mardi 2 octobre 2012

La rente foncière du tènement de Villeneuve à Chauché


Le 25 mars 1808, en l’étude de maître Verdon, notaire aux Essarts, est signée une transaction entre les propriétaires du domaine de Linières et ceux du tènement de Villeneuve, commune de Chauché, au sujet d’une rente foncière (1). L’affaire ne manque pas de piquant à première vue.

C’est que la rente foncière, pouvant être assimilée à un droit féodal supprimé, était réclamée par « les sieur et dame Guyet et mademoiselle Henriette Félicité de Lespinay ». Les débiteurs poursuivis, la plupart petits propriétaires à Villeneuve, étaient des paysans dont certains nous sont connus pour s’être battus dans le camp royaliste et avoir été victime des exterminations révolutionnaires. À leur tête est François Cougnon, le capitaine de paroisse au temps de la Grand’Guerre de 1793/1796, en même temps important propriétaire à cause de sa femme. Avec lui, ils invoquent l’abolition des droits féodaux pour refuser de payer la rente foncière. Le propriétaire de Linières qui la leur réclame, Joseph Guyet, est un partisan bien connu de la Révolution. Et sa réclamation porte sur 15 ans d’arrérages, couvrant la période de 1792 à 1807. Nous sommes à front renversé apparemment. Mais d’abord présentons un peu mieux les protagonistes de cette affaire.

Joseph Guyet, « seigneur républicain », et les « teneurs royalistes »


Villeneuve (Chauché)
Joseph Guyet est le beau-frère d’Étienne Martineau, le révolutionnaire extrémiste de Saint-Fulgent et le fils de Simon Pierre Guyet, qui fut tué par les royalistes le 14 mars 1793 à Saint-Vincent-Sterlanges. Il s’était marié en 1804 avec Marie Marguerite Félicité du Vigier, divorcée en 1800 de Charles Augustin de Lespinay, celui-ci dépossédé de son domaine de Linières pour avoir émigré en 1791. Sa femme avait racheté le domaine en 1796, puis l’avait vendu à son futur époux, quelques semaines avant de divorcer en mairie de Chauché. Le couple des nouveaux propriétaires de Linières avait un enfant né en 1797, qui deviendra le futur député de la Vendée, Guyet-Desfontaines. Mme Guyet avait auprès d’elle sa fille aînée née en 1790, Henriette Félicité de Lespinay. Elle avait perdu sa deuxième fille Pauline, morte en février 1794 chez sa nourrice à Bazoges-en-Paillers. Elle avait échappé aux massacres du Mans lors de la terrible Virée de Galerne de fin 1793, et aussi aux noyades de Nantes au début de 1794, organisées par Carrier. Revenu d’émigration en 1800, Charles Augustin de Lespinay avait tout perdu : femme, enfants, métairies. Il venait de mourir dans le département de la Manche le 23 février 1807, un an avant l’affaire qui nous occupe.

En face, trente-deux propriétaires sont cités pour une quinzaine de propriétés, en communauté ou en indivision pour la plupart. Ils habitent à Saint-André-Goule-d’Oie, Chauché (dont quatre au village de Villeneuve), et dans quatre autres communes des environs. On relève des noms connus, outre François Cougnon déjà cité pour la propriété de sa femme, née Jeanne Loizeau. Il y a Françoise Robin, veuve de Jacques Mandin, le régisseur de Linières tué par les bleus en février 1794, sa fille Henriette, autrefois servante chez M. de Lespinay, son gendre, Simon Pierre Herbreteau, qui est maire de Saint-André-Goule-d’Oie depuis 1800. Et bien sûr à cette époque, on remarque parmi eux la part inhabituelle de veuves, orphelins ou parents ayant eu leurs enfants assassinés.

Cette liste permet de noter la dispersion de la propriété sur le tènement de Villeneuve, dès avant la Révolution. Certes il y avait toujours une borderie appartenant au propriétaire du domaine de Linières, mais ses prédécesseurs avaient concédé dans les temps anciens une partie des terres de ce tènement, à une époque que nous ignorons. Nous ne savons pas comment ces concessions avaient parcellisé ces terres de Villeneuve. Mais en 1808, les héritages avaient créé ou accentué cette parcellisation de la propriété. Les terres de la Mauvelonnière proche, appartenaient aussi au propriétaire de Linières, elles formaient une métairie, d’une superficie plus importante. Quant à l’habitat du Bois du Vergnais (désignation de l’époque), aussi proche, le bois futaie attenant constituait une réserve du seigneur, que Joseph Guyet a continué à défricher après la Révolution.

Villeneuve (Chauché)
Le mot de tènement désigne ici le territoire concédé par un seigneur à des teneurs (ou tenanciers). L’habitat des premiers teneurs était généralement regroupé en un village, qui était une fraction non cultivée du tènement. D’où l’expression habituelle des notaires de désigner dans leurs actes le « village et tènement de … », fréquente à Saint-André-Goule-d’Oie et les environs aux 17e et 18e siècles. On y trouvait non seulement des cultivateurs, mais aussi des laboureurs (qui se louaient) et parfois un ou des artisans. Dans le cas de Villeneuve, la (ou les) concession du seigneur avait pris la forme exclusive du bail à rente foncière avant la Révolution, qu’elle avait peut-être dès l’origine.

La rente réclamée


Le bail à rente foncière consistait à échanger un bien immeuble contre la perception d’une partie de ses revenus. Il était intermédiaire entre le contrat de louage et le contrat de vente. À l’origine, les biens concernés furent souvent des terres incultes concédées à des paysans. Les propriétaires d’héritages parfois morcelés, peu argentés et dont le métier était étranger à l’agriculture (nobles et bourgeois) préféraient ainsi constituer des rentes auprès d’agriculteurs durs à l’ouvrage, trop pauvres pour acheter et voulant éviter la précarité de la location des terres. C’était une manière de mettre en valeur les biens.

La redevance perçue par l’ancien propriétaire était fixe, en argent ou en denrées, souvent à paiement annuel, et à longue durée ou perpétuelle, c'est-à-dire non rachetable, sauf exceptions à l’initiative du débiteur de la rente. En cas de changement dans la personne du preneur, on signait un acte de reconnaissance chez le notaire. Car le bien pouvait être vendu par le débiteur de la rente, fractionné et transféré par héritage. La rente était attachée au bien et non à la personne du débiteur. Mais faute de paiement de la rente, le créancier retrouvait la propriété entière du bien arrenté. Il existait des variantes du bail à rente foncière : à cens seigneurial, à emphytéose. Dans les tènements comme Villeneuve, la rente était payée solidairement et collectivement par les cotenanciers. Ils se répartissaient entre eux la charge de la rente au prorata des surfaces possédées par chacun.

Nous avons trouvé d’autres rentes identiques en plusieurs autres villages de Saint-André-Goule-d’Oie, remontant, pour la plus ancienne datée, au 14e siècle. Nous pensons que la formule constatée à Villeneuve est représentative de la naissance ou de l’extension des petites propriétés dans les villages de la région. Malheureusement, nous restons incertains sur les dates du phénomène.

À cet égard il ne faut pas confondre ce type de rente avec celle, aussi souvent pratiquée, de crédit déguisé. Le vendeur d'un bien acceptait d'être payé en partie sous forme de rente foncière que l'acheteur pouvait amortir (racheter) au-delà d'une certaine période à sa volonté. Le prêt d'argent avec intérêt étant mal vu par l'église catholique, la formule permettait d'arriver au même but par ce moyen détourné, d'autant que les banques étaient quasi inexistantes dans les campagnes.

Plantu : la rente foncière
Nous ne connaissons pas les caractéristiques précises des arrentements à l’origine de cette rente foncière à Villeneuve. Dans le texte de la transaction on fait d’ailleurs état de la perte des titres par « l’effet de la guerre civile de la Vendée ». On y évoque aussi « que ladite rente paraissant être provenue de la succession de la Touche Cicoteau ». Félicité Cicoteau était la mère de Charles Augustin de Lespinay et sa famille appartenait à la branche de la Touche, implantée aux Essarts dès le 16e siècle. Elle avait été l’unique héritière de Linières, appartenant à sa famille depuis le début des années 1700. Bref, pour les protagonistes, l’origine de la rente est floue et on n’a pas poussé l’analyse plus loin sur sa nature.

On trouve un document évoquant cette rente dans l’inventaire après-décès du propriétaire du fief du Coudrais en 1762, Louis Corbier (2). Il s’agit « d’une quittance du 5 décembre 1757 donnée aux teneurs de Villeneuve pour le sieur de Lespinay », par L. Corbier. Ce dernier possédait une borderie à Villeneuve. Le mot de rente n’est même pas écrit dans le document et nous ignorons toujours si c’était une rente noble ou une simple rente foncière. Cette borderie de Villeneuve avait été achetée, avec ce qui restait du fief du Coudray, en 1767 par René Loizeau, le père de Jeanne Loizeau. En 1788 elle appartenait en indivision entre celle-ci et son frère Louis Loizeau (3).

