lundi 13 juin 2011

Le faux baron de Linières

On se souvient qu’au temps de Mazarin et du jeune Louis XIV, le châtelain de Linières s’appelait Legras ou Le Gras. C’était dans les années 1635-1685.

Anne Claude Legras, d’abord, avait acquis le domaine d’Élie de Goulaine, un protestant établi à Vieillevigne. En 1626 il donne procuration pour l’assise de Languiller (1). Sa fille Catherine se mariera avec un seigneur de la Verrie, René Langlois, qui avait acheté en 1666 Languiller sur la paroisse de Chauché. Une autre fille, Anne, se mariera avec René Gaborin, lui apportant plus tard le fief de Linières. Son fils Claude lui succédera dans la propriété de Linières. C’est Anne Legras qui transformera le nom de Drollinière en Linière vers 1635, peu après son acquisition.

Nos recherches sur cette famille étaient restées vaines jusqu’ici. Des chevaliers avaient porté ce nom dans le Bas-Poitou au XVe siècle, mais sans que nous puissions établir un lien entre eux et le châtelain de Linières. Pourtant les titres de noblesse d'Anne Legras sont cités dans le registre paroissial de Saint-André-Goule-d’Oie. On a leur première trace sur le registre le 26 novembre 1635 (vue 91), comme « chevalier de l’ordre, seigneur du Plessis Clain et de la Droslinière ». Puis dans un acte de baptême du 5-6-1637 (vue 96), l’épouse du seigneur de Linières est qualifiée par le curé de « hauste et puissante dame Janne Oliverau femme du haust et puissant messire Anne Legras chevalier de l’ordre du roy seigneur de la Linière et du Plessis Clain - - - et autres places ». C’est la première fois que nous voyons écrit le mot « Linière ». La notion de « chevalier de l’ordre du roi » indique une décoration dans le langage moderne. Celle de « seigneur » relève du domaine des civilités, et n’est pas porteuse, en soi, d’un titre nobiliaire. En revanche la qualification de « haust et puissant messire » était réservée par usage à un noble. Puis surtout, dans un autre acte du 20-10-1650 (vue 137), le curé indique : « Claude Legras baron de Linière et Jeanne Olivereau Dame du Plessis Clain ». Il s’agit du baptême de Claude Parpaillon, probablement un employé des châtelains. Dans un autre document, Anne Legras est noté aussi comme seigneur du Plessis-Quelin (Vienne), sans doute le « Plessis Clain » du registre de Saint-André.

L’explication au silence de la documentation est simple : c’était un faux noble !

Charles Colbert de Croissy
C’est ce que nous révèlent, dans leur rapport au roi Louis XIV sur l’état du Poitou, le marquis Charles Colbert de Croissy (frère du célèbre ministre), et Jacques Honoré Barentin. Intendants du Poitou et commissaires chargés de faire un état des lieux dans cette province fort perturbée par les guerres de religion, les deux hommes ont fait un travail sérieux sur l’état du clergé, des finances publiques et de la justice dans les années 1663 à 1669.

Ils firent imprimer en 1667, chez Antoine Mesmer, « imprimeur et libraire ordinaire du roi et de l’université à Poitiers, un Catalogue alphabétique des nobles de la généralité de Poitiers, maintenus et condamnés roturiers par Colbert, Barentin et Rouillé du Coudray, commissaires du roi, intendants en Poitou, avec les notes de Maupeou d’Ablieges leur successeur. » Ce document est maintenant accessible au public par internet. À la lettre L, pour l’élection de Mauléon (circonscription administrative de Châtillon/Sèvre), on lit :
Chauché : LE GRAS (Claude), seigneur de la Linière, condamné roturier.
Plus loin, dans un répertoire des faux nobles condamnés comme roturier, avec le montant de l’amende qui leur est infligée, on lit :
LE GRAS (Claude), sr de Linière ……….5 000 livres. La somme est très importante et parmi les plus élevées. Cela représentait le prix annuel de ferme d’une quinzaine de grandes métairies à cette époque. Elle est peut-être à l’origine des revers de fortune de la famille dans la deuxième moitié du 17e siècle. On verra en effet, la seigneurie de Linières saisie par les créanciers en 1686 (2). Déjà Anne Olivereau, l’épouse d’Anne Legras, l’acheteur de la seigneurie un peu avant 1626, avait signé en 1663 une reconnaissance de dette en faveur du prieur-curé de Saint-André, Pierre Moreau (3). Son fils Claude Legras en avait fait autant auprès du même en 1648 pour un montant de 224 livres (4).

En 1665 Anne Olivereau est l’épouse d’Anne Legras, seigneur de Linières. Ce dernier vivait encore en 1658 (aveu des Essarts à Thouars). En 1661 son fils, Claude Legras, est parrain, qualifié de seigneur de Linières et Plessis Clain. En 1668, c’est Claude Legras, qui a été condamné roturier. Anne Olivereau est présente au baptême de sa petite fille en 1662, Jeanne Langlois. En 1665 elle est probablement veuve. Son fils Claude se maria en 1677 avec Françoise Charbonneau.

Pour redresser les finances du royaume, un des moyens utilisés a été de lutter contre la fraude fiscale, notamment sur la taille, l’impôt principal. Les commissaires du roi cités plus haut indiquent que « ceux qui se commettent dans l'assiette de la taille et la confection des rôles sont en bien trop grand nombre. Le principal provient de la quantité de faux nobles, qui se maintiennent par la violence, et exemptent même leurs fermiers et parents, en sorte que la taille est payée par les plus misérables. » C’est que les nobles payaient l’impôt du sang (au temps des chevaliers), sinon une contrepartie financière, et étaient exonérés des impôts ordinaires.

Alors les commissaires du roi ont enquêté auprès de chaque famille bénéficiant du statut de noble dans le Poitou. Ils écrivent dans leur rapport : « Après avoir exécuté ce qui était des intentions du roy en la généralité de Tours, nous avons passé, suivant les ordres de S. M., [sa majesté] en celle de Poitiers, en laquelle nous avons premièrement vaqué au département de la taille, que nous avons fait encore avec plus d'exactitude, les éclaircissements que nous avons pris, l'année dernière, nous ayant servi à nous garantir de surprise. Et comme nous y avons encore trouvé le même abus, qui est que les plus riches et les plus puissants s'exemptent de la taille, sous prétexte de différents privilèges de noblesse ou d'offices imaginaires, pour y remédier et travailler en même temps à l'exécution de l'arrêt du Conseil qui nous ordonne de connaître des malversations commises par le traitant des taxes faites ou à faire sur les usurpateurs de noblesse, nous avons fait donner assignation, par-devant nous, à tous ces prétendus exempts. Et la plus grande partie ayant comparu et représenté leurs titres, soit de noblesse ou d'autre prétendue cause d'exemption, assisté de personnes fort intelligentes, et qui connaissent parfaitement les familles de noblesse de la province, et de cette sorte, sans qu'il en ait rien coûté aux parties pour leurs expéditions, ni qu'ils aient été obligés de faire plus d'un jour ou deux de séjour auprès de nous, nous pourrons informer S. M., aussitôt que notre procès-verbal sera fini, quels sont les véritables gentilshommes de la province et combien il y en a, combien de douteux et combien de véritables usurpateurs. Et on prétend justifier que de douze cents qui se disent nobles, il n'y en a pas plus de deux cents. » Cette proportion est quand même surprenante.

Pour la petite histoire, Jonas Royrand, vivant sur le petit fief du Coudray dans la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie, a été maintenu noble par sentence du 24 septembre 1667, comme ses homonymes de la Roussière de Saint-Fulgent. De même, Alexandre de Laheu, seigneur du Coin (Saint-André) et de la Burnière (Chavagnes) a été maintenu noble par sentence de M. Rouillé du Coudray, du 24-3-1670. Leurs fiefs étant pourtant bien plus petits que celui de Linières. Et il en a été de même pour le terrible seigneur de Saint-Fulgent, le baron René Bertrand, maintenu noble par sentence du 24 septembre 1667.

Cette enquête sur les titres de noblesse sortait de l’ordinaire et leurs auteurs ont pris soin de se référer à un arrêt du Conseil du roi, (instance permanente de consultation auprès du roi, divisée en plusieurs formations) leur ordonnant de connaître des malversations, pour court-circuiter les procédures judiciaires habituelles. C’est normalement, en effet, la Cour des Aides, tribunal en matière fiscale, qui était compétente pour examiner les titres de noblesse. Les rapporteurs se justifient en écrivant au roi : « Ainsi ce travail étant continué, on en tirera deux fruits fort considérables : le premier, que tous les usurpateurs seraient imposés à la taille, au soulagement des misérables et au grand avantage du recouvrement ; en second lieu, que S. M. pourrait tirer, en fort peu de temps, une très grande somme pour les amendes à quoi les usurpateurs sont sujets pour avoir injustement joui des privilèges et exemptions ; tandis que si la cour des Aides continue à instruire et juger ces affaires, les gentilshommes qui n'auront pas le moyen d'y venir plaider déchoiront de la noblesse qui leur est naturelle, et les véritables usurpateurs, soit par la connivence des traitants, avec lesquels ils s'accommodent, ou par d'autres voies, seront maintenus dans leurs usurpations par des arrêts contradictoires, et le remède que S. M. aura voulu apporter à cet abus n'aura servi qu'à l'augmenter. »

Il faut dire que dans le même rapport, les auteurs critiquent vivement le fonctionnement de la justice, manquant de personnel compétent, voire honnête dans beaucoup de cas. Ils mettent aussi en cause tant le fonctionnement du présidial de Poitiers que l’empilement des subdivisions judiciaires dans la généralité du Poitou et l’institution des « justices de villages », inféodées aux seigneurs locaux. Ils sont donc les premiers, dans cette affaire d’usurpation de noblesse, à recommander au roi de se méfier de la justice pour résoudre le problème. Mais la résistance de cette corporation de magistrats aux réformes sera telle, qu’il faudra attendre la Révolution pour penser un nouvel ordre plus rationnel en ce domaine et commencer à le mettre en œuvre.

Nous avons là un exemple concret de la reprise en main des administrations par le pouvoir central, qu’a opérée Louis XIV, ce que certains livres d’histoire appellent le renforcement du pouvoir absolu du roi. Après les guerres de religion, quelques dizaines d’années plus tôt, et la Fronde (1648 – 1653, qui a été une révolte de la noblesse contre le roi pendant sa minorité), Louis XIV avait entrepris cette reprise en main des affaires. La vérification des titres de noblesse, entreprise systématiquement, s’explique aussi dans ce contexte.

Ainsi, au fil des siècles, ont donc défilé à Linières différents types de nobles, y compris pour l’heure, un faux. Pour ne pas jeter le discrédit sur la « corporation », indiquons tout de suite qu’il fut probablement le seul.

