Nantes, et dans les zones limitrophes du Poitou » (6). Le registre des décès de Saint-André ne commence qu’en 1640, et ne nous permet pas de mesurer dans la paroisse la pointe de mortalité des années 1631 et 1636. La première crise est due aux moissons ratées de 1630/1631, à cause de l’excès d’humidité cette année-là. La deuxième crise est due dans le royaume à la peste et à un été « puissamment calorifique », qui fait baisser l’eau des rivières, les rendant d’autant plus polluées et déclenchant des épidémies de dysenterie, cause additionnelle à la peste (6). Dans ce contexte, des familles de petits propriétaires ont certainement été obligées de vendre leurs lopins de terre pour survivre.

Jacques et René Moreau ont aussi ensemble affermé la seigneurie de Languiller, moyennant le paiement par eux d’un prix de 1600 livres par an (page 140). En 1637 ils ont à ce titre peuplé l’étang du lieu, avant qu’il ne soit asséché quelques dizaines d’années plus tard (page 132). Ils ont fait aussi des travaux au logis de Languiller. Le prévôt des Essarts, nom donné alors à un chanoine de la cathédrale de Luçon, leur affermait les redevances à percevoir au titre de la prévôté des Essarts. De même ils s’engagèrent dans le contrat de ferme de la baronnie de Belleville en 1630, passée avec la propriétaire, Marie Hurault (7). Jacques Moreau demeurait alors à Linières (Chauché), dont il devait être fermier en 1630, c'est-à-dire régisseur, mais à d’autres époques il habitait au bourg de Saint-André-Goule-d’Oie, à côté de son frère René Moreau. L’affermage de ces seigneuries désignait les frères Moreau comme des bourgeois importants, capables de s’engager à payer le prix des fermes, d’en gérer les droits féodaux et d’exploiter les métairies les composant.

Après la mort de son frère René vers 1642, Jacques Moreau continua quelques affaires avec sa belle-sœur Catherine Beau, par exemple des cheptels de bestiaux. Et il fit des achats seuls désormais. Ainsi, en 1644, il acquit de Jules Bellanger le tiers des droits féodaux tenus sur le village de la Porcelière (Saint-André) pour 600 livres (8). Le 2 janvier 1644 il acheta la métairie du Pinier alias la Touche Chabourault, à Vendrennes, pour 1185 livres (page 32). Il acheta aussi des domaines au village de Vernes en la paroisse de Mouchamps, et d’autres au bourg de Saint-André.

En plus de son activité de fermier il fut aussi fut sénéchal (juge seigneurial) de la Rabatelière, de Saint-Fulgent et de la Guichardière à la Rabatelière (9). Sa femme, qui dut mourir avant lui, s’appelait Suzanne Cherruy. Il est mort vers juillet 1644. Il eut 5 enfants : l’aîné Pierre Moreau, sieur du Coudray, puis le cadet Jean, prêtre et prieur de la paroisse de la Couture, Marie, Louis, sieur de la Maigrière et Renée qui épousera René de Vaugiraud. Nous ne connaissons pas les dates de leurs naissances, probablement à Saint-André-Goule-d’Oie. Indiquons que Marie, probablement le troisième enfant, est née muette et fut prise en charge par son frère prêtre. Elle ne s’est pas mariée. Nous avons peu d’information sur son frère Louis né après elle. Il était dit sieur de la Maigrière, épousa Catherine Chaillou, et eut un fils prénommé Mathurin. Il vécut un temps chez des marchands de la Rochelle et paraît actif comme hommes d’affaires (page 139).

Un feudiste, faisant à la fin du 18e siècle la liste des titres concernant la famille de Vaugiraud, écrit à l’occasion du mariage de la fille de Jacques Moreau, Renée, en 1650 avec René de Vaugiraud, que Jacques était écuyer et sénéchal de Saint-Fulgent. La première affirmation nous paraît dépourvue de fondement au vu de la trentaine de documents consultés sur les Moreau à cette époque. La deuxième est très probable. Sa fortune et les services qu’il rendit l’ont mis néanmoins à même de fréquenter la noblesse locale. Il reçut en forme de présent un manteau de René Durcot (marié à Marie Girard), seigneur de l’Etang à Chavagnes-en-Paillers (page 23). Sa fille Renée avait reçu une petite salière d’argent doré d’Anne de Rohan-Soubise (1584-1646) (page 25). C’était une poétesse protestante née à Mouchamps, fille de la fameuse Catherine de Parthenay (1554-1631), dame du Parc Soubise, qui se distingua au siège de la Rochelle par son courage (10).
Nous avons aussi repéré l’enterrement à Saint-André-Goule-d’Oie de René Moreau, sieur de la Gandouinière le 4 décembre 1658 (vue 12/045), mais nous n’avons pas pu établir sa filiation.

René Moreau (vers 1600-1642), sieur de Villeneuve et sa descendance


Il fit quelques achats seuls, et sa femme, Catherine Beau, continua après lui d’en faire autant. Il est mort probablement en 1642 et Catherine Beau, dame de Villeneuve, est décédée le 29 juillet 1648 (vue 7), enterrée dans l’église de Saint-André. Le couple eut plusieurs filles. Parmi elles, nous ne connaissons que Marie (11), qui fut mariée avec Claude Guignardeau, écuyer, de Puy Mest (Essarts en 1664), de Vanne et la Guignardière y demeurant (Sainte-Florence), maintenu noble en 1671. Une partie de la Guignardière était mouvante de la seigneurie de la Barette (Essarts), et on a un aveu de sa fille en 1664 à la Barette (12). Ils eurent trois filles (Suzanne, Madeleine et Renée Marguerite) et un garçon (François)René Moreau eut aussi au moins deux garçons dont l’un, Pierre Moreau, est désigné comme sieur des Touches (13). Il était chapelain le 19 mai 1649 de la chapelle de Saint-Jean-des-[Bossoneaux], desservie en l’église de Beauvoir-sur-Mer. Il parait être mort jeune, probablement avant d’accéder à la prêtrise (page 36).

Son frère Louis Moreau, désigné comme son père sieur de Villeneuve, devint propriétaire au Coudray (Saint-André-Goule-d’Oie) à cause de sa première femme, Renée Masson (orthographié aussi Masant), fille de Jeanne Masson dame du Coudray. Il hérita aussi de son oncle le prieur de la métairie du Coudray. À la même époque le fief du Coudray Loriau semble avoir commencé d’être démantelé, les Royrand n’en étant plus propriétaire que d’une partie. Par mariage de Christophe Royrand avec Suzanne Menanteau, la fille du seigneur du Coudray, ils en étaient devenus les seigneurs au début du 17e siècle. Bourgeois et fortunés, les Moreau vont prendre progressivement la relève des Royrand dans ce fief du Coudray à Saint-André-Goule-d’Oie, appelé alors le Coudray Loriau. Ce fief était vassal du Coin Foucaud (Saint-André), lui-même alors propriété du seigneur de Languiller (Chauché).

Le Coudray
Louis Moreau, sieur de Villeneuve, était l’aîné de la branche cadette des Moreau. La branche aînée, depuis Jacques Moreau, désigna ses aînés : sieurs du Coudray (ils y possédaient une métairie), alors qu’ils n’y ont pas habités, à la différence des sieurs de Villeneuve, qui s’y établirent avec Louis Moreau. À la fin de sa vie en effet, ce dernier viendra habiter la métairie de la porte au Coudray (c’est à dire celle qui jouxtait la maison noble du fief). On le voit, cette appellation de sieur fait pendant à l’utilisation des noms de fiefs chez les nobles, qui étaient seigneurs d’une seigneurie érigée en dignité avec un titre (baronnie, comté, etc.). D’ailleurs les cadets des familles nobles sans titre de noblesse authentique, se désignaient eux aussi de sieur ou seigneur d’un domaine.

Après la mort de sa femme Renée Masson à Saint-André, le 15 mars 1668 (vue 20), Louis Moreau se remaria avec Anne Coupé. On lui connaît trois enfants baptisés à Saint-André-Goule-d’Oie : Marie, née le 25 mars 1664 (vue 182), Louis né le 11 mars 1666 (vue 188) et Renée née le 23 mars 1667 (vue 191). Les numéros de vues indiqués ici se rapportent aux fichiers numériques des registres paroissiaux de Saint-André-Goule-d’Oie mis à disposition sur le web par les Archives départementales de la Vendée. Il eut aussi un fils aîné, Pierre, non repéré dans les registres paroissiaux, aussi non présents dans les successions, et qui a dû mourir jeune.

Le parrain de sa fille aînée est René Girard, écuyer demeurant à Beaurepaire. La richesse du père le met à égalité de fortune avec certains nobles des environs.

Outre la métairie du Coudray, il possédait une métairie au village de Villeneuve (Chauché), une autre à celui des Gâts (Saint-André), une borderie à la Boninière (Saint-André), des terres au village de la Bourolière (Saint-André), une moitié de borderie au village du Pin (Saint-André), d’un droit de fief au village de la Trollière (disparu ou inconnu), de plusieurs maisons, un pressoir et une vigne au village de la Maigrière (Saint-André), la métairie des Touches, la vigne de Cachepoil, les fermes de la Bedouire et Petites Fontenelles (non repérées) et diverses rentes (14).

Quand il fit son testament en 1676, sa fille aînée était encore enfant, il  recommande « de la mettre avec quelque honnête dame en pension pour apprendre ». Il n’y avait pas d’école dans la région pour les jeunes filles, et on adoptait alors dans les familles riches, pour les études, les méthodes de ce que nous appelons de nos jours l’apprentissage, comme pour apprendre un métier. De même, s’agissant de son fils aîné, il donne ses instructions pour sa scolarité :

Vieux Poitiers de nos jours
«  je veux et ordonne qu’on mette Pierre Moreau fils aîné en une bonne ville chez un bon régent (instituteur) écrivain afin qu’il puisse bien apprendre à lire et à écrire et l’arithmétique ; quand il saura cela, le mettre chez M. Lourancheau, procureur (avocat) à Poitiers, pour apprendre la pratique, ou chez un autre, et l’y laisser deux ou trois ans, et ensuite commis chez un procureur afin qu’il se rende capable de servir ses amis et de connaître les affaires et assister ses sœurs, et de penser en son pauvre père qui a eu les dernières tendresses pour lui ». Cette insistance sur la formation pratique est à rapprocher d’une autre remarque plus loin dans le testament, où il précise même : « je défends à tous mes parents et amis de mettre mon fils au latin n’étant pas capable de l’apprendre ». Mais le mot n’avait pas le même sens néanmoins qu’aujourd’hui. Ici la pratique désigne « la science de bien instruire un procès en dressant les actes et observant les formules qu'exigent les ordonnances, édits, déclarations, coutumes et règlements. » (15).