Cette rente de Villeneuve était due solidairement par l’ensemble des cotenanciers et comprenaient quatre éléments non contestés par eux :

      54 miriagrammes (4) 4 kg de blé seigle répondant à 32 boisseaux ancienne mesure réduite des Essarts (5) ;
      28 miriagrammes 8 kg de froment répondant à 16 boisseaux ancienne mesure réduite des Essarts ;
      83 miriagrammes et 2 kg d’avoine répondant à 64 boisseaux d’avoine ancienne mesure réduite des Essarts ;
        6,35 F.

Faute de connaître les surfaces concédées il est impossible d’apprécier directement le montant de charge auquel correspondent ces quantités. Mais nous avons une idée approximative des rendements de ces cultures à l’époque, soit 12 à 13 hl pour un hectare (6). En conséquence, les calculs donnent une surface nécessaire aux trois productions de seigle, blé et avoine de 1,5 ha environ. Ce n’est pas rien, même pour plusieurs cotenanciers.

La rente et la Révolution


Le texte ne s’explique pas sur la motivation des nouveaux propriétaires de Linières. Déjà ils avaient fait opposition sur M. de Lespinay au paiement des arrérages (montants) de ladite rente par acte du 10 thermidor de l’an 13 (29 juillet 1805).

L’acte de rachat en 1796 du domaine de Linières, devenu bien national, stipule que « les dits biens sont vendus avec leurs servitudes actives et passives, francs de toutes dettes, rentes foncières, constituées ou hypothéquées, de toutes charges et redevances quelconques » (7). Cela ne règle pas la question, puisque les servitudes avaient suivi le sort des biens. Encore fallait-il prouver leur existence.

À Linières, l’administration a commencé par instaurer un séquestre sur la propriété. « Dans le mois de juin 1792 le séquestre a été établi sur tous les biens meubles et immeubles appartenant à Charles Augustin de Lespinay officier de cavalerie émigré demeurant à Linière commune de Chauché, qu’il fut même fait un inventaire par les commissaires du district de Montaigu, qu’il fut nommé un gardien qui resta jusqu’à l’époque de la guerre de Vendée. » (8). Nul doute que les républicains de Saint-Fulgent, dont nous connaissons l’ardeur, surveillait ce qui se passait à Linières. Or Charles Augustin de Lespinay avait émigré peu après la naissance de sa deuxième fille le 3 octobre 1791. Nous avons cherché dans les archives du district de Montaigu et du département à Fontenay et nous n’avons rien trouvé. Nulle trace du séquestre et de l’inventaire, tout a très probablement été détruit dans les combats de la guerre civile.

D’ailleurs la nature du document, dont nous venons de citer l’extrait, est révélatrice. Il s’agit d’un témoignage déposé chez un notaire des Herbiers le 12 germinal an 11 (2-4-1803). Le dépositaire du témoignage était Étienne Martineau, beau-frère de Joseph Guyet, et les témoins étaient six conseillers municipaux de Saint-Fulgent au moment des faits et un officier de santé de la colonne du général Watrin qui avait résidé à Saint-Fulgent au début de 1796.

Rappelons que le séquestre d’un bien est une mesure conservatoire, avec nomination d’un gardien. Compte tenu de la demande d’arrérages des Guyet, est-ce à dire que les paysans du village de Villeneuve ont cessé de payer la rente foncière dès 1792, c'est-à-dire à partir du moment où le domaine a été mis sous séquestre ? Normalement les paiements devaient se faire entre les mains du gardien désigné par les autorités du district et conservés sous séquestre. On pourrait signaler ce fait comme significatif des troubles et des ruptures dans la population, entrainés par la confiscation du domaine. Mais dans d’autres affaires similaires, où les biens du créancier n’étaient pas sous séquestre, on sait que les rentes ont cessé d’être payées en 1793. C’est qu’elles étaient généralement dues après la moisson, à la fête de Notre-Dame en août, disaient les textes. Et en août 1793, on était en guerre. Cela seul suffirait à expliquer l’arrêt des paiements pendant plusieurs années quand on sait ce que furent les opérations d’exterminations conduites en 1794 et l’état de la région dans les années suivantes.

De plus, il est intéressant de noter que le 9 janvier 1792, le député vendéen Philippe Charles Aimé Goupilleau, ex procureur-syndic de Montaigu, avait demandé la mise sous séquestre des biens des émigrés, afin qu'ils servent aux frais de la guerre. Comme quoi la Vendée n’a pas été qu’une terre de victimes.

Or le témoignage que nous avons commencé de reproduire se poursuit ainsi, nous le citons intégralement : « Alors toute administration ayant disparu, la maison et les dépendances de Linière et tous les objets mobiliers qui les garnissaient devinrent la proie des armées des deux partis et notamment dans les premiers mois de 1796 par le général Watrin, alors à St Fulgent commandant de cantonnement, fit enlever par beaucoup de charrettes tous les objets restant du mobilier qui avait échappé à la dévastation et à l’incendie du château. Le convoi fut expédié à Fontenay. En foi de quoi nous avons signé le présent.
À Saint-Fulgent le 9 germinal an onze de la République française une et indivisible, je certifie le fait sincère et véritable.
Auvoir officier de santé en chef de la colonne du général Watrin
Menard, François Brochard, Jean Libaud, Lamy, Louis Tricoire, Louis Michaud »
Ces dernières personnes se déclarent : « anciens officiers municipaux et habitants du canton de Saint-Fulgent certifions qu’il est de notoriété publique et à notre parfaite connaissance … »

Quel besoin avait donc Joseph Guyet d’obtenir, avec l’aide de son beau-frère, cette attestation en 1803 et de la faire conserver chez un notaire ? Qu’il s’agisse du notaire des Herbiers est normal, cette petite ville était devenue la nouvelle résidence du docteur Martineau.

Mais d’abord, les faits attestés sont-ils vrais ? Le séquestre n’étonne pas, même si les archives administratives le concernant, à Montaigu et à Fontenay-le-Comte, qui pourraient en attester, ont été détruites. On sait qu’il a été pratiqué dans d’autres situations identiques. Le déménagement du mobilier au début de 1796 est possible, au moment où Charette dans la région avait du mal à échapper aux traques organisées contre lui, mais on aurait aimé une preuve plus solide que ce témoignage, sans doute intéressé.

On ne s’étonnera pas du parti pris de Martineau, mettant sur le même pied les deux armées combattantes pour piller systématiquement les châteaux comme celui de Linières. La propagande, avec sa part de mauvaise foi, est consubstantielle au déclenchement et au déroulement des opérations de maintien de l’ordre et d’exterminations en Vendée.

On se félicitera de la précision du témoignage, non sans esprit critique sur certains points : les biens meubles et immeubles, inventaire au district (les témoins n’étaient pourtant pas présents, de leur propre aveu !) L’expression de « biens meubles et immeubles » comprend des titres éventuels de rente foncière.

Or le 22 mars 1802, Charles de Lespinay a intenté un procès contre le divorce de son épouse, soit un mois après que ce dernier lui ait été signifié (9). Celle-ci avait alors 31 ans et vivait avec son amant âgé de 29 ans, tous deux déjà parents d’un petit garçon de cinq ans. Ils devaient attendre avec quelque inquiétude le jugement du tribunal de première instance de la Seine. Il eut lieu le 8 juillet 1803, déclarant irrecevable la demande d’annulation du divorce. Dans cette bagarre judiciaire, totale et rude, où l’existence même du nouveau couple était en jeu, se sont heurtés des sentiments et des rancœurs, des passions politiques et des intérêts. Bien des « coups » sont imaginables dans une telle atmosphère ! Où étaient passés les papiers de famille, les bijoux, et pourquoi pas les titres de rente foncière à Linières ? Dans cette bagarre judiciaire, un témoignage comme celui que nous venons de citer a été visiblement jugé nécessaire par Joseph Guyet.

Ayant eu accès à la publication dans les journaux des plaidoiries des avocats lors du procès du divorce près la cour d’appel de la Seine en 1803, nous savons que M. de Lespinay reprochait à son épouse de n’avoir pas utilisé l’argent dont elle disposait pour racheter Linières. Or celle-ci a dû justifier d’avoir été obligé d’emprunter pour payer ce rachat. Le conflit dépassait, on le voit, l’existence des titres de rente foncière (10). Elle voulait justifier l’intervention de Joseph Guyet, qui l’avait financièrement aidée, « par amour », proclama son avocat. Voir notre article publié en janvier 2010 : Le divorce de Lespinay/du Vigier en 1800.