Sa belle-famille était-elle au courant ? La famille des Oliverau s’est éteinte à la fin du XVIIe siècle et on n’a rien trouvé concernant sa confirmation de noblesse ou sa condamnation comme roturière. Jeanne Olivereau, sa femme, était la fille de Claude Olivereau, seigneur du Boistissandeau, à côté d’Ardelay, une famille de bons catholiques. Ce dernier avait succédé à son père, René Olivereau, en 1607, et terminé la construction du château actuel, commencée par son père. Celui-ci était mort dans une rixe familiale le 22 octobre 1622. C’est Guillaume Olivereau, né vers 1381, qui était venu s’installer au Boistissandeau, par son mariage avec la Dame du lieu, Marguerite du Grazay.

Château du Boistissandeau
Claude, le frère de Jeanne Olivereau, mourut en 1641 des suites d’un duel avec le seigneur d’Ardelay pour une question de droit d’enterrement dans l’église d’Ardelay. Sa veuve, Marie de Hillerain reçut de sa belle-sœur Jeanne Olivereau, avec l’assistance de son mari, Anne Legras, baron du Plessis Clain (est-il écrit dans l’acte du 8 décembre 1641 du notaire des Herbiers, Renard !) ses droits sur la terre du Boistissandeau et l’autorisation de faire passer la possession du château à sa propre famille (5). Ce qu’elle fit, et en 1674 Jean Baptiste de Hillerin devenait seigneur du Boistissandeau. C’était le fils du deuxième mariage de son demi-frère, Pierre de Hillerin, en 1613 avec Catherine Licquel.

Cette condamnation de Claude Legras n’a pas empêché qu’on lise dans le registre paroissial en 1670, à nouveau : « chevalier seigneur de Linière ». Pour le prieur écrivant son registre, cela n’avait sans doute pas d’importance et peut-être n’était-il pas informé de la situation réelle du seigneur de Linières. Le notaire de Saint-Fulgent à la même époque était plus libre de ses écrits. Décrivant les confrontations du tènement voisin de le Bergeonnière, il évoque les « murailles de Linière, jadis Drollinière … » (6).

Claude Legras fit l’aveu de son fief en 1672. L’aveu était une obligation attachée à la terre, qui s’imposait au propriétaire quel qu’il soit (y compris à un ecclésiastique par exemple).

Cela ne l’a pas empêché de se marier avec une vraie noble, Françoise Charbonneau, le 6 septembre 1677. Celle-ci était la fille du défunt Gabriel Charbonneau, chevalier de St Symphorien sur la paroisse de la Bruffière, dont elle était originaire. Son père possédait aussi la châtellenie de Chambretaud. La famille Charbonneau remonte à 1250 et s’est éteinte au XVIIIe siècle. « Cette maison est une bonne noblesse du Bas-Poitou » indiquent les auteurs du rapport sur l’état du Poitou à Louis XIV.

Quand Françoise Charbonneau, la châtelaine de Linières devenue veuve, se remaria dans l’église de Saint-André-Goule-d’Oie le 26 février 1685 (vue 82), son nouvel époux, René Bechillon, seigneur de la Girardière, avait été maintenu noble par sentence du 20 septembre 1667.

Pour terminer, on ne peut pas s’empêcher de revenir sur le motif de la transformation du nom de Drollinière en Linière par le nouveau propriétaire, Anne Claude Legras, vers 1635. Il était plus facile de se prétendre baron de Linières (registre paroissial de Saint-André-Goule-d’Oie) que baron de la Drollinière, titre qui n’avait jamais été porté auparavant, comme pouvaient le montrer les documents concernant ce fief. À cette époque, le suzerain des Essarts n’habitait pas sur place, la baronnie faisant partie des domaines d’une princesse royale de Savoie, après l’avoir été de la maison de Lorraine. Seuls des fonctionnaires locaux de la baronnie, avec qui on pouvait sans doute s’arranger, pouvaient soulever des difficultés. En donnant un nouveau nom au fief de la Drollinière, Anne Legras pouvait mieux brouiller les pistes. C’était sans compter sur le sens du devoir des fonctionnaires d’inspection et l’arrivée au pouvoir de Louis XIV.

Jusqu’ici nous n’avions aucune explication sur le motif du changement de nom de la Drollinière par Anne Legras. Maintenant nous en avons un, très probable.


(1) Procuration du 15-7-1626 d’Anne Legras pour l’assise de Languiller, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 17.
(2) Foi et hommage du 16-3-1686 de Linières à Languiller pour les moulins et la moitié de l’étang : 150 J/C 17.
(3) Inventaire après-décès en 1666 du mobilier, vaisselle, linge et papiers de Pierre Moreau, Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, page 54 et 72.
(4) ibid. page 90.
(5) Rome, Archives des frères de Saint-Gabriel, chapelle du Boistissandeau. Commentaires de T. Heckmann.
(6) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, déclarations roturières diverses de Pierre Moreau vers 1675.

Emmanuel François, tous droits réservés
Juin 2011, complété en août 2022

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mardi 3 mai 2011

Les débuts de l’école de Saint-André-Goule-d’Oie vers 1820


Avant la Révolution il n’y avait probablement pas d’école dans la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie. Cette situation était fréquente mais pas systématique dans le Bas-Poitou, certaines paroisses finançant une école dirigée par un instituteur, comme aux Essarts, à Chauché (Pierre Renolleau en 1742 et Nicolas Renolleau en 1788), à Bazoges-en-Paillers, à Chavagnes-en-Paillers, aux Brouzils en 1686 (1), ou à Saint-Fulgent par exemple (2), mais aussi à Saint-Denis-la-Chevasse en 1789, et à La Copechagnière en 1790 (3). On voit en février 1597 le seigneur de Logerie à Bazoges-en-Paillers envoyer deux de ses neveux, dont il était curateur, chez un précepteur aux Essarts. Il ne gageait pas un précepteur chez lui, mais il s’en trouvait un aux Essarts qui enseignait aux enfants, et qu’il payait par trimestre pour ses services. Ces derniers étaient en pension, probablement chez lui (4).


Les écoles sous l’Ancien régime


Adriaen Van Ostade : Maison du régent
Quand le sieur de Villeneuve, Louis Moreau demeurant au Coudray, fait son testament en 1676, il y recommande pour sa fille aînée, encore enfant « de la mettre avec quelque honnête dame en pension pour apprendre ». Il voulait qu’elle sache lire et écrire ; c’était une préoccupation de riche bourgeois pour l’époque. Quant à son fils aîné, il veut « qu’on le mette en une bonne ville chez un bon régent écrivain, afin qu’il puisse bien apprendre à lire et à écrire et l’arithmétique », en somme un pensionnat dirigé par un instituteur (5).

On rencontre les premiers régents dans la contrée au siècle d’après dans les paroisses et dans leurs registres paroissiaux. Ainsi le régent (nom souvent donné alors à l’instituteur) était choisi par l’assemblée des paroissiens à la sortie de la messe (voir les actes des notaires), parmi les personnes jugées localement capables (on a vu un représentant de l’Intendant de Poitiers réclamer, sans succès, un élargissement des candidatures dans la paroisse de Mouzeuil en 1754) (6). Sa charge, payée par le fabriqueur de la paroisse, consistait à « instruire la jeunesse à lire, à écrire, à prier Dieu, et même d’apprendre le plain chant quand ils en seront capables,… d’apprendre le catéchisme ». Il devait aussi suppléer aux absences du sacristain et parfois remplir la fonction de chantre aux cérémonies religieuses. C’est que pour une centaine de livres de rémunération par an (7), le régent devait naturellement à cette époque, compléter son emploi du temps par d’autres services. On le verra plus tard devenir souvent secrétaire de mairie, alors qu’il continuait à surveiller les bancs des écoliers dans l’église. Ces régents étaient des laïcs dans la quasi-totalité des cas. Si l’école avait été fondée par un seigneur, c’est lui qui choisissait le régent. « Ceux qui payent les gages d’un maître d’école ont droit de le commettre », suivant un arrêt du parlement (8). En 1701, un chanoine du chapitre de Luçon, Jacques Gaitte, aussi prévôt des Essarts, fit une donation par testament de 100 livres annuelles « pour être employées à former des maîtres d’école » (9). On aimerait savoir comment, où, et par qui était assurée cette formation, probablement dans l’orbite de l’évêché. On trouve aussi quelques écoles « pour les pauvres » financées par l’évêché dans certaines paroisses. La scolarité durait généralement trois ans et le calendrier scolaire libérait les enfants à la belle saison pour aider les parents dans leurs travaux. On y enseignait le français, le latin et les maths (9).

Ce faisant, nous venons d’évoquer les écoles de garçons. Pour les filles, les écoles ne semblent pas avoir été nombreuses. On note qu’à la fin du XVIIIe, l’évêque de Luçon fonde dans sa ville un pensionnat à leur intention, frappé qu’il était par le peu d’instruction des femmes de la noblesse et de la haute bourgeoisie. À Montaigu il existait deux écoles pour jeunes filles depuis le XVIIIe siècle (10). Des précepteurs n’étaient pas toujours donnés aux jeunes filles de ces milieux, car il existait, il faut le rappeler, de grandes différences de fortunes dans la noblesse.

À Saint-Fulgent il y avait une école des garçons dès 1701 (11), et une école des filles grâce à la générosité de Françoise Renée de Chevigné, originaire de Chavagnes-en-Paillers. Par un acte de donation du 27 septembre 1771, que dresse Frappier, notaire de la sénéchaussée de Poitiers à Saint-Fulgent, elle fonde une école de filles au bourg de Saint-Fulgent. Elle donne deux maisons avec leurs dépendances pour l’établissement de cette école et le logement des maîtresses (nommées par le curé) et aussi pour plus tard les biens meubles qui pourront lui appartenir à titre d’acquêts. La maîtresse régente choisira une fille pour l’aider à secourir les pauvres et les malades de la paroisse, et l’entretien des autels de l’église (12). Lors de la Révolution et de la confiscation de leurs biens, on les désigna de « communauté des propagandes de Saint-Fulgent » (13). Peut-être cela voulait-il dire que les sœurs appartenaient à la congrégation de l’Union Chrétienne, à vocation vers les pauvres dans les écoles et les hôpitaux. Elle avait une origine en partie de lutte contre le protestantisme (d’où le mot de propagande, dérivée de la notion de propagation de la foi).

Faute d’école, souvent les curés remplissaient à cette époque la fonction d’instituteur pour les quelques enfants de propriétaires de la paroisse, à la demande de ces derniers. C’est ce que l’historien Amblard de Guerry rapporte pour Chavagnes-en-Paillers.

Écolâtre
 et ses élèves au 9
e siècle

Cette pratique continuait une très ancienne coutume des premiers prieurés dans les campagnes. Là où se trouvaient deux à trois religieux, l’un d’entre eux était chargé d’initier les enfants aux « lettres humaines et divines ». On l’appelait écolâtre (14).  C’est ainsi qu’à la commanderie de Launay à Sainte-Cécile on dispensait un enseignement (14). On peut ainsi avancer l’hypothèse qu’il devait en être de même au prieuré de Saint-André-Goule-d’Oie à certaines périodes. Dans les deux années 1789 et 1790, les actes de baptême du registre paroissial de Saint-André sont signés par le parrain dans environ un tiers des cas. C’est une proportion plus faible que la moyenne en Bas-Poitou (15). Quant aux marraines, on ne trouve de signatures que chez les nobles et les bourgeoises, très rares à Saint-André.

