lundi 1 juillet 2013

Les cousins de Grandcourt de Saint-Fulgent

À la page 162 de mon livre, Les châtelains de Linières à Saint-André-Goule-d’Oieon voit « M. de Grandcourt chargé des pouvoirs de Mme Guyet » en 1870, à l’occasion d’un état des lieux au moment du changement de métayers à la Morelière, faisant partie du domaine de Linières. Je rappelle alors les liens existants entre les Guyet et les de Grandcourt, remontant au mariage de Narcisse de Grandcourt avec Élise Agathe Martineau en 1833. Revenons sur ces liens qui ont été importants entre ces familles au cours du 19e siècle. Quand le château de Linières fut démoli en 1912, Paul et Charles de Grandcourt essayèrent de sauver des fragments de fresques des murs et les donnèrent au musée de la Roche-sur-Yon, en vue de leur conservation.

L’histoire de ce cousinage commence à Paris.

Pierre Legras, dit Legras de Grandcourt, a été loueur de carrosses en 1789 (1) et est devenu ensuite fonctionnaire. Il occupa un poste d’inspecteur des contributions directes et mourut à Paris en 1829. On sait que Joseph Guyet, le propriétaire de Linières de 1800 à 1830, fut fonctionnaire au ministère des Finances de l’époque. Peut-être y a-t-il eu un lien entre eux à partir de leurs vies professionnelles.
Pierre Legras de Grandcourt se maria avec Gabrielle Constance Gratien (morte en 1815), dont le frère Pierre Guillaume Gratien (1764-1814) fut général et baron d’empire. Cet illustre beau-frère a son importance, car les deux neveux, Olivier et Narcisse de Grandcourt de Saint-Fulgent, ont hérité d’une partie de sa fortune plus tard. Pour les combattants vendéens aussi il a son importance : il était sous les ordres de Hoche en cantonnement en 1793 à Chantonnay, et quand celui-ci essayait de capturer Charette au début de 1796.

Le couple eut trois enfants, une fille et deux garçons.

Constance Legras de Grandcourt


Amaury-Duval : 
portrait de Constance Franco
La fille, Constance Legras de Grandcourt (1796-1877), épousa en 1833 Joachim Franco (1785-1865), né au Portugal, et chef de bataillon au 107e régiment d’infanterie de ligne, domicilié à Metz un temps, ville de garnison. Amaury-Duval a dessiné un portrait de Constance Franco, actuellement au musée des Beaux‑Arts de Lyon. Il porte la dédicace suivante : « à Madame Franco souvenir affectueux Amaury‑Duval Linières 1871 ». Pendant les événements de la guerre de 1870, elle s'occupa de surveiller la rue de Tivoli et l'atelier de la rue Saint‑Lazare (où habitait et travaillait le peintre) et en rendit compte à Amaury‑Duval qui était à Linières (2). Son mari est mort à Marly-le-Roi en 1866, voisin des Guyet-Desfontaines, propriétaires de Linières. Dans son testament de 1868, Mme Guyet-Desfontaines lui lègue la gratuité d’un logement, augmenté d’une petite rente annuelle de 14 F (3). Marcel de Brayer demandera à son grand-oncle dans son propre testament en 1875 de continuer l’aide à Mme Franco. La pauvre femme a été victime de ce qu’elle appela « l’affreux pillage de 70 » à Paris. Elle a fini sa vie chichement dans une maison louée dans le 17e arrondissement, ayant perdu, de plus, une partie de la pension militaire de son mari. Ses frères de Saint-Fulgent ont payé le petit déficit de sa succession, pour que ses legs mobiliers puissent être honorés (4).

Le cousinage des de Grandcourt avec les châtelains de Linières est né à Saint-Fulgent chez Mme Martineau, la sœur de Joseph Guyet. C’est chez Étienne Martineau était mort au mois de novembre dernier et il l’avait probablement vu pour la dernière fois en octobre 1827 (6). Lui-même est à Saint-Fulgent pour la dernière fois, car il mourra à Paris au mois de mai suivant. La première des filles Martineau, Rose, était déjà mariée au juge de paix Gourraud depuis 1825, mais ses deux autres sœurs, Élise et Adèle, étaient toujours célibataires. On sait qu’Adèle épousera un facteur des Halles de Paris en 1831. Peut-être a-t-on parlé mariage des enfants entre le frère et la sœur, entre Joseph Guyet et Catherine Martineau ? Toujours est-il que c’est de Paris que sont venus les deux garçons de Grandcourt, Olivier et Narcisse, qui furent des militaires ayant choisi de se marier tard. Et ils se marièrent à Saint-Fulgent avec les sœurs Martineau.

Narcisse Hyacinthe Legras de Grandcourt


Le premier mariage eut lieu le 14 octobre 1833 (vue 240) entre Narcisse Hyacinthe Legras de Grandcourt (1793-1880), comme son nom est écrit sur le registre d’état civil de Saint-Fulgent, et Élise Agathe Martineau (1799-1875). Le marié est alors âgé de 39 ans et habite Cahors, étant chef de bataillon au 57e régiment d’infanterie de ligne en garnison à Agen. Son oncle, le général Gratien, a pourvu à son éducation militaire. Il est né à Paris le 18 janvier 1794, rue de la Martellière dans le 9e arrondissement. Entré à l’école militaire de Saint-Cyr en 1812, il est lieutenant en 1815, capitaine en 1818, chef de bataillon en 1830, et prendra sa retraite comme lieutenant-colonel. Il reçut le diplôme de chevalier de Saint-Louis en 1823 et la médaille de Sainte-Hélène. Élise Martineauâgée de 32 ans, est née à Linières le 8 janvier 1799 (selon son acte de mariage), et son père, le docteur Benjamin Martineau, est déjà mort à Saint-Fulgent en 1828.

Son cousin Guyet-Desfontaines avait compté Élise Martineau parmi ses trois héritiers, avec son frère de Palluau, Benjamin Charles Martineau, quand il fit un testament en 1833, deux ans après son mariage et avant d’entreprendre un voyage. Il est assez probable que ceux-ci n’en surent jamais rien, mais voilà qui révèle bien la force de leurs liens familiaux (7).

Élise Martineau a pu compter, sur les relations de son cousin député (Guyet-Desfontaines), à qui elle écrit quelques jours après la mort de sa mère, le 9 janvier 1838 (« Mon bon Marcellin »), lui demandant d’intervenir auprès du ministre de la Guerre pour son mari. Celui-ci finissait un congé de trois mois en demi-solde à Saint-Fulgent en cette fin d’année 1837, alors que sa belle-mère était au plus mal. Il avait obtenu une prolongation d’un mois, mais sans solde.

Narcisse Hyacinthe de Grandcourt 
(source Archives de Vendée, 
Fonds Bousseau : 42 J/19)
Alors Élise demande à son cousin de lui obtenir cette prolongation en demi-solde : « Rends-nous donc le service de faire des démarches près du ministre de la guerre pour que cette prolongation de congé que nous t’envoyons, nous soit accordée avec demi-solde ». D’autant que son mari, « comme électeur, aurait dû venir aux élections à solde entière, et que par le fait il s’y ait trouvé avec la demi-solde de congé ». Et puis elle ajoute dans sa lettre : « Persuadée que tu ne trouveras au ministère que des notes favorables, et très favorables, pour Narcisse, j’ai plus de hardiesse à te prier de faire des démarches pour lui. En même temps que tu solliciteras ce congé en demi-solde, tu seras à même de te convaincre s’il est proposé pour de l’avancement. »

Cette demi-solde est d’autant plus la bienvenue qu’après la mort de sa mère, il faut procéder aux partages de l’héritage, ce qui entraîne des soucis de placements d’argent : « Sans prévoir une mort aussi précipitée, Narcisse et moi avions fait ces temps derniers un placement de 9 000 Frs. Et pour satisfaire aux obligations du testament de notre mère, nous voilà dans une position fort gênée, et contraints de  vendre aujourd’hui pour 12 000 francs d’actions et de rentes afin d’en terminer promptement. » Le cousin député méritera bien l’expression ainsi de ses meilleurs sentiments : « Permets-moi de te faire nos adieux en t’embrassant ainsi qu’Emma et Isaure du plus profond de notre cœur. Je me repose sur ton cœur et ton amitié pour nous servir. Ta dévouée amie et cousine. » (8)

Narcisse Grandcourt fut choisi par Guyet-Desfontaines pour gérer le domaine de Linières en remplacement de Joseph Alexandre Gourraud (1791-1853), mari de Rose Martineau, une sœur d’Élise. Celui-ci était juge de paix du canton de Saint-Fulgent et habitait Chavagnes. En 1841 il était intervenu pour représenter Guyet-Desfontaines auprès de la municipalité de Saint-André-Goule-d’Oie (9).  Après le décès de Gourraud, ce dernier passa la même année en 1853 un acte de procuration à Narcisse Grandcourt, renouvelé ensuite par Mme Guyet-Desfontaines en 1857 (10). D’ailleurs celle-ci lui légua un capital de 20 000 F en usufruit dans son testament, en reconnaissance de l’intérêt porté par Narcisse Grandcourt et Élise Martineau aux affaires de Linières. Leur fils, Eugène de Grandcourt, en reçu la nue-propriété 10). Et Marcel de Brayer renouvela en 1868 la procuration donnée à Narcisse Grandcourt pour s’occuper de Linières (11).