Ce séquestre nous apporte par ailleurs une information intéressante sur la révolte des gouledoisiens de 1793. Leur leader Christophe Cougnon, fils des métayers de la Guérinière avait des responsabilités dans la vie de l’amenage de Linières (11). Autant dire que le séquestre du domaine, avec la nomination d’un gardien, ne pouvait que provoquer son hostilité. Même s’il n’est pas le plus important, ce fait a dû contribuer à augmenter sa prévention contre les nouvelles autorités. Il peut aussi expliquer, au moins en partie, la réaction des mêmes gouledoisiens contre les gendarmes venus chercher Jean de Vaugiraud dans le bourg de Saint-André en mars 1793, en les faisant déguerpir. Bien sûr d’autres raisons plus profondes ont poussé les jeunes dans la révolte, mais cette circonstance vaut d’être remarquée. Christophe s’était blessé involontairement dans la cour du château de Saint-Fulgent en 1793 et il était mort quelques années plus tard. Mais son frère François avait pris la relève dans son rôle de capitaine de paroisse. Il se trouvait maintenant à représenter, à cause d’un bien de sa femme, les cotenanciers du tènement de Villeneuve.  

Mais revenons à la rente foncière. Son sort a varié dans la législation révolutionnaire. On sait qu’en s’appropriant les biens du clergé et des émigrés, l’État a su monnayer ces rentes, surtout avec les biens de l’Église. Ainsi, une rente de 4 boisseaux de seigle due sur le village de la Maigrière, et provenant du prieuré de Saint-André-Goule-d’Oie, avait été vendue par le district de Montaigu le 19 mai 1791 à Jean Boisson, bordier au Cormier de Chavagnes-en-Paillers, pour le prix de 200 livres (12).

La réclamation des Guyet à l’égard des petits propriétaires du tènement de Villeneuve peut se comprendre si elle était fondée en droit. Ce n'est pas un cas isolé, et on relève ainsi chez les notaires de Montaigu, par exemple, trois reconnaissances de rentes foncières au profit d’Henriette de Lespinay (ex belle-sœur de Mme Guyet) entre 1804 et 1807, faites à chaque fois par une douzaine de copropriétaires et concernant des tènements des environs (Boissière-de-Montaigu, Saint-Georges-de-Montaigu, Saint-Hilaire-de-Loulay). Mais dans le cas de Villeneuve, il semble audacieux de réclamer des arrérages pour la totalité de la période de 1792 à 1807, alors que les combats, les destructions de récoltes, les incendies de bâtiments, les vols de bestiaux, les meurtres, avaient réduit à la misère certaines des personnes concernées. De plus, la propriété avait quand même été un bien national pendant trois ans. À moins qu’en réclamant gros, on se préparait à concéder mieux.

Vers une transaction


Daumier : Avocats
Par la voix de François Cougnon, probablement aidé de son avoué de Montaigu, Henri Michel Julien Chevallereau, les paysans rétorquèrent avec les arguments suivants :

1° « sans dénier le service de la rente avant la Révolution, le titre sur lequel elle pouvait être fondée devait leur être représenté par les dits sieurs et dame Guyet et la demoiselle de Lespinay »,

2° « qu’ils étaient autorisés à croire que cette rente était en tout ou partie noble, seigneuriale et féodale, et qu’ainsi elle serait, aux termes des lois, supprimée sans indemnité »,

3° « qu’en supposant qu’elle ne fût pas dans la classe de celles abolies, il ne pourrait être répété contre eux que cinq années d’arrérages », en raison des règles de prescription.

Sur le premier point Joseph Guyet répond « qu’à l’égard du titre constitutif de la rente il est constant qu’il a été adhiré (13) par l’effet de la guerre civile de la Vendée ; que dans cette position il serait suffisant d’établir le service de la rente antérieurement à la Révolution au profit de feu Charles Augustin de Lespinay, père de ladite demoiselle de Lespinay ». Joseph Guyet a raison, mais cela ne suffit pas : il faut trancher le point suivant.

Sur le deuxième point il répond « que relativement à la suppression qui pourrait être prétendue de la part des sus nommés comme ladite rente étant imprégnée de féodalité, ce serait à eux de l’établir par titres authentiques et suffisants ». Il aurait quand même été plus prudent de la part du demandeur de mieux étayer son argumentation, et le Chef à l’agence judiciaire du Trésor (14) qu’était Joseph Guyet fait preuve ici d’une légèreté qui peut surprendre, sans doute parce qu’il ne pouvait pas faire autrement. En effet, les différentes lois votées pendant la Révolution sur l’abolition du régime féodal avaient fini par sauvegarder les droits de nature exclusivement fonciers, comme étant présumés légitimes. C’était le cas des rentes foncières pures et simples. D’autres types de rentes foncières avaient une part de caractère féodal et avaient été supprimées. On le voit, le problème méritait une analyse très précise des caractéristiques de la rente foncière existant autrefois à Villeneuve, ce qui n’a pas été fait, à notre avis volontairement, et faute d’avoir retrouvé les titres. Le texte conservé dans les archives est une transaction et n’exigeait pas d’expliquer, à ce point, les divergences d’analyse juridique entre les parties à l’accord. Or Villeneuve se situait au cœur du fief de la Drollinière créé au Moyen Âge, et dans ce cas, la rente foncière était peut-être seigneuriale et pouvait être assortie de droits stipulés par le propriétaire (fixes ou casuels : banalité, lods et ventes), conservant sur le bien une supériorité féodale. Dans ce cas la rente avait été supprimée purement et simplement (sans même la possibilité de rachat) par la Révolution.

Sur le troisième point de la prescription au bout de cinq ans, Joseph Guyet réplique que cette rente ne pouvait être prescrite qu’après trente ans. C’est le tribunal qui aurait apprécié la règle applicable dans les réglementations de l’époque, définies par les coutumes des provinces, là aussi au regard de la nature de cette rente foncière particulière. Les rentes foncières simples étaient habituellement prescrites par trente ans au bénéfice des débiteurs.

Indiquons tout de suite que la transaction de 1808 met fin au conflit entre le châtelain républicain et les paysans royalistes. D’un côté on ne réclame plus d’arrérages et de l’autre on s’engage à reprendre le paiement de la rente à partir de 1810. En introduction du dispositif transactionnel il est écrit : « les parties ayant mûrement réfléchi sur l’incertitude de leurs moyens, du succès de leurs prétentions, voulant éviter des contestations, ont, par forme de transaction irrévocable et sans procès, fait et arrêté ce qui suit ».

Ces rentes, qui étaient devenues rachetables dans le nouveau code civil de 1804, ont pu s’éteindre de cette manière plus tard, probablement.

La transaction non respectée


Picasso : colombe de la paix
Au-delà du paradoxe résultant des situations et combats des protagonistes, cette affaire jette aussi un éclairage sur l’état d’esprit dans le pays après la guerre civile. Ils se sont entendus malgré tout, ils ont transigé, certes quinze ans après le coup de rage de 1793, mais le fait vaut d’être souligné. On remarque cette volonté d’aboutir à un accord, en repoussant la reprise du paiement de la rente de deux ans, stipulée dans l’article 2 de la transaction : « Les sieurs et dame Guyet et la demoiselle de Lespinay renoncent pareillement, tant en considération de ce que dessus, que des malheurs occasionnés par la guerre, aux arrérages de la dite rente pour les deux termes prochains, savoir à ceux échéant au 15 août prochain, et à ceux au 15 août 1809, en faisant remise aux cotenanciers de Villeneuve. » Décidément règne la volonté de vivre en paix désormais. C’est du moins la réflexion qui vient naturellement à l’esprit au terme de l’étude de cet acte. Mais l’affaire ne s’est arrêtée là et la conclusion est trop hâtive.

En effet, dix ans plus tard, le 13 mars 1818, François Cougnon et sa femme ont reçu un huissier de la Roche-sur-Yon, chez eux au village du Coudray, leur signifiant une sommation à payer pour les arrérages de cette rente, dus par eux et tous les autres cotenanciers (15).

Deux jours auparavant, Joseph Guyet et sa femme avaient formé une requête visant à l’exécution du titre signé au nom de tous les cotenanciers le 25 mars 1808. Les rentes n’avaient jamais été payées depuis 1810 et les Guyet en réclamaient les arrérages de huit années. Les débiteurs devaient payer sous huitaine et au-delà, « ils y seront contraints par toutes les voies de droit. »

Que s’était-il passé pour que les propriétaires de Villeneuve refusent de s’exécuter ? Leur engagement était pourtant clair. Certes, la fille de Charles Augustin de Lespinay, Henriette Félicité de Lespinay, était morte à l’âge de vingt-un ans le 16 février 1811. La loi faisait de sa mère la légitime héritière des biens qu’étaient les rentes foncières. De plus, le testament de la jeune fille avait fait de sa mère et de Joseph Guyet, ses légataires universels. On a du mal à croire que cette disparition ait justifié le changement d’attitude des débiteurs.