En comptant cette activité d’enseignement des ecclésiastiques, on a pu dénombrer plus de 200 écoles dans le Bas-Poitou. Le préfet Lefaucheux, dans un rapport au gouvernement en 1800, écrit : « il existait il y a 10 ans des petites écoles dans tous nos villages » (16).

Il y avait aussi six écoles d’enseignement secondaire pour les garçons avant la Révolution, à Mortagne, Fontenay, Luçon, Montaigu, la Roche-sur-Yon et les Sables. Il existait aussi trois à six établissements pour les filles suivant les époques, à Fontenay, Luçon et les Sables. Souvent les abbayes finançaient ces établissements qui préparaient l’entrée à l’université.

On le sait, le roi était, en pratique en France, le chef de l’église catholique en choisissant les évêques (confirmés ensuite par le pape), sauf qu’il ne se mêlait pas de doctrine, voire qu’il devait obéissance au pape en tant que chrétien. Dans cette logique, l’Église avait presque le monopole de l’instruction et des actions sociales (secours en cas de calamité, lutte contre la pauvreté et les maladies) dans la société de l’Ancien régime.

Les réformes de la Révolution


La Convention a institué, par une loi de décembre 1793, l’école primaire gratuite, laïque et obligatoire. La réalité financière a considérablement freiné l’intention. Une loi de novembre 1794 a supprimé le caractère obligatoire tout en tolérant les écoles libres. Une loi de 1795 a remplacé la gratuité par une contribution financière des parents. Dans un état des écoles primaires du département de la Vendée, daté du 25 octobre 1795, on voit que dans le canton de Saint-Fulgent (6 661 habitants), trois écoles sont recensées à Saint-Fulgent, Chavagnes et Chauché, mais sans l’indication du nom d’un instituteur. La réalité ne suit pas l’intention. Dans un autre état du 23 septembre 1797, la situation n’a pas changé dans le canton, alors qu’on dénombre 47 écoles fonctionnant avec un instituteur public dans tout le département à cette date. Saint-André est rattaché à Saint-Fulgent pour l’accès à l’école publique. Au regard de la situation du pays ravagé par la guerre civile, cet état ne reflète sans doute pas la réalité, et les instituteurs étaient probablement plus nombreux.

Le commissaire du Directoire exécutif près le canton de Saint-Fulgent, Louis Merlet, décrit la situation du canton à sa manière, dans un rapport à l’administration centrale de Fontenay, daté des premiers jours de brumaire an VI (fin octobre 1797) : « Rien à vous dire sur l’instruction publique, puisque malheureusement il n’en existe point dans ce canton. La prétendue instruction qui s’y donne est confiée à des femmes fanatiques ou à des hommes ignorants et étrangers aux principes républicains, s’ils n’en sont pas les ennemis déclarés. L’esprit public de ce canton n’est pas à beaucoup près celui de l’amour de la République. » (17) On appréciera le degré de sectarisme auquel on était arrivé chez les révolutionnaires comme lui !

Le premier instituteur connu de Saint-André-Goule-d’Oie sous Louis XVIII


Albert Anker : École de village
Avec l’empire napoléonien, les écoles primaires de garçon deviennent plus nombreuses (elles sont payantes et laissées aux soins des communes, ce qui favorisa les écoles privées dans certaines régions), le préfet nommant les instituteurs recrutés par l’Académie de Poitiers pour la Vendée. Nous n’avons pas repéré d’instituteurs à Saint-André-Goule-d’Oie pour cette époque. Il faudra pour cela attendre l’année 1821, où l’on trouve sur l’état-civil de la commune le mariage d’un instituteur habitant le bourg. Originaire de Sallertaine, près de Challans en Vendée, il s’appelait Guillaume Chauvreau et avait 25 ans. La mariée, originaire de Chauché, s’appelait Marie Chaillou et avait 17 ans. C’est donc quelque temps auparavant que l’instituteur était arrivé dans la commune. Chez les voisins de Saint-Fulgent, en revanche, on trouve un instituteur au début de l’Empire napoléonien dans l’état-civil. Et sa présence remonte à l’Ancien Régime. D’ailleurs il fut un temps nommé maire de la commune.

Dès cette époque l’enseignement constitue un enjeu entre les catholiques et les libéraux (nouveau nom donné aux anciens révolutionnaires). Ainsi l’ordonnance royale du 29 février 1816, a créé les comités cantonaux pour surveiller les écoles primaires. Ils sont présidés de droit par le curé du chef-lieu de canton.

Dans une lettre aux maires du 30 juillet 1816, le préfet fait les commentaires suivants sur le rôle de ce comité : « Il propose les sujets [personnes] dignes par leur conduite, leur éducation et leurs opinions politiques, de consacrer leurs talents à l'instruction de l’enfance. Il veille assidûment à ce qu'aucun individu non pourvu de diplôme académique, d'une autorisation du Préfet, et d’un brevet de capacité, se permette d'instruire dans le canton…. » Jean Baptiste Bontemps par exemple, l’instituteur de Saint-Fulgent, était franc-maçon, ce qui méritait bien en effet de surveiller l’expression de ses opinions, pour les autorités.« Si la conduite scandaleuse d'un instituteur exige une mesure urgente, le Comité le suspend de ses fonctions ; mais sa révocation prononcée par le recteur seul sur le rapport du Comité doit être soumise à l'approbation du préfet… » Tout est dit, à la manière de l’époque, c’est à dire avec une autorité qui s’affiche comme on milite, avec assurance.


À la différence de l’Ancien Régime, il existe désormais un État qui s’impose y compris dans le domaine de l’école, fruit de la Révolution et de l’Empire. Bien sûr on trouve aussi chez le préfet des préoccupations qui datent : « Enfin, le Comité veille à ce que les garçons et les filles ne soient point réunis pour l’enseignement, à moins que les locaux ne l’exigent impérieusement, et pour lors même l'école doit être divisée en deux séances, l’une le matin pour les garçons et l’autre le soir pour les filles. »

Un autre enjeu de taille avec l’extension de la pratique scolaire des enfants, c’est l’apprentissage du français, conduisant à une population bilingue. Celle-ci parlera ensuite pendant plus d’un siècle le patois et le français, en fonction des situations. Cette pratique généralisée du français contribuera fortement à développer, avec d’autres moyens, le sentiment d’appartenance à la France des populations les plus humbles et les moins éduquées.

Cette même ordonnance royale de 1816 oblige les communes à créer et faire fonctionner une école primaire pour tous, quitte à se regrouper entre communes pour cela et quitte à prendre en charge la scolarisation des enfants indigents. Ce n’était pas facile de convaincre les pauvres de se priver de la main d’œuvre enfantine et de faire payer l’école par les impôts locaux. Les enfants travaillaient aux champs, à garder les troupeaux et à aider à certains travaux. Ils se sont naturellement retrouvés en usine parfois, quand les parents s’y sont fait embaucher et rémunérer à la tâche.

L’évolution des écoles


Dans une circulaire du 2 août 1832, le Préfet de la Vendée fait une enquête auprès des maires du département pour recenser les écoles primaires. Plusieurs lois, en 1833 et 1850, viendront rappeler l’obligation d’une école primaire dans les communes, et les conseils généraux leur donneront des subventions d’investissements pour les aider. Les lois de 1882 et 1886 faciliteront cette obligation avec la prise en charge du coût par les impôts d’État (tant pour les riches que pour les pauvres), c’est ce qu’on a appelé alors la gratuité de l’enseignement, l’école devenant obligatoire jusqu’à l’âge de 12 ans.

À l’origine, cette école des garçons de Saint-André-Goule-d’Oie est donc publique, car organisée par l’administration (l’instituteur était choisi par l’académie et nommé par le préfet) dans des locaux de la commune. Elle n’était pas gratuite cependant, les parents devant payer des frais de scolarité, sauf les indigents. On sait que la première école des filles de Saint-André était privée (gérée par les sœurs de Mormaison), et financée par la fabrique de la paroisse. Cette école publique des garçons n’est pas laïque non plus, car sous le contrôle officiel de la commune. Celle-ci était libre d’ajouter le catéchisme à l’enseignement de base.

L’instituteur Guillaume Chauvreau habite dans le bourg de la commune en 1821, puis plus tard au village de la Machicolière. Avec sa femme ils eurent au moins neuf enfants, dont six moururent jeunes. Les ressources d’un instituteur ne devaient pas être importantes à l’époque, car on note que sa femme est déclarée comme journalière en 1837, malgré ses charges de famille. La présence de l’instituteur comme témoin ou déclarant dans certains actes de l’état-civil montre une fréquentation des royalistes légitimistes de la commune (de Tinguy, Cougnon du Coudray).

Un autre instituteur exerce aussi dans les années 1835 et habite dans le bourg : Jean Baudry. Il a 25 ans en 1835 et sa présence s’explique par l’agrandissement de l’école des garçons. On parlait alors de Maître (directeur de l’école) et de Sous-Maître (qui n’était pas directeur). Jean Baudry est aussi secrétaire de mairie, si l’on s’en tient à l’écriture du registre à cette époque.

Jean Vibert : Guizot
(château de Versailles)
La Charte « libérale » de 1830, promulguée avec la Révolution de juillet 1830, avait prévu dans son article 69 qu'une loi porterait sur « l'instruction publique et la liberté de l'enseignement ». La loi du 28 juin 1833, dite loi Guizot, supprime les comités cantonaux. La profession d'instituteur primaire est libre à condition d'obtenir un brevet de capacité, et de présenter un certificat de moralité. Chaque commune de plus de cinq cents habitants est tenue d'entretenir une école primaire, publique ou privée,[] et un instituteur. Le texte est attaqué par les catholiques, hostiles à l'existence de l'enseignement public, et par la gauche anticléricale, qui combat la liberté de l'enseignement confessionnel. Il n’aborde pas la question de l’instruction des filles, laissée de fait aux initiatives locales (suivant les communes, ces initiatives choisissaient un enseignement laïque ou confessionnel). Certains anticléricaux d’alors considèrent la question de l’instruction des filles moins urgentes, puisque les femmes ne votent pas. Quant aux catholiques, ils veulent une éducation religieuse pour tous, y compris les femmes.

On n’a pas repéré les locaux de l’école des garçons en 1821. Ils n’étaient pas satisfaisants car en 1841 le conseil municipal voulu vendre des terrains communaux pour construire une maison d’école tout en évitant pour cela une imposition extraordinaire (18). La commune finit d’ailleurs par aménager une salle enclavée à usage de classe dans les bâtiments du vieux presbytère, qui fut bénite par l’évêque de Luçon le 10 septembre 1852 (19). La fabrique de la paroisse avait de son côté financé à hauteur de 3 000 F la construction en 1848 d’une école pour les filles, grâce à des dons de particuliers et à l’énergie du curé Chauvin.  Elle fut bénite par l’évêque le 24 septembre 1848 (20). 