À cette époque le parcours scolaire parisien d’un collège commençait autour de l’âge de 10 ans à titre indicatif. En réalité il se divisait en groupes de niveau appelés classes et non pas par groupes d’âge. Suivant son acquis auprès d’un précepteur le plus souvent, l’élève entrait dans la classe correspondant à son niveau. Par ordre de progression le parcours comprenait d’abord trois classes de grammaire, une d’humanité et une de rhétorique. De plus, une ou deux années supplémentaires pouvaient être consacrées à la philosophie. Une dernière année permettait d’obtenir le baccalauréat. Ensuite deux à trois années supplémentaires permettaient d’obtenir la licence dans une spécialité, après quoi la poursuite des études pouvait conduire à la maîtrise et au doctorat (16).

Dans son testament, Louis Moreau demande d’être enterré dans l’église paroissiale de Saint-André-Goule-d’Oie, « en les lieux où sont inhumés mes prédécesseurs et la dite Masson ma femme, et que mon enterrement soit fait selon ma condition, et y soit appelé autant de prêtres que faire se pourra pour y célébrer tous leurs saintes messes pour le repos de ma pauvre âme ». Ses descendants et les membres de la branche aînée des Moreau se feront eux aussi inhumer dans l’église paroissiale. Au regard du droit et des usages alors en vigueur, on en déduit que l’ancêtre François Moreau, et peut-être ses fils, ont été des bienfaiteurs de l’église pour acquérir ce statut de patron, comme on disait à l’époque, attribué au fondateur ou assimilé (reconstructeur) de l’église. La famille n’avait pas dû se contenter du simple financement de l’entretien courant de l’édifice. Sa condition de riche bourgeois se traduit dans ses instructions pour le drap mortuaire recouvrant son cercueil. Il sera « d’une grosse serge de limestre, seulement avec une croix et treize rainures qui seront autour de mon corps avec treize cierges auxquels il sera donné à chacun huit sols et autant au service ». Originaire de Rouen, la serge de limestre était drapée et croisée avec de la fine laine d’Espagne. Ce chiffre treize correspond à une symbolique d’ordre religieux probablement.

Sa fille Marie épousa Arthus Venant Corbier avant le 10 mai 1689, mais décéda peu après juin 1699. Son mari, demeurant alors au Coudray, se remaria le 27 juillet 1703 avec Louise Billaud. Leur fils unique, Louis Corbier, sieur de Beauvais, hérita de la métairie du Coudray.  Il fut élevé par le deuxième mari de sa mère, Alexandre de Roannes, et se maria avec Charlotte de Puyrousset en 1738. Il n’eut pas d’enfant et sa veuve vendit la métairie du Coudray en 1767 à Louis René Loiseau. Nous avons raconté cette histoire dans notre article d’août 2011 : Le Coudray à St. André Goule d'Oie du 16e au 18e siècle.

Pierre Moreau, prieur-curé de Saint-André (vers 1600-1665)


Bourg de Saint-André-Goule-d'Oie en 1900
Pierre Moreau fut nommé vicaire de Saint-André en 1622. En 1627 il fut curé de Bessay (registre des baptêmes de Saint-André le 17-10-1726, vue 73), puis curé de Saint-André en 1639 (voir sa première signature sur le registre des baptêmes le 30 mai 1639, vue 99), jusqu’à sa mort le 14 novembre 1665 (vue 19). Il a géré sa fortune laissée par ses parents en se faisant intermédiaire financier auprès de tous ceux qui avaient besoin d’argent dans sa paroisse et celles aux alentours, dans des arrentements, cheptels, ventes, etc. Il était capable, à la fin de sa vie, d’engager des sommes se montant au total à 3000 ou 3400 livres, soit l’équivalent des fermes d’une dizaine de grosses métairies, ou deux fois la ferme annuelle de la seigneurie de Languiller ou 40 % de la ferme annuelle de la baronnie des Essarts. Sa pratique de la charité, n’a pas laissé de traces dans les archives conservées.

Il a aussi beaucoup aidé ses proches. Ses deux frères, Jacques et René Moreau, sont morts laissant des enfants mineurs. Après le décès de leur mère, il assura dans les deux branches de ses neveux et nièces le rôle de tuteur des biens et des personnes pendant quelques années. Dans ce rôle il s’est révélé autoritaire, et a été accusé d’être colérique. Sa responsabilité dans les divisions profondes qui s’installèrent entre les deux branches des cousins, est certaine. Et pourtant ses neveux et leurs familles alliées comme les Vaugiraud, lui doivent beaucoup. Il a constitué des dots, payer des dettes et financer des études à Poitiers. Deux de ses nièces épouseront des nobles. Il a été un oncle attentif et généreux, mais malhabile. Dans l’inventaire après décès de ses meubles, on voit ses héritiers étaler leurs divisions entre les deux branches des Villeneuve et du Coudray, alors que leurs parents avaient tellement travaillé ensemble. 

Pierre Moreau fils sieur du Coudray (vers 1630-1687) 


Le prieur de Saint-André, Pierre Moreau, fut officialisé tuteur des enfants de Jacques Moreau et de Suzanne Cherruy le 26 août 1644 (page 140). Ce rôle cessa vers 1650, mais on arrêta les comptes de sa tutelle en 1658. Et au début de cette période de tutelle, le prieur continua la gestion de la ferme de la seigneurie de Languiller et celle de la prévôté des Essarts.

L’aîné des enfants, Pierre Moreau, s’est marié avec Marie Hullin, originaire de la région de Cholet. Le père de cette dernière, Henri Jacques Hullin, a été sieur du Bois Charruau, situé près du bourg de la Romagne à six kms à l’ouest de Cholet, de 1632 à 1681 (16). Son frère était sieur de la Vacherie, proche du bourg de Saint-Leger-sous-Cholet, à proximité de Cholet. Sa femme se prénommait Catherine.

Pierre Moreau était sénéchal à Bazoges-en-Paillers, la Barotière et Beaurepaire, autant de seigneuries différentes dans lesquelles il a dû acheter l’emploi de sénéchal à chaque fois. Celui-ci, à cette époque dans une seigneurie, désignait un juge seigneurial avec un rôle administratif variable selon les lieux : publier les ordonnances royales et s’occuper des foires et marchés, par exemple. On trouve un document de 1727, où Pierre Moreau est qualifié d’avocat en parlement, mais l’information mérite une vérification que nous n’avons pas pu faire. On l’a aussi repéré étant sénéchal de Languiller en 1652 (17).

Il habitait à Saint-André-Goule-d’Oie, sans plus de précision. Quoique souvent indiqué comme sieur du Coudray, cela n’en faisait qu’un propriétaire dans ce village, mais pas forcément un habitant. Alors que son cousin, Louis Moreau sieur de Villeneuve, habitait au Coudray dans la métairie de la maison noble du fief.

Il eut six enfants nés à Saint-André-Goule-d’Oie. Trois moururent jeunes, tous prénommés Pierre : le premier né le 21 avril 1664 (vue 182), le deuxième né le 2 juin 1668 (vue 195) et le troisième né le 13 mars 1677 (vue 14). Un quatrième fils, Christophe, né le 2 février 1671 (vue 207), est décédé avant 1693. Son cinquième fils, Claude Prosper, vécut jusqu’à l’âge de 56 ans. Il eut aussi une fille, Marie, née le 3 février 1675 (vue 237), qui se maria avec un sieur Mesnard.

L’héritage de Jacques Moreau


L’héritage des parents de Pierre Moreau fut partagé le 1e octobre 1667 avec ses frères et sœurs, par tirage au sort, et authentifié par un acte des notaires de Saint-Fulgent. La sœur infirme, muette, fut exclue de ce partage. Elle avait un curateur pour ses biens en la personne de son frère Jean, le prieur de la Couture. Son exclusion ne tient pas à son infirmité, mais au fait qu’elle avait probablement été dotée déjà par ses parents. Souvent la dot des filles ne constituait qu’un à valoir sur l’héritage futur, mais parfois elle était suffisamment importante pour être considérée comme définitive et l’excluant de l’héritage (18).

Les domaines faisant partie de la succession ont été « mis en quatre lots les plus égaux qu’il nous a été possible … lesquels quatre lots tirés au sort après qu’ils ont été mis en quatre billets et mis en un chapeau ». Le premier lot a été échu au seigneur de Logerie, représentant ses enfants héritiers de la part de leur mère Renée Moreau, décédée quatre plus tôt. Le deuxième a été échu à Louis Moreau sieur de la Maigrière, le troisième lot a été échu à Jean Moreau, prieur-curé de la Couture, et le quatrième lot a été échu à l’aîné, Pierre Moreau, sieur du Coudray. Cette égalité entre les enfants montre qu’ils n’étaient pas nobles.

Le lot de Pierre Moreau comprenait une métairie, un bordage (19) et une borderie au village du Pinier à Vendrennes. S’y ajoutait une rente de quinze livres par an due « sur tous les dits lieux du Pinier », et une autre rente de 28 livres, « faisant la quatrième partie des cent douze livres qui sont dues annuellement par divers particuliers en la ville de la Rochelle » aux héritiers de Jacques Moreau.  

Pierre Moreau est décédé le 3 mars 1687 à Saint-André-Goule-d’Oie (vue 91).

Son frère Jean Moreau hérita des trois septièmes parties des droits de fiefs, rentes et autres choses comprises dans l’héritage et se rapportant au tènement (20) de la Boninière en la paroisse de Saint-André. S’y ajoutaient le gros moulin à vent situé au même tènement de la Boninière (sic : Bourolière), exploité par Jacques Bertrand, et une rente de 28 livres due par « divers particuliers en la ville de la Rochelle ». Évidemment cette part d’héritage ne représente qu’une partie des biens de Jean Moreau. Ainsi, il possédait une métairie au Coudray. Bachelier en théologie, il avait été nommé curé de la Couture, près de Mareuil, en juin 1663. Il fut inhumé dans son église paroissiale le 22 novembre 1685 (vue 24).