Faute de document, il est difficile de faire des hypothèses sur un sujet qui a mobilisé alors parfois les tribunaux et des avocats, tant certaines situations concrètes paraissaient peu claires. On peut imaginer néanmoins que les cotenanciers de Villeneuve ont reçu après coup l’avis éclairé d’un juriste ami, contestant la validité de la transaction en date du 25 mars 1808. Même à cette époque, les conventions privées ne pouvaient s’opposer à l’application d’une disposition légale d’ordre public. D’ailleurs les archives conservent un jugement du tribunal de la Roche-sur-Yon du 29 avril 1812, où sept propriétaires de Saint-André-Goule-d’Oie, au tènement de la Machicolière, s’opposaient au sujet d’une rente foncière. Parmi eux se trouvaient Pierre Herbreteau, le maire de la commune, déjà impliqué à Villeneuve et Louis Loizeau le beau-frère de François Cougnon.

Nous savons que Joseph Guyet a, lui, effectué des recherches chez le notaire de Saint-Fulgent. Ainsi, maître Guesdon lui a-t-il fourni une copie, le 28 novembre 1825, de l’acte d’achat de la borderie de la Vallée (les Essarts) par Alexis de Lespinay (ex beau-père de Mme Guyet, née du Vigier), le 29 mai 1773 (16). L’achat a en partie été payé par l’arrérage dû par le vendeur à l’acheteur, d’une rente foncière créée par contrat d’arrentement le 21 avril 1699 ! Cette rente avait fait partie de l’héritage Cicoteau. Décidément les rentes foncières de l’Ancien Régime ont donné des soucis à Joseph Guyet.

Nous avons trouvé trois dossiers dans le chartrier de la Rabatelière de même nature que le sujet évoqué ici. Dans l’un d’eux, à la Bergeonnière, le représentant des propriétaires est aussi François Cougnon, et l’affaire est antérieure à la transaction sur la rente de Villeneuve. Elle est donc susceptible d’éclairer son attitude dans la transaction.

la Bergeonnière
La châtelaine de la Rabatelière percevait une rente foncière annuelle et perpétuelle de 10 boisseaux d’avoine sur le tènement de la Bergeonnière avant la Révolution. La rente cessa d’être payée à partir d’août 1793. Le fondé de pouvoir de la châtelaine en réclama le paiement en août 1798. Au nom des propriétaires concernés François Cougnon refusa, car elle était présumée féodale et donc supprimée. À moins que la demanderesse ne présente un titre authentique et primordial prouvant que la rente n’était pas féodale, suivant la position adoptée à la Bergeonnière. Un procès s’en suivit, que François Cougnon gagna devant le tribunal civil de première instance de Montaigu en 1804. Mais il perdit en appel en 1806. Il accepta ensuite de payer et nous pensons qu’il n’alla pas en cassation. Voir sur cette rente l’article publié sur ce site en janvier 2018 : Justice indigne en 1805 contre les habitants de la Bergeonnière.

En abordant un problème identique à Villeneuve, il avait déjà cette expérience et avait bénéficié de l’expertise de son avoué de Montaigu qui s’appelait Chevallereau. Celui-ci avait clairement montré, textes à l’appui, que selon la législation montagnarde de 1793, c’était au demandeur à apporter la preuve du bien-fondé de sa demande de paiement d’une rente foncière, en prouvant qu’elle n’était pas féodale. On a trouvé une jurisprudence de la cour de cassation en ce sens, réformant précisément des arrêts de la cour d’appel de Poitiers.

Il est donc très probable que François Cougnon ne faisait plus confiance en la justice de la cour de Poitiers, quand se posa à lui le problème de la réclamation de Joseph Guyet. Mais il avait probablement aussi à l’esprit les convictions de son avocat sur l’illégitimité du paiement, ce qui pourrait expliquer que la transaction ne fut pas suivie d’effet. 

(1) Transaction sur rente foncière de Villeneuve du 25-3-1808, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier, papiers Guyet : 3 E 30/138.
(2) Inventaire après-décès de Louis Corbier de Beauvais du 8-2-1762, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/3.
(3) Communauté des Loizeau du Coudrais du 23-11-1788, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/12.
(4) Un miriagramme vaut 10 kg ou 10 000 grammes.
(5) Un boisseau des Essarts contenait 23 litres à densité 1. Cette densité varie pour chaque nature de céréale, ici de 0,74 pour le seigle, 0,78 pour le blé et 0,56 pour l’avoine.
(6) Louis Merle, La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à la RévolutionÉditions Jean Touzot, Paris, SEVPEN, 1958.
(7) Archives de Vendée, vente de biens nationaux, dossier de l’achat de Linières : 1 Q 240 no 317.
(8) Archives de Vendée, notaire Allard des Herbiers : 3 E 019 (12 germinal an 11), vue 202/492
(9) Philippe-Antoine Merlin, « Recueil alphabétique des questions de droit qui se présentent le plus fréquemment dans les tribunaux (1819-1827), Tome 5, rubrique « Rebelles de l’Ouest », page 247 (gallica.fr).
(10) Journal des Débats et lois du pouvoir législatif et des actes du gouvernement du 26 décembre 1803 (4 nivôse an 12), page 2 et 3, et du 1e janvier 1804 (10 nivôse an 12), page 3.
(11) J. Biteau, Deux capitaines de paroisse : les frères Cougnon de Saint-André-Goule-d’Oie, Revue du Souvenir Vendéen no 239 juin 2007, page 21.
(12) Fichier historique du diocèse de Luçon, Saint-André-Goule-d’Oie : 1 Num 47/404. Et Archives de Vendée, sommier des adjudications de domaines nationaux faites par le district de Montaigu : 1 Q 232.
(13) Le mot n’est plus utilisé et s’écrit adiré, au lieu d’adhiré, (Littré). Signifie : perdu, égaré.
(14) Service du contentieux du ministère des Finances.
(15) Sommation du 10-3-1818 à payer 8 ans d’arrérages de Guyet/Duvigier contre Cougnon, Archives de Vendée : étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier, papiers Guyet (3 E 30/138).
(16) Copie du 28-11-1825 de la vente de la borderie la Vallée (Essarts) du 29 mai 1773 de Parpaillon à Alexis de Lespinay Archives de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier (3 E 30/138). Et acte original dans Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.


Emmanuel François, tous droits réservés
Octobre 2012, complété en août 2021

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samedi 1 septembre 2012

L’évolution des baux dans le domaine de Linières de 1800 à 1830


Au début du 19e siècle, il existait semble-t-il dans la région de Saint-Fulgent deux types de baux à ferme hérités de l’Ancien Régime : les baux à colonage partiaire et les baux à prix fixe. Et comme le confirmait le récent code civil de 1804 leur forme restait libre : « On peut louer ou par écrit, ou verbalement. » À Linières, la politique de Joseph Guyet, le propriétaire, a consisté à abandonner progressivement les baux à colonage partiaire en faveur des baux à prix fixe.

Le colonage partiaire était régit par le droit romain pendant tout l’Ancien Régime, et le nouveau code civil ne le définissait pas. Ce type de contrat, « hybride » pour les jurisconsultes d’autrefois, consistait à louer son travail, c'est-à-dire à entrer en subordination du propriétaire, et à partager avec ce dernier les fruits et les aléas de l’activité (1). Aux Essarts et à Saint-Fulgent, ce partage était à moitié, mais on sait que d’autres valeurs de partage pouvaient être retenues. Le colonage partiaire avait l’inconvénient d’une forte implication de la part du propriétaire, et pour cela était peu prisé dans les domaines agricoles appartenant à l’Église. Il avait l’avantage de requérir peu de moyens de la part du fermier, notamment de n’être obligé de posséder, tel qu’il était pratiqué, que la moitié du cheptel. Indiquons tout de suite que les instruments de travail étaient rudimentaires, fabriqués en bois et étaient la propriété du fermier, quel que soit le mode de faire valoir.