Sous le IIe Empire les instituteurs, comme tous les fonctionnaires, devaient servir le régime en place et ils étaient surveillés à cet effet, y compris dans leurs opinions. J. Baudry, de Saint-André-Goule-d’Oie, reçut une réprimande du préfet en 1850, accusé d’idées « anarchistes » (21). Ils ont été peu nombreux en Vendée à subir cette sanction. La qualification d’anarchiste englobait toutes les idées libérales qui ne plaisaient pas au régime de Napoléon III. Les instituteurs, nommés par les préfets avec l’assentiment des autorités religieuses, étaient alors surveillés par les curés (22).

Enfin une école des garçons de deux classes fut construite en 1874 avec une mairie servant aussi de logement à l’instituteur (23). Une troisième classe y fut ajoutée en 1886, à cause des 139 enfants d’âge scolaire de 5 à 13 ans, et alors que l’école recevait 109 élèves cette année-là (24).


Cette volonté de contrôler la formation intellectuelle et morale des jeunes Français a été un long combat entre républicains et catholiques tout au long du XIXe et jusqu’à la fin du XXe siècle, occupant une place importante dans la vie politique française. Il explique en particulier la place originale en France de la religion dans la société et les types de relations entre les familles et l’école.


(1) Compte rendu des réunions du C. G. Vendée (1899, 2e session), vue 306 : Charles Duval est régent aux Brouzils en 1686. Enterrement du régent à Chavagnes le 8-2-1758, vue 36 (Henri Berthomé).
(2) A. Baraud, Revue du Bas-Poitou 1908-4, page 365.
(3) Archives de Vendée, notaire de La Copechagnière, Meusnier, en ligne vues 179/332, 195/322 et 277/332.
(4) Livre de raison de Julien de Vaugiraud (06-1584-08-1597), Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille de Vaugiraud : 22 J 9, pages 173 et 186.
(5) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, copie du testament de Louis Moreau, sieur de Villeneuve, du 7 mai 1676.
(6) A. Pillier, Note sur les écoles primaires du Bas-Poitou, Annuaire de la société d'émulation de la Vendée, 1879, page 138.
(7) Archive de Vendée, notaires de Saint-Georges-de-Montaigu, étude Bouron : 31 octobre 1756, procuration donnée par les habitants de Saint-Georges-de-Montaigu à Louis Guilet et Françoise Barnier, maître et maîtresse d'école et à leurs successeurs, pour recevoir de François-David Belliard, receveur général du clergé de France et de ses successeurs, la rente de 240 livres constituée sur ledit clergé pour l'entretien d'un régent et d'une régente en ladite paroisse, vue 106.
(8) A. Baraud, L’instruction primaire en Bas-Poitou avant la Révolution, dans la Revue du Bas-Poitou, 1909, page 68.
(9) Idem (2).
(10) Dr G. Mignen, Annuaire de la société d'émulation de la Vendée, 1906, page 212.
(11) M. Maupilier évoque des cours scolaires au caractère instable, dans son histoire de Saint-Fulgent, page 114.
(12) Archives Historiques de Saintonge et d’Aunis, 1896, tome 25, p.130, citées par www.famillesvendeennes.fr (famille Chevigné de).
(13) Estimation des biens du couvent de Saint-Fulgent à la Javelière le 29 germinal an 7, Archives de Vendée : 1 Q 218.
(14) Idem (2).
(15) Billaud et d’Herbauges, 1793 la guerre au bocage vendéen, Ed. du Choletais (1992), page .
(16) Idem (2).
(17) E. Bourloton, Le clergé de la Vendée pendant la Révolution, Revue du Bas-Poitou (1903-3), page 215 et s. (Saint-André-Goule-d’Oie).
(19) Procès-verbal de la bénédiction de l’école des garçons le 9-10-1852, Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 29, chemise VIII.
(20) Ibidem : Inauguration de l’école des filles le 25-9-1848. 
(21) L. Morauzeau, Aspect vendéen de la IIe République, Annuaire de la société d'émulation de la Vendée, 1960, page 86.
(22) J. Rougerie, Le second Empire dans « Histoire de la France des origines à nos jours », dirigée par G. Duby, Larousse, 1995, page 703.
(23) Construction d’une école des garçons et d’une mairie en 1874, édifices et services publics, les écoles (1852-1907), Mairie de Saint-André-Goule-d’Oie, Archives de Vendée : 1 Ǿ 632.
(24) Ibidem : Agrandissement de l’école des garçons en 1886

Emmanuel François, tous droits réservés
Mai 2011, complété en février 2024

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Charles Auguste de Lespinay : contrat de mariage

Nous connaissons un peu mieux le seigneur de Linières, dont nous avons découvert les péripéties de son retour d’émigration, grâce à son procès en cour de cassation en 1804 contre le divorce de sa femme (article en janvier 2010). Sa vie d’officier émigré a dû être intéressante. S’il existe des documents qui en parlent, nous ne les connaissons pas malheureusement. Or il semble être resté longtemps dans les rangs des émigrés, on ne retrouve sa trace qu’en 1800, date officielle de son retour en France, avec peut-être un retour momentané à l’été 1797. Un "Lespinasse de La Roulière", émigré, a fait toute la campagne de 1792 dans l'armée des princes : est-ce Augustin-Charles ? (1). Dans nos récentes recherches d’autres informations concernant ce personnage sont venues s’ajouter, que nous publions ci-après.

Château du Pally (reconstruit au 19e siècle)
Nos investigations dans le registre paroissial de Chantonnay nous ont appris qu’il perdit sa mère, alors qu’il n’avait que dix ans. En effet, Marie Louise Félicité Cicoteau, mariée à 24 ans avec Alexis Samuel de Lespinay dans l’église de Saint-André-Goule-d’Oie est morte à l’âge de 37 ans. Elle est décédée au château du Pally (Chantonnay) le 8 mai 1763, et a été inhumée dans l’église de la paroisse Saint-Pierre de Chantonnay. Sa fille aînée était morte un an avant à Montaigu (25 avril 1762) et son dernier fils y était né 10 mois avant (29 juillet 1762).

Le Pally était la résidence principale du couple, avec de fréquents séjours à Montaigu où ils possédaient un « hôtel » en ville, comme il est écrit sur le registre paroissial. Ils y passaient la saison d’hiver. Entre les deux il y avait Linières où ils ne devaient qu’y passer.

Ils possédaient aussi aux abords de Montaigu la Petite Barillère et la Tonnelle (2). Montaigu avait aussi l’avantage de posséder une des rares écoles pour jeunes filles du Bas-Poitou, dirigée par les religieuses « Fontevristes » (3).

C’est à Montaigu que naîtront certains de leurs enfants et où seront inhumés l’aînée et le dernier d’entre eux. Ils y marieront aussi leur fille Henriette.

Cette disparition de Mme de Lespinay assez jeune explique sans doute que sa propre mère la remplace à Saint-André-Goule-d’Oie pour remplir ses devoirs à l’égard du personnel du domaine de Linières et des domestiques. Il s’agit de Marie Agnès Badereau, veuve Cicoteau, qui avait épousé en secondes noces le capitaine de vaisseaux Séraphin du Chaffault. Elle sera à nouveau veuve en 1777, sans enfant de son second mariage. Ainsi, elle est présente, avec son gendre Alexis Samuel de Lespinay, au mariage de Marie Madeleine Fluzeau avec Pierre Bordron le 23 mai 1769 (vue 271). Le marié était le frère de l’épouse du fermier de Linières, Jean Herbreteau. On la retrouve aussi avec son gendre le 1 juin 1778 (vue 91) au mariage de René Cheminant et Marie Soudeau à Saint-André. Le marié était jardinier au château du Pally à Chantonnay, et ses parents étaient originaires de Saint-Donatien de Nantes (domicile de sa fille avant son mariage). La mariée était originaire de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Montaigu.

Après la mort de sa mère, Henriette de Lerspinay, sœur de Charles Augustin, semble avoir vécu auprès de sa grand-mère maternelle à Montaigu, jusqu’à son mariage à l’âge de 18 ans.
Probablement en a-t-il été de même pour les trois garçons : Armand (âgés de 9 ans au moment du décès de sa mère), Charles Augustin (âgé de 10 ans) et Louis Alexis (âgé de 12 ans) et pour le bébé, Henri (mort à l’âge de 4 ans).

Marie Agnès Badereau a été marraine de son arrière-petite fille Henriette en 1783 à Montaigu, où elle est décédée le 3 juillet 1785 à l’âge de 77 ans (vue 49), dans la paroisse de Saint-Jean-Baptiste.

Le site Gallica.fr vient de nous donner l’accès internet à un vieux livre édité chez Grimaud à Nantes en 1891, intitulé : Généalogie de la Maison de Lespinay. Les erreurs n’y manquent pas, mais à la page 196 son auteur, L. Maitre, nous livre le texte du contrat de mariage de Charles Augustin avec Mlle Félicité du Vigier. Il avait été signé dans l’abbaye Sainte-Croix, la veille du mariage religieux, avec le concours des membres de la famille. Mlle du Vigier était pensionnaire dans cette abbaye avant son mariage. Elle avait été baptisée le 9 juin 1772 dans l’église paroissiale de Saint-Paul à Poitiers (vue 42), et sa mère y fut inhumée 7 jours après, âgée de 18 ans (vue 42). Son père est mort l’année d’après (4). C’est un grand-oncle maternel qui s’occupa ensuite de gérer comme tuteur les biens dont elle avait hérité de son père, Charles Hilaire Luc Coulard, chevalier seigneur de Puyrenard et Galmoisin, demeurant en son château de Galmoisin paroisse de Saint-Maurice-la-Clouère, proche et au nord de Gençay (sud de Poitiers sur la route de Confolens) (5). La tante de la future épouse, Jeanne Louise du Vigier s’était mariée la veille de son mariage, 19 mai, à Jardres (Vienne), où ses parents résidaient dans leur logis de Fontenelles. Voici le texte d’origine de ce contrat de mariage de Charles Augustin de Lespinay avec Marie Marguerite Félicité du Vigier, en date du 20 mai 1788 :

« Par devant les notaires royaux, gardes-scel (6) à Poitiers, soussignés, furent présents :
Haut et puissant seigneur Charles-Augustin vicomte de Lespinay, chevalier, seigneur de Lynière, capitaine de cavalerie au régiment de Berry, fils majeur de haut et puissant seigneur Alexis-Samuel de Lespinay, chevalier baron de Chantonnay, Puybelliard, Sigournay et Givais, seigneur du Pally, la Bruère et autres lieux, et de feue haute et puissante dame Marie-Louise-Félicité Cicotteau, demeurant ordinairement au château de Lynière, paroisse de Chauché, étant actuellement en cette ville logé paroisse Sainte-Opportune (7), autorisée par l'effet des présentes par le dit seigneur baron de Lespinay, son père, présent établi logé au dit Poitiers, même paroisse Sainte-Opportune, d'une part ;