Élise Agathe Martineau est décédée le 8 avril 1875 à Saint-Fulgent. La déclaration de sa succession a été faite au bureau de Montaigu le 20 septembre 1875 (vues 47 à 49 sur le registre numérisé). Narcisse Hyacinthe est décédé à Saint-Fulgent le 25 septembre 1880.

Olivier Gabriel Désiré Legras de Grandcourt


Le deuxième mariage eut lieu deux ans plus tard le 9 février 1835 à Saint-Fulgent (vue 8) entre Olivier Gabriel Désiré Legras de Grandcourt et Adèle Félicité Martineau. Le marié est âgé de 46 ans et habite Montrouge, alors qu’il est capitaine adjudant-major au 4e régiment de chasseurs en garnison à Sedan. Il est né à Paris le 21 juin 1789 et mourra à Saint-Fulgent le 6 décembre 1878. Il fut décoré sur le champ de bataille de Hainaut par Napoléon en 1813 de la légion d’honneur. Napoléon III lui remit la rosette d’officier de la légion d’honneur au jour de l’inauguration en 1854 de la statue de Napoléon à la Roche-sur-Yon, dont il avait présidé le comité d’érection (12). Adèle Martineau est âgée de 33 ans le jour de son mariage : née à Saint-Fulgent le 7 janvier 1802, elle y mourra le 20 juin 1868. Lors de son mariage, elle est veuve de Marie Adrien Aimé Bunel, facteur aux halles aux farines à Paris, décédé le 23 mars 1831. Un facteur aux Halles était un agent officiel, chargé de la vente en gros des denrées à la criée. Les témoins au mariage sont :
-        Narcisse, le frère du marié, domicilié au bourg de Saint-Fulgent,
-        Benjamin Charles Martineau, frère de la mariée et juge de paix à Palluau,
-        Pierre Ageron, conseiller général, 67 ans, domicilié aux Herbiers. Jean Lagniau, dont les recherches sur le Landreau font autorité, écrit qu’Henri Ageron (marié à une tante Martineau) a acheté le Landreau, et ajoute : « Il était fils du fermier général de la Grainetière qui fut un des grands profiteurs de la Révolution. Il a épousé Renée Martineau, parente du proconsul révolutionnaire de St Fulgent, et fut maire des Herbiers de 1807 à 1814. » (13) Le proconsul qu’il désigne n’est autre qu’Étienne Benjamin Martineau, père défunt de la mariée et révolutionnaire engagé. Il fut directeur exécutif près l’administration municipale du canton de Saint-Fulgent d’avril 1798 à la fin de 1799.

 Les descendants d’Olivier de Grandcourt (14) :


Olivier Gabriel Désiré Legras de Grandcourt et Adèle Félicité Martineau eurent un fils : Charles Désiré Legras de Grandcourt (1839-1918). Licencié en droit, il se maria aux Brouzils avec Marie Thiériot en 1864. Il aurait habité à Saint-Fulgent dans l’ancien hôtel du Chêne-Vert de l’aïeul Louis Guyet (15).

Motif d’un foulard utilisé à Paris lors 
de la campagne électorale de 1877
Charles de Grandcourt se présenta aux élections législatives de 1877, sous la bannière des républicains modérés, partisans de Thiers. Ses voix furent invalidées dans son canton. On les avait comptées comme nulles, au prétexte qu’il ne portait pas de prénom et qu’il y avait quatre Grandcourt dans le canton de Saint-Fulgent (16). Il obtint 4 935 voix, alors que Paul Bourgeois (Union des droites) fut élu avec 9 505 voix, sur 14 498 votantss, dans la circonscription de la Roche-sur-Yon. Charles de Grandcourt faisait partie de ces propriétaires de tendance libérale, comme l’avaient été les Guyet autrefois. La place de la religion dans la société, voire même sa propre légitimité, était devenue le critère principal pour départager le camp des libéraux et celui des conservateurs, la gauche de la droite, dira-t-on au 20e siècle. Pour tenir compte d’un électorat très catholique, il déclara cependant « respecter la religion, mais sans admettre la domination du clergé ».  Néanmoins son score avait été meilleur que celui de l'historien Dugast-Matifeux, du même bord républicain, l’année d’avant, n’ayant obtenu que 3 273 voix. On se souvient que ces élections avaient été provoquées par la dissolution de la chambre des députés par le président de la République, Mac Mahon.  Elles furent remportées par le parti des républicains, contre les monarchistes.

Plus tard il fut élu maire de Saint-Fulgent de 1885 à 1900.

Un article non signé paru dans Ouest-Eclair du 14 janvier 1927, intitulé « Au salon Yonnais : Amaury-Duval » (17), évoque son geste au moment de la démolition du château de Linières. L’auteur rend compte de l'ouverture de l'Exposition de peinture du Salon Yonnais cette année-là, où furent exposées de nombreuses œuvres d’Amaury-Duval. Il y évoque le château de Linières, sa démolition en 1912 et les œuvres de décorations murales qu’il contenait. Il écrit notamment : « Tous ces chefs-d’œuvre ne seraient pour la génération actuelle que souvenirs lointains et bientôt disparus, s'il ne s'était trouvé un homme, dont l'énergie a toujours été le propre de son caractère, qui, en apprenant que la pioche du démolisseur avait commencé la destruction des merveilles de Linières, s'y transporta aussitôt et se fit remettre deux magnifiques spécimens des fresques du hall dont il fit don au Musée de La Roche-sur-Yon.
L'homme qui a accompli ce « sauvetage » est feu M. Charles de Grandcourt, propriétaire à Saint-Fulgent. Les amateurs d'œuvres d'art et tous ceux qui aiment la Vendée lui en savent gré plus que jamais, maintenant que, grâce à son initiative … Le grand homme qui aima et illustra notre Vendée va reposer à tout jamais à notre Musée au milieu de ses œuvres (18) ».

Charles de Grandcourt eut quatre enfants :
-        Marguerite, qui épousa son cousin André Péaud en 1887. Il fut secrétaire général de la préfecture de la Vendée. 
-        Charles Alexis (1867-1940) qui fut magistrat à Cholet et à Angers et épousa Gabrielle Lardin de Musset (1876-1943), une petite-fille d’une sœur d’Alfred de Musset. Le célèbre poète et son frère Paul n’eurent pas  de descendance, et pour ne pas laisser s'éteindre le nom de Musset, leur neveu obtint l’autorisation par décret en 1867 d’ajouter à son nom celui de Musset. Paul de Musset fut un ami très proche d’Amaury-Duval, peintre et futur propriétaire de Linières. Charles Alexis de Grandcourt acheta aux enchères publiques en 1912 la Vachonnière (Verrie), ancien fief dont l’histoire remonte au 15e siècle. Ils eurent trois garçons, portant le nom de Grandcourt de Musset. D’abord Olivier, marié avec Denise Doublot. Puis Maurice, marié avec Anne de Curzon, et mort à la guerre en 1940. Et enfin Roger qui épousa Marie Antoinette de Rocca-Serra (19). 
-        Paul Constant (1869-1947), docteur en médecine, qui fut maire de Saint-Fulgent de 1928 à 1947 et avait épousé en 1898 Marie Alexandrine Berthier, princesse de Wagram (1877-1918) . La même année il acheta, grâce à la fortune de sa femme, le château de Saint-Fulgent à Arthur des Nouhes. Le père de ce dernier, Alexis des Nouhes, l’avaient acheté en ruine en 1841 et reconstruit l’actuel château dans un style inspiré du classicisme Louis XIII.
Marie Alexandrine Berthier, princesse de Wagram, avait été élevée après le décès de sa mère dans la région d'Angers par François, comte de Clary. La grand-mère de Marie Alexandrine, Zénaïde Clary deuxième princesse de Wagram et première duchesse de Wagram, était parente de ce dernier. Zénaïde Clary eut pour marraine Joséphine Tasher de la Pagerie (Madame Bonaparte et impératrice de France), et ses tantes Julie et Désirée Clary épousèrent respectivement Joseph Bonaparte roi d'Italie puis roi d'Espagne, et Bernadotte roi de Suède (20).

Paul Constant de Grandcourt (image mortuaire)
(source Archives de Vendée, 
Fonds Bousseau : 42 J/19)
Paul de Grandcourt a accueilli des enfants juifs dans sa commune, durant la seconde guerre mondiale, et leur fit fréquenter l'écoleIl était un ami personnel d’Annie Ardon, avec qui il avait fait naufrage en 1906 au Spitzberg, à 600 kms du pôle nord. Celle-ci épousa ensuite Philippe Pétain et lui fit connaître Paul de Grandcourt. Celui-ci devint ainsi un des ami du maréchal, le recevant souvent à Saint-Fulgent (21).