Le bail à colonage partiaire a évolué au cours du 19e siècle, avec plus d’indépendance du métayer à l’égard du propriétaire, pour donner naissance au bail dit à partage de fruits ou à métayage. Néanmoins le bail à colonage partiaire a pu subsister sans changement tout au long du 19e siècle. Les preneurs dans ces deux baux ont fini par s’appeler alors métayers ou colons. Et le mot de fermier a été réservé au preneur du bail à prix fixe (on disait à prix d’argent). Cette évolution moderne n’aide pas à comprendre l’emploi de ces mots dans les temps plus anciens. D’ailleurs le code civil employait déjà ces mots dans ce sens, dès 1804.
Aux 18e et 19e siècles dans la région autour de Chauché, mais aussi ailleurs suivant les cas, les mots employés par les paysans pouvaient avoir un sens particulier, suivant qu’on évoque les choses ou les hommes. S’agissant des exploitations agricoles ou des fermes, on appelait une métairie celle qui avait une surface importante (au-dessus de 15 ha généralement). En dessous on parlait de borderie. Le mot métairie vient du mot « manse » qui se rapportait au haut Moyen Âge, à la surface agraire que quatre bœufs pouvaient annuellement labourer en hiver et en été. Cette notion se distinguait de la borderie où deux bœufs suffisaient.
S’agissant des hommes, il faut distinguer selon qu’ils étaient propriétaires, locataires ou ouvriers. Le propriétaire qui exploitait en direct une métairie était désigné le plus souvent comme propriétaire dans les documents, ce qui n’aide pas à le distinguer du propriétaire qui n’exploitait pas. Les propriétaires d’une borderie étaient appelés des bordiers. Souvent les bordiers étaient à la fois cultivateurs de petits lopins de terre et artisans. Et là aussi la réalité était plus diverse que le vocabulaire employé.
Dans le langage commun, les locataires d’une métairie s’appelaient des métayers ou des colons ou des fermiers, et quel que soit le type de bail en vigueur : à colonage partiaire ou à prix fixe. Les notions de métayer et de métairie n’ont pas de liens en pratique à cette époque. Le mot de colon, synonyme de métayer, a longtemps été utilisé et trouve son origine au Moyen Âge pour désigner celui qui cultivait la terre d’autrui qu’il avait défrichée, c’est à dire colonisée. Il n’est pas à relier au type de bail à colonage partiaire. Il en allait de même des métayers des grosses borderies, mais pour les petites borderies, l’économie des jachères rendait cette situation plus rare. Le bordier était souvent propriétaire, au moins à temps partagé.
Dans le langage courant, le mot de fermier était employé dans deux sens. D’abord celui qui exploite une ferme qu’il a louée, quel que soit le type de bail, et ensuite celui qui a loué une ferme qu’il fait exploiter par des cultivateurs. Ce dernier sens se rapportait à des bourgeois comme le père de Joseph Guyet, qui affermaient de nombreuses métairies et domaines appartenant à des nobles ou à l’Église. Il s’affichait fermier dans certains documents comme on souligne une position sociale. Les historiens les appellent à juste titre, pour bien les distinguer, des fermiers généraux, mot qu’on rencontre peu dans la documentation locale.
Le mot de cultivateur rencontré dans certains documents, nous paraît toujours avoir une signification vague à cette époque, se rapportant au métier.
Enfin le mot de laboureur s’appliquait au travailleur louant son travail dans les exploitations pour les travaux de labours avec des bœufs. Il y avait aussi la catégorie des laboureurs à bras : ils travaillaient sans bœufs, bêchant la terre. Mais on a vu le mot employé au 18e siècle dans un sens générique, le même que celui de cultivateur : celui qui travaille la terre.

Bref, on l’aura compris, le contexte du mot employé compte dans certains cas pour saisir son sens précis à cette époque. À ce propos indiquons que nos dictionnaires modernes n’étaient pas encore nés, et que l’Académie Française manquait visiblement d’autorité dans les campagnes.


La confiscation des métairies pendant la Révolution et la fin des baux à partage des récoltes


Nicolas Bernard Lépicié : Cour de ferme
On s’est naturellement interrogé sur le mode de faire valoir mis en œuvre par l’administration du département après le séquestre du domaine de Linières à son propriétaire émigré en 1792. La législation, confirmée ensuite par le code civil, soumettait les baux des biens nationaux à une réglementation particulière. Malheureusement, la pauvreté des archives est à la mesure des destructions dues à la guerre de Vendée, notamment pour le district de Montaigu concernant ce point (2).

Pendant la période de séquestre de Linières les baux existant ont dû continuer leur vie normalement, les versements en nature et en argent aux propriétaires étant mis sous séquestre par le gardien nommé par les autorités en juin 1792. Nous n’avons aucun document sur ce point.

Il en est de même pour la période de confiscation avec transfert de la propriété à la nation, à partir d’octobre 1793. On sait, à partir de rares exemples, que le receveur de l’Enregistrement et du domaine national, au bureau de Montaigu, demandait aux municipalités de mettre aux enchères en sa présence les baux des métairies appartenant à la nation. Auparavant il avait fait apposer des affiches imprimées annonçant ces adjudications de baux. Ceux-ci étaient d’une durée de trois ans et ses clauses n’étaient pas négociables. Elles avaient auparavant été formulées dans un « sumptum » lu par le président de la commission d’adjudication à toutes les personnes présentes. Il contenait en un certain nombre d’articles les clauses charges et conditions à imposer aux adjudicataires (3). Dans un exemple à Mouchamps (4), on voit que le bail, ou plutôt son adjudication, était fixée à prix d’argent, avec les clauses traditionnelles concernant les cas fortuits et de force majeure, les droits et devoirs entre le fermier entrant et le fermier sortant pour les récoltes, pailles, foins et engrais, les obligations de réparations locatives, l’entretien des prés et des haies, le respect des règles coutumières de jachère. Mais le fermier payait les impôts liés au bien, ce qui était une vraie nouveauté. De plus, il devait fournir une caution systématiquement, et pouvait sous-louer à condition de le faire devant notaire.

On est à peu près sûr qu’il n’y a pas eu d’adjudication de baux dans le domaine de Linières pendant au moins la première moitié des deux ans et demi de la période où le domaine a été bien national, c’est à dire de fin 1793 à juillet 1796. La maîtrise du pays par les insurgés d’abord, puis les exterminations des colonnes infernales ensuite, et le harcèlement du général Charette, réfugié tout près dans la forêt de Gralas, ont certainement empêché toute gestion par l’administration du district de Montaigu. Pour les populations, leur territoire était considéré comme libre ou occupé par les ennemis, suivant les aléas de la guerre. Ils ont vécu la situation comme leurs descendants pendant la deuxième guerre mondiale, avec une zone occupée et une zone libre, c'est-à-dire celle-ci non occupée par l’ennemi. C’est ce que dit le prieur Allain de Saint-André-Goule-d’Oie en écrivant dans son registre l’acte de décès de François Breteau (village de la Brossière) et « emmené par les bleus dans le pays ennemi » (5).

Pour autant que l’administration ait eu le temps d’établir des baux pour les métairies de Linières, certainement à prix fixe, la pratique des baux à colonage partiaire s’est rétablie ou poursuivie au rachat du domaine en août 1796 par Mme de Lespinay, pour un petit nombre de métairies. Les baux à prix fixes étaient plus nombreux à Linières. Nous pensons qu’au sortir de la guerre de Vendée, avec des troupeaux décimés, des travaux de réfection à faire, des bras qui manquaient, le partage de fruits a pu constituer un type de bail plus à la portée de certains métayers ruinés et manquant des moyens nécessaires à un bail à prix fixe. 

Coral : messe de minuit dans la forêt de Gralas

Après la guerre de Vendée, le propriétaire de Linières de 1800 à 1830, Joseph Guyet, s’est défait au fil du temps des baux à colonage partiaire, préférant les baux à prix fixes. La Morelière est la dernière métairie dont le bail est à partage de fruits jusqu’en 1830 dans notre échantillon de baux écrits que nous avons pu consulter, alors qu’auparavant au moins cinq métairies ont été gérées de cette manière. À cette occasion il n’y a pas eu changement de fermiers.

Pour expliquer cette volonté, l’éloignement du propriétaire parisien a certainement été déterminant. Dans le bail à prix fixe, il n’y a plus de récoltes à surveiller, d’aléas à subir, de produits à vendre, de troupeaux à gérer etc. Même avec un régisseur sur place, il y avait déjà assez à faire pour entretenir les bâtiments, choisir les fermiers et les suivre, avec autant de métairies.

Un autre élément a pu jouer en faveur du bail à prix fixe : en précisant par écrit une clause particulière, seul le métayer devait supporter les conséquences des calamités agricoles. Alors que dans le bail à colonage partiaire on partagerait de droit les bénéfices, mais aussi les pertes. Cette politique a été pratiquée par Joseph Guyet dans les clauses de cas fortuits et de force majeure de ses baux à prix fixe.

C’est ce qui s’est passé à la Mauvelonnière (Chauché) en 1824. La métairie était tenue depuis longtemps par deux belles-sœurs, dont une veuve avec 3 enfants, Françoise Godard (son mari, Marie Jean Chapleau tué lors du soulèvement de 1815) (6). Le propriétaire leur a vendu sa part du troupeau estimé à 762 F, alors que la ferme annuelle était de 1 000 F. Il leur a fait crédit sur quatre ans. Cinq ans plus tard, il n’avait toujours pas été remboursé. Il leur a laissé encore un délai supplémentaire, mais nous ne savons pas comment l’affaire s’est terminée.

À la métairie des Noues (Saint-André-Goule-d’Oie), le passage au bail à prix fixe s’est opéré la même année, avec le même fermier, Pierre Blandin. Une clause particulière précise là aussi : « Les bestiaux qui garnissent la métairie sont, pour moitié, la propriété de M. Guyet. Il en sera fait estimation à la Saint-Georges (23 avril) 1824, époque de l’entrée en jouissance des preneurs à titre de fermier, qui conserveront les dits bestiaux à la charge d’en payer à M. Guyet la valeur estimative dans le cours des trois premières années de leur bail, et par tiers dans chacune des dites trois années. » En 1816, déjà le propriétaire avait mis la pression pour changer de type de bail en insérant la clause suivante : « le bailleur se réserve également le droit de mettre la métairie en ferme pendant le courant du présent bail si bon lui semble, les dits preneurs s’obligent d’en cesser la jouissance étant prévenu une année à l’avance sans pouvoir exiger aucun dédommagement à cet égard ». Le bailleur tempère ensuite : il réservera dans ce cas la préférence au fermier actuel.  