Haute et puissante demoiselle Marie-Marguerite-Louise-Félicité Duvigier (8), demoiselle mineure, fille de défunts haut et puissant seigneur Jean-Guy Duvigier (9), chevalier seigneur de Cognac, la Renardinière, le Teinturier et autres lieux et de dame Marie-Marguerite Cherprenet (10), émancipée d'âge, procédant sous l'autorité de Me Marie-Pierre Constant, prêtre écuyer, vicaire général du diocèse, chantre et chanoine de l'église cathédrale de cette ville, son curateur aux causes, et sous celle de maître Jacques-Nicolas Mallet, avocat en la sénéchaussée et siège présidial du dit Poitiers, tuteur de la dite demoiselle Duvigier, à l'effet de l'autoriser à son mariage, mon dit sieur abbé Constant et le dit Me Mallet présents établis qui autorisent la dite demoiselle Duvigier demeurant en cette ville paroisse de Saint-Hilaire-de-la-Celle, et la dite demoiselle Duvigier, en l'abbaye royale de Sainte-Croix paroisse de Sainte-Austrégézile du dit Poitiers (11), d'autre part ;

Entre lesquelles parties ont été faits les traités, clauses et conventions de mariage qui suivent :

Ceux du dit seigneur futur époux consistent tant en ce qui lui est échu de la succession de ladite feue dame Cicotteau, sa mère, qu'autrement, et ceux de ladite demoiselle Duvigier consistent en ce qui lui est échu des successions des seigneur et dame ses père et mère, et en les acquêts faits à son profit depuis leurs décès du revenu de ses immeubles.

Tout ce que dessus a été ainsi voulu, consenti, stipulé et accepté par les parties, à ce faire et accomplir ont obligé et hypothéqué tous et chacun leurs biens présents et futurs dont jugé et fait et passé au dit Poitiers au grand parloir extérieur de l'abbaye de Sainte-Croix, le vingt mai mil sept cent quatre-vingt-huit après-midi en présence de :

Haut et puissant seigneur Pierre-Marie Irland de Bazoges, chevalier, lieutenant-général en la Sénéchaussée et Juge présidial du dit Poitiers (12) ;
haute et puissante dame Henriette-Suzanne de Lespinay, son épouse, beau-frère et sœur du seigneur futur époux ;
Haute et puissante dame Marguerite-Magdeleine de Beaufort, veuve et seconde épouse de haut et puissant seigneur Jean Duvigier de Mirabal, aïeul de la dite demoiselle future épouse (13) ;
Haut et puissant seigneur Jean-Baptiste Duvigier, comte de Mirabal, capitaine à la suite des dragons (14);
Haut et puissant seigneur Jean-Louis-Hilaire Duvigier, chevalier garde du corps du Roi (15) ;
Haut et puissant seigneur Bertrand Guyot Duvigier de Mirabal, chevalier (16) ;
Haute et puissante dame Françoise Duvigier, épouse de haut et puissant seigneur Charles de Beaupoil de Saint-Aulaire (17) ;
Haut et puissant seigneur Joseph comte de Joubert, chevalier seigneur de Cissé, Haute et puissante dame Louise Duvigier, épouse de haut et puissant seigneur Joseph comte de Joubert (18) ;

tous oncles et tantes consanguins de la demoiselle future épouse ;

et très illustre et très révérende dame Madame Louise-Claude de Bourbon Busset, abbesse de la dite Abbaye de Sainte-Croix ;

Qui ont lu et ont signé.

En marge est écrit :
Enregistré à Poitiers le vingt-un mai mil sept cent quatre-vingt-huit, reçu soixante-quinze livres, insinué (19) au tarif soixante livres.
Signé : Charbonnel du Toral. Délivré la présente expédition comme dépositaire des minutes de M. Bourbeau, mon aïeul,
Signé : Bourbeau. »

Le contrat n’est pas d’une grande clarté, vu d’aujourd’hui, sur le régime matrimonial des époux, se contentant d’indiquer l’origine des biens propres de chacun seulement. Il adopte le régime de droit commun de la communauté des biens des époux, hors les biens propres comme ils sont définis. C’est pourquoi, après le séquestre mis par les autorités du district de Montaigu en juin 1792 suite à l’émigration de son mari, sur le domaine de Linières, Madame du Vigier s’empressa de faire une renonciation à la communauté des biens pour tenter de s’opposer à la confiscation des siens (20). Pour ceux qui lui appartenaient en propres dans la Vienne, les autorités les mirent rapidement en vente dès la fin de 1792, à cause de l’émigration du mari, sans aucune vérification du contrat de mariage. Elle ne les récupéra jamais.

Enfin il faut relever ici que mademoiselle du Vigier était non seulement orpheline de ses parents au jour de son mariage, mais aussi de ses aïeuls paternels et maternels, décédés avant ses parents (selon la sentence de sa curatelle), et que ses parents n’ont pas eu d’autre enfant (21). 


(1) Lettre de Charles de Lespinay (7-1-2009)
(2) Annuaire de la Soc. d’Émulation de la Vendée, article de M. Loquet (1908), page 31
(3) Annuaire de la Soc. d’Émulation de la Vendée, article du Dr G. Mignen (1906), page 212
(4) Ferme du 12-12-1781 de la métairie de la Clielle, Archives de la Vienne, Dossier Mme Duvigier Lepinay : 1 Q 228 no 234.
(5) Ferme du 19-3-1774 de la métairie de la Moinerie et de la seigneurie du Teinturier, Archives de la Vienne, Dossier Mme Duvigier Lepinay : 1 Q 228 no 234. 
(6) Chargé de sceller les expéditions dans les tribunaux.
(7) Chez son beau-frère Irland de Bazoges (époux d’Henriette de Lespinay).
(8) Ses vrais prénoms dans l’ordre sont Marie Marguerite Félicité, selon l’acte de notoriété du 28 thermidor an 12 (16-8-1804) sur les noms et prénoms Couzin, du Vigier, Cherprenet et Lespinay par devant Vingtain notaire à Paris : Archives privées Fitzhebert (dossier no 2).  
(9) Jean Guy du Vigier, aussi seigneur de Régnier (commune de Dienné,Vienne), suivant le registre paroissial, était né le 15-7-1728. Il mort le 20-9-1773 (Archives Fitzhebert dossier no 2).
(10) Idem (8) : son nom est Cherprenet et non Charprenet, « qui est sa véritable manière d’écrire », en référence à son acte de décès et contrat de mariage et 4 actes concernant des membres de la famille de 1612 à 1739. 
(11) Cette petite église s’élevait dans l’enclave de l’ancienne abbaye de Sainte-Croix. Cette dernière avait son entrée à l’angle sud-est de la place de l’Évêché à Poitiers. Son nom de Saint-Austrégésile, était aussi vulgairement : Saint-Oustrille. Malgré son exiguïté, elle portait le titre d’église paroissiale, comptant 80 communiants avant la Révolution, dont le curé était à la nomination de l’abbesse. [Charles de Chergé, Guide du voyageur à Poitiers et aux environs, l’Etang, 1872]
(12) Le lieutenant est juge dans les cours de justice des grands fiefs comme le comté du Poitou. Irland de Bazoges (en Paillers) avait de la famille dans le haut clergé local. Son ancêtre, Robert Irland, s’était installé en France au milieu du XVIe siècle et avait été professeur de droit à Poitiers. L’emploi de lieutenant-général appartenait à sa famille après lui. L’ancêtre s’était disputé avec Calvin, lui jetant son bonnet à la tête. Sa maison a donné son nom à la rue des Écossais à Poitiers.
(13) Elle était une tante de la future épouse, son mari et le père de la mariée étaient frères.
(14) Cousin de la future épouse (1753-1792), fils de la précédente et du comte Jean Marie du Vigier (1704-1772). La lecture du Mémoire de la Société des Antiquaires de l’Ouest (1911) série 3 T4, page 40, nous apprend qu’un du Vigier se fit massacrer à Paris le 10 août 1792, jour où le roi fut arrêté. Des gardes nationaux défendaient les prisonniers, au nombre desquels se trouvait le chevalier du Vigier, mais la foule obtint de la section l’ordre de cesser toute résistance. Appelés un à un, les prisonniers furent égorgés par les manifestants sur la place Vendôme, devant la porte des Feuillants. La tête du journaliste Suleau, au nombre des victimes, fut promenée avec celles de deux autres victimes au bout d’une pique. Par ailleurs, nous savons que ce chevalier était un franc-maçon de Poitiers, suivant le chroniqueur. Cette victime serait Jean Baptiste du Vigier.
(15) Jean Louis Hilaire du Vigier, cousin, (et non pas oncle comme indiqué dans l’acte) de la future épouse, il était né le 14-1-1758 à Chauvigny dans la Vienne, fils de Jean Marie du Vigier et de Marguerite de Beaufort.
(16) Frère du père de la future épouse.
(17) Jeanne Françoise de Vigier (1750-1830), sœur du père de la future épouse.
(18) Jeanne Louise de Vigier, mariée la veille, le 19-5-1788, et divorcée en 1801, soeur du père de Félicité du Vigier. Son mari (1756-1836) se maria quatre fois. (www.boisetpaille.com)
(19) Ancien terme de palais : enregistré (dictionnaire Littré). L’insinuation avait été créée en 1539 pour percevoir une taxe lors de la transcription obligatoire de tous actes de donation et de tous contrats à titre onéreux sur les registres des greffes. C’est l’ancêtre du droit d’enregistrement moderne.
(20) On a une réitération de la renonciation à la communauté des biens du 5 pluviôse 9 (25-1-1801) par Félicité Duvigier, signée à Linières. [Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Guyet].
(21) Idem (8).


Emmanuel François, tous droits réservés
Mai 2011, complété en août 2021

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dimanche 24 avril 2011

Étienne Benjamin Martineau


Beau-frère du futur châtelain de Linières à partir de 1800, Joseph Guyet, nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer Benjamin Martineau, notamment grâce aux informations puisées dans le livre de M. Maupilier : « Des étoiles au Lion d’Or, Saint-Fulgent sur la route royale », Herault Éditions (1989). Depuis nous avons trouvé de nouvelles précisions sur cet habitant bien particulier de Linières la dernière année du XVIIIe siècle. En particulier, l’accès internet aux successions dans les archives de Vendée, constitue un atout précieux. Nous reprenons son histoire pour la rectifier et la compléter.

Installation à Saint-Fulgent en 1790-1791


Benjamin Martineau fut reçu médecin à Montpellier le 2 juillet 1787 (1). Il s’établit à Saint-Fulgent et s’enthousiasma très tôt pour l’œuvre de la Révolution. Beaucoup d’historiens de la guerre de Vendée racontent qu’en 1791, il interpella dans l’église de manière vexatoire le curé de Saint-Fulgent pour qu’il prête serment à la constitution civile du clergé. Les travaux de l’abbé Boisson font justice de cette fausse affirmation (Voir notre article publié en octobre 2016 : Le refus de prestation de serment du clergé de Saint-Fulgent en 1791).