Sa fille Odette (1899-1983) s’est mariée en 1923 avec Louis de Hargues (1889-1967) et vécu à Saint-Fulgent, où tous les deux sont enterrés, ainsi que leur fille Monique, et deux autres filles jumelles et mortes jeunes. Ils vécurent au château de Saint-Fulgent, faisant partie de leur héritage plus tard (22).

M. Maupilier, historien de Saint-Fulgent, rappelle que Louis de Hargues était le descendant d’un héros royaliste de la Grande guerre de 1793. Le temps d’un paragraphe il souligne avec satisfaction ce mariage avec une descendante d’une Guyet et d’un Martineau, authentiques révolutionnaires de Saint-Fulgent à la même période (23).

-        Louis Charles (1878-1954) qui fut propriétaire à Saint-Fulgent et docteur en médecine (24). Il épousa Thérèse Allègre qui mourut jeune, puis Marguerite Meyrier. Son fils unique, Marcel, est mort accidentellement en 1949 lors d'une baignade à Enley (Angleterre) dans la Tamise, à l’âge de 23 ans (25).

Les descendants de Narcisse de Grandcourt


Narcisse Hyacinthe Legras de Grandcourt, et Élise Martineau eurent un fils unique, Eugène Narcisse Gabriel (1834-1883), avocat à Nantes. Il épousa le 1e mai 1855 à Mouchamps Élisabeth Mathilde Majou des Grois, d’une famille ancienne de la noblesse vendéenne. C’est lui qui fut représentant du propriétaire dans les actes de gestion du domaine de Linières à partir d’une date non repérée. Marcel de Brayer avait nommé son père en 1868, et c’est lui qu’Amaury-Duval choisit en 1875 (26), mais probablement ce dernier l’était-il déjà compte tenu de l’âge atteint par son père.

On imagine Eugène de Grandcourt attaché à Linières, où sa mère avait vu le jour. L’universitaire Véronique Noël-Bouton-Rollet fait remonter les premières difficultés du domaine à la mort accidentelle de ce régisseur ou fondé de pouvoir, en 1883, survenue deux ans avant la disparition d'Amaury‑Duval (27). Lors de la construction d’une grange dans sa borderie de la route de Chauché (près du cimetière de Saint-Fulgent), il fut victime de la chute d’une chèvre de charpentier (engin élévateur) (28).

Une plaque a longtemps marqué l’endroit où il a été tué, à 100 m environ du cimetière au bord du routin qui longeait la propriété du château sur le côté gauche en montant. La plaque vue le 18 mars 1974 par l’abbé Boisson, était fixée sur une pierre de grison, et portait une date seulement : « 28 avril 1883 ». L’état civil de Saint-Fulgent précise que la mort eut lieu à 8 h 30 du matin ce jour-là. En 2016 le routin a disparu après l’urbanisation de la zone. Les pierres le long du routin ont-elles été récupérées ? 

Comme son cousin Charles, Narcisse de Grandcourt était amateur de chevaux, remportant des prix aux concours organisés en Vendée, en particulier en 1868. À Saint-Fulgent il possédait 4 métairies au Plessis Richard, la Petite Valinière, le Bois Bertrand, la Coussaie, des bois et une borderie près du cimetière. À Mesnard il possédait la ferme de la Boule. L’ensemble faisait environ 280 ha (28).

Côté politique on ne lui connaît pas d’engagement. On sait seulement qu’en janvier 1871 il était abonné au journal « La France » (29). Ce dernier était la propriété d’Émile de Girardin, de tendance libérale à l’époque. On sait que l'épithètete n’avait pas le même sens alors que maintenant.

Eugène de Grandcourt
Il existe aux Archives départementales de la Vendée un portrait de lui, dessiné au crayon graphite (30). Il avait les cheveux coiffés à plat et en arrière, avec des tempes un peu dégarnies et un front bien dégagé. Il nous apparaît massif, dégageant une puissance de caractère imposante, une autorité certaine, les traits mobiles et fins, dans un visage enveloppé. Ses yeux, et ses sourcils en accent circonflexe, lui donnent un air d’observateur à qui rien ne semble échapper. Son menton volontaire et ses narines retroussées donnent l’impression d’un tempérament volontaire, peut être bagarreur. Bref le type d’avocat à choisir pour soi, plutôt que de le voir dans le camp adverse. Avec lui, le jeune poète Marcel de Brayer et le vieux peintre Amaury-Duval, qui se sont succédés comme propriétaires de Linières de 1868 à 1885, devaient avoir le régisseur idéal pour la gestion du domaine. Un habitant de Saint-Fulgent a rapporté à l’abbé Boisson, historien, une anecdote révélatrice le concernant, en 1974, près d’un siècle après sa mort : « Je voudrais mourir comme un bœuf disait-il. Il fut pris au mot et mourut par la chute d’une chèvre » (31).

Habitant à Saint-Fulgent, Narcisse de Grandcourt eut trois enfants :
     - Narcisse Gabriel (1856-1858),
     - Mathilde Émilie (1859-1944), épouse de Joseph Le Roux (qui fut conseiller général), frère du peintre nantais Charles Le Roux. Ils demeurèrent à la maison de Groix (Saint-Germain-de-Princay). Leur fille, Josèphe Le Roux, épousa Félix Hélie.

Eugène Jules de Grandcourt, avocat 
(source Archives de Vendée, 
Fonds Bousseau : 42 J/19)
     - Eugène Émile (1863-1936), qui vécut à Saint-Fulgent et épousa Juliette Légeron. Ces derniers eurent deux enfants :
              - Eugène Jules Émile, avocat (1892-1954) qui épousa le 21 septembre 1925 Marie Thérèse Fontaines, et vécut à Nantes où fut un avocat et bâtonnier du barreau de Nantes. Sa réputation attira les caricaturistes comme en témoigne le dessin qui fut publié dans le journal "Le Phare" du 14 juin 1941 (ci-contre). Ils eurent trois enfants : Hubert, Jacqueline et Jean Louis. Ce dernier posséda la maison dite Chêne-Vert, anciennement auberge du (31).
              - Suzanne Juliette, née en 1894, qui épousa le 15 mai 1922 Joseph Bousseau (32). Il était le généalogiste de la famille, et a légué un fonds d’archives intéressants aux Archives de la Vendée, coté : 42 J/19.







(1) M. Maupilier, Saint-Fulgent sur la route royale, (Hérault Éditions) 1989, page 229.
(2) Véronique Noël-Bouton-Rollet, Amaury-Duval (1808-1885). l’Homme et l’œuvre, thèse de doctorat en Sorbonne Paris IV (2005-2006), page 128.
(3) Testament de Mme Guyet-Desfontaines du 6 mai 1868, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/898.
(4) Archives de Vendée, Fonds Bousseau et famille de Grandcourt : 42J/19, Constance Legras Grandcourt.
(5) Archives de Vendée, Etude de Frappier notaire de Saint-Fulgent, papiers Guyet : 3 E 30/138, bail de la métairie de Fontaine (Saint-Fulgent) du 17-8-1829 de J. Guyet à Hervé.
(6) Archives de Vendée, étude de Frappier notaire de Saint-Fulgent, papiers Guyet : 3 E 30/138, vente du 24-10-1827 du Bois de la Cure aux Landes Genusson à Maillard.
(7) Actes testamentaires de Marcellin Guyet-Desfontaines, Archives nationales, études notariales de Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/850. 
(8) Archives de la Société Éduenne d’Autun, Fonds Amaury-Duval, lettre d’Élise M. Grandcourt du 9 janvier 1838 (K 8 34). Emma est l’épouse du député et Isaure la fille de cette dernière, née d’un premier mariage.
(9) Archives de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier, dossier Guyet : 3 E 30/138, bail de la Morelière du 15-3-1830 de Gourraud à Biret. Aussi lettre du 1e juillet 1841 du maire Pierre Rochereau au préfet de la Vendée, Archives de Vendée, édifices et services publics, mairie de Saint-André-Goule-d’Oie : 1 Ǿ 633.
(10) Déclaration de succession de Guyet-Desfontaines au bureau de Montaigu le 5 octobre 1857 (vue 98 à 101 au premier registre et vues 2 à 7 au deuxième registre suivant). Aussi état des lieux de la métairie de la Morelière en 1870 : Archives privées E. François. 
(10) Procuration du 5 décembre 1868 par M. de Brayer à M. de Gandcourt, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/898.
(11) Archives de Vendée, Etat-civil de Saint-Fulgent, mariage Adèle Martineau et Olivier de Grandcourt du 9-2-1835 (vue 8/106).
(12) Archives de Vendée, Fonds Bousseau et famille de Grandcourt : 42J/19, Olivier Gabriel de Grandcourt et sa descendance.
(13) Jean Lagniau, Le Landreau en les Herbiers, (1971).
(14) Archives Départementales de la Vendée, J. Maillaud, Notes généalogiques (T 11), page 386 et s.
(15) R. Valette, Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest (1885) page 309.
(16) Amblard de Guerry, Chavagnes communauté Vendéenne, Privat (1988), page 277.
(17) ouestfrance.cd-script.fr/opdf/1927/01/14/85/1927-01-14_85_04.pdf
(18) Allusion au don de L. de la Boutetière au musée de la Roche-sur-Yon, un portrait d’Amaury-Duval peint par son ami V. Mottez, le représentant dans le boudoir du château de Linières. Le tableau a été récemment restauré par le musée.
(19) Idem (12).
(20) correspondance privée du 16 décembre 2015.
(21) Idem (12).
(22) Comte de Grimoüard, Les Fortin de Saint-Fulgent et de Bellaton, Touraine, Saint-Domingue, Nantes dans la revue Généalogie et Histoire de la Caraïbe, Numéro 240, octobre 2010.
(23) M. Maupilier, Saint-Fulgent sur la route royale, (Hérault Éditions) 1989, page 248.
(24) www.famillesvendeennes.fr   
(25) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, notes sur la famille de Grandcourt.
(26) Procuration du 28 juin 1875 par M. Amaury Duval à M. de Grandcourt, Archives nationales, études notariales de Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/936.
(27) Idem (2), page 73.
(28) Idem (25).
(29) Archives de la société Éduenne d’Autun, fonds Amaury Duval : K8-36, journal de Marcel de Brayer pour l'année 1871.
(30) Archives de Vendée, Georges Legeron, Figures de Vendée 64 portraits (1937), no 28.
(31) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 32-3, Amaury-Duval et les derniers propriétaires de Linières, témoignage de Fulgent Aulneau.
(32) Archives de Vendée, G. de Raignac, Généalogies de diverses familles, 8 J 44 : famille Legras de Grandcourt.