La pratique des baux à colonage partiaire et des baux à prix fixe à Linières

Comment se pratiquait le partage des fruits à cette époque sur les métairies de la Morelière, de Villeneuve (Chauché), des Noues (Saint-André-Goule-d’Oie), et de la Touche (Essarts) ?

Gustave Courbet : Les cribleuses de blé
La moitié des grains et fruits sont transportés par les preneurs au bail, dans « les greniers de Linières ou autres lieux indiqués par le propriétaire. » Pour les grains il est précisé qu’ils auront été « bien vannés et qu’ils seront nets de toutes impuretés ». En pratique cela demandait un travail important sans aboutir, compte tenu des techniques employées, à une bonne propreté des grains. Les « mauvaises herbes » étaient à l’époque une calamité, dont les graines se retrouvaient mélangées avec celles du blé. 

La part des semences dans ce partage variait d’une métairie à l’autre pour des raisons que nous n’avons pas pu cerner, probablement liée aux relations personnelles entre le propriétaire et les métayers. À la Morelière les semences étaient prélevées avant partage à moitié, mais seulement dans une limite de 50 décalitres pour le blé. Le surplus éventuellement nécessaire et les semences des autres céréales étaient donc prélevés sur la moitié des métayers. Plus tard, cette limite pour le blé sera abandonnée. Apparemment les semences constituaient un des rares sujets de négociations dans les baux.

Aux Noues la limite de 50 boisseaux s’applique non seulement au blé, mais aussi au seigle et à l’orge, qui seront prélevés « sur les tas avant tout partage entre eux et le bailleur ».

Camille Pissaro : Récolte de pommes
À Villeneuve en 1817, la charge des semences est égale entre le propriétaire et le fermier.

Suivant la coutume on partageait les fruits « de hautes branches » (pommes, poires, cerises, prunes etc.), mais le preneur gardait pour lui tous les autres fruits (groseilles, fraises etc.).

Les bestiaux « nécessaires » à l’exploitation sont fournis moitié par moitié entre le bailleur et le preneur. Il est de plus précisé dans quelques baux : « lesquels bestiaux, les preneurs ne pourront vendre, trafiquer, mener à foire ni marché sans le consentement du bailleur. » On voit ici que le bétail sert de force de traction principalement. Dans les cas où, en plus, une partie était vendue, on partageait les bénéfices. Le bailleur avait droit, suivant la loi, « à la moitié des laines et du croît » (augmentation du nombre de bêtes) et le preneur « profite seul des laitages, du fumier et des travaux des bêtes. » Mais on imposait au fermier l’interdiction de faire commerce du fumier et de labourer pour autrui.

Pour les engrais, la formule est partout la même, ceux qui seront « nécessaires … seront payés moitié par moitié. » Mais ils étaient tates, et on en achetait peu.

L’économie de ce type de bail nécessitait un nombre suffisant de bras pour exploiter la métairie. Certaines clauses traitent du sujet. Ainsi aux Noues, les fermiers s’obligent « à tenir sur ladite métairie et aux conditions expresses quatre hommes en état de travailler. » À Villeneuve, les fermiers s’engagent à « fournir chaque année pendant le présent bail un domestique de force pour leur aider à faire ladite métairie, à peine de contre eux de dommages et intérêts. »

À partir des années 1820, on convenait dans le bail d’estimer le revenu annuel de la métairie pour des raisons fiscales. Les chiffres déclarés paraissent notablement inférieurs à la réalité.

Le sous-affermage devait être expressément autorisé dans le bail à colonage partiaire, suivant la loi, ce qui explique que cette clause n’existe pas dans les baux de Linières. En revanche, on la rencontre dans les baux à prix fixes, pour lesquels la législation était inverse : « le preneur a le droit de sous-louer, et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite. »

Dans le bail à prix fixe, le fermier payait au bailleur un montant fixe convenu d’avance. Il décidait de l’exploitation et subissait seul les aléas de l’activité. Le montant de la location pouvait être exprimé en monnaie ou en quantité de grains. Le premier bail rencontré, signé le 18 juillet 1800 au nom de Mme de Lespinay, stipule sur ce point : « La présente ferme est faite au gré et consentement des parties, pour de la part des parties en bailler et payer pour chacun an la somme de 700 francs, …, lesquels paiements ladite bailleresse sera libre de percevoir en grain froment de belle qualité à raison de 300 francs le tonneau » (7). À cette date on vivait encore dans un désordre économique et financier important et on se méfiait de la monnaie. Ensuite, et grâce aux réformes et à la stabilité apportées par Napoléon, tous les baux à prix fixes sont libellés en francs, mais Joseph Guyet, encore sous le coup de son expérience sous le Directoire, tenait à préciser que le prix était payable « en argent sonnant », c'est-à-dire en pièces métalliques contenant une part de métaux précieux. Il se méfiait des billets de banque, tout fonctionnaire du ministère des Finances qu’il était !

Les prix des fermes n’étaient pas indexés, on était entré dans une longue période de stabilité financière depuis 1800. À partir des années 1820, ils ont augmenté de 1,2 % et 1,8 % après cinq ans, et aussi de 5 % à 6 % après 10 années du même prix. Dans un cas le prix a même baissé de 5 %.


(1) L. Rerolle, Du colonage partiaire et spécialement du métayage, Chevallier et Maresc (1888)
(2) L’administration du district de Montaigu était en fuite à Chantonnay, où elle fut victime de l’incendie d’une colonne infernale. « Dans la confusion qu’a causé ce brûlement, et faute de voitures, nous n’avons pu sauver qu’une partie des registres et des papiers qui composaient les archives de notre administration ». Voilà ce qu’a écrit dans une lettre du 4 mars 1794 au comité de salut public et de sûreté générale de Fontenay, Graffard, agent national de la commission administrative provisoire du district de Montaigu. [L. Brochet, Le canton de Chantonnay à travers l’histoire, Le livre d’histoire (fac-similé 2007), page 40.
(3) Archives de Vendée, Baux des biens nationaux : 1 Q 760, bail à ferme de la métairie de la Borgatière (Brouzils) le quinze frimaire l’an cinq.
(4) Archives de Vendée, Baux des biens nationaux : 1 Q 760, ferme de la Grange Renaudin à Mouchamps le 10-5-1801.
(5) Archives de Vendée, état-civil de Saint-André-Goule-d’Oie, 2e registre clandestin, décès de F. Breteau du 29-11-1793 (vue 3).
(6) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 29-1, victime du combat de l’Aiguillon du 19 mai 1815.
(7) Cette valeur donne 22,6 F pour un hectolitre en juillet 1800.

Emmanuel François, tous droits réservés
septembre 2012, complété en 2014

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Les communautés familiales d’autrefois dans le canton de Saint-Fulgent

Dans les baux des métairies du domaine de Linières dans le canton de Saint-Fulgent, de 1800 à 1830, les métayers contractaient en communauté familiale (1). Cela veut dire que le chef de famille s’engageait auprès du bailleur pour lui-même et ses enfants, même ceux qui étaient adultes et mariés. Chaque bail précisait le nom des preneurs et leurs liens de parenté, parents et enfants, gendres, brus, beaux-frères et belles sœurs, dans l’écrasante majorité des cas. Ceux-ci formaient une communauté juridique de fait, et les signataires s’engageaient solidairement, « faisant tant pour eux que pour ceux de leur communauté », suivant la formule qui revient le plus souvent dans les baux.

Certaines familles d’artisans formaient aussi une communauté de vie et de travail, nous connaissons le cas de boulangers et de meuniers, et aussi celui des marchands de bestiaux, Fluzeau-Brisseau à la Brossière, en 1765. Nous en resterons aux agriculteurs, cas fréquent dans les actes des notaires de Saint-Fulgent

Nous avons un acte notarié du notaire de Saint-Fulgent, officialisant ce type de communauté en 1774. Mais si les communautés familiales, patriarcales aussi, ont existé à la fin du 18e siècle, elles remontent loin dans le temps, très probablement au Moyen Âge. Ces communautés patriarcales se sont réduites dans leur importance, avec, le plus souvent, deux couples seulement la composant, c'est-à-dire deux générations vivant ensemble. Puis elles se sont dissoutes au cours du 20e siècle à cause de la révolution agricole intervenue et surtout de l’évolution des mœurs. De nouvelles structures juridiques ont alors vu le jour pour mettre des moyens d’exploitation en commun, mais concernant le capital surtout (coopérative, C.U.M.A.), et moins la main d’œuvre.

Œuvre de Turgot
Les physiocrates, les économistes novateurs du 18e siècle, condamnaient ces communautés comme un obstacle au progrès. Mais leur influence, on s’en doute, n’a pas pénétré le système de valeurs des chefs de famille du canton de Saint-Fulgent à cette époque.