Son frère Louis Moreau hérita de ses parents d’une borderie à la Maigrière (Saint-André), d’une autre borderie à la Bonnière (Mouchamps), le pré de la Patisserie, proche du Parc à Mouchamps, deux bois taillis au Pin (Saint-André), et les 28 livres de rente annuelle, faisant le quart « de la rente due par divers particuliers de la Rochelle ».

Enfin, les enfants de René de Vaugiraud et de Renée Moreau héritèrent, outre eux aussi de la rente de 28 livres due annuellement par divers particuliers de la Rochelle, d’une borderie et d’une vigne à complant à la Maigrière (Boissaut bordier), d’une autre à la Chevaleraye (Saint-André, Cougnon bordier), des deux tiers d’un bordage à la Ridolière (Saint-André, Bouffard bordier), du bordage de Vaisnes (Mouchamps), et du champ des Landes à Chauché.

Des cinq frères et sœurs, enfants de Jacques Moreau, deux n’eurent pas de descendants : Jean le prêtre, et Marie, l’infirme. Un troisième, Louis sieur de la Maigrière, n’eut qu’une fils, Mathurin, dont la fille unique, Mathurine, mourut en novembre 1720 sans descendant. En conséquence, les biens de la famille furent recueillis par les descendants des deux autres enfants : ceux de l’aîné Pierre Moreau et ceux de la dernière Renée, épouse de Vaugiraud.

Nous avons déjà indiqué plus haut que des six enfants de Pierre Moreau, deux vécurent assez longtemps pour lui succéder : Claude Prosper et Marie, épouse Mesnard. Le premier resta célibataire toute sa vie et la deuxième est morte sans enfant. Ce sont donc les de Vaugiraud qui héritèrent de cette branche aînée des Moreau, sieurs du Coudray. Malheureusement pour eux, la plus grande partie des biens de cette famille fut saisie et dispersée par les créanciers à cause de la ruine de Claude Moreau.

Claude Moreau (1673-1729)


Né à Saint-André-Goule-d’Oie le 7 février 1673 (vue 221), Claude Prosper Moreau perdit son père à l’âge de 14 ans. Son parrain fut Claude Guignardeau, mari d’une cousine de son père, écuyer demeurant à Sainte-Florence. Sa marraine fut la deuxième épouse de Louis Moreau, autre cousin de son père. Son parrain et sa marraine appartenaient ainsi à la branche cadette des Moreau, des sieurs de Villeneuve.

Poitiers
Après la mort de son frère Christophe, il était devenu l’aîné chef de famille. On le voit dans ce rôle à l’âge de 20 ans dans un mémoire adressé au sénéchal de Fontenay-le-Comte en mai 1693 (21). Il est alors « aux écoles de droit à Poitiers », mais n’ayant pas 25 ans, il a été émancipé d’âge (22), pouvant gérer ses biens, mais procédant dans une instance judiciaire sous l’autorité, plutôt l’assistance en fait, d’un curateur aux causes.

Fondée en 1431, l’université de Poitiers comprenait la « faculté de droit civil et canonique », de haute réputation, à cause du soin apporté au choix de ses professeurs. Les élèves étaient nombreux, attirés par cette réputation.

Au temps de ses études à Poitiers Claude Moreau avait un domicile au bourg de Saint-André-Goule-d’Oie, qu’il a toujours conservé, lui servant d’habitation quand il revenait en Bas-Poitou s’occuper de ses affaires. Puis il habita un temps à Angers, paroisse de la Trinité, au début des années 1700.

Tableau : Île de la Cité à Paris
Ensuite, il s’installa à Paris, où il exerçait la profession d’avocat. Il habitait la paroisse de Saint-Pierre-des-Arcis dans les dernières années de sa vie (23). L’église paroissiale de Saint-Pierre-des-Arcis était une ancienne dépendance du prieuré de Saint-Eloy dans l’île de la Cité. Elle a été démolie en 1800 pour ouvrir la rue actuelle de la Pelleterie à Paris.

Sa sœur Marie, devenue orpheline de père et de mère, fut prise en charge par son cousin Pierre de Vaugiraud, le dernier des fils de Renée Moreau, avec son épouse Marie Renée Desnos. Ils demeuraient alors à la Grandinière en la paroisse de la Boissière-de-Montaigu, avant d’emménager à la Logerie de Bazoges-en-Paillers. Plus tard, « en reconnaissance des soins et bienveillances qu’a toujours eu pour ladite demoiselle Moreau messire Pierre de Vaugiraud …  ils lui ont donné et donnent par donation pure et irrévocable, faite entre vifs pour lui et les siens en tout droit de propriété, la métairie, appartenances et dépendances, du Pinier sise en la paroisse de Vendrennes » (23).

Claude Moreau contre le seigneur de Languiller


En succédant à son frère Christophe comme chef de famille à l’âge de 20 ans, Claude Moreau dut affronter l’adversité. Il y avait d’abord les désaccords nés entre son père et le seigneur de Languiller au sujet de droits sur des domaines fonciers possédés à Saint-André-Goule-d’Oie. Après l’annulation en 1670 de l’achat, quatre ans plus tôt, de la seigneurie de Languiller par René Langlois, gendre du seigneur de Linière (Le Gras), Philippe Chitton était devenu le nouveau propriétaire de l’ensemble de la seigneurie par deux achats en 1671 et 1674. Écuyer, conseiller du roi et Grand Prévôt Général du Poitou, Philippe Chitton était aussi seigneur de Fontbrune, Languiller, des Bouchauds (Essarts), Coin Foucaud (Saint-André-Goule-d’Oie). Or les terres de Pierre Moreau se trouvaient pour certaines d’entre elles dans les mouvances de ces trois dernières seigneuries. Demeurant sur place à Languiller, le nouveau propriétaire voulut mettre de l’ordre dans la gestion de ses nouveaux domaines, reprochant notamment à Pierre Moreau le non-paiement de certains droits. L’homme voulait en imposer, parfois brutalement, si l’on se souvient de ses démêlés avec le seigneur de la Chapelle Begouin à la même époque, quand il fit enterrer son épouse dans l’église de cette seigneurie en 1698 (Voir notre article en janvier 2014 : Les droits seigneuriaux sur les roturiers de la Chapelle Begouin à Chauché).

Languiller (Chauché)
Philippe Chitton n’hésita pas à poursuivre les héritiers de Pierre Moreau en justice, mais le jeune Claude Moreau ne se laissa pas faire. Les conflits se poursuivirent pendant des années. En 1717, le notaire des Essarts, Nicolas Houillon, est assailli par les deux protagonistes et doit se défendre. Il écrit à Claude Moreau : « je n’agis que par l’ordre de monsieur de Languiller, à qui maître de Vaux a écrit pour le supplier de vouloir vous faire payer de ce que vous lui devez et tenter de ce fait de faire exercer contre vous les suites les plus rigoureuses et même par saisie réelle. Monsieur de Languiller m’a bien dit que vous lui aviez écrit, il m’a même paru n’être pas content de votre lettre parce que vous l’avisez dépendre des actions contre vous … Vous pouvez vous adresser à lui pour obtenir les grâces que vous désirez dans cette occasion. Je ne puis pas m’empêcher d’agir à moins qu’il ne le souhaite. Si j’étais maître de la chose, avec plaisir je vous rendrais tous les services que je pourrais, étant votre très humble et très obéissant serviteur, Houillon. Aux Essarts le 8 janvier 1717 » (24).

En 1718 Claude Moreau vendit une rente féodale de 40 boisseaux de seigle à François Fluzeau prélevée sur le fief des Giroisières à la Brossière. Il garda pour lui le droit de fief dont il continua à rendre hommage à Languiller. Elle lui était venue de son père qui l’avait achetée en deux fois en 1681 et 1682 pour une somme totale de 1650 livres (25).

Bagarre au Coudray entre Claude Moreau et Artus Corbier !


Une autre adversité s’imposa à Claude Moreau, familiale cette fois. Ses relations avec le mari de sa cousine Marie Moreau, fille de Louis Moreau, sieur de Villeneuve, s’envenimèrent violemment. Fils d’un bourgeois de Fontenay le Comte, Artus Corbier était venu s’installer au Coudray chez sa femme. Il fréquentait naturellement le banc de la famille Moreau dans l’église paroissiale de Saint-André-Goule-d’Oie. Se prenant pour le nouveau seigneur du Coudray, le cousin Claude Moreau n’habitant plus que très épisodiquement à Saint-André, il revendiqua même le droit de présentation à la chapelle des Moreau (Voir l’article publié en mai 2014 : La chapelle des Moreau dans l'église de St. André Goule d'Oie). Ce différent se doublait d’un autre concernant le banc dans l’église.

Celle-ci était petite et malgré les droits accordés par le curé de la paroisse (un frère Moreau), l’évêque de Luçon, par deux fois, dont la dernière en 1679, avait ordonné lors d’une visite pastorale d’enlever de la nef de l’église, où il se trouvait, le banc des Moreau. Claude Moreau s’exécuta en 1694, il le fit transporter à la porte de l’église et ensuite emporter en sa maison comme un bien lui appartenant. Mais le cousin Corbier l’accusa d’avoir enlevé par violence ce banc qui lui appartenait prétendait-il (26).

Edward Munch : La bagarre
Ils en vinrent aux mains le dimanche 10 octobre 1694 « sur les deux ou trois heures après midi étant sur le chemin qui conduit de Saint-André à Saint-Fulgent, il [Claude Moreau] aurait fait rencontre du dit Corbier et en même temps aurait donné un coup de bâton sur le col du suppliant [Claude Moreau], lui ayant demandé la raison pour quoi il le maltraitait de la sorte, le dit Corbier lui aurait donné deux autres coups de bâtons pour le reste, et lui le suppliant ne s’étant [pas] retiré, il l’aurait assassiné de coups de bâtons, et menacé le tuer d’une épée qu’il avait, ce qui fait présumer le menaçant dessein du dit Corbier envers le suppliant et lui aurait proféré plusieurs injures, l’ayant appelé bougre de coq, fripouille … ».