Né à La Chapelle-Thémer le 16 juin 1765. Son père s’appelait Jean Baptiste Alexandre Martineau, né à Longèves vers 1734, et était fermier de la seigneurie de Pouillé. Il avait épousé à Chassenon le 3 juin 1761, sa cousine germaine, Rose Thérèse Martineau. Ils eurent huit enfants. Il est intéressant de s’attarder sur cette fratrie (2). 
  • Le plus connu de ses frères est Ambroise Jean Baptiste Martineau (1762-1846), ardent républicain, qui fut élu administrateur du département de la Vendée et député suppléant à la Convention. Il a été l’un des hommes de confiance, sévissant à Fontenay, des plus enragés parmi les envoyés de la Convention en Vendée (Hentz, Francastel) (3). Il avait épousé Marguerite Sabouraud. 
  • On a aussi écrit qu’un autre de ses frères, Philippe Constant Martineau, aurait été sauvagement massacré par les insurgés lors de la déroute de Pont-Charrault le 19 mars 1793 (4). Il serait décédé le 15 juin 1793 (5). 
  • Venant Joseph Grégoire Martineau était officier d’état-major de l’armée d’Italie lorsqu’il fut tué à la bataille du Pont d’Arcole le 14 novembre 1796 (6).
  • Rose Louise Martineau qui épousa Joseph Merland, sieur du Chastegnier. 
  • Agathe Jeanne Françoise Martineau qui épousa Guillaume Chevallereau, demeurant à Saint-Hermine. 
  • Thérèse Honorée Martineau qui épousa le 12 novembre 1794 Pierre Ageron, négociant à Fontenay et qui s’établira aux Herbiers, en devenant le maire de 1807 à 1814. Son père avait été fermier général de la Grainetière. Il acheta le Landreau et a été considéré comme « un des grands profiteurs de la Révolution. », achetant de nombreux biens nationaux (7). 
  • Rose, présente au contrat de mariage de son frère Étienne à Saint-Fulgent le 16-5-1791 (8).

Horace Vernet : Bataille du Pont d’Arcole

Franc maçon, Étienne Benjamin Martineau était membre de la Loge des Cœurs Réunis à Fontenay-le-Comte (9). 

Il a épousé à Saint-Fulgent le 17 mai 1791, Catherine Marie Sophie Guyet, fille aînée de Simon Charles Guyet et de Catherine Couzin (orthographe ancien réhabilité en 1804 par son fils Joseph), et sœur aînée du futur châtelain de Linières, Joseph. Le contrat prévoit la communauté de biens des futurs époux suivant le régime de la coutume du Poitou. La nouvelle législation sur le mariage sera décidée par l’Assemblée législative en 1792. Du côté du marié sa mère le dote d’une somme d’argent de 2 000 livres et d’une pension annuelle et perpétuelle de 1 000 livres, franche et exempte de tous droits et impôts « créés et à créer ». Le notaire est sage d’avoir fait cette dernière précision, car on était en plein bouleversement en ce domaine. Les parents de la mariée apportent une somme d’argent de 6 000 livres et une rente annuelle de 1500 F, sujette à impôt. Toutes ces sommes sont des avances d’héritage, suivant l’usage fréquent. Sont témoins au contrat, et le signent, près d’une quarantaine de membres des deux familles : père et mères, frères et sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, oncles et tantes, et même cousins.

C’est le cas par exemple de Jean Claude Pillenière, notaire, et de sa femme Marie Modeste Chauveau, alliés maternels du côté des Guyet. J. C. Pillenière rédigera quatre ans plus tard l’acte de notoriété de décès du père de la mariée à Luçon (8). Marie Modeste Chauveau était la fille de Guy Jean François Chauveau, directeur de la poste aux lettres de Luçon, et frère de Philippe Chauveau maire de Luçon à la date du mariage de sa fille en 1780.

Les débuts de son engagement politique en 1792-1793


Benjamin Martineau est commandant de la garde nationale de la commune de Saint-Fulgent à la fin de 1791 et en janvier 1792 (10). Il fit aussi partie des électeurs du canton de Saint-Fulgent pour les élections départementales en septembre 1792. L’arrêté du directoire de la Vendée du 5 février 1793 le nomma commissaire pour le canton de Saint-Fulgent en vue d’y organiser la garde nationale. Il dirigeait la petite troupe qui est venu dans les premiers jours de la guerre de Vendée dans le bourg de Saint-André pour arrêter Jean Aimé de Vaugiraud. Voir notre article publié sur ce site en avril 2012 : M. de Vaugiraud à Saint-André-Goule-d’Oie.

Plaque commémorative de la bataille de Gravereau
Il dû s’enfuir avec son beau-père, Simon Charles Guyet, le 14 mars 1793, accompagnant vers Fontenay-le-Comte, la troupe en déroute des gardes nationaux commandée par Rouillé. A-t-il été témoin dans l’auberge du Chapeau Rouge à Saint-Vincent-Sterlanges, du massacre de son beau-père le 14 mars par les insurgés du canton de Saint-Fulgent ? A-t-il pu l’assister avant de mourir le lendemain ?

Il faut dire qu’il était haï dans les environs. En témoigne un couplet de « la chanson de Marcé », du nom du général qui fut battu le 19 mars 1793 à la bataille de la Guérinière (aussi appelée bataille du Pont de Gravereau) et qui égayait les paysans, sur l’air de la chanson de Malborough. Le refrain était le suivant :

Marcé s’en va-t-en guerre
Mironton, mironton, mirontaine
Marcé s’en va-t-en guerre
En guerre à Saint-Fulgent

Faisant allusion à la fuite des bleus, un des couplets concerne Martineau avec la prononciation du patois local (11) :

Martineau sans tchulotte
Les presse vivement
Préparez au pus vite
Cercueil et monument !

Ses deux premiers enfants sont nés à Saint-Fulgent.
-        Benjamin Charles, né le 14 février 1792, qui sera juge de paix à Palluau.
-        Louis Marie Amboise dont le baptême est inscrit sur le registre clandestin de Saint-Fulgent le 4 août 1793 (12).

Tableau représentant 
la déportation des prêtres par bateau
À cette date, le père était réfugié du côté de Fontenay-le-Comte et sa femme, restée à Saint-Fulgent, prit les initiatives nécessaires pour faire baptiser son bébé. La mort guettait les nouveau-nés à l’époque, et laisser non baptisé le sien a paru impensable à Mme Martineau. Que faire ? Le curé assermenté de Saint-Fulgent, Baudry, était prisonnier des Vendéens, le curé insermenté avait été déporté en Espagne par les révolutionnaires. Restait le vicaire, insermenté lui aussi, qui se cachait aux alentours en compagnie du curé de Saint-André. 

Alors on fit comme tout le monde, on le contacta, et il baptisa l’enfant. Le parrain, Louis Chateigner, noté comme notaire royal par le vicaire, était aussi maire de la commune cette année-là, favorable aux insurgés (13). La loi du 6 octobre 1791 avait pourtant transformé les « notaires royaux » en « notaires publics ». Il a signé sur le registre clandestin du prêtre réfractaire, qui ignorait les nouvelles lois ! Le refus de laisser l’enfant sans baptême valait donc bien cet accommodement à la lutte contre les prêtres réfractaires. À moins que la politique, avec les simplifications qui la font vivre, ne réussisse pas toujours à bien rendre compte des complexités de l’âme humaine ! La châtelaine de Linières, ex-vicomtesse de Lespinay, échappée par miracle des noyades du sinistre Carrier à Nantes, était bien tombée amoureuse du républicain Joseph Guyet …Alors, comme les irrésistibles effets de l’amour, l’impérieuse nécessité des baptêmes transcendait-elle aussi les luttes politiques ?

Un engagement dans la guerre civile 1793-1796


Fuyant Saint-Fulgent, on pense qu’Étienne Benjamin Martineau s’est dirigé à Fontenay, où se trouvait son frère, administrateur du département. Une fois sur place il y a fait partie du comité de sûreté générale où, en août 1793, les autorités départementales avaient placé des élus du 2e rang dont il faisait partie. Ce comité était au courant des dossiers de police, faisait rechercher les suspects importants, pouvait procéder aux interrogations et déférer à la cour militaire, antichambre de la mort.

Sur ce point on ne peut pas répéter qu’il interrogea des prisonniers originaires de Saint-Fulgent, faute de preuve. Certains historiens ont pu le confondre dans ce rôle avec son frère, qui signe ses interrogatoires de personnes de Saint-Fulgent de son titre « d’administrateur et commissaire du département de la Vendée ». De plus, il fait précéder, dans sa signature, son patronyme de la lettre « a » et de l’abrégé « Jbte », ce qui veut bien dire Ambroise Jean Baptiste (14). Néanmoins on trouve trace de l’activité d’interrogateur de prisonniers d’Étienne Benjamin Martineau aussi à Fontenay. Ce fut le cas notamment pour le notaire Charles René Marot, originaire de Bazoges-en-Paillers, qui fut condamné à mort et exécuté (1).

Il faut aussi évoquer « l’affaire des charmilles ». C’était le nom d’une allée qui bordait « le Verger de la Menaudière » appartenant à Simon Charles Guyet, beau-père de Martineau, vers l’ouest de sa maison, qui était située au milieu du bourg de Saint-Fulgent (derrière l'actuelle mairie). Longtemps après la fin de la guerre de Vendée, des témoignages rappelaient les tortures d’insurgés vendéens qui s’y déroulèrent avant leur mise à mort. Les cris s’entendaient à travers le bourg (15). Contrairement à ce qui a pu être dit, le propriétaire des lieux n’y fut pour rien, ayant été lui-même massacré au début de la guerre. Mais son gendre ? L'historien Maurice Maupilier pense qu’il revint à Saint-Fulgent après la pacification de Hoche et qu’il n’y fut probablement pas impliqué. On peut mettre en doute cette opinion, car sous la protection de l’armée à partir de l’automne 1793, il a pu venir faire des séjours à Saint-Fulgent. On soupçonne en revanche plus vraisemblablement des tortures par la troupe stationnée à Saint-Fulgent. Mais que cette propriété ait servi à cela est difficilement contestable. C’est d’ailleurs dans cette maison de son beau-père qu’il logeait probablement, quand il venait de Luçon à Saint-Fulgent après 1796. Et cette "affaire des charmilles" a dû compter beaucoup pour la postérité.