Notre propos est de partir de documents de la fin du 18e et début du 19e siècle, il y a deux siècles et plus, pour évoquer ces communautés. Ils comprennent une vingtaine d’actes notariés décrivant leur fonctionnement. L’importance de l’institution se voit dans notre échantillon de 150 baux écrits de métairies et borderies entre la fin du 16e siècle et le milieu du 19e siècle.

Le cas de Louis Plessis à la Boninière

Pour définir la communauté, l’acte du notaire Frappier du 14 juin 1774 nous donne des éléments intéressants (2). À cette date, le père Louis Plessis, âgé de 59 ans, vivait avec ses quatre enfants survivants et son épouse, Louise Debien, au village de la Boninière de Saint-André-Goule-d'Oie. Il avait auparavant habité au Clouin et était bordier, autrement dit un petit paysan. Il était souffrant et sentant sa fin prochaine, fit venir chez lui le notaire de Saint-Fulgent, Frappier sieur de la Rigournière. Louis Plessis est mort quatre jours après et fut enterré dans le cimetière de Saint-André-Goule-d'Oie (3). L’acte notarié cite ses quatre enfants : Louis (40 ans), Anne (32 ans), Françoise (35 ans) et Jacques (30 ans).

Frères Le Nain : Repas de paysans
Avec eux, Louis Plessis (sa femme n’intervient pas dans l’acte) indique d’abord au notaire « que depuis longtemps qu’ils demeurent ensemble, vivant au même pain et pot et faisant bourse commune entre eux ». Il s’agissait d’une communauté de fait ou tacite, cas le plus répandu, et avant de mourir, l’aïeul veut que cette communauté devienne expresse par un acte officiel, et lui survive dans l’indivision pour ses héritiers. C’est une façon de régler l’héritage de ses biens meubles.

L’expression ancienne de vivre « du même pain et pot », c'est-à-dire partageant le manger et le boire, signifie plus globalement vivre ensemble sous le même toit. Le cadre de cette vie commune était généralement une bâtisse comportant deux pièces, parfois trois dans les grosses métairies. Chauffé par la cheminée de la pièce principale, on s’y entassait pour manger et discuter autour de la table, prier devant un crucifix, et dormir derrière les rideaux des lits. D’ailleurs le propriétaire tenait à ce que les habitations soient occupées. Il est arrivé à celui de Linières de préciser dans des baux, par trois fois à l’intention des métayers : « Ils ne feront tous qu’un seul ménage sans pouvoir jamais se séparer ni faire plusieurs feux. »

L’argent gagné n’était pas partagé entre les couples formant la communauté. Tout était en commun, y compris les frais engagés par les parents pour leurs enfants, et le prix de la chopine payée le dimanche chez le cabaretier du bourg. 


Le cas de Louis François de la Boninière


J. B. Greuze : Accordée de village 
(remise de la dot)
Nous savons que le chef de famille devait doter ses enfants au moment de leur mariage et la somme allait dans la communauté d’accueil de l’enfant. Par exemple, quand le  bordier Louis François, (un frère de mon aïeul), marie sa fille Jeanne en 1792 avec Pierre Millasseau, celui-ci intègre la communauté de son beau-père au village de la Boninière de Saint-André-Goule-d'Oie. Par contrat il promet de donner à son futur beau-père 120 livres. Le notaire de Saint-Fulgent, toujours Frappier, dans un acte du 3 janvier 1793, fait quittance de cet apport (4). Cet acte valait preuve pour partager plus tard l’héritage de Louis François, car les dots étaient généralement données en avance d’héritage. Cette somme de 120 livres est faible, correspondant à la valeur d’une paire de jeunes bœufs (5), comparée au montant, à la même époque, de la dot du fils du métayer de Linières, Simon Pierre Herbreteau (futur maire de Saint-André-Goule-d'Oie), et celui de sa jeune épouse, Henriette Mandin fille du régisseur de Linières, qui était de 600 livres chacun (6). Le père de Joseph Guyet, propriétaire de Linières de 1800 à 1830, dota sa fille aînée de 6 000 livres, plus une rente annuelle de 1500 livres (7).

Le fonctionnement de la communauté chez les Plessis


La famille Plessis fait donc acter par le notaire « que tous ils ont décidé de mettre en communauté tous leurs biens par portions égales, et pour d’autant mieux l’officialiser, ils ont déclaré s’associer par les présentes de tous leurs biens meubles et acquêts immeubles. » En conséquence, « leur communauté sera composée de cinq parties égales, dont une appartiendra à Louis Plessis père, et à Louis, Françoise, Anne et Jacques, ses enfants, aussi à chacun une cinquième partie. » Et le notaire de continuer à écrire : « Ils vivront tous au même pain et pot sans distinction et préférence et seront de même tenus aux dépenses de la communauté, à laquelle chacun apportera et conférera tous les fruits, gains, revenus et émoluments de ses travaux et industrie ; ils ne feront pas de dettes sans le consentement des autres, au-dessus de la somme de cinq livres, à peine par celui qui les ferait d’en être seul tenu ; les parties déclarent que la valeur de la communauté s’élève actuellement à la somme de quatre cents livres. »

Vincent Van Gogh : Vieux paysan
Autre précision importante : « Plessis père demeure chef de la communauté ci-dessus établie pour en gérer et administrer les affaires comme dans le passé ». L’aïeul jusqu’à son dernier souffle, ou l’aîné des frères, remplissait donc le rôle de chef de la communauté, s’engageant au nom de celle-ci, dans les baux par exemple. À l’assemblée des habitants de la paroisse il pouvait représenter son « feu ». Au patriarche on devait obéissance, comme un devoir de nature religieuse, mélangeant sentiments familiaux, respect des anciens, devoir envers ses parents et obéissance aux directives du chef d’exploitation. Autant dire que la personnalité et le caractère du patriarche ou de l’aîné faisaient le bonheur ou le malheur de ses proches, mais aussi contribuait à la réussite ou à l’échec de l’activité agricole. Mais cette communauté avait aussi son utilité. En son sein, on y assumait la naissance et la mort, la maladie et la vieillesse. On y assumait aussi les mariages dans tous ses aspects, dont l’impact sur le patrimoine de la communauté n’était pas le moindre. C’était aussi le cadre du « développement » de l’enfant, si l’on peut dire.

La place et le rôle de la communauté familiale dans la société


Le secrétaire de la préfecture de Vendée, Cavoleau, nous explique en 1800 (8) que presque tous les chefs de famille faisaient fabriquer par souci d’économie les habits et linge nécessaires à leur maison, utilisant les services des fileuses, tisserands et foulons (moulins pour traiter les fibres et tissus). Les métayers se fabriquaient eux-mêmes leurs sabots, comme nous l’avons constaté dans les baux de Linières. Les différences de revenus ne se voyaient pas dans les dépenses, elles se cachaient dans l’épargne quand c’était possible. Mais elles se montraient dans le nombre de domestiques et de bœufs, et dans la surface des exploitations. Pour se marier on ne s’y trompait pas. Bref, la frugalité, sévère vue d’aujourd’hui, était le sort commun à tous.

Dire que ces communautés familiales « structuraient » la société d’alors et en constituaient la « cellule de base », est une évidence banale. C’est dire le rôle incontournable qu’elles durent avoir dans la naissance et les évènements de la guerre de Vendée. La révolte des jeunes contre la conscription militaire a aussi été celle des chefs de famille. Celle-ci allait créer bien plus d’absences que les tirages au sort des anciennes milices de l’Ancien Régime, déjà peu populaires, et elles représentaient un danger pour la survie de certaines communautés familiales. De plus, les peurs et les haines déclenchées par les révolutionnaires depuis l’année 1790, ont « macéré » dans les discussions à la veillée au sein de ces communautés. Et n’oublions pas que les assemblées des habitants réunissaient toute la communauté paroissiale, avec seulement la centaine de chefs de famille au maximum qui pouvaient y participer dans une paroisse de la taille de Saint-André-Goule-d'Oie. D’ailleurs on a vu que les consignes de participation aux manœuvres et aux gardes du camp de l’Oie sous l’autorité de Royand, chef royaliste de l’armée du Centre, auxquelles ont participé les hommes de Saint-André, ont été répercutées à la base aux chefs de famille, ceux-ci désignant même leurs domestiques. L’obéissance laissait peu de place aux expressions de l’individualisme dans ce type de structure sociale. Imagine-t-on un instant ce que la devise « liberté, égalité, fraternité » pouvait avoir de bizarre pour les individus vivant dans ces communautés familiales ? Dans celles-ci les droits de l’individu ne primaient pas sur le groupe auquel il appartenait. L’individu et le collectif formaient un tout où se développait l’interaction sociale. Le travail paysan avait ceci de particulier qu’il confrontait en permanence les désirs et les idées avec les aléas de la nature. La liberté individuelle était d’abord pour eux une expérience intime de confrontation avec la réalité. Cela ne fait-il pas penser au modèle social japonais, paraissant pour une part éloignée de l’idée d’égalité individuelle proclamée en 1789 dans le nouveau modèle français en formation ? La libération des communautés familiales viendra plus tard des conditions économiques nouvelles générées par le progrès technique. Mais les contraintes pesant sur les individus d’alors n’ont-elles pas prédisposés ces derniers à se mettre au service du groupe avant tout, avec pour conséquence une aptitude à l’entraide et à la solidarité, précisément à rebours des aspirations de l’individualisme portées par la Révolution ? D’autant que le message moral d’une religion omniprésente allait dans le même sens.