Emmanuel François, tous droits réservés
Juillet 2013, complété en août 2021

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jeudi 13 juin 2013

Découverte d’un poète vendéen, Marcel de Brayer

À Linières était un trésor, non pas fait de pièces d’or. Il n’était pas enfoui sous terre, ni caché dans quelque souterrain secret. Il était recouvert de poussière bien sûr, mais rangé dans des archives sur une étagère. C’est un trésor qu’on partage : la poésie de Marcel de Brayer.

Ce dernier, châtelain de Linières, n’a publié que 1 500 vers, dont les deux tiers une semaine avant de mourir à l’âge de 33 ans, en 1875. Sans héritier direct, il a été oublié avant même d’avoir eu le temps de se faire une notoriété. Et pourtant, Lamartine disait qu’il signerait volontiers ses vers.

L’oubli n’est pas étonnant si l’on se rappelle que l’héritier de Marcel de Brayer fut son grand-oncle, le peintre Amaury-Duval, de trente-quatre années plus âgé que lui, décédé sans descendance. Et les héritiers du peintre furent des cousins au cinquième degré, morts sans postérité eux-mêmes. Quant au dernier propriétaire du château de Linières, étranger à la famille, il l’a laissé se démolir en 1912.

Mettre à la disposition du public une anthologie de la poésie de Marcel de Brayer s’imposait naturellement, une fois découvert ce trésor, il y a peu.  

Le jeune comte de 1870 a dû croiser mon trisaïeul à la sortie de l’église de Saint-André-Goule-d’Oie, sans un mot pour lui probablement, n’étant pas de ses métayers. Comment croire que Jean François, âgé alors de 81 ans, enfant rescapé de la guerre de Vendée, et bordier demeurant au village de la Boninière, ait pu imaginer un instant que son petit-fils viendrait s’installer à Linières en 1912 après la démolition du château ? Et comment croire que l’un de ses arrière-arrière-petit-fils écrirait un livre, pour faire connaître les poèmes de ce jeune châtelain ? Impensable naturellement, et que de distances en effet ! Mais l’étude historique possède un mérite précieux : elle s’affranchit des distances ; et le récit historique choisit celle qui lui plait. J’ai pu compter les sous et les maîtresses du jeune comte, mais aussi noter ce qu’il a fait pour sa commune, apprécier son intelligence et savourer ses dons d’artistes. Et puis je suis né à Linières, où les lieux sont des paysages que j’ai découverts à sa suite. Alors, pour bien des raisons j’avais envie de faire connaître cet homme et son œuvre. Pour oser m’aventurer dans les espaces peu fréquentés de la poésie, j’ai eu la chance de bénéficier des encouragements de Jean François Tessier. Il a écrit la préface de ce livre. Découverte d’un poète vendéen : Marcel de Brayer, c’est sous ce titre que je viens de le publier sur le site d’édition internet : www.lulu.com. Pour y accéder directement : http://lulu.com/spotlight/efrancois

On peut se le procurer par internet chez lulu.com et aussi chez Amazon.fr
C’est la première fois que ces vers sont mis à la disposition d’un large public depuis leur première édition, il y a près de cent quarante ans. On sera frappé par le naturel et la sincérité des sentiments exprimés. On rencontre le poète dans les registres les plus variés, simples ou élevés, toujours avec sensibilité et finesse. Comme dans la poésie classique, il idéalise la nature et exalte l’amour sentimental, mais on le surprend rarement dans les lieux communs habituels de l’expression et de la morale. C’est qu’il est toujours sincère, nous laissant voir sa vérité de jeune homme blessé, cachée derrière les apparences trompeuses de la fortune et des mondanités, comme le fait remarquer J. F. Tessier. Un don habite ce jeune homme, avec ses doutes, car il a longtemps hésité avant de publier.

Marcel de Brayer a d’abord été parisien, puis il a hérité du domaine de Linières comprenant une quinzaine de métairies dans la région des Essarts et de Saint-Fulgent. Petit-fils du député des Herbiers, Guyet-Desfontaines, et du général de Napoléon, Michel de Brayer, il a été élu à 28 ans maire de Saint-André-Goule-d’Oie (1870-1875).

À côté du bourg de cette paroisse, mais sur la commune de Chauché, il a fait édifier un château à Linières au style raffiné. La décoration intérieure de ses murs a constitué l’œuvre majeure du peintre Amaury-Duval, son grand-oncle. Malheureusement le château a été démoli en 1912.

Le livre rappelle d’abord l’histoire de ses ascendants, engagés dans le siècle : les Chassériau, Guyet-Desfontaines et de Brayer. Puis il présente l’enfance endeuillée du petit Marcel et sa jeunesse dorée. Il fait aussi le récit de sa courte vie d’adulte, ordonnée principalement autour de son mandat de maire de Saint-André-Goule-d’Oie de 1870 à 1875, de la construction du nouveau château de Linières et de son œuvre poétique.

Le plaisir de la lecture, avec le souci de représenter la diversité de l’œuvre, m’a guidé dans le choix des quatorze poèmes ou extraits de poèmes offerts aux lecteurs. On y découvrira l’essentiel de la poésie de Marcel de Brayer tout à la fois dans les sentiments et dans les idées exprimés, ainsi que dans les formes adoptées.

À cause de leur intérêt propre, le livre se termine par la reproduction de son journal de voyage en Italie en 1874 et de son journal personnel en janvier et février 1871, en pleine guerre franco-prussienne.

La consultation des archives de la Société Eduenne des Lettres, Sciences et Arts à Autun, m’a fourni la documentation la plus abondante sur la vie personnelle et l’œuvre littéraire de Marcel de Brayer. C’est à Autun que se trouvait le trésor de Linières. Cette documentation fait partie du fonds Amaury Duval, conservé au musée Rolin de cette ville de Saône et Loire.

Je souhaite en même temps souligner l’importance qu’a constituée pour mes recherches l’outil internet. Même si beaucoup de documents écrits restent à numériser, j’ai pu accéder à nombre d’entre eux déjà. S’agissant de la famille de Brayer, que d’erreurs et de fausses pistes m’ont ainsi été offertes pour reconstituer les itinéraires individuels ! Mais l’augmentation du nombre de documents disponibles a permis des recoupements. J’ai pu aussi entrer en contact avec des internautes qui m’ont apporté des informations toujours essentielles : Véronique Noël-Bouton-Rollet, auteure d’une thèse sur Amaury-Duval, Nathalie Chassériau, Denis Lesueur, Denis Guilloteau, Paul David. Le moteur de recherche des Archives de Vendée et l’importance de ses documents à disposition en ligne constituent un modèle dans son domaine et un atout formidable. Une part du contenu de ce livre trouve son origine dans internet. Sa fabrication et sa diffusion auraient été impossible sans lui.

Voici le sommaire de l’ouvrage :

Préface de Jean François Tessier ………………………...
  
Avant-propos …………………………………………….
  
Des ancêtres engagés …………………………………….
Une enfance endeuillée …………………………………..
Une jeunesse dorée ………………………………………
Le nouveau château de Linières …………………………
Le maire de Saint-André, passionné de politique ……… .
Le poète ………………………………………………….
Anthologie de la poésie de Marcel de Brayer ……………
. L’amour piqué ……………………………………
. L’imitation ……………………………………..…
. Un fruit ……………………………………………
. Le rendez-vous …………………………………..
. Mon âme ………………………………………….
. Une prédiction …………………………………..
. Ma pensée ………………………………………..
. Souvenir de voyage ……………………………..
. La muse et le poète ………………………………
. Un vœu ……………………………………………
. Le givre …………………………………………...
. La statue ………………………………………….
. La muse en fuite ………………………………….
. Les aigles de Tyr ………………………………...
 
Le voyage en Italie ... ……………………...…………….

Le journal personnel de 1871 ………………………...….