Telle est la version du suppliant, c'est-à-dire du plaignant, Claude Moreau, auprès du lieutenant général criminel du Poitou à Poitiers, quatre jours plus tard (27). Il faudrait connaître le sens précis à cette époque des mots comme « bougre de coq », « fripouille », pour saisir la portée de ces injures, très probablement plus osées que leur sens moderne. Par exemple traiter quelqu’un de « capitaine de bougres », c’était l’injurier de sodomite (28).

Arthus Corbier saisit, lui, de l’affaire du banc et du droit de présentation à la chapelle le « lieutenant pour le roi au gouvernement de cette province de Poitou, monsieur le marquis de la Chaize », François de Saligné. Le 30 décembre 1694, le marquis de la Chaize-le-Vicomte prit une ordonnance condamnant Claude Moreau à rétablir, à titre provisoire, « son propre banc en le même lieu de ladite église » et au surplus renvoyant les parties par devant l’évêque de Luçon pour régler leurs différends sur le fonds (29). Plus tard, l’évêque donna raison à Claude Moreau, tant sur le droit de présentation à la chapelle des Moreau que sur le retrait du banc.

Sous l’Ancien Régime on faisait une différence entre les bancs des patrons (fondateurs des églises ou chapelles) et des seigneurs des lieux hauts justiciers, qui étaient de droit, d’avec les bancs des particuliers qui étaient payants. Ces derniers pouvaient avoir des concessions du curé ou du fabriqueur à titre personnel, et non à titre perpétuel. On a pu lire chez certains jurisconsultes que pour les chapelles, le droit de présentation s’éteignait avec le fils du titulaire du droit. Pour la chapelle des Moreau, ce fils était Claude Moreau, mort en 1729 sans descendant. On ne sait pas avec certitude qui présenta à la chapelle après lui. Il semble que ce fut son héritier, Pierre de Vaugiraud. On ne peut s’empêcher de faire un lien entre cette dispute en 1694 et la haine exprimée en 1666 par la génération précédente au moment de l’inventaire de l’oncle prêtre Pierre Moreau. 


Moreau contre des créanciers de la Couture


La Couture
En 1708, Claude Moreau intenta une action judiciaire avec sa sœur Marie contre Marie Brechotteau veuve d’Antoine Guillet, demeurant au bourg de la Couture. Celle-ci avait acheté en 1691 des domaines de Philippe Bernardu. Or ce dernier avait deux dettes envers l’ancien prieur de la Couture, Jean Moreau oncle de Claude et Marie Moreau, contractées en 1670 et 1674 pour un total de cent quatre-vingt-seize livres. Ces derniers, en tant qu’héritiers de leur oncle, réclamèrent en 1708 le remboursement de ces obligations à la nouvelle propriétaire d’une partie des biens du défunt créancier. Déjà à cette époque ce type de créance était prescrit au bout de dix ans. Les Moreau répondirent qu’au moment du décès du créancier ils étaient mineurs. Pourtant ils avaient un curateur aux causes, et on s’étonne qu’un juriste de formation, avocat de métier, ait utilisé l’argument, à moins d’admettre le mauvais fonctionnement des institutions judiciaires, comme le répètent les historiens, pouvant donner une chance à tous les arguments. Pourquoi se retourner contre le nouvel acquéreur des biens du créancier défunt, plutôt que de demander des comptes aux héritiers du précédent propriétaire ? Les Moreau font état des hypothèques données sur ces biens au moment de la formation des obligations. L’argument ne nous étonne pas en revanche, puisque nous savons que dans le droit civil né du droit féodal, on partait du bien pour aller aux personnes. Et si la notion d’hypothèque existait au sens d’aujourd’hui, son régime juridique ne possédait pas la même sûreté que maintenant. On ne sait pas comment s’est terminée cette affaire, mais on doute de son succès pour les Moreau.   

Pierre de Vaugiraud réconcilie ses cousins, frère et sœur


Claude Moreau attendit longtemps avant de partager l’héritage de ses parents avec sa sœur Marie. Elle était déjà mariée quand l’opération se fit en 1712, elle avait alors 37 ans et lui 39 ans. Ce retard avait détérioré les relations entre le frère et la sœur, celle-ci ayant dû intenter une action judiciaire l’année d’avant contre son frère auprès du présidial de Poitiers. On voulut alors se réconcilier, sous l’influence des parents, probablement les de Vaugiraud.    

L’acte notarié de cette transaction-partage de succession a été passé au bourg de Vendrennes le 10 mars 1712 chez les notaires Boisson et Pineau. Il a été signé par le frère et la sœur bien sûr, mais aussi par l’époux de Marie Moreau, maître Jacques Pierre Menard sieur de Coutaut, et le cousin Pierre de Vaugiraud, à qui on donnera la métairie du Pinier à cette occasion, pour les raisons évoquées plus haut (30).

Non seulement il fallait partager la succession de leur père Pierre Moreau, et celle de leur mère, Marie Hullin, où le frère et la sœur étaient les seuls héritiers, mais aussi il y avait la succession de l’oncle Jacques Hullin à régler avec d’autres cohéritiers. Et il fallait tenir compte des revenus et dépenses engrangés et engagés par le seul Claude Moreau depuis le décès des personnes concernées jusqu’au jour du partage. Les difficultés de ce dernier se trouvaient à la mesure du temps différé pour régler les successions. D’autant que Claude Moreau avouait ne plus disposer des revenus de ces biens à partager « en majeure partie » et avoir aliéné une partie des domaines et rentes ! Mais il fallait aussi tenir compte de « toutes déductions faites des sommes par lui payées tant pour les possessions qu’entretien de la personne de ladite demoiselle Moreau et généralement toutes autres par lui pour elle payées ». On convint que sa sœur aurait dû recevoir 19 000 livres, et avec son mari et l’approbation de la famille, celle-ci valide cette somme « pour donner au dit sieur Moreau du Coudray leur frère et beau-frère des marques sensibles de leur tendresse et amour entre eux l’amitié et raison qui s’y doit rencontrer ». Qu’en mots choisis les notaires savaient parler du cœur !

Vieux Cholet
Cette somme, Claude Moreau n’en dispose pas et en substitution, il donne à sa sœur quelques propriétés dans la région de Cholet et provenant des héritages Hullin : six maisons ou métairies et six rentes, dont deux en nature et quatre en argent totalisant 459 livres de rentes annuelles. Mais cela ne suffit pas, s’y ajoutent les transferts de propriétés à Saint-André-Goule-d’Oie. Nous les citons, en indiquant la valeur estimée par des experts indépendants en 1726 (31) :

-        la maison principale habitée ordinairement par le sieur Moreau, le jardin en dépendant, une prairie au derrière, et une maison et jardin exploités par François Bardin situés audit bourg de Saint-André (4 000 livres). On a des indices pour penser que cette maison sera connue plus tard comme étant le logis de M. de Vaugiraud, et elle existe encore au fond de la place des Tilleuls.    
-        la métairie du Coudray (4 500 livres),
-        les borderies de la Chevaleraye et de la Ridolière (1 473 livres),
-        la rente, vigne et terre de la Maigrière (1350 livres),
-        le pré de la Boninière et deux quartiers du pré Corni (770 livres),
-        la rente de cent boisseaux de blé seigle et deux boisseaux de froment due, savoir sur la Maigrière vingt-quatre boisseaux, sur la Milonnière vingt boisseaux, sur la Bourolière vingt-cinq boisseaux, sur la Mancellière dix boisseaux, sur les Suries vingt boisseaux, et les deux boisseaux froments sur le moulin à vent du tènement du lieu du Coudray (1 852 livres),
-        les rentes en blé dues sur le village de la Chevaleraye, le moulin de la Boutinière et les landes et étang du Pin (810 livres),
-        les rentes en argent sur la maison de la borderie du bourg et à la Milonnière (280 livres),  
le tout en la paroisse de Saint-André,
-        les terrages (droits seigneuriaux, souvent d’un 1/6 des récoltes) et rentes dues sur les tènements de Landes Borgères (Vendrennes, touchant la Brossière), les Giroisières (Brossière à Saint-André) et la Guierche (Vendrennes) (1 500 livres).

Nous en sommes en 1726 et on note que ne figurent pas dans cet inventaire des redevances perçues au moins jusqu’en 1717 à la Faubretière de Chauché. Il en possédait la moitié à cette date en indivision avec la dame de la Pitière (Marie Madeleine de Chevigné) et la dame du Boireau (Mme de Rambervilliers). Déjà son père les possédait en 1686 (32). 

Il y avait malheureusement dans les héritages Hullin des dettes attachées à certains domaines. Et les créanciers vont poursuivre le frère et la sœur. De même qu’eux-mêmes ont dû entamer des actions judiciaires dans la seigneurie de Mareuil contre des héritiers de créanciers de leur oncle Jean Moreau, curé de la Couture.

Marie, épouse Mesnard, décédera à une date non connue, laissant son mari et son frère dans l’adversité face aux créanciers.

L’héritage de Mathurine Moreau


En 1720 ils vont hériter de Mathurine Moreau, leur cousine, fille de Mathurin Moreau et petite-fille de Louis Moreau, sieur de la Maigrière marié à Catherine Chaillou. Nous ne connaissons que la part de l’autre cohéritier, Pierre de Vaugiraud. Elle est intéressante à noter : un bordage à Saint-Martin-des-Noyers (le Vieux Détroit), une borderie à la Chaize-le-Vicomte (le Curain), avec un moulin à eau dans le bourg de la Chaize, et une borderie à Saint-André-Goule-d’Oie (au village de la Maigrière). « La borderie de la Megrière est surchargée de rentes, biens en devoirs qui excèdent la valeur du prix d’icelle », précise Pierre de Vaugiraud dans sa déclaration « au roi et au dit Charles Cardier, régisseur général des fermes unies de France » (33). C’est que depuis 1703, les héritiers devaient payer sur la valeur des biens de certaines successions un nouvel impôt, le centième denier, au départ 1 % de cette valeur. La tentation était donc évidente pour les déclarants de minorer la valeur des biens et d’en amenuiser les revenus touchés. La borderie de la Maigrière méritait-elle, objectivement, une si mauvaise appréciation ? On en doute.

Les créanciers contre Claude Moreau


Nous avons vu Claude Moreau dans l’adversité avec son cousin Corbier. Sur le fond il avait raison, mais a-t-il su s’y prendre dans cette querelle familiale sur des questions d’honneur ? Pourquoi a-t-il attendu si longtemps avant de partager avec sa sœur les successions qui leur revenaient ? Certes, les créances supportées par les héritages ne sont pas de son fait, mais pourquoi avoir fait des dettes auprès de particuliers, pour lesquelles il s’est fait condamner par les tribunaux ?