Les communautés familiales vivaient dans la frugalité et l’indigence. Louis Merle (9) donne un rendement de 12 à 13 hl à l’hectare pour le blé dans la Gâtine poitevine. On a pu vérifier qu’il en allait de même dans la contrée de Saint-André-Goule-d’Oie. Mais la réalité vécue ne réside pas dans cette moyenne. Ce rendement pouvait varier du simple au triple d’une année à l’autre, suivant les « cas fortuits et de force majeur » engendrés par les caprices météorologiques et les épizooties. On sait qu’en 1816, le préfet de Vendée a dû prendre des mesures pour faire face à ce qu’il a appelé une famine sévissant dans le département (10). En conséquence, certaines mauvaises années, les ventes suffisaient à peine à payer le fermage et les impôts, et il fallait pourtant faire vivre une nombreuse famille. Heureusement il y avait les bonnes années, où l’on pouvait mettre de l’argent de côté. En plus de la frugalité permanente, les membres de la communauté partageaient parfois l’indigence des mauvaises années.

Cette communauté agricole répondait aux conditions économiques du temps. Les techniques alors en vigueur imposaient des labours et binages fréquents, l’entretien des haies et des clôtures, des prairies et des chaintres, les travaux de défrichement des landes (jachères), le tri des grains etc. Le regroupement de la force de travail en communautés familiales fournissait une main d’œuvre abondante et pas chère, tant pour les exploitants propriétaires que pour les métayers. Pour schématiser, il y avait d’un côté des moyens et petits propriétaires, exonérés des charges à l’égard des propriétaires, mais dont la surface cultivable était réduite à cause de la pratique de la jachère. De l’autre côté il y avait des métayers d’exploitations de 50 ha en moyenne, comme dans le domaine de Linières, qui pouvaient mettre la force de travail de leur communauté au service d’une surface cultivable suffisante pour mieux vivre malgré le système de la jachère. Mais ils subissaient les charges du propriétaire et la précarité de leur bail, bien réelle à l’époque. 

Dupré : Bergère au manteau
Dans cette économie de la communauté familiale, il faut bien sûr compter les enfants, dont la participation aux travaux des champs était toute « naturelle ». L’instruction, dont chacun savait bien qu’elle donne des atouts pour se « débrouiller » dans la vie, n’était pas accessible aux plus pauvres. Pas seulement en raison de son coût, les indigents pouvaient quand même être dispensés de la redevance scolaire payée par les parents à la commune au début du 19e siècle, mais surtout l'école privait l’exploitation d’un appoint de main d’œuvre. Et pourtant les horaires de l’école et les dates des vacances tenaient compte de la saisonnalité des travaux agricoles. Même quand l’école fut devenue obligatoire, avec une durée de six ans d’enseignement primaire, les parents limitaient souvent la présence de leurs enfants à quatre ans seulement encore au début du 20e siècle.

Quant à partir des années 1840 en France, l’industrialisation a offert à l’agriculture des charrues en fer et de la chaux pour engrais, les terres acides du bocage ont vu leur fertilité considérablement augmenter. Dans les mêmes structures de faire valoir du sol, on pouvait en conséquence produire plus avec moins de main d’œuvre, et développer l’élevage notamment. Cela a favorisé l’exode rural un peu partout en France. Mais dans le canton de Saint-Fulgent, les communautés familiales sont demeurées immuables et ont gardé leur main d’œuvre, tout au moins dans un premier temps. On a parcellisé les exploitations, augmentant leur nombre et diminuant leur surface (11). Plus fertiles, les terres ont fait vivre plus de personnes. En ce milieu du 19e siècle, la région, vue du domaine de Linières, a adopté un modèle original de développement économique. Les communautés familiales se sont maintenues, souvent sur des exploitations plus petites, les métairies des grands domaines se divisant et les petites propriétés produisant plus de richesses. Le développement économique d’alors, au lieu de changer ces communautés patriarcales, a été mis au service de leur survie. Mais dépourvues de nécessité économique, celles-ci survécurent quelques dizaines d’années en tant que norme sociale seulement, puis disparurent au 20e siècle avec la transformation de ces normes et l’évolution des mœurs.

L’acte notarié de constitution de la communauté du Plessis 


Pour terminer nous reproduisons, transcrit en langage moderne et accessible, l’acte notarié de constitution de la communauté Plessis du 14 juin 1774 à la Boninière :
"Par devant nous notaires royaux de la sénéchaussée de Poitiers soussignés, ont comparus en leurs personnes, identifiés et acceptant, Louis Plessis bordier, autre Louis Plessis, Françoise, Anne et Jacques Plessis, ces quatre derniers enfants du premier, demeurant tous en même communauté au village de la Boninière paroisse de St André Degouledois d’une et d’autre part ;
lesquels nous ont dit, que depuis longtemps qu’ils demeurent ensemble, vivant au même pain et pot (vivant ensemble) et faisant bourse commune entre eux, que tous ils ont décidé de mettre en communauté tous leurs biens par portions égales, et pour d’autant mieux l’officialiser, ils ont déclaré s’associer par les présentes de tous leurs biens meubles et acquêts immeubles.
Leur communauté sera composée de cinq parties égales, dont une appartiendra à Louis Plessis père, et à Louis, Françoise, Anne et Jacques, ses enfants, aussi à chacun une cinquième partie.
-        Ils vivront tous au même pain et pot sans distinction et préférence et seront de même tenus aux dépenses de la communauté, à laquelle chacun apportera et conférera tous les fruits, gains, revenus et émoluments de ses travaux et industrie ;
-        ils ne feront pas de dettes sans le consentement des autres, au-dessus de la somme de cinq livres, à peine par celui qui les ferait d’en être seul tenu ;
-        Plessis père demeure chef de la communauté ci-dessus établie pour en gérer et administrer les affaires comme dans le passé ;
-        les parties déclarent que la valeur de la communauté s’élève actuellement à la somme de quatre cent livres.
Toutes les clauses ci-dessus ont été voulues, consenties stipulées et acceptées par les parties, lesquelles se sont obligées à leur exécution, et, tous et chacun, à hypothéquer leurs biens meubles et immeubles, présents et futurs, sans distinction, renonçant à toutes stipulations contraires aux présentes.
De leur consentement, volonté, et à leur requête, nous dits notaires soussignés les avons, par le pouvoir et juridiction de notre cour, soumis à notre acte auquel ils se sont obligés.

Source : Archives départementales de la Vendée
Fait et passé au lieu de la Boninière en la demeure des dites parties par moi Frappier, l’un de nous dit notaire, où je me suis transporté aujourd’hui 14 juin 1774 ; lecture faite, les parties y ont persisté et déclaré ne pas savoir signer, de ce enquis et interpellé, approuvé en interlignes : cinquième partie, livres ;
Signé : Jagueneau notaire royal
            Frappier notaire royal pour registre
Contrôlé à Saint-Fulgent le 15 juin 1774 reçu trois livres dix sols Signé : Thoumazeau"



(1) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier 3 E 30/138, dossier Guyet.
(2) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier 3E 30/7, acte d’officialisation de la communauté Plessis de la Boninière du 14-6-1774.
(3) Archives de Vendée, registre paroissial de Saint-André-Goule-d'Oie, sépulture du 18-6-1774 (vue 47).
(4) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier 3 E 30/13, quittance de versement François/Millasseau du 3-1-1793.
(5) Pour 120 livres à cette date, on, pouvait acheter 2 bœufs de quatre ans (voir l’inventaire du 8-2-1762 de Louis Corbier du Coudray, à sa mort : archives de Vendée, Frappier 3 E 30/3).
(6) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier 3 E 30/13, contrat de mariage de Simon Pierre Herbreteau et d’Henriette Mandin du 30-7-1791.
(7) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier 3 E 30/13, contrat de mariage d’Étienne Martineau et de Catherine Guyet du 16-5-1791.
(8) Cavoleau, Statistique ou description générale du département de la Vendée.
(9) Louis Merle, La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à la Révolution (1958).
(10) Instruction du 17-12-1816 du préfet de la Vendée.
(11) Le même phénomène est observé en 1850/1880 dans le canton de Palluau par F. Dupé, Le métayage dans le canton de Palluau, Société d’Émulation de la Vendée (1978), page 63.

Emmanuel François, tous droits réservés
Septembre 2012

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