Notes ……………………………………………… ……

Sommaire ………………………………………… ……..


Pour terminer j’ai plaisir à reprendre ces vers de L. Aragon que vient de m’envoyer une internaute ayant contribué au récit sur la vie de Marcel de Brayer :

                                                        "Son regard embellit les choses
                                                         Et les gens prennent pour des roses
                                                         La douleur dont il est brisé"
  

Emmanuel François, tous droits réservés

lundi 3 juin 2013

Le prévôt des Essarts

Le prévôt des Essarts

Au Moyen Âge le prévôt était un magistrat, mais on a utilisé le terme dans des fonctions et honneurs les plus divers au fil des siècles. Chez les chanoines le doyen s’appelait aussi parfois prévôt, élu comme chef par ses pairs, à côté du chancelier, du chantre, du trésorier, chambrier, etc. (1). Au chapitre cathédral de Luçon, il s’agissait d’un titre utilisé pour pérenniser la perception d’un revenu. On avait ainsi le prévôt des Essarts, mais aussi celui de Saint-Michel-en-l’Herm, celui de Mortagne. On disait aussi prévôt-moine dans certains documents (2). Néanmoins le nom de prévôt puise son origine probable dans l’organisation pré-féodale ou féodale des châtellenies au Moyen Âge. Selon l’historien A.-D. de la Fontenelle de Vaudoré, ses travaux remontant au début du 19e siècle, puisant ses sources chez Dom Fonteneau, les prévôts furent d’abord des délégués des possesseurs des domaines en tant que régisseurs et hommes d’affaires, apparus au début du deuxième millénaire. Les colons et les vassaux les prirent souvent pour arbitre car ils dépendaient d’eux. Puis les charges devinrent des titres et leurs districts furent appelés prévôtés. Elles contribuèrent à affaiblir des anciens viguiers et ainsi préparer l’installation des institutions féodales dans les territoires (3). Pour l’administration de son comté d’Anjou de 1109 à 1129, Foulque V utilisait les services de prévôts. Représentants de l’autorité ils levaient les coutumes (impôts), rendaient la justice et menaient les soldats à l’ost (combat). Il en existait un à Thouars, alors provisoirement seigneurie vassale de l’Anjou après 1104 pendant quelques années (4).


Naissance du chapitre-cathédrale de l’évêché de Luçon au 15e siècle


Après la création de l’évêché de Luçon en 1317, par transformation de l’abbaye de Luçon en évêché, des bulles du pape en 1469, 1473 et 1479 ont sécularisé le chapitre de Luçon. Celui-ci était un conseil de prêtres auprès de l'évêque, appelés chanoines, auprès de l’évêque. Les anciens moines, devenus chanoines, pouvaient désormais vivre dans des maisons particulières et non plus dans leur cloître, à condition d’assurer les offices et le culte divin dans la cathédrale. Le chapitre était constitué de 43 chanoines nommés par l’évêque, et présidé par un doyen élu par le chapitre et assisté de 11 dignitaires. Il avait des droits et des revenus distincts de ceux de l'évêque (5).

Le chapitre de Luçon est devenu riche, notamment avec les terres desséchées du marais poitevin à partir du Moyen Âge. Au 18e siècle il possédait la châtellenie de Triaize (4 753 ha aux portes de Luçon, répartie en 20 « cabanes » importantes), le canal de Luçon, voie d’accès à la mer avec ses péages et ses charges d’entretien, une trentaine de prieuré, 323 ha en prés à Luçon, de nombreuses rentes, etc. (5)

Pour prendre un exemple concernant Saint-André-Goule-d’Oie, les deux propriétaires du village et tènement de la Chevaleraye (dont Abraham de Tinguy), ont signé en 1773, devant notaire, une reconnaissance de « rente foncière annuelle et perpétuelle de 12 boisseaux de blé seigle, mesure réduite des Essarts (deux quintaux environ), payée suivant la coutume. », due au chapitre de la cathédrale de Luçon (6). Cette obligation avait été créée au bénéfice du « prieuré de Chavagnes les Montaigu » (en-Paillers), dépendant lui aussi, comme ses voisins de Chauché et des Essarts, de l’abbaye de Luçon autrefois.

La création de la prévôté des Essarts`


À l'origine les prieurés étaient des colonies de religieux, souvent dirigeant des travaux de défrichement dans la région des Essarts, semble-t-il. Pour subvenir à leurs besoins les propriétaires d’alors, c'est-à-dire des seigneurs, les dotèrent de biens et de revenus fixes. Les prieurés s’administraient eux-mêmes sous l’autorité de l’abbaye dont ils faisaient partie.

Les biens appartenant à l’Église ne s’aliénaient pas et étaient qualifiés d’amortis (biens de mainmorte) par le droit féodal. À ce titre ils étaient soumis à des redevances au roi et aux seigneurs, dans des conditions favorables par rapport au droit commun. L'amortissement était devenu à partir du 16e siècle en Poitou une concession du roi. Dans ces conditions, l'administration des biens d'Église en France était soumise à des règles fixées par les canons de l’Église et les ordonnances royales (7).

Le 12 janvier 1468, une partie des revenus du prieuré de Saint-Pierre des Essarts, dépendant de l’ancienne abbaye de Luçon, a été érigée en prévôté, et attribuée à un chanoine de l’église sécularisée de Luçon, Valérien de la Roche (8). Trois siècles plus tard, en 1783, son lointain successeur est le chanoine Bineau, par ailleurs aussi trésorier du chapitre, faisant partie de ses dignitaires. Son prédécesseur, Pierre Angibaud, était mort en juillet 1779. Charles Louis Bineau avait été pourvu de la prévôté par lettres de provisions de l’évêque de Luçon du 28 août 1779 (9). Il était alors vicaire résidant à la Chataigneraie et maître ès arts de l’université d’Angers (humanités et philosophie). Il entra en possession de la prévôté des Essarts par acte notarié du 5 octobre 1779, malgré le refus du doyen des chanoines, au cours d’une cérémonie en l’église cathédrale de Luçon (9). On apprend dans le dictionnaire des Vendéens qu’il gagna un procès le 27 août 1781 contre le curé de Saint-Hilaire-sur-l’Autize, Dury, qui s’était d’abord vu attribuer ce bénéfice. Ceci expliquant sans doute sa prise de possession peu consensuelle.

Dans un acte du notaire de Saint-Fulgent, Frappier, en date du 18 avril 1783, le chanoine Bineau donne quittance du versement de ce qui lui est dû, au titre de prévôt des Essarts, à Simon Charles Guyet (10). L’acte le présente ainsi : « messire Charles Louis Bineau, prêtre, prévôt des Essarts, et chanoine dignitaire de l’église cathédrale de Luçon, demeurant ordinairement en la ville de Mortagne, lequel en sa dite qualité de prévôt a reconnu … ». On comprend ainsi que ce n’était pas un chanoine résident à Luçon. Il ne prenait part à la vie capitulaire que de loin. Chaque chapitre avait son propre règlement, et cette situation y était probablement prévue. 

Un bénéfice était à l’origine un bien attribué à un clerc ou une institution ecclésiastique en raison des fonctions ou services remplis, et pour assurer son entretien. C’est ainsi que le prieuré Saint-Pierre des Essarts avait été pourvu par le baron des Essarts de certains revenus à son profit, provenant de son domaine. Dépendant de l’abbaye de Luçon, l’administration du prieuré des Essarts avait connu un changement avec la création de la prévôté en 1468. Une partie des revenus encaissés serait désormais attribuée directement à un chanoine, nommé à cet effet « prévôt des Essarts ». Pierre d’Apremont avait fait don vers 1200 à l’abbaye de Luçon de l’église de Saint-Thomas et de quelques autres objets qui formèrent plus tard la prévôté des Essarts, une dignité personnelle dans l’église cathédrale (11). Cette dignité s’ajoutait à la fonction de curé primitif de la paroisse des Essarts, déléguant sur place un vicaire perpétuel, le véritable curé en exercice de la paroisse, nommé par l’évêque de Luçon. Ce curé recevait du curé primitif un revenu pour vivre appelé « portion congrue », d’un montant de 300 livres au milieu du 18e siècle conformément à un édit royal. 

La notion de bénéfice ecclésiastique


Les revenus perçus par le prévôt des Essarts avaient leur source dans un droit acquis bien identifié et leur justification dans la nécessité d’entretenir les personnes chargées du culte. Le mot bénéfice pour désigner cette réalité n’avait donc pas le même sens que maintenant. Quant au titre choisi, il faut savoir que sous l’Ancien Régime on a mis le mot de prévôt à « toutes les sauces », si l’on peut dire.

Pour faire vivre les personnes se consacrant à la prière, suivant l’expression convenue sous l’Ancien Régime, les laïcs faisaient des donations de biens et de revenus, constituant les « bénéfices ». L’Église préférait les dons sous forme de rente perpétuelle, plutôt que les pensions. Celles-ci l’auraient rendue trop dépendante du bon vouloir des donateurs. C’est donc la rente qui a été choisie au Moyen Âge pour financer, sous le nom de « bénéfices ecclésiastiques », la majorité des fonctions ecclésiastiques, tant séculières que régulières. Le concile de Trente avait rappelé la consigne : « Il n’est pas bien séant que ceux qui sont admis au service de Dieu soient, à la honte de leur profession, obligés à la mendicité ou contraints de gagner leur vie par un emploi sordide ». 