Quentin Metsys : Le prêteur et sa femme (1514)
À titre d’exemple, il s’est fait condamner par la prévôté d’Angers le 29 décembre 1706 à payer sa dette de 270 livres à un tailleur d’habit à Angers, Pierre Farcy. Le 12 avril 1707, c’est le présidial d’Angers qui le condamne à payer 55 livres à Jean Amirault, orfèvre en cette ville. En 1707, il est condamné à payer une somme de 900 livres à Jean Antoine, bourgeois de Paris. En 1709, c’est une somme de 530 livres qui est due à Louis Lemerie, marchand bourgeois de Paris.

Toujours est-il que deux ans avant sa mort, l’ensemble de ses dettes, ainsi que celles de sa sœur, dûment justifiées par des décisions judiciaires, font l’objet d’une sentence d’ordre des syndics de leurs créanciers (34). Le total de leurs montants s’élève à 79 440 livres, 60 % sont des dettes de Claude Moreau seul, les autres sont de sa sœur et de son mari seuls (12 %) ou du frère et de la sœur ensemble (28 %). Les dettes communes proviennent pour l’essentiel des héritages Hullin et pour une grande part des arrérages, intérêts et frais des montants en principal de ces dettes d’héritages.  

La sentence d’ordre est datée du 9 septembre 1727 et elle classe les créances en trois catégories. D’abord les créances privilégiées représentent surtout les frais de justice, les gens de loi se servant les premiers, pour un montant de 5 169 livres. Puis viennent les créances hypothécaires, soit 90 % du total, dont presque les deux tiers pour Claude Moreau seul. Comme de nos jours, c’était un droit réel avec la faculté de faire vendre le bien immeuble donné en garantie, et d’être payé en préférence du prix obtenu. Ces créances ont été rangées en trois classes bénéficiant entre elles d’une priorité et d’un régime de remboursement gradués. Enfin, les créances les moins prioritaires dans le remboursement, car non garanties par une sûreté, appelées aussi à cette époque chirographaires, ne représentent que 3 % du montant total des dettes (2 840 livres).

Si le montant des créances répertoriées est de 79 440 livres, certaines avaient déjà été en partie remboursées. En effet, Mesnard et sa femme avaient abandonné dès 1715 aux principaux et plus anciens créanciers des successions Hullin, certains biens à eux échus dans la donation-partage de 1712. Mais on est loin du compte et Claude Moreau est bel et bien ruiné.

Sa mort au début de l’année 1729, lui épargnera les affres de cette situation.

L’héritage de Claude Moreau refusé


À la suite de quoi, son cousin, Pierre de Vaugiraud, n’a pas voulu se porter son héritier. Il émancipa son second fils puîné, François René Joseph de Vaugiraud, et lui fit donner pour son curateur aux causes le sieur Proust de la Barre, procureur fiscal de Saint-Fulgent, dont il avait l’habitude de suivre les conseils (35). Ensuite il l’engagea à se porter héritier du défunt Claude Prosper Moreau sieur du Coudray (36). La situation créée devait lui permettre de voir et d’attendre prudemment. Cela fit renoncer le fils à la succession le 12 mai 1740 devant les notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau et Frappier.

Craignant qu’on ne conteste sa renonciation et pour éviter des procès, il obtint le 28 juillet 1745 une lettre de mandement du roi « au juge de la baronnie des Essarts en Poitou et aux officiers exerçant la juridiction en son absence dans l’étendue de laquelle est ouverte ladite succession », confirmant cette renonciation (37). 

Les de Vaugiraud ont possédé néanmoins à Saint-André-Goule-d’Oie des biens provenant des Moreau, mais pas directement du principal propriétaire parmi eux : Claude Moreau. En revanche, les biens de ce dernier furent acquis auprès des créanciers étrangers à la paroisse par les candidats à la propriété des alentours du Coudray, pourvus de bons bas de laine. Ces transferts de propriétés nous échappent car les archives conservées des notaires de Saint-Fulgent ne commencent qu’en 1764 pour l'essentiel.

Nous avons pu repérer à titre d'exemple que la ferme de la Ridolière a été acheté par Pierre Coutouly ou sa femme. Il était receveur des décimes du diocèse de Luçon. En 1743 il la louait à François Fluzeau marchand demeurant au village de la Brossière (38).


(1) Archives départementales de la Vendée - 1958 - Inventaire sommaire.
(2) Inventaire après-décès de 1666 du mobilier, vaisselle, linge et papiers de Pierre Moreau, Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, pages 117, 152 et 153.
(3) Aveu du 7-3-1509 de la Boutarlière aux Essarts, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 95. 
(4) Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 58, déclaration roturière du 21-5-1614 de Marguerite Leray pour un moulin à vent de la Boutinière.
(5) Assise de Languiller vers 1605, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/M 35, pages 17 à 19.
(6) E. Le Roy Ladurie, Histoire humaine et comparée du climat, Fayard, tome 1, 2044, page 346 et s. Aussi pour la peste à Fontenay : Pasteurs de l’église réformée de Fontenay-le-Comte, page 90 de B. Fillon et O. de Rochebrune dans « Poitou et Vendée études historiques et artistiques », réimpression de Laffitte en 1981 de l’édition de 1887.
(7) Archives départementales de la Vendée, notaires de Fontenay-le-Comte, étude F (3 E 37), Pierre Robert (1628-novembre 1632), 16-11-1631, Maximilien Eschallard ratifie le contrat de la ferme de Belleville faite par Marie Hurault à Jacques Moreau et René Moreau (vue 416 et 417.
(8) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, quittance à Jacques Moreau pour achat à la Porcelière du 23-4-1644.
(9) Vidimus du 19-5-1747 d’actes à la demande de Merland (page 13), Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/F 24.
(10) Comte de Chabot, Mesdemoiselles de Rohan, littérateurs et poètes, dans la Revue du Bas-Poitou, 1888, pages 32 à 38.
(11) 22 J 29, copie du testament de Louis Moreau, sieur de Villeneuve, du 7 mai 1676.
(12) Aveu du 25-7-1716 de Renée Marguerite Guignardeau à la Barette, Archives de Vendée, transcription par G. de Raignac des archives de la Barette : 8 J 87-2, page 130.
(13) 22 J 29, transaction pour le partage des successions Moreau et Hullin le 2-3-1712.
(14) Idem (11).
(15) J. Jacquart, Histoire de la France rurale, 1975, Seuil, tome 2, page 304. 
(16) De Corbier et Rambeaud, Lancelot Voisin sieur de la Popelinière. Capitaine huguenot, diplomate, corsaire et historien (1541-1608), Les Indes Savantes, 2022, page 84. 
(17) 150 J/F 31, sentence du 25-6-1652 de Pierre Moreau, sieur du Coudray et sénéchal de Languiller et fiefs y annexés, concernant l’exécution de saisies.
(18) Traité des successions divisé en quatre livres, par feu M. Denis Le Brun (1776) livre 1, page 63
(19) Petite ferme proche d’un gros manoir pour fournir le maître des lieux de fruits (volailles, légumes) [Philippe Antoine Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, (1828), Volume 2, page 242]. Le terme est souvent assimilé à celui de borderie.
(20) Terroir d’étendue variable tenu d’un seigneur.
(21) 22 J 29, mémoire de Claude Moreau contre Chitton du 4-5-1693 pour des fiefs de St André au sénéchal de Fontenay.
(22) Jean Mesle, Traité des minorités, tutelles et curatelles (1752), Première partie, page 266 et s.
(23) Idem (13).
(24) 22 J 29, lettre de Houillon à C. Moreau du 8-1-1717.
(25) Archives de la Vendée, don de l’abbé Boisson : 84 J 21, recours en 1785 contre le paiement d’un droit de franc-fief par les héritiers Fluzeau.
(26) 22 J 29, mémoire de Claude Moreau à l’évêque de Luçon pour le banc de l’église et la présentation de la chapelle en 1694.
(27) 22 J 29, plainte de Moreau contre Corbier pour coups et injures devant Irland le 14-10-1694.
(28) Michel Pernot, Henri III, le roi décrié, Livre de Poche et de Fallois, 2017, page 396.
(29) Idem (26).
(30) Idem (13).
(31) 22 J 29, sentence d’ordre du 9-9-1727 des syndics des créanciers de Moreau et Menard.
(32) Aveux du 4-7-1686 et du 9-4-1717 de la moitié de la Faubretière à la Barette, Archives de la Vendée, transcriptions par Guy de Raignac des archives de la Barette : 8 J 87-1, page 65 à 67.
(33) 22 J 29, déclaration de la succession de Mathurine Moreau par P. de Vaugiraud le 15-7-1722.
(34) Idem (31).
(35) 22 J 29, mémoire sur la succession de Claude Moreau pour de Vaugiraud de Rosnais après 1745.
(36) 22 J 29, pouvoir de Vaugiraud de Rosnais pour la succession de Claude Moreau le 31-1-1729.
(37) Idem (35).
(38) Archives départementales de la Vendée, Don Boisson : 84 J 30, ferme de la borderie de la Ridolière du 4-12-1743.

Emmanuel François, tous droits réservés
Juin 2014, complété en octobre 2023

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vendredi 2 mai 2014

La chapelle des Moreau dans l'église de Saint-André-Goule-d’Oie


L’église actuelle de Saint-André-Goule-d’Oie a été bénite en 1877 après trois années de construction. Plus grande que l’ancien édifice qu’elle a remplacé, celui-ci était situé lui aussi au centre du bourg et comportait un ballet, sorte de préau devant le portail d’entrée, où se tenaient autrefois les réunions des paroissiens. Le presbytère, qui lui était adossé, a lui aussi disparu après l’ancienne église. Dans celle-ci une chapelle, dédiée à saint Pierre, avait été construite vers la fin du 17e siècle. Les archives de la famille Moreau (1) nous apprennent son existence, parfois difficile, nous replongeant dans les mœurs oubliées de l’Ancien Régime.