Poiré-sur-Vie
Benjamin Martineau semble s’être illustré en janvier 1794 au Poiré-sur-Vie, en tuant le curé de Sainte-Cécile, Jean Dolbecq, dans un engagement contre une troupe de combattants vendéens commandée par le général Joly. C’est ce qu’affirme le général républicain Bard, dans une lettre datée de Chantonnay le 11 janvier 1794, et adressée à la société populaire de Fontenay-le-Comte. Il y écrit : « Je ne dois pas vous laisser ignorer que le brave Martineau, le jeune médecin, a porté le premier coup au fameux curé de Sainte-Cécile, dans l’affaire qui a eu lieu au Poiré. » (16). Dans ses mémoire, l’abbé Remaud, le secrétaire de Charette et ancien vicaire de Chavagnes, confirme l’évènement, mais sans citer celui qu’il appelle « l’assassin » et en donnant une date décalée d’un an (17). Le Dictionnaire des Vendéens sur le site des Archives de Vendée indique les deux témoignages.

Martineau fut l’un des premiers signataires de la dénonciation véhémente de la société populaire de Luçon contre le général Huché, « homme atroce », le 30 mars 1794 (1). On trouve aisément sur internet les faits et gestes de ce général alcoolique, chargé par Turreau d’une des colonnes militaires à Luçon et ailleurs. À la section luçonnaise de la société populaire, émanation du club parisien des Jacobins, on trouve aussi le notaire Jean Claude Pillenière dans un état dressé le 21 brumaire an III (11-11-1794) après l’affaire Huché (18). Il avait été témoin au mariage de Benjamin Martineau et rédigera l’acte de notoriété du décès de Simon Charles Guyet l’année d’après.

Benjamin Martineau a dû trouver refuge dans cette période à Champagné-les-Marais, au moins de temps en temps, où le curé constitutionnel de Saint-Fulgent, retiré alors à Ancenis, lui écrit le 21-6-1794 : « on parle beaucoup ici d’un pardon par les représentants aux brigands qui mettent bas les armes, que 600 habitants des marais ont joui tout nouvellement de cette faveur. Je ne crois point à cette amnistie. »

Probablement au début de l’été 1794, il fut nommé par les autorités départementales, « commissaire pour recevoir le serment des citoyens égarés qui demandent à se ranger sous la loi, faire le désarmement, prendre des informations sur les chefs des révoltés, les faire arrêter et les conduire à Fontenay ». Le dossier d’archives indiquant cette nomination est trop détérioré et nous ne connaissons pas sa date exacte, seulement la période : 13 novembre 1793 au 24 août 1794 (19). Cette nomination est localisée : Saint-Fulgent, ce qui montre la possibilité de s’y déplacer à cette date au moins sous la protection de l’armée pour quelqu’un comme Martineau. Cette nomination est peut-être liée à l’arrêté de mai 1794 du Comité de Salut Public concernant la Vendée. L’arrêté a été transmis d’abord à l’état-major de l’armée de l’Ouest (commandée par Vimeux) pour remettre de la discipline et de l’ordre dans les régiments, puis le 21 juin à une commission d’Agriculture et des Arts pour diffusion d’une proclamation auprès des habitants. Ceux-ci, qui sont désignés comme des « individus » et non plus des « brigands », doivent déposer les armes en échange d’une amnistie (20). Le flop fut tel que la Convention nationale votera un décret d’amnistie le 2 décembre 1794, maladroit et de peu d’effet. L’étape suivante sera enfin la négociation et le traité de la Jaunaye.

Plus tard Benjamin Martineau dû habiter Luçon, où naquit son troisième enfant, Rose Adélaïde Félicité, le 13 novembre 1797. Elle fut baptisée en 1808 à Saint-Fulgent sous condition, car elle avait été ondoyée à la naissance, mais « ayant lieu de douter de sa validité ». Le même jour, et pour la même raison, on baptisa aussi ses autres sœurs, Élise Agathe Émilie et Adèle Félicité. Décidément le baptême était pris très au sérieux dans cette famille (21). Rose Adélaïde épousa à Saint-Fulgent le 17 octobre 1825, Joseph Alexandre Gourraud (Proustière de Chavagnes-en-Paillers), juge de paix et conseiller général. À Luçon Martineau y exerça la médecine. C’est ce qu’il déclare au moment de l’inscription du décès de son beau-père au bureau de l’Enregistrement de Montaigu, le 21 messidor an V (9-7-1797).

Commissaire du directoire cantonal de Saint-Fulgent 1798-1799


Mais il devait se rendre régulièrement à Saint-Fulgent, car il fut élu président de l’administration municipale du canton de Saint-Fulgent en 1797 probablement, Louis Merlet étant nommé commissaire de son directoire exécutif.

Puis il remplaça ce dernier en avril 1798. Il l’avait dénoncé auprès des autorités départementales comme « coquin », servant ses intérêts au détriment de ceux de la République. Cette fonction de commissaire du canton nous vaut une correspondance administrative de Martineau dont nous avons donné un aperçu dans l’article publié sur ce site en juillet 2010 : Les agents communaux Fluzeau (1796-1797) et Bordron (1797-1799).

Il s’installa à Linières à une date que nous ne connaissons pas, au cours de l’année 1798, chez son beau-frère, Joseph Guyet, dit « le parisien ». Celui-ci partageait son temps dès la fin de 1796 entre Paris, où vivait sa maîtresse, la dame de Linières, et la Vendée, où il fallait s’occuper du domaine de Linières.

Le 4 octobre il se fait une entorse qui l’immobilise plusieurs semaines. Il la signale au commissaire exécutif de Fontenay dans une lettre du 14 vendémiaire an 7 : « un accident qui m’est arrivé hier me met hors d’état d’assister de quelque temps aux séances de l’administration. Une entorse très douloureuse ne me permettra de quelques décades de sortir de ma chambre. La privation de ma liberté a plus de prise sur l’âme que la douleur elle-même. » L’époque parlait et écrivait avec emphase, et il faut en tenir compte pour comprendre cette phrase : affliction sincère ou héroïsme en chambre ?

Dans son courrier administratif, Étienne Benjamin Martineau a la plume facile. Il est imprégné des influences de son temps : grandiloquence et sensibilité à la mode de Rousseau.  « Sentir » est un de ses mots préférés, et c’est ce qu’il appelle sa conscience. Il règle sur elle ses attitudes, prétend-t-il. On aimerait connaître son rapport aux philosophies à la mode de son temps. En tout cas son adhésion au projet politique issu des États Généraux fut enthousiaste. Il a l’accusation facile contre ses collaborateurs, le juge de paix Gérard et le marchand Merlet. Il ne parait pas s’imposer au lecteur de son courrier par son énergie, mais à cause de l’antagonisme entre eux, on hésite à suivre Gérard qui l’accuse de lâcheté. De même qu’on hésite à répéter qu’il bégayait, comme l’écrit l’historien Félix Deniau, qui montre par ailleurs une facilité à reprendre les rumeurs courant sur son compte à Saint-Fulgent des dizaines d’années après sa mort (1). Mais il nous faut bien remarquer un certain manque de courage quand il se plaint auprès de l’administration départementale, en février 1799, que l’agent de Saint-André laissait l’église paroissiale ouverte aux paroissiens pour y faire des prières en l’absence du curé. Il habitait Linières alors, c’est-à-dire à un km de là. Que n’a-t-il convoqué lui-même les gendarmes pour faire cesser cette pratique illégale ? Il faut dire que les paroissiens l’avaient déjà mis en fuite en mars 1793, quand il était venu dans le bourg arrêter Jean de Vaugiraud avec des gendarmes.

Parmi ce courrier, un fait mérite d’être relaté. Le 22 mars 1799, devait avoir lieu l’assemblée primaire du canton. Elle avait lieu en mars de chaque année, pour désigner notamment le président de l’administration cantonale et le juge de paix (celui-ci sous réserve de l’accord de l’administration). Le commissaire, disposant de la réalité du pouvoir, véritable « sentinelle du gouvernement » (formule employée par L. Merlet), était, rappelons-le, nommé par l’administration départementale. C’est lui, Martineau, qui la présidait pour la convoquer. Ensuite l’assemblée votante devait désigner le président et les membres du bureau de vote.

Ce fut un pugilat, digne des coups de force et des manœuvres qui se déroulaient dans les chambres à Paris. D’un côté une majorité de 58 % des 78 électeurs présents (pour tout le canton) s’opposaient fermement à Martineau. De l’autre un petit groupe de 33 électeurs le soutenaient. Qui composaient les deux groupes ? On n’a que la version de Martineau, et selon lui, ses adversaires, qu’il ne nomme pas, sont manipulés par trois à quatre meneurs du camp royaliste. Lui-même et son camp représentent « les patriotes les plus purs et les plus sincères ». On devine que la réalité a été un peu plus compliquée. Il accuse ses adversaires d’avoir, la veille du jour prévu pour l’assemblée votante, fomenté des cabales, manœuvré, même désigné les personnes à élire. La campagne électorale ne serait-elle autorisée que pour un seul camp ?

Le matin même, l’assemblée votante était toujours divisée. Elle réussit à composer son bureau de vote. Les premiers électeurs furent désignés : Joseph Guyet, l’amant de Mme de Lespinay vivant à Linières, dit « le parisien », Merlet (Saint-Fulgent), Rechin (Chavagnes), Jean Cailleteau (Chauché). Mais cela s’arrêta sans que le procès-verbal soit précis sur les circonstances. On se disputa. En début d’après-midi, le camp Martineau mis à exécution une scission de l’assemblée, prétextant que les participants étaient manipulés et n’étaient pas tous libres de leurs votes. Ces scissionnaires se réfugièrent dans une autre salle pour passer au vote en toute indépendance. C’est ce qui fut réalisé non sans difficultés. La majorité suivit la minorité dans son déplacement, bâtons en mains pour quelques-uns, empêchant la tenue de la réunion. Une diversion dans le jardin pour faire fuir les perturbateurs fut un échec, sous les « propos tumultueux et menaçants » des opposants. Finalement l’agent de Saint-Fulgent requis le commandant de la force armée en poste, pour protéger l’assemblée des 33 scissionnaires. Les membres de l’administration cantonale furent élus : Bossard (Chauché), Bordron fils (Saint-André), Denechaud (Bazoges) et Martineau. Le nouveau président de l’administration du canton fut Bossard de Chauché (22).

Et puis, sans donner de justification, Martineau annonce à l’administration départementale le 13 juin 1799 son départ pour habiter Luçon (23). Il demande qu’on le remplace au 1e messidor prochain (19 juin). La raison n’est pas dite, est-ce un problème de santé ? Est-ce lié à l’accouchement de sa femme, qui avait mis au monde une fille, Élise Agathe Martineau, à Linières le 8 janvier 1799, et qui tomba enceinte peu après (24) ? Peut-être ne se sentait-il pas en sécurité dans le canton de Saint-Fulgent. L’actualité fut remplie dans cette dernière année du Directoire, d’accrochages et d’attaques opérés par des partisans royalistes et par de vrais bandits, sans que les rapports des autorités nous aident à les distinguer. D’ailleurs en septembre 1799 une bande de partisans vint à Linières y piller le logis de Martineau, heureusement absent. Ils venaient d’agresser deux républicains de Chauché : Bossard, agent de la commune, et Bossu, ex assesseur du juge de paix. Dans la traque qui s’en suivit on eut à déplorer un mort dans chaque camp (25). Peut-être aussi connut-il le découragement, comme d’autres à cette époque dans l’Ouest de la France (26).