Mais le débutant dans les ordres n’était pas toujours bien pris en charge. On a l’exemple d’un bourgeois d’Ardelay, qui a constitué une pension viagère au profit de son fils se destinant à la prêtrise. L’acte notarié du notaire de Saint-Fulgent, en date du 17 janvier 1777 (12), transcrit la supplique de « maître Henri Jean Morand, bourgeois demeurant à la Rivière, paroisse d’Ardelay, diocèse de Luçon, » qui « supplie très humblement monseigneur l’illustrissime et révérendissime évêque de Luçon » de recevoir « Pierre Victor Morand, acolyte (13), son fils, … d’être promu et admis aux saints et sacrés ordres de sous-diacre et ensuite à la prêtrise ». Pour faciliter l’établissement de son fils dans son futur état de prêtre, Henri Morand s’engage devant notaire à verser chaque trimestre une pension viagère de 25 livres, non imputable sur son héritage à venir, et gagée sur une borderie qu’il possède et qu’il institue comme « titre clérical ». Mais lorsque son fils « sera pourvu d’un bénéfice suffisant pour remplir son dit titre », son père sera déchargé de la rente et pension viagère annuelle de 100 livres, est-il écrit dans l’acte. La borderie servait de « titre clérical », et le revenu annuel de 100 livres était le montant « ordonné par l’évêque de la Rochelle pour faire à un ecclésiastique de son diocèse le titre clérical et sacerdotal ». C’est ce qu’on lit dans un autre acte de même objet concernant des habitants de Mortagne (14).

Ces « bénéfices suffisants », comme la prévôté des Essarts, étaient nombreux alors. Et en 1779 on nommait donc toujours un chanoine de la cathédrale de Luçon, prévôt des Essarts, pour continuer de toucher des revenus provenant des donateurs de la région. Que ces chanoines soient riches, touchant 3 000 livres de revenus en moyenne par an à cette époque, (15) soit trois fois plus qu’un officier à la retraite, cela ne pouvait juridiquement justifier la remise en cause de ce droit et de ce titre, né plusieurs siècles auparavant. D’autant que les rentes au bénéfice de l’Église étaient inaliénables, sauf conditions particulières.

Le prévôt, curé primitif, et ses revenus


Un mémoire signifié le 2 mai 1767 par Pierre Angibaud, prévôt des Essarts, au tribunal du siège royal de Fontenay-le-Comte nous permet d’entrer dans quelques détails sur ce bénéfice ecclésiastique. Le prévôt dû se défendre d’une demande formée par Jean Chauvin et quelques particuliers, tous de la paroisse des Essarts, de dire ou faire dire la première messe les dimanches et fêtes en l’église de leur paroisse. Sur la forme, le prévôt répondit que ces particuliers n’avaient aucun droit de représenter leur communauté. Celle-ci ne pouvait agir que par le « général » de la paroisse, leur syndic ou fabriqueur à leur tête, en conformité avec la décision d’une assemblée dûment convoquée après autorisation de l’intendant. C’était exact et cela confirme l’existence de la personne morale de la paroisse. Mais plus intéressants sont les développements sur le fond.

Au départ l’évêque de Luçon muta dans une autre cure le vicaire des Essarts qui secondait sur place le curé en exercice, et il ne le remplaça pas « par disette de prêtres dans le diocèse de Luçon ». Les demandeurs sollicitèrent du prévôt, le curé primitif de la paroisse, son intervention auprès de l’évêque pour la nomination d’un nouveau vicaire. L’évêque en promit un à la prochaine ordination de prêtres. Mais quelques temps après, le 16 août 1765, les demandeurs assignèrent le prévôt pour faire dire la première messe des dimanches et fêtes. Le prévôt répondit qu’il n’y était pas obligé et qu’on ne paye un vicaire que s’il est en activité, auquel cas il le ferait payer. Les demandeurs produisirent trois pièces à l’appui de leurs demandes, considérées par le prévôt comme ne lui donnant pas l’obligation demandée de première messe les dimanches et fêtes. C’était le cas de l’ordonnance du 23 janvier 1613 du cardinal de Richelieu, alors évêque de Luçon, fixant seulement les heures des messes le dimanche aux Essarts. Une sentence du 2 décembre 1720 du Présidial de Poitiers renvoyait une contestation entre le prévôt, le curé, 2 chapelains et la fabrique devant l’évêque pour règlement d’un différent. La sentence ne disait rien sur la première messe demandée, non plus qu’un bail du 19 juillet 1753 de la prévôté. Passé avec le sieur Fèvre, le bail fixait la ferme à 1 250 £ par an, sur laquelle somme devaient être prélevées « 300 £ pour le prêtre qui sert la prévôté », c’est-à-dire la portion congrue (16). On n’a pas d’autres documents pour indiquer la suite de l’affaire, mais on peut penser que la position du prévôt dut être confortée.

Église Saint-Pierre des Essarts
Le bénéfice dit de la prévôté des Essarts était composé de redevances et de rentes apparemment, ainsi de la dîmerie tenue en 1606 par Guy de Pont, écuyer seigneur de la Sié et de Layraudie (17). La prévôté des Essarts possédait aussi à cette date un moulin près du bourg des Essarts (17). Ses droits étaient affermés comme l’étaient les seigneuries elles-mêmes. Dans les années 1630 les fermiers étaient Jacques et René Moreau, des bourgeois habitant dans le bourg de Saint-André-Goule-d’Oie. Ils étaient officiers seigneuriaux comme sénéchal ou procureur fiscal, et aussi fermiers, notamment des seigneuries de Languiller et de Belleville. Après la mort de ces deux frères en 1642 et 1644, leur frère Pierre Moreau, prieur-curé de Saint-André, continua les fermes au profit des héritiers dont il était le tuteur. C’est ce qu’on constate dans plusieurs quittances qu’il reçut du prévôt des Essarts jusqu’en 1650 (18). Puis on voit que la prévôté était affermée à Pierre Maillard en 1664, sieur de la Guichardière et La Haye (19).

Chaque année, le prévôt des Essarts recevait du fermier du château, « à la fête de Notre Dame d’août » (le 15 août), les rentes et devoirs suivant :
-        « la rente foncière requérable de 80 boisseaux de blé froment, mesure des dits Essarts, due par ladite châtellenie de l’Aublonnière (Sainte-Cécile) et dépendances au terme de la Notre Dame d’août à la prévôté desdits Essarts,
-        plus la rente aussi foncière de 32 boisseaux d’avoine, mesure desdits Essarts, au terme de ladite fête de Notre Dame d’août, due par ledit château des Essarts à la prévôté dudit lieu, aussi requérable,
-        ensemble (en plus) le devoir de 20 sols par chacun an au même terme. » 

Elles étaient requérables, c'est-à-dire que le paiement se faisait au domicile du débiteur. Le prévôt devait normalement venir chercher ses 20 sols au château des Essarts et prendre à son compte le transport des céréales sortant du château. Ceci se comprend bien à l’origine, quand les rentes du châtelain contribuaient à faire vivre le prieuré tout proche des Essarts. À la mesure des Essarts, les 80 boisseaux de blé équivalaient à environ 1 300 kg, ce qui représente un revenu significatif. Les 32 boisseaux d’avoine pesaient environ 500 kg.

En 1550, messire Mathurin Le Bâcle, prévôt des Essarts, tenait la moitié du village et tènement de la Bichonnière (Chauché), sous l’hommage plein et droit de rachat qu’il rendait à Jean de Plouer, seigneur de la Barette (Essarts), et fils de Mery de Plouer. Jean de Plouer en rendait lui-même hommage à Languiller, à cause de la seigneurie du Coin Foucaud. Sur cette moitié du tènement, le prévôt des Essarts percevait un cens de 3 sols, la moitié des terrages pouvant valoir trois septiers de blés ou environ chaque année, et la moitié des dîmes des bêtes et des laines, qui pouvait valoir annuellement douze deniers ou environ (20).

La Gorelière (Chauché)
Le même Mathurin Le Bâcle tenait directement, à la même date, de la seigneurie du Coin Foucaud le tènement de la Gorelière (Chauché). Il le tenait à foi et hommage plein, à rachat, et à douze deniers de service annuel, par René Guinebaud, écuyer. À cette date le tènement ne totalisait que « 8 septrées de terres ou environ et journaux à six hommes de pré et à dix hommes de vigne ou environ » (20). 

On a relevé aussi que le prévôt des Essarts touchait deux petites rentes dans la seigneurie de la Chapelle Begouin. D’abord à la Borelière vers la fin du 16e siècle, où le montant n’est pas indiqué (21). Ensuite à la Limouzinière, où il perçoit au milieu du 18e siècle 2 livres 6 sols de la part de deux possesseurs de domaines dans les tènements de la Naulière (village disparu à Chauché) et Benetière (Chauché) (22).