Le curé de Saint-André fonde une chapelle dans l’église paroissiale


La famille des Moreau a été « l’une des plus anciennes et plus considérables de la paroisse de St André de Gouldois » au cours du 17e siècle. Ses membres y possédaient de nombreux biens et ont aidé au gros entretien ou reconstruction de l’église paroissiale. C'est probablement à ce titre qu'ils avaient acquis le droit de s’y faire enterrer. De 1639 à 1665, le prieur-curé n’était autre que Pierre Moreau, frère de Jacques, sieur du Coudray et fermier ou procureur fiscal de Linières, et de René, sieur de Villeneuve. C’est ce prêtre qui eut l’idée de fonder une chapelle dédiée à saint Pierre dans son église paroissiale.

Cette chapelle devint un bénéfice suivant le vœu de son neveu, bachelier en théologie, Jean Moreau, prieur-curé de la Couture (près de Mareuil), dans son testament en 1685 : « et ajoutant à la fondation faite par feu maître Pierre Moreau mon oncle vivant prêtre curé de St André Goulldois, je veux et entends qu’il soit dit et célébré deux messes … à mon intention en la chapelle par lui fondée en l’église du dit lieu » (2).

La Maigrière
Le titre de fondation de la chapelle est un acte notarié du 3 décembre 1685 (3), signé par les héritiers de Jean Moreau : ses frères Pierre, sieur du Coudray et l’ainé, Louis, sieur de la Maigrière, et René de Vaugiraud, mari de sa sœur Renée décédée, pour le compte de leurs enfants héritiers de leur oncle. Les héritiers de Jean Moreau créent un fonds de deux messes par semaine, alimenté par les paiements d’une rente foncière due par le comte de Bessay. Elles devront être dites « en l’église de St André à la chapelle qui doit être bâtie ». Pour réaliser sa construction dans la nef, l’acte prévoit de prélever trois mille livres sur les paiements déjà dus des rentes. Le mot chapelle avait deux sens, l’un d’édifice physique, l’autre de fondation de messes (4). La chapelle des Moreau avait ces deux sens à la fois.

Ce fonds de deux messes par semaine devait être dévolu à un clerc, chargé d’assurer l’entretien de la chapelle et de dire, ou faire dire, les messes. Il constituait un bénéfice ecclésiastique comme on disait alors. Cette dévolution se faisait en deux temps : la présentation, puis la collation.

La présentation était un droit réservé au(x) créateur(s) du fonds et à ses héritiers. Il consistait à choisir et à présenter le titulaire du bénéfice. La collation consistait à nommer le titulaire, ici par l’évêque de Luçon. Le titre de fondation de 1685 règle ainsi les modalités du droit de présentation : le titulaire est nécessairement un héritier masculin, choisi par priorité d’ordre de naissance, du frère aîné Pierre Moreau, sieur du Coudray. En cas d’insuffisance de garçons, le droit passe dans la branche cadette des garçons de Louis Moreau, sieur de la Maigrière. Et en cas d’insuffisance à nouveau, le droit passe aux garçons descendants de René de Vaugiraud et Renée Moreau.

Les titulaires de la chapelle des Moreau


Le premier titulaire de la chapelle, présenté par Christophe Moreau, fils aîné de Pierre Moreau, a reçu son visa de collation de l’évêque de Luçon le 27 novembre 1687. Il s’appelait Jean Pringault, alors vicaire à la Couture, et choisi probablement selon le vœu de l’ancien prieur des lieux, Jean Moreau. De plus, il avait été vicaire à Saint-André-Goule-d’Oie de 1679 à 1684 (5). Il sera nommé ensuite à Sainte-Cécile puis Avrillé, et il fera dire les messes par quelqu’un d’autre que lui dans l’église de Saint-André. Mais c’est lui qui recevait la pension attachée à ce bénéfice et en gardait le revenu net. On le voit, cette présentation permettait au fondateur et présentateur de la chapelle d’apporter des moyens financiers au clerc de son choix.

Séminaire de Luçon
Le clerc choisi n’était pas nécessairement prêtre. On a ainsi comme titulaire de la chapelle des Moreau, collationné en décembre 1719, Pierre René Gabriel de Vaugiraud, écuyer, clerc tonsuré du diocèse de Luçon, étudiant au séminaire (6). La tonsure, donnée par l’évêque, était une entrée dans les ordres ecclésiastiques, sans les engagements du sacerdoce, notamment le célibat. On aidait ainsi par cette attribution un séminariste de la famille à faire ses études à Luçon. Surtout que depuis le concile de Trente qui l’avait réformée, l’Église catholique ne voulait plus que les ecclésiastiques soient obligés de travailler. Le concile ordonnait de n’élever aucun clerc au sacerdoce « s’il n’était juridiquement prouvé auparavant qu’il possédait paisiblement un bénéfice suffisant pour l’entretenir honnêtement ». C’était l’institution du titre clérical créé par l’ordonnance royale d’Orléans en 1561, la fixant alors à 50 livres de rente par an (7).

Pierre René Gabriel de Vaugiraud quittera le séminaire et se mariera en 1732 avec Madeleine Chitton, fille du seigneur de Languiller (Chauché). Il avait été présenté à la collation de la chapelle par son cousin, Claude Moreau, fils de Pierre et sieur du Coudray lui aussi, devenu l’aîné des garçons après le décès de son frère Christophe.

Le bénéfice était devenu vacant par le décès, le 26 octobre 1719, de Pierre Lemaçon, « prieur-curé dudit Saint André Degoulledois, dernier titulaire et paisible possesseur » de la chapelle (8). Pierre René Gabriel de Vaugiraud a été présenté et collationné à sa place et tout aussitôt il a constitué, le 3 décembre 1719, Jacques Benoist, curé de Saint-Fulgent depuis 1713 (9), comme son procureur pour la gestion du bénéfice. Pourquoi n’a-t-il pas choisit le nouveau curé de Saint-André-Goule-d’Oie, Nicolas Reaud, titulaire du prieuré depuis le 21 octobre 1719 ? Nous ne le savons pas, mais on ne peut pas s’empêcher de se poser la question. Les parents du curé de Saint-Fulgent, habitant au lieu noble de la Valinière situé dans cette paroisse, avaient été autrefois les fermiers du père de Pierre René Gabriel de Vaugiraud, pour les domaines de la famille situés à Saint-André-Goule-d’Oie. Peut-être ces liens anciens dans la famille ont compté (10).

Des héritiers divisés au Coudray sur le droit de présentation


Le droit de présentation à la chapelle des Moreau a alimenté les querelles existant entre les deux branches de la famille Moreau. La branche aînée, représentée par Pierre Moreau et ensuite ses fils Christophe et Claude Moreau, s’est vu contester ce droit de présentation par un descendant d’une branche cadette, les Moreau, sieurs de Villeneuve. Un membre de celle-ci, Marie Moreau, s’était mariée avec Artus Corbier, sieur de Beauvais. Ce dernier prétendait exercer aussi le droit de présentation à la chapelle. Il est vrai qu’il fréquentait l’église paroissiale et habitait au Coudray, alors que Claude Moreau, avocat au parlement, habitait Angers puis Paris. On saisit l’évêque de Luçon qui trancha en faveur de la branche aînée.

Les arguments présentés à l’évêque sont intéressants à connaître. Dans son mémoire à monseigneur Henri de Barillon, Claude Moreau commence par indiquer que le seul fait de ne pas porter le nom des Moreau, enlève toute légitimité au sieur Corbier d’exercer ce droit, tel qu’il avait été prévu dans le titre fondateur de 1685. « Il dit qu’il est marié avec Marie Moreau, c’est ce qui n’est que trop vrai pour le repos de la famille. Mais ladite Moreau sa femme n’étant qu’une cadette, fille d’un cadet de cadet de ladite famille », précise Claude Moreau, qui se présente comme « le seul chef du nom et armes de la famille » (3).

Claude Moreau, tout imprégné de ses cours de droit à Poitiers, indique dans son mémoire à l’évêque de Luçon : « C’est une loi aussi vieille que le monde, religieusement observée par toutes les familles, de laisser aux aînés de chacune toutes les prérogatives d’honneur que chaque maison possède comme dans leurs sources …, il n’y a que l’étranger, comme est le sieur Corbier, qui cherche au contraire à la détruire et à se parer de ses dépouilles, il ne le pourra faire, le droit commun s’y oppose, et le droit naturel plus fortement encore. Il est un étranger, et un étranger présenté et proposé par une cadette, le droit naturel le rejette comme indigène. » Malheur aux « rapportés » !

Dans les phrases que nous venons de citer, Claude Moreau n’indique pas s’il faut faire une différence entre les nobles et les roturiers. Au contraire, il s’appuie sur le droit naturel et universel des familles, qui transcende naturellement les catégories sociales. La notion de droit naturel, intrinsèque à la nature et à toute l’humanité, était supérieure au droit positif construit par les hommes. Étant roturier lui-même, il avait intérêt à cette présentation. Et il prend à son compte ce qui était un droit reconnu chez les nobles : les prérogatives d’honneur qui, comme le droit de présentation, étaient exercées par les aînés chefs de famille. On sent l’envie de noblesse dans ses propos, évoquant « les armes de la famille ». Pour un riche bourgeois c’était tout naturel, mais il fallait de l’astuce, de la fortune et de la persévérance pour accéder à la classe des nobles. À la même époque, le nouveau propriétaire de Linières, Louis Cicoteau, venait d’y parvenir.

Le bénéfice de la chapelle


Dans l’acte de fondation du 3 décembre 1685, le bénéfice de la chapelle fut fixé à 75 livres par an, dues à son titulaire (11). Il se présentait sous forme d’une rente fixe, dont les débiteurs en 1712 étaient, pour la moitié chacun, le seigneur de Vaugiraud de Logerie (Bazoges-en-Paillers) et le comte de Bessay, « à condition qu’elle demeurera affectée au paiement de pareille somme de soixante-quinze livres pour l’acquittement du service de la chapelle fondée par les auteurs des dits sieur et demoiselle Moreau en l’église de Saint-André » (12).

Tour de l'ancien château de Bessay
construite en 1577
François de Bessay et sa femme avaient emprunté 3 000 livres en 1683 à Jean Moreau, prieur de la Couture, à l’origine de la fondation du bénéfice, moyennant le versement d’une rente perpétuelle de 150 livres par an (13). Son héritier, Bernard de Bessay, était tenu de continuer le versement de la rente, et celle-ci avait été affectée par les héritiers de Jean Moreau au bénéfice de la chapelle Saint Pierre pour la moitié de sa valeur, c'est-à-dire 75 livres. Les de Bessay, famille noble et ancienne du Bas-Poitou provenant d’une branche des Lusignan vers 1200, possédaient la terre qui lui a donné son nom près de Mareuil et de la Couture.