Sur l’acte de mariage de son quatrième enfant, on note que ce dernier est né à Linières, Agathe Élise Émilie, le 8 janvier 1799 ; elle épousa le 14 octobre 1833 à Saint-Fulgent, Narcisse Hyacinthe Legras de Grandcourt.

Reconversion sous Napoléon


Puis Napoléon s’empara du pouvoir et imposa à tous la paix civile. Beaucoup des combattants des deux camps, qui luttaient depuis dix ans, ne demandaient qu’à vivre en paix. Benjamin Martineau revint à nouveau s’installer à Saint-Fulgent, il était alors membre du conseil général.

Préfet J. F. Merlet
Dans une enquête demandée par le ministre de l’intérieur en 1801, concernant des citoyens vendéens exerçant des fonctions publiques et anciens révolutionnaires, le préfet de Vendée, Merlet, indique à son sujet : « Martineau, médecin, membre du conseil général. Pendant la Révolution, et surtout pendant la guerre de Vendée, il s’est signalé par une extrême exagération. On lui reproche beaucoup d’actes répréhensibles. Il a acquis une grande fortune qui ne lui a pas coûté cher. » (27).

Son dernier enfant naquit à Saine-Florence, Adèle Félicitée, le 7 janvier 1802 ; veuve, celle-ci épousa à Saint-Fulgent le 9 février 1835, Olivier Gabriel Désiré Legras de Grandcourt.

Mais Martineau n'habita pas longtemps dansle bourg de Sainte-Florence. Il alla exercer la médecine aux Herbiers, au moins depuis 1803, année où il y apparaît domicilié au bourg dans un acte notarié. Il y acquit en septembre 1803 une vigne et une ouche, ayant vendu sa maison de Luçon le 30 mai 1802 (28).

En 1798 il avait acquis à Saint-Vincent-Sterlanges une maison, ayant appartenu aux Chabot, puis il l’a revendue quatre mois plus tard (29).

La même année il acheta avec un nommé Beaulieu les Grandes Valinières et Petites Valinières (Saint-Fulgent), ayant appartenu à Le Maignan de l’Ecorce, pour un montant de 110 000 F (30). Sur ce point, l’abbé Félix Deniau s’est laissé emporter par la réputation de Martineau, décriée chez les « blancs », à propos de cette acquisition, écrivant faussement en 1878 dans son livre d’Histoire de la Vendée : « Saint-Fulgent (Vendée), Mandin avait été nommé expert-juré pour la vendition des biens des émigrés. Pour une bouteille de vin, il ne portait dans ses estimations que la moitié des terres d’une métairie et la faisait acheter pour rien à qui il voulait. Ainsi la ferme de Petite-Boucherie, de 75 hectares, fut vendue 600 écus, les Deux-Valinières qui valent aujourd’hui 6,000 francs de ferme, furent achetées 600 francs par M... » (31). Charité ou prudence, il ne donne que la première lettre du nom de l’acquéreur. Il semble qu’il ait recopié un texte d’Alexis des Nouhes, maire de Saint-Fulgent (32). Mais le fait est révélateur : soixante ans après sa mort, les nouvelles générations de ses ennemis gardaient en mémoire sa mauvaise réputation.

Néanmoins le prix de 110 000 F est bien faible comparé à celui payé pour la seule métairie de la Roche Mauvin à la même époque (150 000 F), ou à celui de la métairie du Coin (132 100 F avec des bâtiments incendiés). Au minimum, la valeur des deux Valinières divise par deux le prix payé ailleurs, ce qui valide l’appréciation du préfet sur ce point, et même si certains témoignages ont exagéré.

Nous avons aussi une ferme de la métairie du Coin à Mouchamps qu’il fit en faveur de Pierre Pinau et consorts le 19 brumaire an 11 (33).

En mai et juin 1800, il acheta à ses deux propriétaires, par deux actes séparés, les deux moulins à eau et à vent dits Vendrenneau, à Vendrennes, moyennant la somme de 1200 F. Et dans l’acte du 6 juin il les afferme aux deux vendeurs dans un bail de 3 ans, moyennant un prix annuel de 250 F. en argent (34).  

Toujours passionné de politique, il fit allégeance au nouveau pouvoir de Napoléon et il fut nommé maire de la commune des Herbiers du 15 avril 1804 à décembre 1807. Il fut alors remplacé par son beau-frère Pierre Ageron. Mais le 2 juillet 1808 il prêta serment comme juge de paix aux Herbiers.
Aux Cent-jours de retour de Napoléon, il fut élu le 12 mai 1815 par l’arrondissement de la Roche-sur-Yon représentant à la chambre (35). On sait que le nouveau retour de Louis XVIII après la seconde abdication de Napoléon rendit cette élection inutile.

Étienne Benjamin Martineau est décédé à Saint-Fulgent le 8 novembre 1828.

Sa mémoire nous pose question. On l’a vu moqué dans « la chanson de Marcé » au début de la révolte des insurgés en mars 1793. On l’a vu ensuite chargé d’accusations non fondées dans les décennies qui ont suivi la fin de la guerre de Vendée. Pourquoi tant de haine ? Son beau-père Charles Guyet a été massacré dans une escarmouche à laquelle il avait participé, ou bien il a été assassiné pour avoir été reconnu, bourgeois républicain qu’il était. Cette haine des républicains n’a pas été une conséquence de la guerre, même s'il faut l'y agréger bien sûr, mais surtout elle se classe parmi les causes apparemment. N’est-ce pas l’enseignement principal qui se dégage de l’histoire personnelle d’Étienne Benjamin Martineau ?  


(1) Archives diocésaine de l’évêché de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Martineau. 
(2) Archives départementales de la Vendée, Notes généalogiques J. Maillaud.
(3) Annuaire de la SEV, Les Bleus de Vendée, article J. Artarit, (2010), page 235.
(4) Annuaire de la SEV, Les Bleus de Vendée, article J. Artarit, (2010), page 278.
(5) Registre de déclarations de mutations, Fontenay, n° 120, et succession 1791-an IV : 68/207, cité par J. Artarit.
(6) Archives de Vendée, registre des déclarations de mutation, bureau Montaigu (10 germinal an 5).
(7) Jean Lagniau, Le Landreau en les Herbiers, (1971). 
(8) Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, étude Frappier 3E30/13, contrat de mariage Étienne Martineau et Catherine Guyet du 16-5-1791.
(9) Jean Artarit, Fontenay-le-Comte sous la Révolution, Éditions du CVRH, 2014.  
(10) Dugast-Matifeux, Origines et débuts de l’Insurrection Vendéenne, page 179. Et Archives de la Vendée, registre paroissial du Poiré-sur-Vie, signature de l’acte de baptême du 1-1-1792, vue 30.
(11) Billaud et d’Herbauges, La guerre au bocage vendéen, (1992), page 106.
(12) Archives départementales de la Vendée, état-civil Saint-Fulgent : registre clandestin vue 10/78.
(13) Extrait d’une liste des insurgés vendéens dressée par Goupilleau de Montaigu dans la collection Dugast-Matifeux volume 1, liasse 31, conservée à la médiathèque de Nantes et copiée par l’abbé Boisson dans le fonds 7 Z 99, aux Archives du diocèse de Luçon.
(14) Interrogatoire le 12 frimaire an 2 de Zacharie Allier, serrurier de la commune de Saint-Fulgent dans la collection Dugast-Matifeux volume 67 conservé à la médiathèque de Nantes et copié par l’abbé Boisson dans le fonds 7 Z 99, aux Archives du diocèse de Luçon.
(15) Maurice Maupilier, Des Étoiles au Lion d’Or, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions, 1989, page 147.
(16) L. Brochet, Le canton de Chantonnay à travers l’histoire, Le livre d’histoire (fac-similé 2007), page 38.
(17) E. Bourloton, Le clergé de la Vendée pendant la Révolution, Revue du Bas-Poitou (1902-4), page 348, vue 17.
(18) R. Williaume, Luçon dans la guerre de Vendée, éditions du CVRH, 2009, page 401.
(19) Nomination de Martineau jeune commissaire à Saint-Fulgent, Archives de Vendée, Répertoire de la série L, table du registre des délibérations du conseil général et du directoire du département de la Vendée, commencé le 23 brumaire an II … et fini le 8 fructidor même année : dossier L 70.
(20) A. Rolland-Boulestreau, Guerre et Paix en Vendée 1794-1796, Fayard, 2019, page 30 et s.
(21) Archives diocésaine de l’évêché de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Martineau, baptême de Rose Adélaïde Félicité Martineau le 6-9-1808.
(22) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, procès-verbal du 22 ventôse an 7 de Martineau et lettre du même à Coyaud du 4 et 13 germinal an 7.
(23) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre de Martineau à Coyaud du 25 prairial an 7.
(24) Archives de Vendée, état-civil de Saint-Fulgent, mariage Élise Martineau et Narcisse Legras de Grandcourt du 14-10-1833 (vue 240/335 du registre numérisé). Et état civil de Chauché an 7, vue 9.
(25) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-IV, compte-rendu du 3 vendémiaire an 8 de Gérard sur les attaques de partisans à Chauché le 30 fructidor an 7.
(26) J. C. Martin, La Vendée et la Révolution, Perrin, 2007, page 187.
(27) T. Heckmann, « Napoléon et la paix », Éditions d’Orbestier (2004), page 85.
(28) Archives de Vendée, notaires des Herbiers, J. M. Graffard (fils) : 3E 020, vente de leur maison de Luçon par B. Martineau, le 10 prairial an 10, vue 254/304.
(29) Archives de Vendée, notaire de Sainte-Cécile, minutes isolées Joseph David, vente de Pierre Brossard à Louis Motais 15 fructidor an 6 (vue 45).
(30) Archives de Vendée, vente de biens nationaux : 1 Q 267 no 1414, vente des Grandes Valinières et Petites Valinières achetées par Beaulieu et Martineau (Étienne) le 9 messidor an 6.
(31) Archives de Vendée, bibliothèque numérisée Aubret et les héritiers des Vendéens : 4 Num 280/27, Félix Deniau, « Histoire de la Vendée », tome premier, page 45 (vue 45).
(32) Archives de Vendée, bibliothèque numérisée comte de Chabot, biographies : BR 117, vue 10.
(33) Archives de Vendée, notaire des Herbiers, Allard 3E 019, ferme de Martineau à Pierre Pineau le 19 brumaire an 11 (10-11-1802) vue 47/492.
(34) Archives de Vendée, notaires de Chavagnes, Bouron : 3 E 31/18, achat du 6-6-1800 de la moitié
des 2 moulins de Vendrenneau par Martineau, et ferme des moulins.
(35) R. Robinet et Le Chaplin, Dictionnaire de la Révolution et de l’Empire.

Emmanuel François, tous droits réservés
24 avril 2011, complété en février 2020