Le 10 novembre 1746, le fermier de la prévôté signait une quittance du paiement de la rente annuelle due par le châtelain de la Rabatelière au titre de Languiller et ses dépendances, dont la Chapelle et le Coin Foucaud. Cette année-là le total s’élève à 80 boisseaux de froment, 32 boisseaux d’avoine et 6 livres en argent (23).

On a trouvé une donation par testament faite par le prévôt des Essarts en 1701, Jacques Gaitte, de 100 livres annuelles « pour être employées à former des maîtres d’école ». Le même légua aussi 100 livres à la confrérie de la Charité des Essarts (24). Sa succession fut saisie en 1702 entre les mains de son exécuteur testamentaire, le curé du Tablé, par les héritiers de Jeanne Jeulin, veuve de Joachim Merland, ancien fermier de la baronnie des Essarts. La prévôté devait au fermier en effet les rachats de redevances qu’elle prélevait aux Touches et aux Bouligneaux (Saint-Martin-des-Noyers), et qui se montaient à 600 livres (25).  

La prévôté possédait un bois taillis d’une superficie de 30 arpents (15 ha environ) appelé le Bois Jaulin. Il s’agit probablement du lieu actuellement appelé « Gîte de la prévauté » situé au nord du village du Bois Jaulin et de la Picoterie sur la commune des Essarts. Le roi en son conseil d’État autorisa le 9 octobre 1774 le prévôt des Essarts, Pierre Angibaud nommé ci-dessus, à couper les arbres dans son bois (26). Certes la formule signifiait que le roi n’était pas présent lors de l’arrêt d’une des nombreuses sections compétentes de son Conseil, mais il faut remarquer qu’à l’époque cette décision relevait de l’autorité du gouvernement. La marine de guerre était grosse consommatrice de bois et il en allait de l’indépendance nationale comme on aurait dit deux siècles après, d’où les autorisations préalables, basées sur des inspections des Eaux et Forêts et contrôlées ensuite par elles. Quand on voulait couper des arbres futaies il fallait en faire la déclaration, et en fonction des besoins, des représentants de la marine venaient les visiter et les marteler du sceau de la marine. Leur usage lui était réservé. Cela n’eut pas lieu au bois Jaulin car les arbres étaient mal plantés, de mauvaise qualité, d’essence inintéressante et dans un sol « aqueux et spongieux ». Le Conseil autorisa l’arrachage des arbres et ordonna une replantation suivant des consignes précises. Il autorisa aussi la coupe de 2 chênes près du moulin de Mignon (Sainte-Cécile) sur une pièce de terre dépendant de la prévôté. Même l’usage du revenu de la vente des bois fut décidé par le gouvernement : il devait servir à la replantation d’arbres et à l’entretien du moulin et du four de la prévôté. 

À cause de ses domaines dépendant des Bouchauds, Mathurin Le Bâcle « prêtre chanoine de Luçon prévôt de la Prévôté des Essarts », offrit la foi et hommage aux Assises de Languiller et fief annexes en 1535 pour ses domaines dans cette mouvance. Il avait donné à cet effet une procuration à Mathurin Mosnier (27). D’autres années il est qualifié de chanoine de Curzon. Il fut poursuivi par le tribunal seigneurial les années d’après, jusqu’en 1541, celui-ci siégeant dans cette période dans une salle attenante aux halles des Essarts, appelée le parquet, pour « aveu non baillé ». Il devait en effet le rendre dans les 40 jours après la foi et hommage. À partir de 1542, on le poursuivi en plus pour défaut de foi et hommage à renouveler suite à un changement chez le suzerain (28). Charles de Coucys était le nouveau seigneur de Languiller, au moins en partie, à cause de sa femme, Suzanne de Belleville. Pour ces deux motifs le prévôt sera poursuivi jusqu’en 1545. Le registre des Assises ne sont plus accessibles ensuite jusqu’en 1771, mais on peut penser que la situation se régularisa.       

Le fermier et le baron des Essarts


Le chanoine Bineau donne quittance en 1783 à Charles Guyet devant notaire, chez lui à Mortagne-sur-Sèvre. À la recherche de la fortune de ce dernier, pour comprendre comment son fils a acheté le domaine de Linières en 1800, on trouve des documents intéressants dans les archives notariales, permettant, par exemple, de découvrir la « prévôté des Essart ». Charles Guyet est qualifié dans cet acte notarié de 1783 de « maître des postes royales à Saint-Fulgent, y demeurant, et son fermier du château, baronnie, terres et dépendances des Essarts, dont fait partie la châtellenie, terres et dépendances de l’Aublonnière en la paroisse de Sainte-Cécile ». Effectivement, il a pris en ferme les terres de la baronnie des Essarts auprès de Pierre Louis Corbelin, bourgeois de Paris, adjudicataire général de la terre et seigneurie des Essarts. Cette ferme comprend tous les fiefs, borderies, métairies et autres domaines fonciers qu’il sous-afferme à son profit, ainsi que tous les cens, rentes, charges et devoirs seigneuriaux et féodaux divers qui sont dus à la baronnie. Et elle comprend aussi, dans l’autre sens, les devoirs et charges dus par la baronnie, comme les rentes au profit du chapitre de Luçon.

Marie Jeanne Baptiste de Savoie-Lorraine

À cette époque la baronnie des Essarts n’a pas de châtelains sur place. Marie Jeanne Baptiste de Savoie-Lorraine (1644-1724), duchesse de Genève et d’Aumale et baronne des Essarts, dite Mademoiselle de Nemours, avait vendu la baronnie des Essarts à Joseph Marie de Lascaris, marquis d’Urfé (29). Elle était l’épouse de Charles Emmanuel II de Savoie (1634-1675), duc de Savoie et prince du Piémont. Celui-ci était un arrière-petit-fils de René de Savoie (bâtard de la maison de Savoie). La femme de ce dernier, Anne de Lascaris, avait établi en 1511 une substitution graduelle de nom, ordonnant que si les mâles venaient à manquer dans la maison Lascaris, l’aînée des filles devait faire prendre au mari qu’elle épouserait les noms et armes des Lascaris. C’est ainsi que Joseph Marie de La Rochefoucauld, s’appelait officiellement Joseph Marie de La Rochefoucauld de Lascaris d’Urfé, marquis de Langeac (30). Cette précision est indispensable pour reconstituer la généalogie des trois générations de Lascaris qui ont possédé le château des Essarts. Cette vente de Marie Jeanne Baptiste de Savoie-Lorraine, de concert avec son fils Victor-Amédée II, duc de Savoie, roi de Sicile et de Jérusalem, mérite d’être étudiée de près pour en situer la date, car ce dernier affermait encore la baronnie en 1721 à Jacques Merland, sieur de Champeau (31).

Les biens de la maison d'Urfé consistaient en terres situées dans les provinces du Forez et de Bresse. Mais le marquis de La Rochefoucauld, avec ses 18 000 livres de rentes annuelles, devait en 1704 s’employer à désintéresser les créanciers de son père et de ses frères pour un montant de 80 000 livres. À cause de la guerre contre la Savoie, il ne pouvait pas toucher les revenus de ses terres du Piémont.

Joseph-Marie, marquis d'Urfé et de Bagé, comte de Sommerive (Piémont), mourut à Paris le 13 octobre 1724 à l'âge de 72 ans sans laisser de postérité. Les biens de la maison d’Urfé sont passés entre les mains de Louis Christophe de La Rochefoucauld, marquis de Langeac, du chef de son aïeule Marie Françoise d’Urfé-Lascaris, sœur de Joseph Marie.

Jeanne Camus 
de Pontcarré
Louis Christophe de La Rochefoucauld de Lascaris d’Urfé (1704-1734) se maria en 1724 avec Jeanne Camus de Pontcarré (1705-1775), qui fit beaucoup parler d’elle à cause de ses excentricités et fréquentations (voir Wikipédia). Ils eurent un fils qui mourut en 1742 à l’âge de 15 ans et deux filles, Adélaïde Marie Thérèse, née en 1727, et Agnès Marie, née en1732.  

Alexis Jean du Chastellet épousa en 1754, en secondes noces, Adélaïde de La Rochefoucauld de Lascaris d’Urfé, marquise de Bagé, Langeac, Urfé, comtesse de Saint-Just, Saint-Ilpyce, Arlet, la Bathie et baronne des Essarts. Par son mariage, le marquis du Chastellet s’appela Alexis Jean de Lascaris d’Urfé, marquis du Chastellet et de Fresnières. 

La fortune de la famille était déjà mal en point l’année de ce mariage, subissant des poursuites judiciaires et des saisies. La baronnie des Essarts connue alors une longue période d’administration judiciaire de 1754 à 1787, avant d’être achetée par le marquis Alexis Louis Marie de Lespinay le 3 août 1787. Et c’est pendant cette période d’administration judiciaire que Simon Charles Guyet devint fermier de la baronnie. Celle-ci comprenait notamment un fief situé à Sainte-Cécile, avec ses terres et son moulin à eau, l’Aublonnière. 