C’est normalement Pierre de Vaugiraud qui reprit, à la mort de Claude Moreau en 1729, le droit de présentation à la chapelle. Ce dernier était mort sans descendance, n’ayant plus de frère et sœur vivants, et la branche de Louis Moreau, sieur de la Maigrière s’était éteinte aussi.

Le fils de Pierre de Vaugiraud, Pierre René Gabriel, ayant quitté les ordres ecclésiastiques a dû être remplacé dans ce bénéfice. Nous ne disposons malheureusement d’aucune information sur ce point. Et c’est lui qui succéda à son père en 1731 comme aîné de la famille et hérita du droit de présentation à la chapelle.

Et les impôts du roi ?


Quoique modeste, le bénéfice de la chapelle des Moreau n’échappait pas aux impôts ecclésiastiques. En 1727, « monsieur le titulaire de la chapelle des Moreau à Gouldoye » reçut un avis à payer un montant de 4 livres, 15 sols et 3 deniers, soit le total de neuf petites sommes dues entre 1711 et 1728 (14).

On sait que le clergé ne payait pas d’impôt officiellement, mais Louis XIV et Louis XV, continuant les initiatives des derniers Valois au temps des guerres de religionont su le faire participer au financement de leurs guerres. Exonéré de l’impôt de capitation créé en 1695, le clergé devait payer en compensation des prélèvements sur les biens d’Église appelés « dons gratuits » ! Le langage politique n’a pas attendu des époques plus récentes pour se faire manipulateur. Et s’il existe une graduation en ce domaine, le « roi soleil » se place, évidemment, en haut de l’échelle. En 1730 le titulaire de la chapelle des Moreau « est imposé par les rôles arrêtés en la chambre ecclésiastique et bureau des décimes de ce diocèse de Luçon pour les quatre millions de don gratuit accordé au roi dans l’assemblée générale du clergé de France, tenue à Paris l’année 1730, en conséquence du département, arrêtée en ladite assemblée, à la somme d'une livre payable par chacun des termes … » (15). Le décime fut justifié par le financement des croisades à l’origine, puis par toutes guerres approuvées par le pape ensuite. Il était de 1/10 des fruits des bénéfices portant sur les biens ecclésiastiques. Il se transforma en contribution de l’Église aux charges du monde laïc. Le clergé, dans des assemblées régulières, décidaient du versement d’une partie des revenus des temporels ecclésiastiques, qu’il prélevait lui-même avec sa propre administration fiscale des décimes.

Cette imposition n’allait pas de soi pour le chapelain qui s’est montré réticent, au point d’obliger en 1734 et 1736 le « receveur des décimes et autres impositions ecclésiastiques du clergé et diocèse de Luçon », Pierre Coutouly, de faire signifier par voie d’huissier à Pierre Mandin, sacristain de Saint-André, et à Jacques Mandin, aubergiste, une injonction à payer (16). Une affiche fut même placardée « en la grande porte de l’église paroissiale du dit St André de Gouledoye » (17).

Source : Archives Départementales de la Vendée
Le chapelain finit par payer et reçu une quittance le 16 août 1738, ainsi que « main levée de toutes saisies » (18).

Pour terminer il faut indiquer que l’histoire de ce bénéfice de la chapelle des Moreau à Saint-André-Goule-d’Oie, telle qu’elle nous la découvrons dans les documents d’archives, n’est pas représentative des bénéfices ecclésiastiques dans le royaume de France à la même époque. Ceux-ci ont constitués parfois des revenus très importants. De plus, la présentation des titulaires des bénéfices a subi les influences d’intérêts de tous ordres, sortant parfois de toute considération religieuse.


(1) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29.
(2) 22 J 29, testament de Jean Moreau, prieur de la Couture, le 20-11-1685.
(3) 22 J 29, mémoire de Claude Prosper Moreau à l’évêque de Luçon pour le banc de l’église et la présentation de la chapelle, sans date.
(4) Philippe Ariès, L’homme devant la mort, Seuil, 1977, page 179.
(5) Archives de Vendée, Dictionnaire des Vendéens, Jean Pringault.
(6) 22 J 29, pouvoir pour desservir la chapelle des Moreau de P. R. G. de Vaugiraud à J. Benoist, le 3-12-1719.
(7) Françoise Hildesheimer, Rendez à César, l’Église et le pouvoir, Flammarion, 2017, page 131.
(8) Archives de Vendée, registre paroissial de Saint-André-Goule-d’Oie, enterrement de Pierre Lemaçon le 26-10-1719 (vue 45/253).
(9) Archives de Vendée, Dictionnaire des Vendéens, Jacques Benoist de la Caillaudière.
(10) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille de Vaugiraud : 22 J 31, ferme des biens de Vaugiraud à Saint-André à Benoist le 7-8-1692.
(11) 22 J 29, sentence d’ordre du 9-9-1727 des syndics des créanciers de Moreau et Menard (copie du 9-3-1754).
(12) 22 J 29, transaction pour le partage des successions Moreau et Hullin le 10-3-1712, copie à la requête de P. de Vaugiraud du 28-7-1727.
(13) 22 J 29, exploit du 21-9-1729 de Proust au comte de Bessay pour être condamné à payer la rente de 75 livres.
(14) 22 J 29, impositions exceptionnelles du clergé sur la chapelle des Moreau en 1727.
(15) 22 J 29, imposition exceptionnelle du clergé sur la chapelle des Moreau en 1730.
(16) 22 J 29, injonctions à payer pour la chapelle des Moreau du 3-7-1734 et du 28-6-1736.
(17) 22 J 29, saisie des revenus de la chapelle des Moreau du 28-6-1736.
(18) 22 J 29, quittance des dettes de la chapelle des Moreau du 16-8-1736.

Emmanuel François, tous droits réservés
Mai 2014 complété en mars 2018

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mercredi 2 avril 2014

La seigneurie des Bouchauds aux Essarts

Aux Essarts la rue des Bouchauds est située 
dans le lieu de l’ancien logis
À cinq cent mètres au nord du château des Essarts, se trouvait une petite seigneurie appelée les Bouchauds. On ne connaît pas l’étendue de ses terres, mais on a repéré qu’elle possédait des droits féodaux sur certaines terres situées sur la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie, notamment aux villages de la Bergeonnière, la Maigrière, la Mancellière, la Roche Mauvin et la Boutinière.

Dans un aveu de 1550, l’hôtel des Bouchauds est décrit en ruine depuis longtemps et transformé en jardin. Il avait appartenu, « jadis », est-il écrit, à « Jehan des Bouschaux, lors seigneur de la Gaiginière ». Cette maison était située de l’autre côté d’un chemin la séparant de la maison noble de la Ramée, appartenant au même seigneur que celui qui possédait l’emplacement de l’hôtel des Bouchauds, à cette date le seigneur de Languiller (Chauché) (1). Ces deux lieux nous confirment qu’un certain nombre de vassaux du baron des Essarts habitaient à proximité du château. Comme la Ramée et le Coin, les droits seigneuriaux de ce fief, après la ruine de ses seigneurs, sont tombé en possession de Languiller. Pour le Coin cette ruine est en rapport avec les désastres de la 2e moitié du 14e siècls, guerriers, épidémiques et climatiques. Il en a probablement été de même pour les Bouchauds et la Ramée.

Languiller achète la moitié des Bouchauds en 1437


L’achat de l’hôtel des Bouchauds par Jean de Sainte-Flaive en 1437 est mentionné dans un mémoire vers 1680 disant que Languiller est seigneur chemier des Bouchauds, conservé dans le chartrier de la Rabatelière (2). Mais l’auteur du mémoire a dû mal copier des noms et des dates, quand on compare son texte avec les notes d’Amblard de Guerry sur cet achat (3). C’est le 17 novembre 1437, en effet, que Jean de Sainte-Flaive, seigneur de Languiller, fait un échange avec Bertrand de Pouez écuyer seigneur de Gastinie et du Pin (Ille-et-Vilaine), par lequel il reçoit l’hôtel des Bouchauds et des droits et héritages en la seigneurie de Sainte-Flaive, du Luc et de Beaufou. Bertrand de Pouez était alors capitaine au château des Essarts, et l’échange a eu lieu en présence du fils aîné de Jean de Sainte-Flaive, Philibert de Sainte-Flaive, et d’un notaire des Essarts, Guillaume Durand, et d’un notaire de la Merlatière, Bertrand. 

Bertrand de Pouez avait acquis le 19 juin précédent de Catherine Chevallier, veuve de Pierre Garnier, lequel l’avait acheté le 9 juillet 1436 d’Aubin d’Aubigné (4). On ne sait pas depuis quand Aubin d’Aubigné possédait les Bouchauds. Mais vers 1418 Jean des Roullins signe les comptes de cette seigneurie qui appartenait alors au comte de Penthièvre (5), le mari d’Isabeau de Vivonne. Apparemment celui-ci la possédait entièrement, et il en aurait vendu la moitié un peu plus tard. Mais on n’en est pas absolument certain, et peut-être était-elle déjà partagée à cette date. En tout cas elle l’était au moment de son acquisition par Languiller suivant le mémoire daté de 1680.

Ce partage, par moitié chacun des Bouchauds, porta sur les redevances seigneuriales, abonnées et casuelles, entre les Essarts et Languiller. La situation ne manquait pas d’ambiguïté, car pour sa moitié des droits, Languiller en rendait hommage aux Essarts. Et le baron des Essarts en rendait hommage à Thouars.

À la fin du 17e siècle, le seigneur de Languiller, Philippe Chitton, fit querelle aux Essarts pour revendiquer le statut de seigneur chemier des Bouchauds, que prétendait aussi les Essarts (4). Le chemier représentait et garantissait les autres possesseurs de fiefs dans la mouvance des Bouchauds, dont le seigneur des Essarts, dans l’hommage à rendre au suzerain des Essarts. On appréciera le mode de pensée du droit féodal ! L’enjeu de cette querelle était que le chemier seul avait le droit de faire une retenue féodale en cas de vente dans la seigneurie des Bouchauds.

Après 1437, chaque fois que la seigneurie de Languiller a été vendue, en 1604, en 1650, en 1671, en 1745, la seigneurie des Bouchauds a été vendue en même temps, comme faisant partie de ses « fiefs annexes », suivant l’expression reprise par des générations de notaires. La situation dura ainsi jusqu’à la Révolution, concernant aussi d’autres fiefs, dont le Coin Foucaud. 

Au milieu du 16e siècle, et peut-être avant, il apparaît donc que la seigneurie des Bouchauds n’a plus de maisons ou logis habitables près du château des Essarts. Son propriétaire a acensé le terrain où se trouvaient les bâtiments (4). Mais il reste une métairie et les droits féodaux, inaliénables, portés par les terres concédées autrefois à des tenanciers devenus propriétaires. Ils suffisent à faire vivre, à eux seuls, dans les papiers des notaires, la seigneurie des Bouchauds, encore pendant plus de deux siècles jusqu’à la Révolution française. C’est ainsi que dans l’acte de vente de Perrine Bruneau à Agnan Fortin du 11 novembre 1789, de la métairie de la Boutinière de Saint-André-Goule-d’Oie, il est précisé qu’elle relève roturièrement du fief des Bouchauds (6). Et dans toutes les déclarations et aveux qu’on rencontre sur la seigneurie des Bouchauds, les redevances perçues sont partagées par moitié entre la seigneurie de Languiller et la baronnie des Essarts.

La seigneurie des Bouchauds réduite à ses redevances


Ces droits féodaux avaient pour fondement légal le droit de propriété. Ils ont été supprimés sans indemnisation lors de la Révolution française, après des hésitations. Au lieu de cette spoliation, on aurait pu les racheter suivant diverses modalités. Mais c’eût été emprunter la voie de la réforme, peu conforme, il est vrai, aux traits dominants des traditions françaises française. Attirée par la passion des idées, celles-ci se sont laissé tenter par la logique révolutionnaire. Et puis il y eut des révoltes paysannes, basées notamment sur une incompréhension des mesures prises en août 1789, et en partie responsables de la voie choisie de non indemnisation.

rue de la Ramée aux Essarts,
près de la rue des Bouchauds
Ce qui est intéressant de noter ici, c’est que la situation à la fin du 18e siècle existait déjà de manière caricaturale dès le 16e siècle pour la seigneurie des Bouchauds. Ces droits n’avaient aucune contrepartie en matière de justice, de défense ou autre, la famille du seigneur fondateur ayant elle-même disparue ! Ils se sont transmis ensuite comme on achète la clientèle captive d’un fonds de commerce. Ils ont connu ainsi la longue vie des droits acquis dans la France de l’Ancien Régime.

La seigneurie des Bouchauds possédait aux Essarts la mouvance sur le fief de la Vrignonnière, le fief Maitre Mille (7), et le fief de l’Ansonnière (8). Elle était suzeraine à Saint-André-Goule-d’Oie des fiefs de la Roche Mauvin et de la Mancellière, et possédait les droits de fiefs sur les tènements de la Boutinière, la Maigrière, la Racinauzière, la Sigoninière (village situé près de la Jaumarière et aujourd’hui disparu), et la Bequetière (tènement sans habitat situé près de la Brossière). Avec le seigneur du Coin elle se partageait la mouvance sur le village disparu de la Bucletière (près de la Maigrière).

Vente et retrait féodal du baron des Essarts


Le 30 août 1551, ce fief va être vendu par le baron des Essarts (9) à un seigneur angevin, Léonard Bourgeois, écuyer demeurant à Fontaine-Guerin (10) en Anjou. Du moins la partie des émoluments (revenus) du fief appartenant à la baronnie des Essarts.

La description du fief dans l’acte de vente est la suivante : « terrages de blé (11), cens, rentes, tant en blé que poulailles étant des appartenances des dits Bouchauds ». Mais la vente ne comprend pas la maison en ruines, le jardin et les droits de rachats, de patronage et de fermage, non plus que la borderie. Pour ce qui reste du peu de propriété directe, les domaines seront gérés par les fermiers de la baronnie des Essarts. Un bail de 1721 indique « la maison, jardin et pré des Bouchaud et ses appartenances » (12). Dans la saisie de la baronnie des Essarts en 1757, on indique « la borderie appelée des Bouchauds située en la paroisse des Essarts, bâtiments, cour, jardin, terres et pâtis en dépendant ».

Jean IV de Brosse
Le vendeur était alors Jean IV de Brosse. Il avait été fait duc d’Étampes par François Ier, en récompense d’avoir épousé la maîtresse du roi, Anne Pisseleu. Le roi attribua ensuite le duché d’Étampes, à la mort de Jean de Brosse, à une autre de ses maîtresses : Diane de Poitiers. L’héritier de Jean IV de Brosse, Bastien de Luxembourg-Martigues, recueillit les terres de Penthièvre et des Essarts notamment, de son oncle, mais pas du duché d’Étampes.

La vente des Bouchauds se fit pour un montant de neuf cent deux livres quatorze sols tournois, payé comptant.

L’acte rappelle bien sûr que le fief est tenu de la baronnie des Essarts à foi et hommage, avec « douze deniers de devoir annuel à être payé à chacun an et chacune fête de noël, et à rachat quand le cas il adviendra ».

Déjà avant 1551, le duc d’Étampes avait vendu certains domaines dépendant du fief des Bouchauds. Il avait aussi vendu d’autres domaines dépendant des Essarts. 

Une vingtaine d’années après, Marie de Beaucaire (1535-1613), veuve de Sébastien de Luxembourg (1530-1569), successeur du duc d'Étampes, rachète le fief des Bouchauds. À noter que c’est Sébastien de Luxembourg qui devint duc de Penthièvre en septembre 1569.

Lamballe, capitale du duché de Penthièvre
S’agissant d’une transaction entre le suzerain et le vassal, on peut se demander s’il ne s’agit pas de l’exercice du retrait féodal. À moins que Léonard Bourgeois, envisageant de revendre son acquisition, ait anticipé le droit qu’avait son suzerain d’exercer un acte de retrait féodal. Celui-ci consistait à faire annuler la vente d’un bien de son vassal et de le reprendre au prix convenu avec l’acheteur. Dans un bail à ferme de la même année, il est indiqué que ce rachat des Bouchauds a bien été fait par retrait féodal.

Le contrat de rachat est daté du 1e juin 1572 (13), et signé par Guillaume de Bruc, secrétaire de Marie de Beaucaire, pour l’acheteur. La transaction s’effectue pour le même montant que vingt ans plus tôt : neuf cent deux livres quatorze sols tournois.

La métairie des Bouchauds


Il existait une métairie des Bouchauds déjà avant 1437 quand Languiller acheta la moitié de la seigneurie. Elle comptait près d’une vingtaine d’hectares en prés et terres labourables, en seulement une douzaine de champs et prés. On est probablement ainsi dans une structure foncière proche de la création de la métairie, peut-être constituée de l’essentiel du domaine direct de la seigneurie à son origine. Avec sa garenne et ses landes, elle occupait une surface plus importante, mais on n’avait pas l’habitude de compter dans les surfaces déclarées par les notaires dans leurs actes, ce qui étaient en friche permanente. Il y avait aussi un moulin à vent sur la métairie (14).

Ses 12 champs et prés touchaient aux terres du Chaillou, le Plessis-Duranceau, la Coussaie. Leurs confrontations citent aussi les chemins des Essarts aux Herbiers (ou Saint-André-Goule-d’Oie), des Essarts à Chavagnes-Montaigu, de Sainte-Florence au Plessis-Duranceau, de la Piltière à la Coussaie, et la rivière de la Petite Maine.

Jules de Belleville, seigneur de Languiller, a vendu le 20 février 1554 à Antoine et Pierre Durand, la moitié par indivis de la métairie des Bouchauds en la qualité de « chemier seigneur du fief des Bouchauds » (15). Cette précision inhabituelle dans les actes de vente marque bien la situation particulière des deux possesseurs des Bouchauds en indivision, que nous connaissons parfois sujette à dispute entre eux.

Les acquéreurs, habitant le Plessis-Duranceau voisin, devront rendre hommage à Languiller de leur bien acquis, avec le devoir de 8 boisseaux de seigle et 2 chapons. Ils avaient payé comptant le prix de la vente fixé à 230 livres.


(1) Archives de Vendée, Travaux de G. de Raignac : 8 J 101, aveu de Languiller et autres fiefs aux Essarts le 2 juillet 1605.
(2) Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/A 12-5, mémoire vers 1680 disant que Languiller est seigneur chemier des Bouchauds.
(3) Notes no 15 et 16 sur Languiller à Chauché, Archives d'Amblard de Guerry : CH 3.
(4) Idem (2).
(5) Archives de Vendée, G. de Raignac, Quelques familles anciennes du Bas-Poitou depuis longtemps éteintes, 2e série, (famille Masseau) : 8 J 41-2, page 149.
(6) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier, 3E 30/12, vente de la Boutinière et la Chevaleraye le 11-11-1789 par Perrine Bruneau à A. Fortin.
(7) Aveu des Essarts du 13-6-1639, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1136.
(8) Copie du 25-7-1702 d’un aveu du 8-9-1551 de l’Ansonnière (Roberte Sierlteau) à Languiller (Jules de Belleville), à cause de la seigneurie des Bouchauds et pour raison de l’Ansonnière aux Essarts, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/A-11.
(9) Archives de Vendée, baronnie des Essarts-Brosse et Luxembourg (1435-1642), 19 J 1, vente de la seigneurie des Bouchauds par le baron des Essarts à Bourgeois le 30-8-1551.
(10) Sieur du Moulin Lavau, il habitait au lieu de la Pelouse, paroisse de Fontaine-Guerin, dans le Maine-et-Loire, près de Beaufort-en-Vallée et de Baugé, à 15 kms à l’est d’Angers.
(11) Le mot signifie alors céréales, le blé au sens d’aujourd’hui s’appelait le blé froment.
(12) bail du 10-10-1721 de la baronnie des Essarts à Merland, page 2, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135. 
(13) 19 J 1, rachat de la seigneurie des Bouchauds du 1-6-1572.
(14) Ibidem (8).
(15) 150 J/A 12-7, vente du 20-2-1554 de la moitié de la métairie des Bouchauds par Jules de Belleville.

Emmanuel François, tous droits réservés
Avril 2014, complété en mai 2020

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