Un conflit judiciaire opposait la seigneurie des Essarts avec un de ses vassaux, le baron Jousbert du Landreau, au sujet d’un droit de terrage (32) pour le fief de la Barette. Il était toujours en cours auprès du parlement de Paris, lorsque le baron vendit ce fief situé aux Essarts à Simon Charles Guyet en 1784 (33). 

La fin du prévôt, du fermier et du châtelain


Six ans plus tard la Révolution française allait mettre fin à la prévôté des Essarts. D’abord, les biens de l’Église furent confisqués. La raison en est connue : l’État était en faillite financière et il fallait trouver de l’argent. Les chapitres de chanoines disparurent dans la nouvelle constitution civile du clergé. 

Ruines de l’ancien 
château des Essarts
Tous les chanoines de Luçon, sauf deux d’entre eux, refusèrent de prêter le serment à la constitution civile du clergé. La loi du 26 août 1792 condamna à la déportation tous les prêtres insermentés, et au bagne les récalcitrants qui refusaient de partir. Le chanoine Bineau, ayant refusé de prêter le serment à la constitution civile du clergé, s’embarqua pour l’Espagne aux Sables-d’Olonne, le 9 septembre 1792. Il fut ensuite inscrit sur la liste des émigrés, ce qui entraînait confiscation des biens et condamnation à mort. À son retour, avec l’avènement de Napoléon, il fut nommé curé d’Antigny, la paroisse où il était né. 

Une partie de l’Aublonnière fut acquise par le notaire de Sainte-Cécile, Gabriel Benesteau, qui en était le fermier général depuis longtemps. Il maria sa fille à Jean Guyet, neveu du fermier de la baronnie des Essarts, Simon Charles Guyet. Cette fille héritera de l’Aublonnière, et le neveu deviendra plus tard régisseur du domaine de Linières, appartenant au fils de Simon Charles Guyet.  
Jacques Chateigner habitait la Barette en 1797. C’est à lui que Benjamin Martineau, le gendre de Simon Charles Guyet, donna une procuration pour aller déclarer la succession de son frère, Venant Martineau, mort en combattant au Pont d’Arcole aux côtés de Bonaparte, au bureau d’Enregistrement de Montaigu. 

Les archives du fief de la Barette furent conservées au château de Linières jusqu’à sa démolition. Les archives de Linières furent acquises en 1910 par la marquise de Lespinay, qui prêta au châtelain des Essarts, M. de Rougé, la partie concernant la Barette. Le prêt de cette dernière lui permit d’échapper ainsi à l’incendie d’une partie du château de la Mouhée (Chantonnay). Et c’est pourquoi les archives de la Barette sont maintenant conservées aux Archives de Vendée, tandis que celles de Linières ont disparu dans l’incendie de la Mouhée. 

Simon Charles Guyet, appartenant au camp des révolutionnaires de Saint-Fulgent, tombera « au pouvoir des rebelles et a été massacré par eux le quatorze mars mil sept cent quatre-vingt-treize en la maison de Durand aubergiste du Chapeau Rouge à Saint-Vincent-Sterlanges, et est mort de ses blessures le lendemain quinze du dit mois de mars. » (34).

Le château des Essarts et une partie des bâtiments de la borderie proche furent brûlés par les républicains. Les biens de la baronnie des Essarts furent confisqués à la suite de l’émigration de son propriétaire. L’épouse du marquis Alexis Louis Marie de Lespinay, Henriette de Montault, racheta le château en mars 1798, ainsi que beaucoup d’autres propriétés de son mari et de son beau-père, parmi lesquelles on trouve une partie de l’Aublonnière. 

Le frère du marquis, Charles Augustin, propriétaire de Linières, eut moins de chance. À son retour d’émigration, son domaine avait été racheté par sa femme en 1796, qui le revendit en 1800 à son amant, Joseph Guyet, fils de Simon Charles Guyet, l’ancien fermier des Essarts. Elle obtint le divorce, puis épousa son amant.
Parmi toutes les personnes, les biens, etc. emportés dans la tourmente révolutionnaire, il faut donc compter aussi la prévôté des Essarts.


(1) R. Telliez, Les institutions de la France médiévale, Armand Colin, 2e édition, 2016, page 197.
(2) Archives de Vendée, M. C. Verger, l’aveu de Poiroux du 24 juin 1642, Revue de la Société d’Émulation de la Vendée (1881), page 14 (vue 29).
(3) A.-D. de la Fontenelle de Vaudoré, Recherches sur les vigueries et sur les origines de la féodalité, en Poitou, 1839, Archives de Vendée : BIB 787, page 141 et s.
(4) Christian Thevenot, La légende dorée des Comtes d’Anjou, Orban, 1991, page 221.
(5) De Grimoüard, Étude sur le prieuré des Mignon (novembre 2001), page 2.
(6) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/ 7, reconnaissance d’une rente foncière par de Tinguy et Coutant au chapitre de Luçon sur la Chevaleraye, en date du 24-6-1773.
(7) Autexier, Les droits féodaux et seigneuriaux en Poitou de 1589 à 1789, Lussaud (1947), page 71 et s.
(8) Archives de Vendée, catalogue des cultes, fichier historique du diocèse de Luçon, paroisse des Essarts : 1 Num 47/291 (vue 4/38).
(9) Prise de possession de la Prévôté des Essarts par Bineau du 5-10-1779, Archives de Vendée, notaires de Luçon étude E, J. F. Royer : 3 E 49/36-1, vues 182/183).
(10) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/10, quittance donnée par le prévôt des Essart à C. Guyet, fermier des Essarts, du 18-4-1783.
(11) Archives de Vendée, Abbés Aillery et Pontdevie, Chroniques paroissiales, Tome 1 (1892), extrait pour le canton du Poiré, page 172.
(12) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/8, rente viagère de Henri Morand, demeurant à Ardelay, à Pierre Morand, acolyte, du 17-1-1777.
(13) Aide le prêtre et le diacre à l’autel dans les offices liturgiques.
(14) Avance d’héritage du 1-2-1766 constituant un titre clérical, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/4.
(15) Ibidem (5).
(16) Mémoire 2-5-1767 du prévôt des Essarts contre Jean Chauvin et autres habitants des Essarts concernant la nomination d’un vicaire dans la paroisse et les charges dues par le prévôt, Archives de Ven7) Aveu du 5-7-1606 pour les terrages de la Menardière, Birets et l’Ossière (Boulogne), Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/E 51. Voir aussi : inventaire et partage du 1-4-1703 de la succession de Jeanne Jeullin, veuve Merland, Archives de Vendée, famille Babin et Cicoteau : 25 J/4, page 26 : on y apprend que le farinier s’appelait alors Thomas Testaud.
(18) Inventaire après-décès en 1666 du mobilier, vaisselle, linge et papiers de Pierre Moreau, Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, page 83.
(19) Vidimus des titres de propriété su seigneur de la Rabatelière faits en 1664, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 49, page 2.
(20) Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 61, aveu du Coin Foucaud et du Vignault du 2-7-1605 par Languiller aux Essarts – deuxième copie, page 23.
(21) 150 J/C 81, seigneurie de la Chapelle Begouin, sentence du présidial de Poitiers, René Bégaud contre le seigneur de la Rabatelière, datée vers la fin du 16e siècle.
(22) 150 J/C 16, acte de gaulaiement et supputation de la Naulière non daté (après 1751).
(23) 150 J/A 12-4, quittance du 10-11-1746 du paiement de la rente due par Languiller à la prévôté des Essarts.
(24) A. Baraud, L’instruction primaire en Bas-Poitou avant la Révolution, dans la Revue du Bas-Poitou, 1909, page 68.
(25) Inventaire et partage du 1-4-1703 de la succession de Jeanne Jeullin, veuve Merland, Archives de Vendée, famille Babin et Cicoteau : 25 J/4, pages 29 et 30.
(26) Autorisation du 9-10-1774 de couper des bois de la prévôté des Essarts, Archives de Vendée, maîtrise des Eaux et Forêts de Fontenay-le-Comte : B 1254.
(29) C. de Sourdeval, Le général baron de Lespinay, Société d’Émulation de la Vendée (1868), page 126.
(30) Arthur David, Documents historiques sur le Forez, Alexis-Jean de Lascaris d’Urfé, marquis du Chastellet, Imprimerie Chorgnon et Bardiot à Roanne, 1891
(31) Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135, bail du 10-10-1721 de la baronnie des Essarts à Merland.
(32) En Poitou le terrage était un droit de gerbes de blé et de légumes dus au seigneur par le roturier. Accompagné d’un cens, c’était une simple charge foncière. S’il était seul, sans le cens, c’était un droit seigneurial emportant les autres (lods et ventes etc.). [Louis Marquet, Principes généraux de la coutume de Poitou, (Poitiers-1764), page 132].
(33) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/10, acquêt du fief de la Barette par C. Guyet à Jousbert du Landreau, le 30-10-1784.
(34) Acte de notoriété établissant le décès Charles Simon Guyet et les circonstances de sa mort, minute notariale du 7 messidor an 3 (25 juin 1795) de Me Pillenière, notaire de Luçon, Archives de la Vendée 3 E 48/111-étude I, en ligne vues 311-312/416.


Emmanuel François, tous droits réservés
Juin 2013, complété en septembre 2023

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